Accueil > Réflexions et travaux > Rafael Poch de Feliu : « UN PAS EN AVANT ET UN AUTRE EN ARRIÈRE ».
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Las tropas de países de la OTAN en Ucrania son garantía de que el conflicto continúe. Moscú inició la guerra para evitarlas y no las va a bendecir ahora que se ha hecho con el 20% del territorio ucraniano pagando un gran precio en todos los terrenos, pero los europeos no tienen un plan de paz, ni están preparados para ello.
La mise en scène par Trump au sommet de l’Alaska avec Poutine le vendredi 15 août était destinée à montrer une rencontre entre égaux. Tapis rouge, cordialité et respect. De quoi donner des ailes à l’élite machiste russe, qui se souvient avec nostalgie de l’époque où l’URSS était crainte et respectée, et où ses intérêts étaient pris au sérieux à Washington, ce qui n’a pas été le cas depuis plus de trente ans.
Pour les Européens, le sommet fut une débâcle :
Pour les Européens, le grand danger du sommet était que « quelque chose puisse en sortir », a déclaré l’un des chihuahuas médiatiques de Madrid. Le lendemain, presque tous les médias poussaient un soupir de soulagement, soulignant que, heureusement, aucun accord n’avait été conclu. Mais, si , il y a eu quelque chose.
La réunion en Alaska a montré que M. Trump passait, d’une demande de cessez-le-feu, à la perspective d’un accord de paix qui tienne compte des « raisons profondes » du conflit alléguées par la Russie : l’Ukraine sans l’OTAN et en cédant des territoires. Ces deux aspects étant considérés comme « non négociables » par les Européens, le lundi suivant, premier jour ouvrable, la « délégation européenne » (l’Anglais, le Français, l’Allemand, le filleul néerlandais de l’OTAN, l’Italienne, le golfeur finlandais et la présidente de la Commission européenne), ainsi que Zelenski, se sont précipités à Washington. Il n’y a pas eu de tapis rouge. Une fonctionnaire de troisième rang les a accueillis à la porte de la Maison Blanche. Il ne s’agit pas d’une « rencontre entre égaux », mais d’une réception de l’empereur vaniteux pour ses humbles vassaux qui expriment leurs remerciements l’un après l’autre d’une manière aussi répétée qu’exagérée. La délégation a tenté de sauver les meubles. « Garanties de sécurité » pour l’Ukraine, s’appelait son objectif alarmé.
Comme toute personne informée le sait, ou devrait le savoir, la seule garantie de sécurité de l’Ukraine est sa neutralité. Cette neutralité, qui fait que l’Ukraine ne participe pas à des blocs et ne peut abriter des troupes ou des armes qui menacent la Russie, est également une garantie de sécurité pour la Russie. Pour avoir rompu cette neutralité, encouragée par l’OTAN et ses partenaires européens, et pour avoir imposé son ethno-nationalisme à la moitié du pays qui ne le partageait pas, l’Ukraine devra maintenant payer un lourd tribut territorial. Mais tout cela, les dirigeants européens, leurs médias et leurs think tanks ne l’ont pas encore compris, alors que Moscou le répète depuis de nombreuses années.
Le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, l’a encore répété le 19 :
Tout le monde sait que ces territoires faisaient partie de la République socialiste soviétique d’Ukraine et qu’ils ont ensuite été intégrés à l’Ukraine indépendante. Ils sont restés dans l’Ukraine indépendante sur la base de la déclaration de souveraineté adoptée par les dirigeants ukrainiens dès 1990, qui proclamait clairement que l’Ukraine serait à jamais un État dénucléarisé, neutre et non aligné sur un bloc. C’est sur cette base que la communauté internationale a reconnu l’Ukraine en tant qu’État indépendant. Si le régime de Zelensky renonce maintenant à tous ces principes et parle déjà d’armes nucléaires, d’adhésion à l’OTAN et de renoncement à la neutralité, alors cette base de la reconnaissance de l’Ukraine en tant qu’État indépendant disparaît ».
