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Au-delà de la constatation généralisée que l’augmentation des tarifs des services publics privatisés s’est placée, jusqu’au début de l’année 2002, très au dessus de la plupart des prix locaux - et encore plus des salaires - on a presque rien dit sur ses effets inégaux selon les différentes couches sociales. Il s’agit de définir si les hausses réelles des tarifs affectent tous les usagers et les consommateurs dans une même proportion ou si elles contribuent à augmenter les différences dans la distribution des revenus de la population.
A usuarios pobres, servicios más caros
Une récente étude réalisée dans le Secteur d’Economie de FLACSO [1], apporte des éléments de jugement importants autour d’un sujet central qui n’avait pas été abordé jusqu’à présent : l’impact des privatisations sur les revenus, compte tenu de l’évolution des prix des services, et de leur couverture inégale.
A partir du traitement des données relevées par l’INDEC tous les dix ans, comme de la Encuesta Nacional del Gasto de los Hogares (Enquête Nationale des Dépenses des Foyers) de la période 1985-1986 et de celle réalisée - et traitée récemment - dans le biennium1996-1997, le travail de FLACSO démontre que les privatisations ont eu un impact négatif important sur les revenus des différentes couches sociales.
La convergence entre l’évolution des tarifs et la couverture des services a comporté une disproportion entre les ressources des foyers et les dépenses destinées aux services de première nécessité, au détriment des plus pauvres. En 1997, une famille d’un niveau plus privilégié dépensait 3,5% de ses revenus dans les services publiques, tandis que 10% des plus pauvres destinaient 17% du budget familial au même objectif. Cette année, la hausse de l’inflation a réduit la capacité de consommation des plus pauvres. L’Indice des prix au consommateur (Indice de Precios al Consumidor - IPC) a augmenté 40% tandis que le panier de la ménagère (canasta básica de alimentos) a augmenté 73%. Par conséquent, le salaire réel a enregistré une diminution d’environ 35%. Cette détérioration des revenus suppose que les secteurs les plus appauvris consacrent actuellement 20% de leur budget total au paiement des services publics privatisés.
Un rapport élaboré par Alberto Bigosch, le deuxième des quatre coordinateurs qui sont passé par la Commission de Renégociation de Contrats des Services Publics, établit qu’il n’existe pas d’ antécédents d’ "études visant à évaluer qualitativement et quantitativement" les critères établis dans la norme légale liés à l’impact tarifaire sur les revenus, la compétitivité de l’économie et l’accessibilité des services. Des aspects qui devraient être pondérés lors de la révision en cours. Bigosch prévient que s’ils ne sont pas pris en compte au moment de prendre une décision, les actes administratifs "seront illégitimes". En même temps, il affirme que la détérioration du salaire réel et la diminution de la demande des services publics " rendent impensable une augmentation à caractère général, sans que le salaire réel ne soit préalablement amélioré".
Dans les dernières décennies, la brèche entre les riches et les pauvres a augmenté, en modifiant, en même temps, les facteurs qui ont influencé les revenus. Sur la base des statistiques fournies par l’UNDEC, les 10% les plus riches de la population obtenaient, en 1985, un revenu moyen 14 fois supérieur à celui des 10% les plus pauvres. Douze ans plus tard, ce chiffre est majoré jusqu’à 16 fois. Cette tendance a continué à se creuser. En mars 2002, les 10% les plus riches de la population ont reçu 37,3% des recettes totales, tandis que les 10% les plus pauvres ont reçu 1,3%. Ainsi, les plus riches ont reçu 28,7 fois plus que les plus pauvres. Cette brèche a dépassé 40 points dix mois plus tard, après la fin de la convertibilité. L’étude de FLACSO considère que " La tendance dans la distribution des recettes de la période analysée doit plutôt être comptabilisée que neutralisé dans le calcul. Ce n’est pas la même chose une augmentation des tarifs des produits de base dans un contexte de majoration de revenu des groupes sociaux les plus pauvres, que dans un contexte de réduction de revenu et d’accroissement de l’inégalité".
