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29 mars 2013

Amérique Latinoriginaire :
Autre économie, autre politique, autre gauche

par José Luis Coraggio *

 

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Dans un certain sens, l’Amérique Latinoriginaire expérimente une chance de printemps économique, avec des éléments favorables d’échanges pour les économies nationales, qui reviennent à se re-placer dans la division internationale du travail comme productrices de matières premières avec la possibilité de capter des montants significatifs du profit internationale.

En fait, nous sommes en présence d’un processus interne d’industrialisation dans les activités primaires, appliquant des technologies basées sur des innovations spectaculaires, mais en général avec l’expulsion ou la précarisation du travail et la destruction irréversible des écosystèmes. C’est-à-dire que la soi-disant nouvelle question sociale ne se résout par elle seule par ces changements dans l’intégration économique. Le captage de la rente au niveau mondial ne doit pas être vu que comme un répit dans la crise de l’époque actuelle que traverse le monde et particulièrement cette région (L’Amérique du Sud).

Cette crise inclut, mais pas uniquement, celle de « l’institutionalité » du capitalisme et de sa capacité d’intégration nationale et maintenant mondiale des sociétés. Sa stratégie de globalisation avec une prédominance absolue du capital financier, spéculateur, spoliateur et courter-miste s’avère destructrice des liens sociaux, polarisatrice au niveau international et militarisant les relations économiques. Avancer dans la résolution de cette crise suppose de fortes transformations, particulièrement celles relatives à l’économie, mais n’est pas moins important ce qu’elle fait dans la politique. Parce que : sinon d’où va surgir la force capable de compenser la force du capital mondial et les États dédiés à l’impulser en suivant les dictats du Consensus de Washington ? Puisque le capitalisme, loin d’avoir la démocratie comme corrélat politique, l’utilise comme façade du principal système de domination en vigueur aujourd’hui dans le monde. Comme le disait Polanyi, l’économie qui correspond à une démocratie est une économie socialiste, seulement nous cherchons encore la manière de la définir et les voies pour la construire.

Le programme néolibéral d’expansion et l’approfondissement des mécanismes de marché, donnant à l’État la fonction de faciliter, pour ne pas dire d’imposer, ce processus de commercialisation de la vie, n’a pas reculé et continue d’être hégémonique, au point que mêmes les processus politiques d’orientation populaire qui ont marqué la dernière décennie ne réussissent pas à échapper au sens commun légitimant le système. La croissance, l’efficacité et le productivisme en termes de valeur des articles produits d’année en année, par rapport au travail investi, continue d’être un critère central avec lequel ces processus sont auto-évalués. Sans doute qu’ y on ajoute le critère d’équité ou de plus grande égalité, mais cela ne s’éloigne pas trop de l’idée de ruissellement (Théorie du ruissellement), non plus laissé au marché mais impulsé par l’État et ses politiques sociales ciblées ou, dans quelques cas, avec une tendance à se généraliser.

La justification du premier critère est qu’il constitue la condition de la possibilité du deuxième, en évitant une recrudescence des luttes internes par la redistribution non seulement des revenus mais des richesses et des actifs productifs. En revanche, le plus grand captage de rente a pour principal composante politique, la redéfinition des relations avec le capital étranger qui monopolisait ces activités. Bien que la pression soit amoindrie par la baisse du coût direct du travail, caractéristique de la compétitivité bâtarde (CEPAL), le modèle ne dépasse pas l’extractivisme, de l’industrie minière jusqu’aux sources de fertilité de la terre. Cette deuxième composante de la question à laquelle les sociétés sont confrontées dans un monde irréversiblement mondial, non réductible à la soi-disant question sociale (Mora), est celle de l’irrationalité capitaliste qui menace d’aggraver les conséquences de son mépris pour les limites à l’accumulation mais aussi à la reproduction de la vie. Cela n’est pas dissocié du mode social de consommation, tant matériellement que symboliquement, et constitue une composante critique de la construction de l’hégémonie dans ces processus, comme l’a montrée l’expérience du Nicaragua Sandiniste. En tout cas, il est clair que nous sommes dans un débat pour savoir si ces stratégies supposent une réforme à la manière du développementisme national qui a précédé le néolibéralisme, ou d’un plus grand défi au système capitaliste.

