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El momento no es de pasividad sino de espera activa, de esfuerzos de reconstrucción de la comunidad, de reforzamiento de los lazos horizontales de cara a lo que vendrá.
Le monde nous regarde avec une curiosité particulière. Ceux qui ont tout vu sont désormais les protagonistes d’une tragi-comédie et, ainsi ceux qui sont à l’intérieur en souffrent, ceux à l’extérieur se retrouvent avec la partie comique. Pendant ce temps, les mesures destructrices tombent comme des grêlons et d’autres pleuvent pour nous distraire des premières, le tout mélangé dans un ragoût hilarant avec la Bible à côté du chauffe-eau [1] :
… et nous pourrions continuer avec ce pot pourri dans lequel tout se confond et avec lequel nous sommes mitraillés sans arrêt, et compris par un porte-parole officiel au visage hostile et avec quelque chose de récurrent dans les sons onomatopées. On nous dira sûrement aussi que nous n’apportons rien avec cela, car nous le savons tous.
Il est vrai que nous le savons tous et aussi que le chef de notre Exécutif ne dialogue pas et ne discute pas dans les termes démocratiques normaux dans lesquels les politiques ont toujours été discutées, car chaque argument qu’on lui oppose semble le toucher comme une offense personnelle, une sorte de blessure à son estime de soi qui le fait réagir avec une agressivité verbale inhabituelle, qui a atteint son paroxysme lorsque qu’il a qualifié Lord Keynes de communiste. Par ailleurs, il n’est pas nécessaire de tomber dans une fausse pudeur ou une moralité hypocrite pour reconnaître que la contribution de l’Exécutif à la vulgarisation du langage politique est énorme.
Il est vrai que tout cela est bien connu, mais ici nous ne faisons qu’accumuler - mêlées et confuses, au fur et à mesure qu’elles nous parviennent - quelques données incomplètes, pour opposer à cette exorbitance un certain silence en réponse, car nous ne pouvons cacher le sentiment que la société argentine subit un bombardement dévastateur mêlé de feux d’artifice d’un côté et de silence de l’autre. Il semble que la voix de Gardel nous revienne : Silence dans la nuit [2]. C’est là qu’il faut s’arrêter : dans le silence face à l’hilarant. Que se passe-t-il dans notre société ? Sommes-nous la petite vieille aux cheveux gris très blancs berçant le berceau, qui s’est retrouvée bien seule avec cinq médailles ? Quand mon père écoutait ce tango, il se demandait à quoi servaient les cinq médailles, et il ajouta quelque chose que je ne répéterai pas pour ne pas ajouter à la vulgarisation, du langage mais il avait raison, car l’espoir du berceau lui ont été retirés vingt ans plus tard, dans la seconde partie du suicide de l’Europe colonialiste. Mais revenons à notre propos.
Il est nécessaire de nuancer de façon adéquate la question du silence , car elle n’est pas non plus si totale : il y a ceux qui ne se taisent pas. Sans aller plus loin, la grève et les mobilisations du syndicalisme et la concentration du 24 mars en sont la preuve. Chacun des secteurs concernés ne reste pas non plus silencieux, défiant les menaces de l’imprévisible Patricia.
Eh bien, il n’y a pas de silence total , seulement la résistance des différents secteurs, que cette machine de destruction met à mal, est insuffisante. Par conséquent, si l’on se demande quel est le silence qui nous préoccupe, celui qui invite à la dépression émotionnelle et crée un faux sentiment d’impuissance, c’est sans aucun doute celui du champ politique. Ce silence réaffirme une indéniable décadence de la politique, pas du tout étrangère à l’ouverture de l’espace de la catastrophe actuelle et à la réapparition des zombies.
En tout cas, nous ne pensons pas qu’il soit opportun de regarder en arrière maintenant, car l’extrême urgence du présent nous oblige à regarder sans tarder vers l’avenir. Il ne servirait à rien de perdre du temps à passer la facture, alors que l’État est détruit et que la pauvreté augmente, avec une cruauté si rapide que même le FMI met en garde contre le danger d’une épidémie qui ne lui convient pas, car il ne pourrait pas recouvrer son prêt frauduleux. L’urgence est d’une telle ampleur que même ceux qui traditionnellement déforment l’opinion et les interprètes du mensonge eux-mêmes mettent en garde contre le risque.
Pour l’avenir, nous devons donc garder à l’esprit que tout silence est un vide , car la vie – comme la musique – est une combinaison de sons et de silences, mais lorsque les sons que l’on savait entendre autrefois manquent, seul demeure le vide sonore, tant dans la musique que dans la vie. À mesure que progressent la destruction et la régression sociale, le vide devient plus intense, ce qui opère comme une baisse de pression atmosphérique : il nous fait marcher plus lentement, nous marchons tristement, mais à mesure qu’il continue à descendre, son intensité augmente, convoquant des vents, des nuages qui brouille la vision et, enfin, des tempêtes. C’est le fameux calme avant la tempête.
D’ailleurs, la société n’est pas complètement silencieuse, mais les différents secteurs de plus en plus touchés attendent l’appel qui surviendra dans un moment de condensation. L’histoire mondiale nous enseigne que les grands mouvements populaires qui produisent des changements sociaux ne surviennent pas précisément lorsque tout va plus ou moins bien, mais lorsque tout va très mal et qu’arrive le tournant, c’est-à-dire la crise. Contrairement au tango de Gardel, ici rien n’est calme, le muscle ne dort pas, l’ambition travaille .
