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24 juin 2024

Grande-Bretagne : des voix s’élèvent pour réclamer la nationalisation des entreprises privatisées

par Marcelo Justo

 

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Alerte rouge face à l’échec de la politique thatchérienne en Grande-Bretagne, on réclame à cor et à cri la renationalisation des entreprises privatisées qui, en plus de fournir un service médiocre, ont accumulé une dette de plus de 60 de euros au cours des 30 dernières années.

La crise de Thames Water, l’une des entreprises vedettes privatisées par le thatchérisme dans les années 1980, est devenue un thème central de la campagne électorale dans le sud de l’Angleterre, où elle détient le monopole du service.

L’entreprise croule sous les dettes et offre un service épouvantable avec de l’eau gravement contaminée et des plans d’urgence pour empêcher la propagation de maladies. Sur le plan financier, la situation est la même, voire pire : elle est endettée à hauteur de plus de 16 milliards de livres sterling (17 milliards de euros).

La crise est telle que, quelques semaines avant le déclenchement des élections anticipées du 4 juillet, les médias ont appris que le gouvernement de Rishi Sunak prévoyait, parmi ses plans d’urgence, la renationalisation éventuelle de la compagnie d’eau.

« Time waits for no one »

Le temps n’attend personne, chantaient les Rolling Stones au milieu de la crise mondiale et nationale de 1974 qui allait ouvrir la voie au thatchérisme. Il y a une autre façon de le dire : le temps n’attend pas. Les promesses d’un service de luxe à des prix abordables avec lesquelles Margaret Thatcher a privatisé le service de l’eau en 1989 sont devenues une caricature grotesque 35 ans plus tard.

La démission en avril du PDG de l’entreprise a révélé que la situation financière de Thames Water, le principal fournisseur du service en Angleterre, est critique. L’entreprise, les actionnaires et l’autorité de régulation cherchent contre la montre une alternative pour éviter la faillite. Le gouvernement conservateur, qui a participé aux négociations jusqu’en mai, s’est lavé les mains de la situation. En pleine campagne électorale et avec plus de 20 points de retard sur les travaillistes (43 contre 21), Sunak tente d’éviter une catastrophe électorale : le cadeau sera laissé au prochain gouvernement. Dans son manifeste, le Premier ministre a pourtant promis une réglementation stricte du secteur et des amendes de plusieurs millions de dollars en cas de non-respect. Les travaillistes ont promis quelque chose de similaire, mais il est peu probable qu’une réorganisation du système réglementaire suffise.

Dans un entretien strictement « off the record » dans le journal The Guardian, des fonctionnaires du Trésor ont déclaré que si la société n’était pas renationalisée dès que possible, « l’incertitude » liée à sa situation serait telle qu’elle se propagerait à la solvabilité et à l’endettement des entreprises britanniques dans leur ensemble.

Des eaux en putréfaction

Pendant que les actionnaires, les investisseurs, les fonctionnaires et les régulateurs font des calculs, le service subit une détérioration qui affecte directement la santé des Britanniques. L’agence britannique de sécurité sanitaire a confirmé 46 cas de Cryptosporidium, une infection qui provoque des diarrhées, des douleurs d’estomac et une déshydratation à la suite d’une contamination de l’eau : des centaines d’autres personnes ont signalé les mêmes symptômes.

La situation touche directement 16 000 foyers du Devon, dans le sud-est aisé de l’Angleterre. Les autorités sanitaires ont conseillé aux habitants de la région d’éviter de boire l’eau directement au robinet, de la faire bouillir et de la laisser refroidir avant de la boire. Le député représentant l’un des districts concernés, le député conservateur Anthony Mangnall, a reconnu que la situation était « désastreuse » et que « des têtes allaient tomber ».

Dans le classement de l’autorité de régulation Ofwat, Thames Water est, avec Southern Water, le plus mauvais élève de ces dernières années. La société n’a pas respecté les exigences légales en matière de traitement des eaux usées en 2021-2022 et a dû payer l’année dernière une amende de 500 millions de livres sterling pour son échec dans ce domaine, ainsi que pour les pertes d’eau dues aux infiltrations et à la pollution des cours d’eau.

L’un des leaders de la campagne contre la pollution des rivières, Feargal Sharkey, ancien chanteur du groupe de rock « The Undertones », réclame une enquête publique sur toutes les entreprises privatisées du secteur et sur l’autorité de régulation. « Au lieu de ce qu’on nous avait promis avec la privatisation, toutes les rivières d’Angleterre sont polluées et nous avons un trou de 72 milliards de livres. Londres et le Sud-Est sont sur le point de manquer d’eau potable en raison d’un manque d’investissements stratégiques », a déclaré M. Sharkey à The Independent.

