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23 de mayo de 2025

Le crépuscule de la classe moyenne argentine sous le néolibéralisme.

L’ascension et le déclin de la classe moyenne argentine

 

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Au cours des dernières décennies, la classe moyenne argentine, autrefois nombreuse, a disparu sous l’effet des politiques néolibérales successives.

Les gouvernements de Mauricio Macri (2015-2019) et de Javier Milei (depuis 2024) ont renforcé l’ouverture financière, l’élimination des contrôles et les coupes budgétaires, façonnant un modèle économique plus typique de l’Amérique latine que de l’« économie du bien-être » qui a forgé l’industrialisation du XXe siècle. Il en résulte une détérioration sociale accélérée : la pauvreté et l’indigence ont atteint des niveaux impensables il y a peu, tandis qu’une minorité accumule des richesses. L’absence de plan industriel et la prédominance de l’extractivisme aggravent cette tendance. Plusieurs études sociales mettent en garde contre ces politiques qui font du pays un cas paradigmatique d’inégalité extrême.

L’État-providence et l’émergence de la classe moyenne

Au début du XXe siècle, l’Argentine était un pays offrant de grandes possibilités de promotion sociale. L’immigration européenne de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle a créé une société égalitaire et ambitieuse qui a promu les droits politiques et sociaux. L’éducation publique gratuite et les lois sociales adoptées après 1945 ont jeté les bases de ce que l’on appelle l’État-providence argentin. Comme le souligne l’historien de l’économie Pablo Gerchunoff, ce modèle « a éliminé l’analphabétisme et a permis au pays d’atteindre des niveaux de développement élevés : jusqu’en 1974, l’Argentine avait un PIB par habitant similaire à celui de l’Australie ou du Canada, avec seulement 4 % de la population en dessous du seuil de pauvreté ». À l’époque, ce que l’on appelle la « classe moyenne » - fonctionnaires, professions libérales, petits commerçants et industriels - constituait la majorité de la société. Gerchunoff insiste sur le fait que c’est précisément cet État-providence qui a été le facteur de progrès, et non la source du déclin économique.

Cependant, l’histoire a connu une rupture avec la dictature militaire de 1976. Le premier graphique illustre l’évolution de la stratification sociale entre 1974 et 1980 : la classe moyenne supérieure et entière est passée de 78% de la population à seulement 38%, tandis que la pauvreté et la misère ont grimpé à 24%. Le plan économique de José Alfredo Martínez de Hoz a permis de démanteler l’industrie nationale, de promouvoir la valorisation financière et de libéraliser les marchés. Ce processus a détruit une grande partie des conqêtes salariales et re-distributives précédentes. Comme le souligne une analyse de la FLACSO, la « cyclicité argentine » alterne entre des gouvernements industriels et des vagues néolibérales qui déconstruisent les orientations distributives de l’État, privatisent et endettent le pays. La décennie « menemiste » a approfondi cette tendance, mais c’est l’entrée dans la démocratie avec des politiques de rigueur budgétaire qui a consolidé l’idée d’une économie ouverte incontrôlée, prélude à ces dernières années.

Le néolibéralisme tardif : Macri et la récession sociale

En 2015, Mauricio Macri est arrivé au pouvoir avec un discours libéral promettant la modernisation. Ses premières années ont été marquées par la suppression des subventions à l’énergie, l’ouverture du commerce extérieur et des liens avec les marchés internationaux (y compris un retour du FMI). L’ajustement fiscal a rapidement touché les secteurs inférieurs et moyens. L’inflation a grimpé en flèche et les salaires réels ont chuté. En 2019, la pauvreté urbaine a atteint 35,4 % (contre 27,3 % l’année précédente) et l’indigence 7,7 %. En chiffres absolus, cela représente plus de 3,2 millions de nouveaux pauvres en seulement douze mois. Ces chiffres, les plus élevés de toute l’ère Macri, ont démoli le mythe selon lequel le pays pouvait maintenir ses dépenses sociales grâce au libre-échange. Même un rapport de la CIPPEC a averti que, même avec une croissance annuelle élevée de 5 %, la pauvreté ne baisserait que de 30 % à 20 % en cinq ans, montrant clairement que sans une reprise soutenue, l’appauvrissement ne pourrait pas être inversé.

