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Les ténèbres ne dureront pas éternellement. Dans un jour radieux de justice, un président déséquilibré et sa cour de vassaux brutaux seront jugés aux côtés de leurs instigateurs. L’histoire n’a pas d’échéance et elle est imprévisible, mais la destruction qu’ils opèrent et la douleur incommensurable qu’ils produisent et dont ils profitent avec une satisfaction sadique, prendront fin.
Un président déséquilibré dont la sensibilité a été amputée et doté d’une cruauté fournie à doses superlatives, indispensables pour mener à bien un plan criminel de misère, a pour objectif final une économie agro-extractive exportatrice, mettant aux enchères des ressources naturelles dans une société d’une extrême inégalité, où les industries sont en voie de disparition comme les dinosaures. C’est la tentative de réinitialisation totale qui a obtenu des résultats profonds mais partiels avec les Coups d’Etats militaro-civils en 1955, 1966, 1976,puis Menem et Macri : la destruction de l’Argentine moderne.
Milei a entamé une carrière fulgurante dans un scénario qui a révélé que la politique avait construit un paysage corrodé, avec des partis politiques vides, avec une population désespérée et que le mot changement séduisait fondamentalement les jeunes et l’électorat historiquement anti-péroniste, au-delà de son sens et de sa destination.
C’est le même mot de changement que s’est approprié l’alliance Cambiemos, promue par son mentor idéologique le PRO, « avec la meilleure équipe des 50 dernières années » et qui s’est soldée par un échec notable. Pour vaincre cette monstruosité néolibérale, Cristina Fernández a conçu une alliance qui rassemblait tout le péronisme fragmenté et a désigné comme candidat Alberto Fernández, qui a pris ses fonctions avec elle comme vice-président, sans plan convenu, et a formé une équipe qui, selon ses propres dires, a converti son administration en « un gouvernement de scientifiques, pas de PDG ».
Le résultat a été si malheureux qu’Alberto Fernández a fini par déléguer le gouvernement à Sergio Massa et il est devenu un président décoratif ; et comme on l’a vu quelque temps après la fin de son mandat, il se souciait bien plus de satisfaire ses désirs personnels que de résoudre les problèmes du pays.
Les deux échecs consécutifs, plus la pandémie, ont ouvert la voie à l’émergence vertigineuse d’une expérience unique au monde, dotée d’une énorme capacité destructrice, dont l’objectif est de réinitialiser définitivement l’Argentine, si possible sans État, en élevant le Dieu MARCHÉ comme religion et en brandissant les drapeaux d’un individualisme extrême, d’un égoïsme pur et simple et du plaisir de la cruauté infligée aux autres. La cruauté, comme le dit le psychologue Alfredo Grande, n’est rien d’autre que « la planification systématique de la souffrance ».
Avec la promesse d’être les États-Unis dans 35 ans, le plan déployé est qu’il faut d’abord devenir El Salvador et ramener l’Argentine au 19ème siècle, justifier Carlos Menem et intégrer comme figures centrales du gouvernement de libertad avanza [La Liberté Avance] les nouvelles générations de la famille Menem et deux figures centrales de la destruction et de l’endettement Macrista : « le géant » Luis Caputo et « le colosse » Federico Sturzenegger, figures marquantes de la caste politique que « Don Quichotte » Milei est venu supplanter. Le docteur en philosophie Diego Tatian, dans une note publiée sur le portail numérique La Tecl@Eñe, écrit :
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L’approche du gouvernement manque de logique la plus élémentaire, appelle à l’absurdité et projette le pays dans un abîme de conséquences indescriptibles. En huit mois de gestion, l’économie est comme si elle avait subi une guerre et à des niveaux équivalents aux premiers mois de la pandémie, où presque tout était fermé.
Si Macri avait fait simultanément ce que même la dictature d’Onganía avait évité, en dévaluant et en réduisant simultanément les retentions à l’export, le gouvernement de Milei a procédé à l’ajustement budgétaire le plus vaste et le plus brutal en retirant les aides de l’État aux pauvres et aux indigents. Les subventions sont réduites tandis que les subventions aux puissants sont maintenues et élargies. Les concessions du Régime d’Incitation aux Grands Investissements n’auraient pas été approuvées même dans une colonie. Jamais auparavant nous n’avions vu que la nourriture ne soit pas envoyée aux cantines et que le gouvernement saisisse la justice pour faire valoir que la nourriture ne soit pas livrée et qu’ainsi elle se périme ; que l’on suspende la livraison de médicaments, que l’on supprime les projets destinés aux personnes en situation de détresse, que l’on interrompe la livraison d’ordinateurs aux étudiants, tandis qu’en même temps, au nom d’une bataille culturelle digne de l’Inquisition, on s’attaque au cinéma, livres, théâtre, bibliothèques populaires, sciences, éducation et santé publique.
