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Dans le contexte de crise internationale, les pays périphériques traversent une situation relative meilleure que celle de leurs paires « développés ». Les spécialistes analysent les causes qui ont abouti à cette situation inédite et tracent de futurs scénarii.
Crise au « centre »
Par Mariano Féliz * et Emiliano López **
Depuis déjà quelques années les pays du « centre » capitaliste traversent une crise profonde. Cette crise traduit la tentative de solution transitoire aux contradictions du commencement de la fin de l’étape néolibérale. Dans la périphérie, en particulier en Amérique du Sud, l’impact de la crise est paradoxalement passée pour plusieurs comme un orage d’été, brève mais intense. La nouveauté de cette situation renvoie à la place que Notre Amérique occupe aujourd’hui dans l’économie mondiale.
L’histoire de l’insertion de notre continent dans le cycle international du capital nous a historiquement placés dans la place de récepteurs passifs aux impacts des turbulences des puissances hégémoniques. Jusqu’à la crise des années 30, l’insertion des nations de l’Amérique du Sud comme économies capitalistes dépendantes et fournisseuses de matières premières, a généré un modèle de valorisation/accumulation basé sur l’exportation de biens agricoles, avec ses impacts respectifs sur la distribution et la réalisation des revenus. La grande crise et le processus de la Deuxième Guerre mondiale ont représenté le nouveau cadre historique dans lequel s’est développée une industrialisation substitutive forcée par les circonstances et, par conséquent, employée et subordonnée à la dynamique d’accumulation des pays centraux. Les travailleurs ont pu gagner des espaces dans la répartition du revenu mais dans le cadre d’un modèle de développement où la grande bourgeoisie, en particulier transnationale, a renforcé son poids structurel vers la fin des années 60.
Dans les années 70, la nouvelle crise mondiale du capitalisme a ouvert une longue transition : le projet néolibéral. Dans la périphérie, la refonte du capital local et de son insertion dans le cycle international ont eu lieu dans les dictatures militaires les plus sanglantes et les régimes de démocratie restreinte qui dans les années 80 et 90 ont fini le travail de consolider les nouveaux modèle de développement basés sur le pillage des richesses naturelles (pétrole, gaz, soja, or, etc.) et la superexploitation du travail. L’Amérique du Sud traverse depuis ce temps-là la première décennie de la formation d’un nouveau mode de développement dont on peut appeler l’empreinte générale néo développementisme.
Le processus d’offensive sur les travailleurs du monde qu’ a impliqué le revirement néolibéral s’est traduit aussi par l’émergence de nouveaux espaces de valorisation dans la périphérie, qui gagnent un poids dans le cycle global du capital, en particulier en Chine et en Inde. Cela a créé l’apparente contradiction d’une crise profonde au centre et à une situation de bien etre relatif en Amérique du Sud. Malgré le fort impact qu’ a eu la fin de la bulle spéculative dans les commodities en 2008, l’accumulation soutenue du capital dans l’espace asiatique a rapidement permis à tous les pays d’Amérique du Sud de franchir et sans grands sursauts la première marche de la crise. Sur la base d’une demande croissante de biens liés à l’agro-négoce, nécessaires, pour étayer le processus asiatique d’accumulation, les termes des échanges des pays de Notre région se sont trouvés favorisés, permettant de contourner avec une certaine célérité la crise en favorisant, à son tour, dans une grande partie de Notre Amérique un modèle extractif-rentier de développement capitaliste. De cette façon, durant les quatre dernières années la croissance dans les pays d’Amérique Latine et des Caraibes a dépassé 8 %, tandis que les économies centrales ont été littéralement stagnantes.
L’actuelle crise du centre capitaliste n’est ni plus ni moins que la crise du néolibéralisme qui a commencé dans la périphérie une décennie auparavant. Dans la périphérie cette crise a conduit à des résultats très différents de ceux qu’ aujourd’hui nous pouvons voir chez les pays centraux. En premier lieu, les interventions des États centraux répondent encore aux paramètres néolibéraux (rigueur fiscale, réforme de la retraite, etc.). En revanche, la crise en Amérique du Sud a impliqué des changements progressifs dans la forme de l’État, arrivant à modeler même des projets anticapitalistes dans certains pays. En deuxième lieu, pour comprendre ces trajectoires divergentes dans l’étape post néolibérale, le processus de résistance et de réorganisation populaire qui a germé dans les années d’apogée du néolibéralisme dans Notre Amérique, fut clef. Les nouveaux mouvements sociaux, ajoutés aux pratiques politiques préalables des secteurs populaires, ont produit des changements dans les politiques étatiques et, avec des nuances dans les différents pays, ont permis de dépasser – partiellement – l’étape néolibérale du capitalisme périphérique. Au centre, l’horizon se trouve plus sombre, quand, malgré la grande mobilisation populaire des derniers mois, les secteurs dominants continuent d’imposer l’agenda néolibéral sans nuances.