Ainsi, à la fin du mandat de Macri, le pays a connu une profonde récession sociale : les classes moyennes appauvries (qualifiées de « classes moyennes inférieures » ou à risque) se sont multipliées, tandis que les revenus concentrés ont stagné. Selon Thomas Piketty, ces résultats du « libre marché » étaient parfaitement prévisibles : l’économie de marché « peut concentrer les richesses, répercuter les coûts environnementaux sur la société et abuser des travailleurs » en l’absence de contrôles et de contrepoids de l’État. Pour de nombreux analystes locaux, les « mauvais » résultats de Macri s’inscrivent dans un schéma historique : un néolibéralisme qui promet la prospérité mais conduit à davantage d’inégalités et de précarité.

Le projet Milei et la « latinoaméricanisation » naissante.

L’arrivée de Javier Milei à la présidence en 2024 a ravivé les attentes néolibérales extrêmes. Milei - un outsider au discours anarcho-capitaliste - a proposé des mesures drastiques : dollarisation, réforme du travail, réduction des effectifs de l’État et des subventions. Ses détracteurs craignent que ce programme ne consolide la « latino-américanisation » du pays, c’est-à-dire une structure sociale caractérisée par une très grande pauvreté, une petite classe moyenne et une élite privilégiée, comme c’est le cas dans d’autres pays de la région. En ce sens, Jorge Fontevecchia (Perfil) note que Milei semble vouloir faire de l’Argentine « le modèle de la plupart des pays d’Amérique latine, où la classe moyenne ne représente qu’une infime partie de la société ».

Les premiers indicateurs économiques pour 2024 sont sévères : après plusieurs années de crise, la pauvreté a atteint un pic officiel de 52,9 % au premier semestre. À la fin de l’année, l’INDEC, dans un jeu statistique, a fait état de 38,1 %, mais malgré cela, près de 6 Argentins sur 10 restaient sous le seuil de pauvreté, entraînant un énorme coût social accumulé tout au long de l’année : stagnation de l’emploi, salaires, pensions et retraites réels tous négatifs, inflation, hausse des prix des services et des loyers, etc. La réactivation espérée, promue par le gouvernement, n’a jamais eu lieu, laissant à découvert une réalité sociale alarmante.

Sur le plan politique, la rhétorique de Milei a été percutante. Le président est allé jusqu’à affirmer que son administration avait « sorti des millions de personnes de la pauvreté », en utilisant des estimations remises en cause par les experts. Dans la pratique, de nombreux secteurs craignent que son plan n’aggrave la situation des familles à faibles revenus : l’accélération des tarifs, l’élimination des subventions et l’annonce de réformes fiscales génèrent de l’incertitude. L’entourage de Milei a même parlé d’un « ajustement douloureux » sur deux ans. Pendant ce temps, l’opposition et plusieurs analystes avertissent que le modèle mis en œuvre est la recette classique des ajustements néolibéraux : retirer les acquis sociaux pour éviter une crise budgétraire qu’ils ont eux-mêmes créée avec la dette.

Sans moteur industriel, il n’y a ni développement ni égalité.

L’absence d’un projet productif national clair est l’une des principales caractéristiques du processus récent. Pendant des décennies, l’économie argentine a été fortement dépendante des matières premières agricoles, des minéraux et des services (tourisme, finance, technologie). Les gouvernements de l’après-dictature se sont efforcés de diversifier la matrice, mais les réformes néolibérales ont renforcé le secteur primaire. L’économiste Mariana Mazzucato souligne que de nombreuses nations latinoaméricaines sont « piégées dans leur rôle de simples exportateurs de matières premières ». Elle propose tout le contraire : un « État entrepreneur » qui développe des chaînes de valeur, par exemple en encourageant l’industrialisation de l’extraction du lithium pour en faire des batteries ou en ajoutant de la valeur aux minerais locaux.

En Argentine, en revanche, les politiques récentes n’ont pas corrigé la trajectoire extractive ; même avec un rebond des projets de Vaca Muerta ou d’exploitation minière, la part de la valeur ajoutée locale reste faible.

L’absence d’industrie locale crée un marché du travail fragile : les nouveaux emplois tendent à se concentrer dans les services à faible productivité ou dans le domaine de l’exportation. L’historien Mario Rapoport a souligné que le processus de désindustrialisation est précisément à l’origine du déclin général : le déclin du pays a commencé, selon lui, lorsqu’un modèle réussi de substitution des importations a été abandonné après 1976. En l’absence d’un plan à moyen terme axé sur l’innovation et la diversification, l’économie se tourne instinctivement vers ce qui est facile : exporter des produits de base et attirer des capitaux financiers. Cela signifie que la reprise économique - à l’avenir - dépendra presque exclusivement des prix internationaux et des cycles mondiaux, sans gagner beaucoup d’autonomie interne.