Alors que Milei célèbre des succès imaginaires basés sur des données fabriquées sans aucun support, comme l’inflation annuelle de 17 000% à partir de laquelle il serait parti (par coïncidence, Martinez de Hoz [1] disait la même chose en avril 1976), ou la connaissance du PIB mondial inexistant de l’année de naissance du Christ, ou qu’une augmentation pour les retraités de 8,1% et une recomposition annuelle équivalente à la moitié de la croissance des salaires signifieraient 62% du PIB équivalent à 370 milliards de dollars, Milei a augmenté la pauvreté en trois mois, cela oui C’est un fait réel qui jette dans cet état 4,7 millions de personnes, soit 10 % de la population. L’UNICEF Argentine a mis en garde contre la situation de pauvretéque connaissent les enfants de notre pays et a partagé un fait dévastateur : chaque jour, un million de garçons et de filles s’endorment sans dîner. Si l’on inclut ceux qui sautent des repas pendant la journée, ce nombre s’élève à un million et demi. En mai, le président avait déclaré dans un discours prononcé à l’Institut Hoover de l’Université Stanford, à San Francisco, en Californie : « Qu’il n’a pas besoin d’intervenir pour que la société ne meure pas de faim parce que « les gens ne sont pas si idiots, ils vont résoudre le problème ».
Dans une publicité émouvante, une mère répond à son fils qui lui demande pourquoi ils n’ont pas dîné : « C’est parce que le réfrigérateur s’est endormi. Écoute (on entend le bruit du moteur du réfrigérateur) comme il ronfle. Demain, quand il se réveillera, nous pourrons l’ouvrir et manger ». En même temps, indifférent à la douleur humaine, le président Milei affirme : « Tout le monde voit le miracle, sauf les Argentins ». La ministre du Capital Humain présente des recours juridiques pour ne pas livrer la nourriture qu’elle retient et qui devient inutilisable ainsi que les 65 000 couvertures stockées qu’elle a reçues du gouvernement précédent, alors qu’on fait face à une progression géométrique du nombre de personnes vivant dans la rue et durant l’un des hivers les plus rigoureux. Ces dernières années, le chef du gouvernement de la ville autonome de Buenos Aires, Jorge Macri [cousin de l’ex-Président Mauricio Macri], du PRO, les exproprie de leurs maigres biens. Le même Macri qui affirmait qu’il n’allait pas permettre que : « Aujourd’hui les distributeurs automatiques ont été transformés en studios pour certains » ou ces derniers jours, adoptant le ton sarcastique des libertariens : « Le sud de la Capitale est le ‘le nord aspirationnel ’ de ceux qui vivent dans la banlieue de Buenos Aires ».
La droite et l’extrême droite s’embrassent avec des différences de nuances unies par la cruauté comme dénominateur commun et la pauvrophobie, la haine des pauvres comme drapeau. Elles construisent un cordon sanitaire contre le péronisme en général et le kirchnérisme en particulier, qui dans leur discours n’est pas un nom mais un adjectif profondément disqualifiant.
Dans la bataille culturelle, ils ont réussi à considérer tout ce qui est géré par l’État comme improductif et tous ceux qui travaillent pour l’État comme parasite. Le sociologue Ezequiel Adamovsky a écrit dans une note dans Diario.ar :
Des milliers d’employés embauchés par l’État pour agir comme des brigades médiatiques qui tentent de discipliner les opposants et ceux au sein du gouvernement qui expriment le moindre désaccord. Les insulteurs en série, les disqualifications systématiques sont menées par le président qui consacre de nombreuses heures par jour à écrire ses messages avec son langage ordurier ou à retweeter beaucoup de ceux envoyés par les généraux de l’armée de trolls gérée depuis le bureau de Santiago Caputo, à la Casa Rosada. Ce Caputo travaille comme conseiller présidentiel informel pour éviter de laisser des empreintes sur aucun message, alors qu’il est employé d’une entreprise privée et monotributiste de catégorie B, l’avant-dernière plus basse. C’est le même Caputo qui a vraisemblablement ouvert différents comptes, ce qu’il ne nie pas, sous des noms fantaisistes qu’il utilise, avec une énorme lâcheté, comme moyen d’insulter et de menacer ses adversaires et d’utiliser le fouet médiatique contre tous les libertariens qui montrent la moindre divergence. Tout cela au nom de la liberté. Avec des informations provenant vraisemblablement des Services de Renseignement, ils exposent sans vergogne les comptes bancaires, l’adresse privée de la cible choisie, de sa femme et de ses enfants, ils organisent des défilés dénigrants, ils envoient des voyous faire pression sur leurs proches. Le magazine « Crisehttps://revistacrisis.com.ar/ » a réalisé un très bon travail de recherche où l’on peut lire :
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Juan Luis González, l’auteur de la première biographie de Javier Milei intitulée « EL LOCO », a déclaré à la revue Paraná « Analisis » dirigée par le journaliste Daniel Enz : « Tous les libertaires ne sont pas des nazis, mais tous les nazis sont dans La Libertad Avanza. »
L’opposition n’a pas fini d’assimiler l’émergence et le triomphe de Javier Milei. Le péronisme vit l’une de ses heures les plus sombres. Contrairement à la victoire de Cambiemos en 2015, La Libertad Avanza lui a volé un secteur de sa base électorale historique. Son discours n’a pas été actualisé pour séduire une structure sociale différente. Aujourd’hui, il existe une classe ouvrière en diminution et une classe sociale en croissance, aussi nombreuse que la classe ouvrière formalisée, composée d’indépendants et d’entrepreneurs individuels, dans laquelle le bon sens néolibéral s’est installé.