Cette crise montre qu’il y a quelque chose qui est épuisé et ce n’est rien d’autre que la vieille politique qui ne fonctionne plus. Elle s’est dégradée avec ses mesquineries, ses accords insolites, ses calculs électoraux, sa professionnalisation schizophrène, ses feintes idéologiques qui brouillent l’identité politique à la poursuite des spéculations conjoncturelles. C’est comme le silence d’un vieux gramophone, qui peut générer une certaine nostalgie du temps où ça sonnait bien, mais cela ne peut en aucun cas nous déprimer qu’il ne joue plus, car nous n’avons d’autre choix que de l’archiver, même avec le respect et le soin que mérite le souvenir de ses bons moments. Nous n’entendons pas par là qu’il faut archiver des personnes, mais plutôt des méthodes et, bien sûr, celui qui s’adapte à un fort renouveau méthodologique rejoindra tout ce qui émergera.
Le moment n’est pas celui de la passivité, mais celui de l’attente active, des efforts – aussi petits soient-ils – pour reconstruire la communauté, pour renforcer les liens horizontaux. En d’autres termes, nous pensons qu’il nous faut faire chauffer les moteurs pour ce qui va arriver, car quelque chose de nouveau va émerger de cette crise, comme cela s’est toujours produit dans toutes les précédentes : la basse pression atmosphérique annonce la tempête puis le soleil se lève à nouveau. Cela n’échoue ni en météorologie, ni en histoire.
On oppose généralement à cette dernière affirmation une question : Et avec qui ? Il est inutile de chercher une réponse à cette question, car il est très rarement possible de savoir qui est l’organisateur avant l’appel lui-même. L’appel est un phénomène rationnel, mais pas trop rationnel, car il opère aussi émotionnellement et généralement dans le cadre d’une réalité dynamique pleine d’impondérables. Est-ce que ceux qui sont convoqués ne génèrent pas celui qui organise et non l’inverse ? Nous n’avons pas de réponse et, lorsque nous l’essayons, nous aboutissons à un jugement analytique qui nous explique peu de choses : il n’y a pas d’organisateur sans ceux qui sont convoqués et vice versa.
Cependant, la vérité est qu’invariablement l’événement se produit : lorsque le système se ferme, le nouveau apparaît. Cela s’est toujours passé ainsi et cela se produira aussi maintenant. Est-ce du pur optimisme ? Non, c’est du simple réalisme, car on lit une autre histoire, pas précisément celle qui nous ment en prétendant que le néocolonialisme britannique nous a fait rendu puissant, qui nous balance une horreur d’un siècle d’erreurs, qui face au silence de la vieille politique veut nous faire croire que nous sommes impuissants face aux outrages des faux libéraux. Il se peut que notre société soit anxieuse, parce que nous voulons toujours que tout se passe plus vite, mais elle s’échauffe, dans une attente active et, pour tuer l’anxiété et accélérer la nouveauté à venir, pas de dépression.
Raúl Eugenio Zaffaroni* pour La Tecl@ Eñe
La Tecl@ Eñe. Buenos Aires, le 4 avril 2024.
Traduit de l’espagnol pour El Correo de la Diáspora par : Estelle et Carlos Debiasi.
El Correo de la Diaspora. Paris, le 5 de avril 2024
[1] Tango Cambalache - Cambalache a été composé en 1934. L’œuvre est née pendant la Década Infame, que Discépolo dénonce dans plusieurs de ses textes. En réponse aux gouvernements autoritaires, à différentes étapes de l’histoire noire de notre pays, elle a été censurée. Mais elle renaît toujours avec toute son originalité. En Argentine, en Uruguay et en Colombie notamment, le terme « cambalache » désigne un lieu d’achat et de vente d’articles usagés :
« ... et blessée par un sabre sans rivet
on voit la Bible pleurer à côté d’un chauffe-eau... »".
[2]
Carlos Gardel
Silence dans la nuit, tout est calme
Le muscle dort, l’ambition se repose
Berçant un berceau, une mère chante
Une chanson bien-aimée qui atteint l’âme
Car dans ce berceau est son espoir
Il y avait cinq frères, elle était une sainte
Il y avait cinq baisers que chaque matin
Ils ont brossé très tendrement les soies d’argent
De cette vieille dame aux cheveux gris très blancs
Il y avait cinq enfants qui sont allés à l’atelier
Silence dans la nuit, tout est calme
Le muscle dort, l’ambition marche
Un clairon se fait entendre... le pays est en danger
Et au cri de : Guerre ! les hommes s’entre-tuent...
Couvrant de sang les champs de France
Aujourd’hui tout est passé, les plantes fleurissent
Un hymne à la vie que chantent les charrues
Et la vieille dame aux cheveux gris très blancs
Elle est restée bien seule… avec cinq médailles
Que pour cinq héros, le prix de la patrie
Silence dans la nuit, tout est calme
Le muscle dort, l’ambition se repose
Un chœur lointain de mères qui chantent
Ils bercent de nouveaux espoirs dans leurs berceaux...
Silence dans la nuit… silence dans les âmes