Les propositions qui viennent systématisant l’Économie Sociale et Solidaire, tant au sens de la Constitution de l’Équateur (« le système économique est social et solidaire ») qu’au sens pratique de promotion ou émergence, consolidation et développement de formes non capitalistes d’organisation économique, donnent au système qui institutionnalise le processus économique une autre signification. À la différence d’une économie qui place le marché comme institution totale, conduisant vers une société de marché, nécessairement injuste et fragile dans sa cohésion, il s’agit de définir des combinaisons synergiques d’une diversité de principes d’organisation économique, relatifs à l’organisation du travail, la relation entre travail et propriété de moyens de production, la qualité du métabolisme socio- naturel ( échange restitutif ou extractivisme), le poids de la complémentarité / solidarité / coopération par rapport à la concurrence chaotique, la distribution primaire (très liée à la propriété collective ou privée individuelle des moyens de production et aux mécanismes de détermination des prix relatifs, spécialement de la force de travail, de la terre, de l’argent et maintenant de la connaissance privatisée), la redistribution (progressive ou régressive) à partir des autorités centrales, les échanges selon des règles de réciprocité (depuis le minga [1] jusqu’aux systèmes publics de sécurité sociale) ou de commerce (juste ou non) et de marché (pour lequel les critères de justice sont une irrationalité), d’une consommation (responsable ou illimitée), et finalement de coordination ( combinaisons de planification étatique, sociale, communautaire et de marché). Telle combinaison ne peut pas être le résultat d’une certaine évolution naturelle mais d’une construction politique des sociétés (comme le fut la construction des actuelles économies par le projet néolibéral commencé en 1973 au Chili).

Je considère que pour les conceptions d’économie alternative que peut assumer une gauche renouvelée, le politique et l’économique ne peuvent être séparés, déjà ni être limités à des enceintes nationales. Dans ce sens, le défi de construire l’Union de Nations Sud-américaines « UNASUR« , l’Alliance Bolivarienne pour les Peuples de Notre Amérique "BLANCHE" ou de la Communauté des États Latino-américains et Caribéens "CELAC", impulsés depuis ces processus dans une confrontation avec la stratégie de globalisation capitaliste et ses organisations politiques (la Mûre, Rauber), est prometteur.

Cependant la conception substantive d’économie donne comme sens à l’institutionnalisation du processus de production, de distribution, de circulation et consommation le fait de résoudre la reproduction de la vie digne pour toutes et tous, après être parti d’une situation d’inégalité extrême inédite, de pauvreté et une concentration de la richesse, le politique devient central. Il est important, par exemple, de définir le rôle des classes moyennes dans ces processus. Ce qui a beaucoup à voir avec les possibilités de consommation que permet le processus de transformation. Et que les majorités peuvent exprimer et être la base de nouveaux sujets sociaux et politiques qui impulsent une autre société et une autre économie et requiert plus et une meilleure démocratie. Dans la majorité des processus ayant un sens populaire déjà mentionné, on avance de manière significative dans l’accomplissement des normes de la démocratie électorale, mais peu dans le développement de formes de démocratie participative, en soutenant en revanche les modèles présidentialistes qui cherchent à se justifier par la nécessité d’obtenir une unité sous une stratégie que définit le pouvoir politique concentré. Tout cela est soumis à des changements non négligeables, puisque ce n’est la même chose en Argentine qu’au Brésil, ni en Uruguay qu’en Bolivie ou en Équateur, ni aucun de ceux -ci que le Venezuela (Vargas-Arenas) ou que Cuba dans son processus actuel de transition (Rauber).

Si l’économie doit fournir les bases matérielles pour toute transformation sociale et politique progressiste dans ce moment de transition d’époque , il est nécessaire de demander quelle est l’utopie réaliste de cette autre économie, la base de l’autre société et l’ autre façon d’institutionnaliser le politique. Et en particulier quel projet économique a ou peut avoir la gauche. Cela nous porte à nous réinterroger sur qu’est-ce que la gauche en ce moment et quels sont ses développements possibles.

Nous partageons l’idée que la modernité a eu sa propre gauche, finalement institutionnalisée. Et que le socialisme du XXe siècle a proposé un modèle d’autre économie, centralement planifiée, et(ou) fort régulatrice de la propriété privée et de la liberté de marché, mais qui a partagé avec le capitalisme le même modèle d’industrialisation, d’efficacité, d’extractivisme. Que, d’un autre côté, on n’ a pas dépassé l’economicisme au sens limité (bien être =accès croissant à la consommation, rationalité =opportunisme individualiste, lien social= échange compétitif ), ni les formes de discrimination ou le système patriarcal (Quiroga Díaz et López Correa) qui constituent aujourd’hui des revendications particulières avec une prétention d’universalité des divers mouvements sociaux.

