Accueil > Argentine > Économie > Privatisées > Aguas Argentinas / Suez : Le CIRDI condamne l’Argentine qui va faire appel
Le CIRDI, tribunal arbitral sous l’égide de la Banque Mondiale a rendu son jugement concernant l’affaire opposant Suez Environnement et l’Argentine, après plus de dix ans de procédure, condamnant l’Argentine à verser une réparation de 380 millions d’euros, concernant le contrat de gestion de l’eau du grand Buenos Aires. Loin des 1,7 milliard de dollars réclamés initialement. L’Argentine va faire appel.
La décision du CIRDI (CIADI ou ICSIS dans ses initiales espagnoles ou anglaises)– survient après plus d’une décennie de longues procédures entre l’Etat argentin et le groupe français Suez.
Ce dernier s’était vu attribuer en 1993, via sa filiale Aguas Argentinas, la gestion des services d’eau et d’assainissement de la ville de Buenos Aires, et avait attaqué l’Argentine devant le CIRDI et engagé une procédure le 17 juillet 2003, pour refus d’augmentations des tarifs, alors que le pays sortait à peine des abysses du « fracaso » de 2001, et avait déclaré l’ « Etat d’urgence économique » ; de surcroit à l’époque la gestion du concessionnaire était jugée complètement déficiente par les utilisateurs.
En 2006, après des mois de bras de fer, et de tensions y compris entre la France et l’Argentine, le gouvernement de Nestor Kirchner a procédé à la résiliation de la concession du groupe français et à la reprise en mains par l’Etat de la gestion du service, mettant en avant le défaut de gestion et le manquement aux engagements du concessionnaire sur les investissements en matière de travaux, mettant ainsi en « danger potentiel » quelque 800 000 personnes dans le sud ouest du Grand Buenos Aires ne recevant pas de l’eau potable. (Lire Renationalisation et résiliation du contrat avec le Groupe Suez pour Aguas Argentinas, 22 Mars 2006). Se voyant privé de sa concession, Suez avait réclamé 1,7 milliard de dollars.
Depuis neuf ans, à travers la gestion publique de l’AySA, l’Etat argentin a investi 20 milliards de pesos ( 2,260 milliards de dollars) pour couvrir en eau potable la totalité du réseau (soit les trois millions de personnes qui n’en bénéficiaient pas au moment où la concession a été résiliée)
A la suite du jugement du jeudi dernier 9 avril, la Procuration Nationale du Trésor, qui est en charge de représenter l’Argentine devant le Tribunal Arbitral peut demander la nullité de la décision, ce qu’elle a fait déjà à plusieurs reprises dans d’autres affaires. Le ministre de l’économie Axel Kicillof a déclaré ce venredi que le pays va faire appel de la décision .
Ce ne serait pas la première fois que l’Argentine taclerait le fonctionnement du Tribunal Arbitral (Lire Mauvais casting pour les juges du Tribunal arbitral CIRDI (ou CIADI) dans l’affaire Repsol, 20 aout 2013.)
L’Argentine, ces dernières années s’est retrouvée de nombreuses fois devant le Tribunal Arbitral, devenant en quelque sorte le champion des procédures, notamment pour des dossiers liés aux privatisations « sauvages » réalisées sous Carlos Menem, comportant comme clauses l’abandon de souveraineté en matière juridique, rendant les tribunaux locaux incompétents en cas de litige avec le concessionnaire, qui porte du coup l’affaire devant Tribunal Arbitral.
De cette longue histoire de multiples procédures, en sont sortis des résultats parfois contradictoires sur des affaires pourtant similaires, qui d’ailleurs laissent planer des doutes sur l’impartialité ou la crédibilité de l’organisme aux yeux de nombreux observateurs (Lire Dysfonctionnement et crédibilité du CIADI / ICSID en question, 6 septembre 2010, et Le Tribunal Arbitral (CIRDI /CIADI) entre annulations et sanctions, 14 Aout 2010)
Aussi l’Argentine a joué le temps, n’hésitant pas à faire appel, utilisant les divers recours, et a obtenu plusieurs fois gains de cause (Lire Devant le Tribunal arbitral (CIADI), l’Argentine marque des points, janvier 2011), ou aboutissant à des compromis.
En Aout 2013, le gouvernement argentin est parvenu à un accord avec cinq groupes étrangers ex concessionnaires de services publics ayant intenté une action devant le tribunal arbitral –Azurix, CMS Gas, Continental Casualty, National Grid et Vivendi-. Les dits groupes ont renoncé définitivement à toute action en justice pour un total de 677 millions de dollars, dont elle a proposé que le règlement se fasse en partie en bons du trésor libellés en dollars.
Reste savoir si, las de plus de dix ans de procédure, les deux protagonistes trouveront un terrain de négociation, à l’image de l’accord précédemment cité, ou continueront la bataille devant le Tribunal Arbitral.
Estelle Leroy-Debiasi * pour El Correo
Pour aller plus loin sur le sujet :
El Correo, Paris 10 avril 2015
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