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6 septembre 2025

Alerte Argentine
INQUIETUDES...…

par Luis Bruschtein *

 

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L’Argentine dévastée que Milei laissera derrière lui exigera la restauration de la qualité de vie de la grande majorité de notre peuple. Ce sera la dette prioritaire. Mais pour avancer dans cette direction, il faudra en même temps générer des réformes dans la sphère politique, dans le but De renforcer le système démocratique à travers des formes de participation et de contrôle populaire.

Quand je pense que José de San Martín n’a pu vivre dans aucun des pays pour lesquels il a combattu et qu’il a libéré, et que lorsqu’ils l’ont sauvé bien des années plus tard, alors qu’il était mort, ils ont dû le faire sans ses idées, je me demande combien d’intérêts et de valeurs qui faisaient partie du système qu’il a vaincu lui ont survécu et ont réussi à le faire muter. Le Libérateur San Martín était subversif même pour le système auquel il avait ouvert la porte.

Le système-monde est sur le point de muter et il est très difficile de distinguer, parmi tout l’arsenal d’objectifs, d’idées et de principes, ceux qui devront être écartés et ceux qui pourront nous constituer et nous améliorer en tant qu’êtres humains dans ce nouveau monde.

Dans une phase de démolition presque terminale, en Argentine, nous essayons de survivre difficilement aux monstruosités qui surgissent du tremblement de terre provoqué par la disparition de l’ancien monde et l’émergence du nouveau. Tous les excréments jetés au fil des ans, accumulés au fond d’une poubelle et qui, jusqu’à hier, constituaient la négation de ce que nous sommes, sont devenus ce qui nous gouverne et nous définit aujourd’hui. C’est déconcertant et angoissant.

Au lieu de se modérer, la droite s’est renforcée en se repliant sur des idées qu’elle avait déjà dépassées. Ce renforcement n’était pas une réaction à une avancée populaire, qui ne s’est pas produite au moment où elle aurait dû, mais a fonctionné comme un rebond à la suite de l’effondrement du néolibéralisme de sa place dominante en Occident et dans le monde. Ici, nous avons assisté à un recul du populaire alors qu’il y aurait pu y avoir un progrès. En d’autres termes, le gouvernement de Juntos por el Cambio , puis celui d’ Unión por la Patria sont tombés.

Et comme le dernier à se tromper était le gouvernement qui aurait dû représenter la sphère populaire, le premier à se recomposer a été la droite, poussée à l’extrême comme représentation idéologique de la rente financière et du modèle de contrôle social et de contrôle du marché que constitue l’économie de plateformes.

Lorsque le gouvernement libertarien s’essoufflera, le monde sera entré dans un nouveau cycle défini par la primauté de la Chine dans l’économie et, d’autre part, par le sort de la tentative de ré-industrialisation de Donald Trump aux États-Unis. Même s’il s’en sort bien, ce qui ne s’annonce pas facile, cela ne l’aidera pas à rattraper les Chinois. Mais en s’affaiblissant, les États-Unis deviendront plus agressifs dans leur sphère d’influence, notamment en Amérique Latine. Nous en faisons déjà l’expérience, nous avons une base militaire américaine en Terre de Feu et une flotte de guerre déployée au large du Venezuela, avec le pétrole de ce pays en ligne de mire. Et les rues Once [le Sentier de Buenos Aires] et Florida sont envahies de marchandises en provenance de Chine.

Certaines choses ont changé. Jusque dans les années 1970, plus de 90 % des travailleurs étaient affiliés à la CGT. Aujourd’hui, ils sont à peine la moitié. L’autre moitié est dans le travail informel. L’application des nouvelles technologies a introduit des formes de travail isolées qui entravent l’organisation syndicale et désorientent les travailleurs.

L’informatisation et la robotisation de la production exigent des marchés à une échelle qui dépasse les frontières des États. Il est impossible de parler de nation, de souveraineté économique et d’indépendance sans y ajouter l’idée de Patria Grande ou d’intégration régionale. Il est presque impossible de défendre la production nationale ou de négocier avec le monde en étant isolé.