Le sens évident de la politique de gauche continue d’être l’égalité, mais il est clair qu’il ne peut pas avancé vers elle sans transformer profondément les structures économiques, sans beaucoup plus et une meilleure démocratie, sans attaquer les systèmes de domination, sans transformations culturelles contre-hégémoniques. Plusieurs de ces processus s’auto-nomment révolutions (la Bolivie, l’Équateur, le Venezuela), mais cette idée d’une avant-garde révolutionnaire qui prend le pouvoir centralisé pour de là, diriger les transformations économiques qui conduiront à d’autres relations sociales a déjà démontré être un chemin pas carrossable. D’un autre côté, le développementisme encadré dans une conception critique de la relation centre- périphérie peut être remis à flot et amélioré (Rendón, CORDERA ) et en accord avec lui (quel projet social-démocrate ?) devra former des alliances, mais le vecteur que les nouveaux mouvements sociaux ouvrent apportera inévitablement des tensions puisque le concept même de développement est en question (Rauber). Les tensions qui se manifestent sont des conflits entre les mouvements sociaux qui ont été à la tête des transformations institutionnelles pour orienter la société vers un autre avenir, d’un côté, et les tendances au pragmatisme immédiatiste de la gauche gouvernante par l’autre. Les tensions et les conflits qui ne sont pas des caprices, puisqu’ils reflètent des contradictions objectives de ces processus dans ce contexte mondial.

Cependant, il est nécessaire de dépasser le faux dilemme marché - État ou de chercher à remplacer par l’option également fausse État - société. La société civile est partie de l’État dans le sens gramscien de l’État élargi, et lieu de confrontation hégémonie – contre-hégémonie. L’une des forces culturelles les plus puissantes du système capitaliste est celle des valeurs mercantiles introduites dans toutes les pratiques sociales, la privatisation / commercialisation de la vie dans tous ses aspects (éducation, santé, sécurité, arts, sport, et toutes les activités essentielles de la vie). Lutter contre cette force n’implique pas de chercher à abolir le marché. Récupérer la souveraineté monétaire, en réduisant la capacité d’émission d’argent - dette par le système financier privé, est une autre action urgente. Pour avancer dans la construction d’un autre système économique, toutes ces actions requièrent de construire sa légitimité sociale et, pour cela, montrer la viabilité et l’opportunité de ses résultats au nom du bien commun. Rien de cela ne se fait sans conflit, même – bien que pas principalement - entre les différentes versions de la gauche.

Une voie pour résoudre ces conflits paralysant est de faire face à un plus grand défi : constituer le peuple comme convergence des revendications des nouveaux mouvements sociaux pleinement reconnus comme sujets politiques, et le faire en cherchant une articulation avec un système politique représentatif qui n’est pas réduit à la nécessaire lutte électorale ou aux tentations clientélistes. Par exemple, cela met à la gauche gouvernante des limites strictes dans la façon d’implanter les processus indispensables de redistribution , en rétablissant et en dépassant le système des droits sociaux que le néolibéralisme a détruits si efficacement. Et en valorisant que l’un de ces droits est d’accéder aux moyens de production sous des formes associatives, communautaires, en cogestion avec le public et l’État, pour participer réellement et non par délégation dans les décisions économiques sensibles à moyen et long terme.

Une autre économie requiert des changements institutionnels dans le cadre normatif juridique (comme les nouvelles constitutions ou la restitution du droit à nationaliser des activités et des ressources sensisbles) mais aussi culturels qui aujourd’hui pourraient être illustrés par l’hégémonie possible des propositions du Bon Vivre ou Bien Vivre. Mais adopter cette nouvelle philosophie (Elizalde) requiert la concrétiser, trouver les médiations avec l’action concrète du gouvernement et de la société civile, et avec la transformation des pratiques économiques quotidiennes des acteurs économiques. On peut avancer que, au moins pendant une longue transition, il ne s’agit pas de rêver à une économie du loisir, mais du travail émancipateur, opposé à l’économie du capital. Qui doit admettre la diversité (Mora) et ne pas chercher à imposer les modèles uniques d’organisation économique (économie domestique, familière, communautaire, coopérative, publique, privée, gestion des biens communs …), en admettant principalement que l’économique est pluridimensionnel et pas simplement monétaire. Et que nous commençons un processus d’exploration et d’apprentissage et nous n’implantons des solutions avec une prétention vérité universelle.

Jose Luis Coraggio pour Alai-Amlatina

Alai-Amlatina, 20 février 2013.-

Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi

El Correo. Paris, le 29 mars 2013

* José Luis Coraggio. Directeur académique du Master de l’économie sociale (MAES), ICO / UNGS, coordonnateur du Réseau de recherche latino-américaine de Economie Sociale et Solidaire (RILESS).

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