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27 mars 2009

Les Mouvements sociaux dans la transition hégémonique
Raul Zibechi

par Raúl Zibechi *

 

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Dans un article récent Immanuel Wallerstein revient sur l’un de ses sujets favoris : l’actuelle crise et sa relation avec la transition hégémonique et systémique que nous traverserions (Suivre l’exemple du Brésil, re-imaginer le Socialisme). Comme d’habitude, ses arguments sont solides et convaincants et donnent matière à réfléchir au rôle des mouvements sociaux dans une période de convulsions aigues.

L’argument central c’est que la crise est quelque chose qui ressemble à une tornade qui nous oblige à nous réfugier dans un lieu sûr. Il soutient que quand l’orage passera, approchera le moment décisif, puisque la catastrophe nous forcera à prendre des décisions ayant des conséquences à long terme : La question fondamentale est comment allons-nous reconstruire. Ceci sera la réelle bataille politique, dit le sociologue. Il s’agit du type de société à créer sur les ruines de l’actuelle.

Bien que l’article ne le mentionne pas, depuis une position anti-systémique la reconstruction correspond aux mouvements sociaux. Notamment, parce que la tornade en cour reviendra, ou est déjà revenue, les états-nation étant impuissants d’arrêter la crise ou de réduire ses impacts sur les secteurs populaires. D’un autre côté, si les états étaient les responsables de la reconstruction, il semble évident qu’ils recommenceraient à édifier un monde très similaire à l’actuel, comme le montre, l’expérience des états qui sont nés de la décolonisation dans le tiers monde, ainsi que ceux qui ont porté en avant l’expérience ratée du socialisme de l’État.

Ce sont les mouvements de ceux d’en bas qui peuvent créer un monde nouveau ou bien différent de l’actuel, pour une simple raison : Ils sont porteurs de ce nouveau monde, même à une petite échelle, au moyen d’initiatives plus ou moins intégrales, avec divers degrés de profondeur, de permanence et de développement. Un nouveau monde est une tapisserie tissée par les relations sociales non capitalistes. Par conséquent, ce n’est pas comparable à ce que nous connaissons déjà. C’est autre chose : dans une construction-déconstruction permanente, dans une résistance face au capital et l’État, par conséquent fragile, instable, inachevé, imparfait.

Les nouveaux mondes qui vibrent à l’intérieur des peuples organisés en mouvements ne sont pas des points d’arrivée, mais à peine des escales spatio-temporelles dans un processus de luttes et de résistances interminables, qui à leur tour impulsent et soutiennent ces luttes et ces résistances. Ce n’est pas facile de les définir, ni il y a lieu de le faire, mais quand nous sommes là, quand nous les vivons et les partageons, il n’y a pas de doute sur ce dont il s’agit.

Pour que ces mouvements soient capables de jouer un rôle décisif au moment décisif, quand passera la tornade à laquelle fait allusion Wallerstein, certaines conditions doivent être au rendez-vous. La première est qu’ils existent, qu’ils aient survécu aux moments les plus destructifs d’un système en extinction. Il importe peu que les nouveaux mondes soient grands ou petits, si ce n’est qu’ils demeurent. Une grande partie de l’énergie du système est destinée à les exterminer par la voie militaire ou à les défigurer et les coopter par la voie douce des plans sociaux. L’objectif du système est de les éliminer, que ce soit par la mort ou en éliminant leurs différences, ce qui une forme plus cruelle, si on peut dire, de mort.

La deuxième condition indispensable pour la construction d’un nouveau monde est qu’ils maintiennent leurs différences avec l’État et le capital de la manière la plus pure possible. Pour cela ils doivent être radicaux quant il s’agit de conserver leurs propres traits et de ne rien céder sur qui les rendent semblables à l’actuelle société. Les mondes nouveaux qui vivent dans les mouvements sont les milliers d’initiatives dans la santé, l’éducation, la production, la justice, le pouvoir qui existent dans les territoires et les espaces contrôlés par ces mouvements. Peu importe s’ils sont dans des lointaines zones rurales ou dans les villes. Cela peut être des usines récupérées par leurs ouvriers, des installations de paysans sans terre, des communautés indiennes autonomes, ou les plus divers collectifs (jeunes, femmes, sans toit, chômeurs) travaillant dans les multiples domaines où ceux d’en bas résistent e où, pour maintenir la résistance vive, on réinvente autrement.

Sur ce point, en regardant le jour suivant la tornade, quand il faudra recueillir les milliers de morceaux du chaos, les ordonner, écarter les parties inutiles car symétriques avec le monde qui a provoqué la catastrophe, récupérer celles qui peuvent encore cimenter l’autre monde, les mouvements qui se sont maintenus comme radicalement différents seront un point de référence inéluctable à l’heure de la reconstruction. Dans les deux sens : d’un côté, pour ce qu’ils font, en particulier les formes de pouvoir reposant sur l’assemblée comme raison ultime, ils serviront d’inspiration aux uns et aux autres d’en bas qui, en n’ayant pas encore vécu l’expérience de mouvements, sentiront qu’existent d’autres manières de vivre et de ressentir, collectives, communautaires, non mercantiles, où la logique des valeurs d’usage a complètement supplanté celle des valeurs de changement.

D’un autre coté, parce qu’au milieu du chaos systémique qui caractérise les transitions hégémoniques, comme Giovanni Arrighi les définit, les espaces communautaires peuvent être un principe d’ordre qui stimule la propagation de nouveaux modes de vie, moins hiérarchiques et oppressifs que ceux actuels. Autrement dit : si quand approchons les moments décisifs ( chacun trouvera la métaphore la plus adaptée pour les nommer) n’existait pas une portion de l’humanité d’en bas faisant et vivant autrement, selon les modes du monde auquel nous aspirons, le plus sûr est qu’ à ce moment, par une inertie culturelle et par la survie encore partielle des classes dominantes, se reconstruit un monde très semblable à l’actuel.

Cependant, rien de ce qui avait avant n’est sûr. Au milieu de l’orage, quand les paradigmes connus et les instruments de navigation ont arrêtés de nous orienter, par honnêteté intellectuelle il faut admettre qu’existe une vaste marge d’erreur. Là aussi, il faut choisir avec qui se tromper : le faire á côté des mouvements d’en bas est, sûrement, le meilleur chemin.

Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi

La Jornada. México, le 27 marzo 2009

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