Un autre secteur en croissance est celui de ceux qui ont un pied à l’intérieur et un pied à l’extérieur du système, ce qu’on appelle l’économie populaire. À cela s’ajoutent les travailleurs informels qui ont progressé et continuent de croître pour atteindre numériquement les travailleurs formels. Sans leadership national et sans plan alternatif séduisant, la fragmentation et la diaspora sont une possibilité mais un suicide. Si l’on ajoute à cela que le pouvoir judiciaire a injustement condamné Cristina Fernández à 6 ans de prison et à l’interdiction à vie d’exercer des fonctions publiques ; qu’au cœur du kirchnérisme qu’est La Matanza, son chef du gouvernement Fernando Espinoza est poursuivi pour abus sexuels ; que jusqu’à il y a quelques jours, le président du Parti Justicialiste, l’ancien président Alberto Fernández, était accusé par son ex-compagne d’être un agresseur et se trouvait dans une situation floue en matière de contrats d’assurance de l’Etat ; que le triple gouverneur péroniste de Tucumán José Alperovich est condamné à 16 ans de prison pour abus sexuels et viol de sa nièce et interdit d’exercer des fonctions publiques à perpétuité. Qu’une autre personnalité importante comme Sergio Masa travaille pour un Fonds Vautour et que d’anciens candidats présidentiels du péronisme, comme Daniel Scioli et Lorenzo Randazzo, se sont alignés ou ont rejoint La Libertad Avanza...
Avec ce panorama, le péronisme vaincu dans les provinces où il était imbattable, vit les heures dramatiques o bien de se recomposer, se renouveler et survivre, ou de suivre le chemin du profond déclin de tous les populismes historiques d’Amérique Latine, jusqu’à finir par devenir comme le radicalisme, un parti qui abhorre le meilleur de son histoire et va à la traine d’alliés qui les méprisent et les insultent. Dans les autres partis, il existe des situations égales ou bien plus graves, mais la justice ne regarde pas ce coté et les médias ne promeuvent pas non plus la dénonciation des crimes ou les acquittements embarrassants des juges.
Le radicalisme a été pratiquement absorbé par le PRO, mais sa base de soutien, qui s’était déplacée idéologiquement vers Juntos por el Cambio, est désormais largement plus proche de La Libertad Avanza.
Le gouvernement, au-delà de son intention de démolir l’État et tout ce que signifie l’Argentine moderne, manque de personnel pour gérer l’administration publique et qualifier sa gestion de nullissime serait un compliment. C’est un parti composé d’un groupe restreint d’ignorants, de troglodytes fiers de leur brutalité et pleins de haine et de mépris.
Dans la meilleure biographie d’Hitler de Ian Kershaw, il est dit quelque chose sur l’Allemagne des cinq premières années de la troisième décennie du 20e siècle, qui peut s’appliquer à l’Argentine du 21e siècle :
Dans ce scénario, il y a une résistance partielle, des manifestations massives ont eu lieu, mais il n’y a pas de représentation politique, qui reste sans tête.
Le philosophe et écrivain suisse Henri Frédéric Amiela déclaré : « Celui qui méprise trop, devient digne de son propre mépris ».
Javier Milei a avoué que Murray Rothbard était son favori. Juif étasunien qui niait l’Holocauste, suprémaciste blanc, qui soutenait l’antisémite David Duke, défenseur de Mc Carthy et qui affirmait que « la démocratie est incompatible tant avec une société libre qu’avec le socialisme ». Le journaliste Ernesto Tenembaum dans son livre « Milei. Una Historia del Presente » résumait à quoi ressemblerait le pays qui serait conçu avec les idées de Rothbard :
Ils veulent nous déséquilibrer en nous donnant l’impression d’être dans un hôpital psychiatrique. Ils ont fixé l’ordre du jour avec des déclarations folles comme le veto sur la loi sur la mobilité des retraites approuvée par les deux tiers des deux chambres, Milei le propose et Macri le soutient, le président disant : « La caste, les ordures qui ont voté pour cela, c’est essayer d’exterminer la jeunesse argentine. Parce que la dette, ce sont les impôts futurs. Ce groupe de criminels vient de ruiner la vie de nos enfants, de nos petits-enfants et de toutes les générations à venir parce qu’ils viennent de se casser la tête avec les impôts ».