Les dirigeants européens l’ignorent, préférant souscrire aux légendes de la menace russe, de l’expansion de l’empire russe vers l’ouest, de la reconstitution de l’URSS et du mal intrinsèque de Poutine, mais cela ne change pas grand-chose à la réalité du problème : sans la compréhension et la reconnaissance des « raisons profondes » du conflit, il n’y aura pas d’issue à celui-ci. Pour les Occidentaux, le fait de reconnaître cela constitue un pas en arrière dévastateur, car ces raisons ont déjà été parfaitement exposées dans le document de décembre 2021 que Moscou a envoyé à l’OTAN et à Washington et n’ont même pas été prises en compte.
Si elles sont maintenant reconnues, Trump peut prétendre cyniquement, et il le fait, que ce fut la « guerre de Biden », son prédécesseur, mais qu’en est-il des Européens ? Il est impossible de revenir en arrière sans perdre la face ou répondre à la question des trois années de barbarie et de souffrances guerrières parfaitement évitables à l’époque. L’heure est donc aux « garanties de sécurité » pour l’Ukraine, c’est-à-dire à la présence de troupes de l’OTAN sur le sol ukrainien. Sans l’aide et l’implication des Américains, c’est impossible. Les Européens manquent de ressources, notamment en matière de défense anti-aérienne, d’aviation et de renseignement. La délégation a donc demandé lundi à M. Trump de s’impliquer.
Les troupes de l’OTAN en Ukraine sont la garantie de la poursuite du conflit. Moscou a commencé la guerre pour les éviter et ne les bénira pas maintenant qu’elle a pris plus de 20 % du territoire ukrainien en payant un prix fort dans tous les domaines, mais les Européens n’ont pas de plan de paix et n’y sont pas préparés.
« Il y a eu trop d’acclamations et de fanatisme de changement de régime dans l’arène politique et médiatique européenne, avec de nombreux titres récents insistant sur le fait que l’agression russe ne devrait pas être récompensée, bien sûr, aucun de ces auteurs n’a de stratégie militaire pour la victoire, car la pensée stratégique n’est pas vraiment ce qui est courant parmi les Européens éduqués », déclare l’analyste Wolfgang Munchau.
Trump a répondu à la demande de ses chihuahuas par une déclaration qui les a soulagés :
Cette déclaration efface pour Moscou tout ce qui a été gagné, ou pensé être gagné, en Alaska. Mais cette déclaration doit-elle être prise au sérieux ?
L’analyste russe Dmitri Trenin explique que le fait que Trump parle de troupes européennes avec un soutien aérien américain comme « garantie de sécurité » est « un bonbon de consolation pour les Européens qui ne changera pas la position du président ». Trump sait que les Européens n’ont pas les troupes nécessaires pour fournir à l’Ukraine ce qu’ils considèrent comme une sécurité, et en réalité ce rien d’autre qu’une promesse de poursuivre le conflit. Comme souvent, là où il a dit « digo »[dire], il dira « Diego », sans le moindre problème et se concentrera sur ses affaires, ce que le sociologue philippin Walden Bello exprime ainsi :
Si cet étrange accord de paix, dont le facilitateur est un acteur majeur du conflit mais agit comme s’il était un médiateur, s’avère impossible, le président pourrait bien se désengager de l’Ukraine, renvoyant la balle aux Européens qui, dans leur stupidité, multiplieront par cent leurs achats d’armes aux États-Unis pour réaliser la chimère militaire qui les convertit en insignifiants dans le monde à marches forcée… Les États-Unis gagnent de toutes façons, et doublement.
Tout cela est évidemment très instable et peu sûr, et les Russes en sont parfaitement conscients. Comme le dit le commentateur anglo-italien Thomass Fazi (« Trump’s Ukraine endgame » - UnHerd), « ils ne se font probablement pas d’illusions sur les objectifs réels de l’establishment impérialiste américain. Et ils savent parfaitement que tout accord conclu avec Trump pourrait être révoqué à tout moment. Cependant, les objectifs à court terme de Poutine coïncident avec ceux de Trump. On pourrait dire que la Russie et les États-Unis sont des des adversaires stratégiques dont les dirigeants partagent néanmoins un intérêt tactique à coopérer ».
Rafael Poch de Feliu* pour son Blog personal
Rafael Poch. Catalunya, le 20 août 2025.
Traduit de l’espagnol depuis El Correo de la Diáspora par : Estelle et Carlos Debiasi.
El Correo de la Diáspora. Paris, le 26 août 2025.