© Mariano Féliz - Emiliano López. Novembre 2010.
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Croissance et autonomie
Par Maria Andrea Urturi *
La réalité de l’économie internationale actuelle révèle un système où le centre et la périphérie redéfinissent leurs rôles. L’initiative des entreprises des pays centraux de déplacer leurs opérations intensives en travail à la périphérie pour reconstituer leur taux de profits, après lesquels celle-ci tombait au centre, a eu pour résultat un système économique inespéré, où la périphérie apporte chaque fois une plus grande participation à la croissance du PIB mondial.
En premier lieu, chercher à déplacer les activités les plus intensives en main-d’oeuvre pour profiter des bas salaires de la périphérie, ce qui garantissait aux transnationales leur expansion et de développer des segments distincts de la production là où leurs coûts étaient plus faibles. Ce mécanisme a généré, ainsi, un approfondissement de la division internationale du travail. Tandis que les transnationales maintenaient l’accumulation des excédents produits par une diminution des coûts de production via le salaire, la périphérie brillait comme un lieu très lucratif. Dès que ce gain extraordinaire s’est trouvé diminué par les concurrents qui adoptaient la même stratégie, l’entreprise devrait chercher à se relocaliser dans d’autres destinations périphériques où les salaires étaient encore plus bas.
Cette internationalisation de la production a été facilitée par la concrétion d’une enceinte globale institutionnellement homogène destinée à faciliter le déploiement sans faille du capital transnational. On a poussé dans cette optique des mesures destinées à l’élimination des barrières douanières vers les pays en développement, à l’élimination ou à la réduction des interférences des États en développement sur l’activité des entreprises multinationales et une politique économique fortement orientée pour faciliter et provoquer l’installation du capital étranger en vue d’une croissance aux travers des exportations.
L’optimisme exprimé par les organisations internationales sur les dits changements se référait principalement à ce que l’insertion de la périphérie dans les réseaux de ces entreprises permettrait aux pays en question d’accéder à une plus grande croissance à travers l’intégration des technologies les plus avancées dans un processus d’apprentissage stimulé et dirigé par les transnationales. À son tour, l’expérience des mêmes, et les marchés qu’ils possédaient déjà faciliteraient leur croissance. Les dites croyances servirent de soutien aux pressions exercées par le capital transnational pendant la décennie 80 sur les pays périphériques pour qu’ils suivent les mesures de réformes poussées depuis le centre. Dans ce contexte, on soutenait même que les mesures antérieurement réalisées en appui d’une industrialisation, n’avaient aucun sens étant donné que ce seraient les propres forces du marché qui les concrétiseraient.
Malgré le dit scénario, certaines régions de la périphérie ont suivi un autre chemin. Particulièrement dans ces régions où l’axe de la division du travail s’est orienté vers l’industrie manufacturière, la nécessité d’intégrer de nouvelles technologies et de procéder à de fortes adaptations pour réduire des coûts pour maintenir les capitaux transnationaux, ont impliqué une participation et une intervention forte de la part des États. La proposition a consisté à générer une forte promotion de politiques gouvernementales qui appuyaient le capital d’origine locale, ou le capital d’origine publique, pour faciliter l’innovation technologique autochtone, fondamentale pour l’appareil industriel et pour l’activité économique. Les États de l’est de l’Asie qui se distinguent aujourd’hui par la croissance ont eu une politique active de développement et une participation sous condition du capital étranger et dans certains cas plus réduite que le reste de périphérie. Des stratégies peu conformes à celles des organisations internationales ont donné à ces pays la possibilité de se mettre en concurrence avec le centre, en générant même un tissu régional par lequel ils sont soutenus. Un fort soutien aux appareils scientifiques nationaux, le maintien de taux de change compétitifs, des politiques à l’égard de l’investissement étranger, en faveur d’une accumulation de réserves, rendent évident que les taux de croissance de ces pays ne découlent pas du libre marché mais de la contribution de la périphérie au PIB mondial, chaque fois plus importante, qui peut seulement s’expliquer par la présence d’ États avec des politiques fortes de développement au-delà des acteurs transnationaux.
Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi
– * Marie Andrea Urturi, Investidagora de Cefid-Ar.
– * Mariano Féliz chercheur Idhics-Conicet. Membre du Centre d’Études pour le Changement social (Cecso).
– ** Emiliano López, Boursier du CEILPiette. Membre du Cecso.
Página 12 . Buenos Aires, le 8 novembre 2010.
© Marie Andrea Urturi Novembre 2010.
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