Ces transformations ont également dépassé les limites de la structure institutionnelle des démocraties républicaines. Il y a plus de pouvoirs de fait que de pouvoirs institutionnels.

La communication a fait un tel bond en avant qu’elle a dépassé la famille, la religion et l’éducation dans ce que l’on appelle les processus de construction symbolique, dans la formation des programmes politiques, des principes moraux et des valeurs en général.

La propriété de ce tissu communicationnel est très concentrée et, dans la pratique, il n’existe aucune réglementation, de sorte que ce qui semble être une liberté devient en réalité le terroir d’une énorme manipulation réalisée par le biais de la programmation algorithmique, des groupes de trolls, des faux comptes et d’une logique de fragmentation qui tend vers le discours de haine et jusqu’à la délinquance numérique.

Le néolibéralisme a formé des sociétés fragmentées dans le camp populaire et fortement concentrées dans les secteurs du pouvoir économique. Ce sont des sociétés où le pouvoir de lobbying des élites dépasse souvent les pouvoirs institutionnels et contrôle même le pouvoir médiatique concentré et les secteurs du pouvoir judiciaire.

Il est vrai que la priorité est d’arrêter la destruction du pays démocratique. C’est ce pays qui a fini par se former lorsque le péronisme a transposé cette valeur de la politique dans les sphères sociales et économiques. Mais si le mouvement populaire se contente de cette position de défense et ne va pas de l’avant, il risque de répéter l’expérience du gouvernement d’Alberto Fernández.

Il est clair que les principaux problèmes à résoudre mettent en évidence l’énorme dette sociale que ce gouvernement laissera derrière lui. Ces problèmes concernent l’économie, l’éducation, la santé, l’environnement, la science et la technologie. Mais les outils de ces transformations seront politico-institutionnels, et il a été démontré que les actuels ne tiennent pas compte de ces nouvelles réalités.

Le premier point à résoudre sera sans aucun doute la dette extérieure, qui est tellement absurde et disproportionnée qu’elle sent la décadence et l’anachronisme d’un système. Le monde avec lequel il faudra négocier sera différent de celui qui a donné naissance à cette difformité. Il n’y a pas de solution possible pour l’Argentine dans le cadre de la politique historique du FMI. Les politiques de l’État devront être conçues dans l’arène internationale, avec l’intégration d’organisations qui répondent au multilatéralisme et explorent des mécanismes de négociation qui les prennent en compte. L’énormité de la dette dépasse les négociations bilatérales avec le Fonds.

Les conséquences de toute solution dureront longtemps, c’est pourquoi il sera nécessaire de créer des outils institutionnels et une réassurance juridique axés sur ce problème. Une refonte institutionnelle des relations extérieures est nécessaire, en approfondissant et en formalisant la voie empruntée par les gouvernements de Néstor Kirchner et de Cristina Fernández avec le Mercosur , l’ Unasur et la Celac , ainsi qu’avec les BRICS et la [nouvelle] Route de la Soie.

Dans la meilleure tradition historique du péronisme se trouve l’idée de la Patria Grande, de Unidos o Dominados C’est un chemin obligatoire. Ce n’est même plus une option. S’il y a des affinités politiques, tant mieux. Mais même s’il n’y en a pas, c’est un chemin nécessaire.

On dit que la politique et les institutions sont loin du peuple. La politique et les institutions se renouvellent et se renforcent en ouvrant les portes à la participation populaire. Les mouvements populaires ont pour tradition d’approfondir la démocratie. Le péronisme a émergé de cette manière, comme une irruption populaire dans le système de prise de décision politique.

La politique et les institutions doivent être ouvertes pour générer de nouvelles formes de contrôle et de participation populaires, certaines non étatiques, intervenant dans les communications et dans l’élection des fonctionnaires de la justice et en promouvant des référendums populaires pour la destitution des gouvernements ou l’approbation des politiques.