Résultat : des inégalités et une précarité extrêmes.

L’effet cumulatif de ces politiques se retrouve aujourd’hui dans les statistiques d’inégalité et de pauvreté. Comme le souligne Piketty, l’inégalité n’est pas un phénomène « naturel » mais une construction sociale : « l’inégalité est idéologique et politique, pas naturelle », précise-t-il, et dépend du « système juridique, fiscal, éducatif et politique » que l’on décide de mettre en œuvre. En Argentine, cette construction historique a produit l’un des écarts les plus importants de la région. Joseph Stiglitz complète ce point de vue en rappelant que les marchés seuls « donnent souvent lieu à des niveaux élevés d’inégalité ». En d’autres termes, sans intervention publique équilibrante, la tendance inhérente au libre marché est de concentrer la richesse.

Dans la pratique, cela se traduit par un pays composé de vastes pans de la classe ouvrière appauvrie et d’une puissante minorité économique. En termes quantitatifs, plusieurs études soulignent que la part des salariés dans le revenu national a considérablement diminué au cours des dernières décennies. Les revenus du capital et les dividendes des exportations primaires (soja, gaz, mines) restent principalement entre les mains de grandes entreprises et de groupes économiques étrangers ou locaux, tandis que les secteurs moyens et inférieurs voient leurs salaires et revenus réels diminuer. Cette dualisation est évidente dans les indices : malgré une embellie statistique temporaire, l’incidence de la pauvreté officielle est bien plus élevée qu’il y a quelques années, et les classes moyennes souffrent de fractures sociales. Pour l’Observatoire Social, comme nous l’avons dit précédemment, plus de 50 % de la population vit avec des revenus inférieurs au seuil de pauvreté ou d’indigence (selon la dernière estimation disponible), une ampleur sans précédent dans l’Argentine moderne.

Dans ce contexte, de nombreux économistes de renom appellent à un revirement. Thomas Piketty insiste sur le fait qu’il n’y a pas de « déterminisme » fatal de l’inégalité ; au contraire, des changements dans les lois et les institutions - qu’il s’agisse de la fiscalité, de l’éducation ou du travail - peuvent profondément modifier la répartition des revenus. Mariana Mazzucato, pour sa part, propose un retour à l’idée d’un État actif en tant que promoteur de l’industrie et de l’innovation, au lieu de se résigner à un rôle subsidiaire des marchés. Comme le résume Stiglitz et d’autres, pour que l’économie fonctionne pour la majorité, il faut des politiques publiques qui régulent les marchés et redistribuent les ressources.

Vers un avenir de polarisation ?

L’Argentine se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. L’ascension historique de la classe moyenne, construite au milieu du siècle dernier, semble s’inverser : d’une part, un secteur aisé se développe, qui regarde les indices financiers avec satisfaction, et d’autre part, une masse de travailleurs précaires, d’indépendants et de chômeurs se développe, qui s’accrochent à des revenus minimums. Entre les deux, les professions libérales, les commerçants et les petits entrepreneurs voient leur pouvoir d’achat s’évanouir. Pour un observateur critique, ce panorama reflète la réussite d’un projet économique : la « latino-américanisation » si souvent annoncée par Milei, dans laquelle l’Argentine ressemble de plus en plus aux nations les plus pauvres de la région.

La solution n’est pas de se résigner à cette dynamique. Il est nécessaire de tracer une autre voie : un modèle productif diversifié, un rôle stratégique de l’État dans l’économie et des politiques sociales qui protègent les plus vulnérables.

En définitive, le déclin de la classe moyenne argentine n’est pas un destin inéluctable, mais le résultat de décisions politiques. Le défi consiste maintenant à imaginer - et à construire - un nouveau consensus économique qui renverse des décennies de subordination à l’orthodoxie du marché.

Antonio Muñiz* pour Motor Económico

Motor Económico. Buenos Aires, le 17 mai 2025.

Traduit de l’espagnol pour El Correo de la Diaspora par : Estelle et Carlos Debiasi

El Correo de la Diàspora. Paris, le 23 mai 2025.

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