Parmi les scandales, citons les salaires et les primes que les PDG des entreprises privatisées continuent de percevoir chaque année malgré un service médiocre, des dettes et un trou financier dans leurs poches. Severn Trent, qui fournit de l’eau à quelque 5 millions de foyers et d’entreprises dans le centre de l’Angleterre et au Pays de Galles, a été condamnée à une amende pour une augmentation d’un tiers des fuites d’eaux usées et des infiltrations au cours de la période 2022-2023. Malgré cela, la presse britannique a révélé la semaine dernière que la société avait accordé à son PDG, Liv Garfield, un salaire de plus de 3 millions de livres sterling et une augmentation de son bonus.

Quelles têtes vont tomber ?

La privatisation de l’ère thatchérienne a fragmenté la fourniture et le recyclage de l’eau à la population en différents monopoles. Aujourd’hui, l’Angleterre et le Pays de Galles comptent 32 sociétés de distribution d’eau et d’assainissement, dont 18 sont des monopoles régionaux. Thames Water est la plus importante : elle compte quelque 16 millions d’usagers dans une zone couvrant Londres, le sud-est et le sud-ouest du pays.

L’entreprise appartient au Groupe Kemble, dont les investisseurs comprennent des fonds de pension du Canada, du Royaume-Uni, de la China Investment Corporation et de l’Infinity Investments d’Abu Dhabi. En avril, Kemble a fait défaut sur sa dette et a admis que ses investisseurs avaient refusé d’injecter 500 millions de livres sterling pour combler temporairement le gouffre financier de l’entreprise.

Les investisseurs potentiels demandent à l’autorité de régulation de divulguer les tarifs payés par les utilisateurs privés et commerciaux. Le problème est que le tarif moyen pour l’année dernière a présenté une augmentation de 6,4 %, supérieure au niveau national d’inflation. Compte tenu de la médiocrité du service et des cas de pollution, il est pratiquement impossible pour l’autorité de régulation, Ofwat, d’autoriser des augmentations.

Thames Water n’est pas le seul monopole du secteur en crise. En décembre, l’Ofwat a déclaré que la plupart des 11 monopoles anglais, dont Yorkshire Water, Ses Water et Portsmouth Water, connaissaient des difficultés financières. Les compagnies d’eau privatisées ont accumulé une dette de plus de 60 milliards de dollars au cours des 30 dernières années. La cote de crédit de ces entreprises et d’autres a chuté au cours de l’année écoulée.

El porvenir de una ilusión

Près de quarante ans après le début des privatisations thatchériennes des services publics, les signes d’insatisfaction et de changement sont visibles. Ces dernières années, le gouvernement conservateur a renationalisé, sans tambour ni trompette, la moitié de ses services ferroviaires. L’autre moitié est fortement subventionnée. En 2022-2023, les franchises privées qui continuent à gérer le service ferroviaire ont gagné plus grâce aux subventions (près de 11 milliards d’euros) que grâce aux ventes de billets et d’abonnements (environ 8.5 milliards de euros).

Dans son manifeste, le parti travailliste propose une renationalisation complète des chemins de fer. Conformément au message modéré et centriste de son leader, Sir Keir Starmer, il n’y aura pas d’intervention radicale. Les travaillistes ne renouvelleront tout simplement pas les concessions lorsqu’elles arriveront à échéance au cours des cinq prochaines années : l’État reprendra le service.

Mais la hausse des tarifs a ouvert la boîte de Pandore : des voix se sont élevées pour réclamer la renationalisation des deux services. Un rapport de la centrale syndicale britannique TUC, comparant les factures du Royaume-Uni à celles payées par les pays européens dont le secteur est nationalisé, a estimé que les ménages britanniques économiseraient l’équivalent d’environ cinq mille dollars sur deux ans si les services étaient restitués à l’État. La clameur a atteint les conservateurs eux-mêmes : un sondage a montré que la moitié de leurs électeurs étaient favorables à la renationalisation.

Il se passe quelque chose de similaire dans les services énergétiques. Les profits astronomiques réalisés par les compagnies d’électricité et de gaz ces dernières années et les factures tout aussi astronomiques payées par les usagers ont contraint le gouvernement conservateur à subventionner ces derniers à contrecœur.

Avec un changement de gouvernement au lendemain des élections du 4 juillet (il n’y a pas de période de transition au Royaume-Uni : le parti élu prend immédiatement le pouvoir), il reste à voir ce que fera le vainqueur et quelle sera sa majorité parlementaire. Une chose est sûre : le temps presse. Un rafistolage n’arrangera pas une situation qui, littéralement, fuit de toutes parts.

Marcelo Justo* depuis Londres pour Página 12

Titre original : « Grande-Bretagne : des voix s’élèvent pour réclamer la privatisation des entreprises privatisées »

Página 12. Buenos Aires, le 23 juin 2024.

*Marcelo Justo journaliste argentin et correspondant à Londres, Royaume-Uni

Traduction de l’espagnol pour El Correo de la Diáspora par : Estelle et Carlos Debiasi.

El Correo de la Diaspora. Paris, le 24 juin 2024

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