Un système de communication qui se prête à la manipulation et un système judiciaire qui a une structure féodale ont été les principales interférences avec les démocraties au cours des dernières décennies.

Partout dans le monde, des conflits sont apparus sur des questions de communication :

 Aux États-Unis, des procès sont intentés pour des discours de haine et des jeux sanglants accessibles aux enfants et aux adolescents, qui ont été l’un des facteurs de l’épidémie de massacres dans les écoles.
 En Europe, il y a des procès pour pratiques monopolistiques et manipulation des élections.
 Au Brésil même, un conflit féroce a éclaté entre Google et le gouvernement Lula au sujet de la diffusion d’informations trompeuses. Le président brésilien a promu une initiative visant à réglementer les plateformes propriétaires des réseaux sociaux.

Si l’éducation ou la justice disposent d’un cadre institutionnel, il convient d’y intégrer la communication et de rechercher des formes de régulation et de contrôle qui garantissent le pluralisme des voix sans devenir une limitation de la liberté d’expression. Concevoir cette fonction comme un pouvoir indépendant, à l’instar du pouvoir judiciaire, par exemple par le biais d’un Conseil élu au suffrage universel parmi les représentants du monde universitaire, des syndicats, des entreprises et de l’État, qui assume la fonction de régulation et de contrôle des activités de communication.

La participation et le vote populaire doivent servir, comme en Bolivie et au Mexique, à démocratiser un système judiciaire anachronique qui s’est révélé perméable à la persécution politique et à l’influence des grandes entreprises. Les médias et le pouvoir judiciaire sont les secteurs les plus discrédités de la société. S’il y a un problème, la solution passe inévitablement par la mise à l’écart des mécanismes qui ne servent pas le peuple.

Seul un grand appel populaire pourra faire face à la résistance des intérêts corporatistes, comme l’a démontré la loi sur les médias, qui n’a pas pu être appliquée dans son intégralité en raison de l’interférence du pouvoir judiciaire. Cela impliquera une confrontation avec les entreprises qui gèrent les médias et d’autres qui nomment également des juges pour les servir à tous les niveaux du système.

Il y aura certainement plus d’idées et de propositions pour la participation populaire dans les partis, les syndicats et les mouvements sociaux. S’il s’agit d’introduire des changements institutionnels profonds, il faudra convoquer une assemblée constituante qui ne se limite pas à des réformes à court terme, mais qui tienne compte du changement de cycle historique.

Les propositions doivent inclure les moyens de les mettre en œuvre dans la réalité. Ces réflexions peuvent paraître un peu naïves. Mais il y a une énorme transformation qui a introduit de nouveaux obstacles.

Pour sortir de ce climat de cloaque promu par le gouvernement de Javier Milei, il ne faut pas banaliser le cruel bombardement qui nous amène à discuter de la question de savoir si, en tant que société, nous devons aider les handicapés, les malades du cancer, si nous retirons de la nourriture aux soupes populaires ou aux hôpitaux et des médicaments aux malades, si les retraités méritent une vie un minimum digne, si nous ruinons l’éducation publique et si nous effaçons la recherche scientifique.

Si nous voulons trouver une autre voie, nous devons commencer à discuter du pays que nous voulons et des obstacles que nous devrons surmonter.

Luis Bruschtein* para La Tecl@ Eñe

La Tecl@ Eñe. Buenos Aires, 24 de agosto de 2025.

*Luis Brushtein , est un journaliste argentin, rédacteur en chef adjoint du journal Página 12, qui a vecu en exil au Mexique après la disparition forcée de ses trois frères et de son père. Il est le fils de Laura Bonaparte, l’une des fondatrices de l’organisation Mères de la place de Mai.

Traduit de l’espagnol depuis El Correo de la Diáspora par : Estelle et Carlos Debiasi.

El Correo de la Diaspora. Paris, le 30 août 2025.

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