L’augmentation en question atteint le chiffre choquant de 17000 pesos [15,95 € ] par mois à 566 pesos [ 0,53 €] par jour, soit moins que les 757 pesos [0,71 € ] que coûte un trajet en métro.
Dans le DNU 70/23, les amendes pour l’embauche de travailleurs au noir sont supprimées avec l’étrange argument selon lequel cela améliore la légalité de l’emploi. C’est comme proposer la suspension des amendes routières pour améliorer le comportement des conducteurs. Milei dirait « des restrictions à sa liberté ». Le mensonge est l’enchevêtrement de leurs arguments. Ils parcourent le monde, comme des mendiants, à la recherche de prêts qui renforcent les réserves pour ne pas dévaluer et empêcher les prix de grimper et les spéculateurs de réaliser leurs profits tandis que le gouvernement perd sa crédibilité. Ils sortent l’or qui était thésaurisé après la crise de 1930 et sous le gouvernement Perón, il avait été vendu aux enchères avec Menem et accumulé à nouveau avec Néstor Kirchner et maintenant il s’enfuit avec un avenir incertain pour garantir un prêt que Luis Caputo essaie d’obtenir, le Timbero [lunfardo argentin : parieur compulsif] qui fait office de ministre de l’Économie, qui joue l’Argentine à la roulette avec les Argentins dedans.
Cependant, le président, lorsqu’on lui a demandé si son administration avait des difficultés à obtenir des dollars, a répondu : « Nous n’en avons pas besoin parce que nous avons un excédent budgétaire et que nous avons couvert les besoins financiers de l’Argentine pour le premier semestre de l’année prochaine. Nous n’avons donc aucun problème ». En même temps, il s’agit de mener une politique de séduction des Forces Armées, en valorisant leurs actions pendant la dictature militaire-establishment pour les incorporer dans l’indispensable répression pour d’abord décourager, puis réprimer la réaction que les ajustements budgétaires généreront tôt ou tard. Milei est un fondamentaliste déséquilibré, primitif et brutal,aux cotés du secteur le plus concentré du pouvoir économique local et international, mais avec des accès de lucidité surprenants qui lui permettent, jusqu’à présent, lorsqu’il s’affronte, de négocier et de parvenir rétablir son système d’alliances.
Un gouvernement fondamentaliste en économie avec un discours disproportionné et unique au monde, médiéval en culture, détruisant tous les droits d’une société moderne, de la diversité sexuelle à la politique de genre et qui ont été conquis avec tant de lutte, totalitaire qu’au nom de la liberté des puissants, détruisant les libertés du peuple, cipayes lâches qui sont puissants avec les faibles et faibles avec les puissants, alignés à genoux avec les États-Unis, l’Angleterre et Israël, l’Argentine parcourt un chemin de douleur extrême dans les ténèbres les plus profondes.
Les ténèbres ne dureront pas éternellement. Par un jour radieux de justice, un président déséquilibré et sa cour de vassaux brutaux seront jugés aux côtés de leurs instigateurs. L’histoire n’a pas d’échéance et est imprévisible, mais la destruction qu’ils opèrent et la douleur incommensurable qu’ils produisent et dont ils profitent avec une satisfaction sadique, prendront fin. C’est alors que les jeunes Argentins se demanderont comment ce qui se passe est arrivé. Ce qui s’est passé à cette époque, où l’horizon restait invisible, où une nuée de sauterelles dévastait et détruisait le pays, où la cruauté était élevée au rang de vertu, où l’abandon et la perte des droits étaient annoncés comme une « modernisation » et où les autoproclamés « Argentins de biens », ont cru pendant un certain temps que le mot changement, évoqué par les libertariens, était la clé pour ouvrir l’avenir alors que c’était exactement le contraire qui était vrai. Cette époque, on se souviendra d’elle comme de celle des « Ténèbres les plus profondes ».
Hugo Presman* pour La Tecl@Eñe
La Tecl@ Eñe. Buenos Aires, le 2 septembre 2024.
Traduit de l’espagnol pour El Correo de la Diáspora par : Estelle et Carlos Debiasi
El Correo de la Diaspora. Paris, le 13 octobre 2024.
[1] Martinez de Hoz ex Ministre de l’économie entre 1976 et 1981, pendant la dictature civilo-militaire appelée « Processus de réorganisation nationale », présidée par Jorge Rafael Videla.