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Les partis de gauche et progressistes au pouvoir ne perdent pas les élections à cause des trolls des réseaux sociaux. Ils ne perdent pas non plus parce que la droite est plus violente, ni parce que les bénéficiaires des politiques sociales sont ingrats.
Les batailles politiques sur les réseaux sociaux ne créent pas spontanément des environnements politiques et culturels élargis parmi la majorité des classes populaires. Elles les radicalisent et les entraînent dans des voies hystériques. Mais leur influence requiert d’abord un malaise social généralisé, une volonté collective de se désengager et de rejeter les positions progressistes.
De même, l’extrême droite, autoritaire, fasciste et raciste, a toujours existé. Elle prospère dans les espaces marginaux d’un militantisme furieux et cloîtré. Mais son discours s’étend, alimenté par la dégradation des conditions de vie des travailleurs, la frustration collective engendrée par un progressisme timide ou la perte de statut des classes moyennes. Quant à ceux qui affirment que la défaite est due à l’ingratitude des secteurs qui en bénéficiaient auparavant, ils oublient que les droits sociaux n’ont jamais été une charité gouvernementale. Ils ont été des conquêtes sociales gagnées dans la rue et par le vote.
Pour toutes ces raisons, sans aucune excuse, un gouvernement progressiste ou de gauche perd les élections à cause de ses erreurs politiques.
Et ces erreurs peuvent être nombreuses.
Mais un défaut les unit : l’erreur dans la gestion économique a prendre des décisions qui touchent les poches sur la grande majorité de ses partisans.
Dans tous les cas, d’autres composantes politiques sous-tendent ces erreurs fondamentales qui conduisent à la défaite :
En bref, les défaites politiques conduisent à des défaites électorales.
La question qui se pose est de savoir comment des gouvernements progressistes et de gauche ont pu échouer économiquement alors que, à leurs débuts, ce fut la force de légitimité qui leur a permis de remporter les élections à maintes reprises. Dans le cas de la Bolivie, avec 55 %, 64 %, 61 % et 47 % des voix au premier tour. Le progressisme latinoaméricain du XXIe siècle est certainement né de l’échec des administrations néolibérales qui avaient prévalu depuis les années 1980. La majorité a mis en œuvre des politiques de redistribution des richesses et étendu les droits. Les résultats ont été immédiats. Plus de 70 millions de Latinoaméricains sont sortis de la pauvreté en une décennie, les institutions réservées aux aristocraties obsolètes ont été démocratisées et, dans le cas de la Bolivie, une recomposition des classes sociales au sein de l’État a eu lieu, transformant les paysans autochtones en classes disposant directement du pouvoir d’État.
C’est là que résidaient la grande force et la légitimité historique du progressisme. Mais ce fut aussi le début de ses limites ; une fois ce travail initial de redistribution achevé, il commença à se révéler insuffisant pour garantir le maintien des droits acquis à long terme. Cette limitation, due à la réalisation d’objectifs, exigeait de comprendre que les pays avaient changé précisément grâce au progressisme et qu’il était donc nécessaire de proposer à cette nouvelle société des réformes économiques de deuxième génération, capables de consolider les acquis et de réaliser de nouveaux progrès en matière d’égalité.
Le progressisme et la gauche sont condamnés à progresser s’ils veulent survivre. L’immobilisme est synonyme d’échec. La nouvelle génération de réformes requiert nécessairement la construction d’une base productive étendue, à petite, moyenne et grande échelle, dans l’industrie, l’agriculture et les services ; dans les secteurs privé, paysan, populaire et public ; pour le marché intérieur et pour les exportations, garantissant un soutien large, industrieux et durable à la redistribution des richesses.
Mais, à ce jour, les progressistes au gouvernement, surtout ceux qui en sont déjà à leur deuxième ou troisième mandat, ou ceux qui cherchent à gouverner à nouveau, sont ancrés dans leurs acquis passés, dans leur défense mélancolique et, contrairement à leur premier mandat, manquent pour l’instant d’une nouvelle proposition de transformation capable de raviver l’espoir collectif d’un monde à conquérir.
Que la droite se soit approprié le paradigme de la volonté de changement n’est pas une coïncidence. C’est le résultat du conservatisme du progressisme actuel. Et aussi de ses défaites électorales.
Cependant, l’esprit des temps historiques ne s’est pas encore installé. Ni le continent ni le monde, qui oscille d’un obstacle à l’autre entre néolibéraux revigorés, protectionnismes souverainistes ou capitalismes d’État productivistes, n’ont encore défini la nouvelle longue phase d’accumulation économique et de légitimation politique. Nous restons encore un moment au seuil où défaites et victoires sont éphémères. Mais cela ne durera pas éternellement.
Si le progressisme veut rester protagoniste de cette querelle de destin, il doit se lancer dans un avenir audacieusement réinventé, avec plus d’égalité et de démocratie économique.
Álvaro García Linera* pour Página 12
Página 12. Buenos Aires, le 17 août 2025.
Traduit de l’espagnol depuis El Correo de la Diáspora par : Estelle et Carlos Debiasi.
El Correo de la Diaspora. Paris, le 18 août 2025