La volonté du gouvernement de Carlos Menem de séduire les acheteurs potentiels en leur garantissant des gains monopolistes a impliqué une augmentation des tarifs dans les phases préalables et postérieures aux privatisations, même si la loi de convertibilité avait expressément interdit l’augmentation des prix à partir de 1991. En revanche, pendant la période 1985-1988 les tarifs des services appartenant à l’Etat ont baissé dans le secteur du gaz de 11,3% ; dans les tarifs de téléphone 9,4% et dans l’électricité 2,8%. Selon l’étude de FLACSO, la diminution des tarifs pendant la gestion de l’Etat démontre que l’ "entreprise publique octroyait à l’Etat la capacité de subventionner la consommation des services de base dans les périodes de crises et de pallier l’inflation à travers le retard des services par rapport à l’évolution des prix". Avec les privatisations, la capacité d’agir sur le modèle de distribution des ressources à travers la politique tarifaire fût transférée au capital interne.
Pendant les mois préalables au transfert, l’actualisation tarifaire coïncidait avec la négligence généralisée dans la gestion administrative et l’exploitation de la quasi totalité des entreprises à privatiser, même si l’expérience internationale recommande d’effectuer préalablement un assainissement économique et financier afin de maximiser le prix de vente de l’entreprise. Maria Julia Alsogaray avait négligé sa gestion en tant que contrôleur d’ENTEL avant sa vente. En 1990, seulement 40.000 lignes téléphoniques ont été habilitées -70% de moins que pendant l’année1989- et on a mis en évidence de retards importants dans les projets d’équipements et dans les travaux de manutention.
A partir de la décision officielle de privatiser jusqu’à maintenant, l’aspiration du pouvoir politique et économique d’adapter les prix spécifiques aux coûts de prestations des entreprises s’est traduit, dans les secteurs de l’énergie électrique, du gaz naturel et du téléphone, par des variations très différentes selon le type d’usager. Les tarifs de ces services ont été fixés en dollars et indexés selon les indices des prix des Etats-Unis. Ceci a généré des hausses de prix qui se sont libérées des prix domestiques. Entre 1995 et 2001, les prix des grossistes locaux ont diminué 1,8% et des détaillants de 1,6% mais les tarifs ont augmenté entre 8 et 16%.
Face à la stabilité et même à la déflation des prix locaux dans les années 90, l’augmentation tarifaire a encore creusé l’inégalité distributive : entre le début du plan de convertibilité et la privatisation de Gas del Estado, le tarif de ce service a doublé pour les usagers résidentiels tandis qu’il a été réduit de presque 10%pour les consommateurs industriels. Dans le cas du gaz naturel, la moyenne générale du budget des foyers affecté au paiement de ce service a augmenté 56%, tandis que pour les plus pauvres, la hausse a été de 90%. L’augmentation dans le service électrique s’est aussi fait sentir différemment, puisque dans la moyenne des foyers, on a enregistré une légère augmentation des dépenses, concentrée sur les niveaux qui ont moins de ressources et une chute progressive dans les couches plus élevées.
Les concessionnaires du service de téléphone de base ont introduit un mécanisme différent aux autres secteurs afin d’aboutir à une hausse des tarifs. En 1997, moment où la période d’exclusivité pour la prestation du service téléphonique devait expirer, on a approuvé la liberté tarifaire. De cette mesure a résulté une réduction dans les communications internationales et une augmentation dans les appels locaux de 40% ; en plus d’une hausse relative dans les tarifs, résultat de l’élimination des « pulsations gratuites » incluses dans l’abonnement bimensuel. Ce dispositif, mis en doute au niveau judiciaire, a impliqué que les dépenses ont été multipliées par deux pour la moyenne générale des foyers et triplées dans les couches les plus pauvres.
Pendant l’exploitation privée, les hausses ont découlé de clauses illégales et de renégociations mises en question qui, même allant contre la législation en vigueur, ont permis aux entreprises d’obtenir de bénéfices extraordinaires, an détriment des usagers et des consommateurs en général, et des secteurs les plus appauvris en particulier. Dans la majorité des services, les tarifs résidentiels ont augmenté entre 9 et 40% entre le moment de la concession et décembre 1997.
Dans le secteur de l’eau et d’assainissement en particulier, le tarif a augmenté 88,2% entre mai 1993 et janvier 2002, tandis que l’indice des prix aux consommateurs a registré un hausse de 7,3%.
Un facteur qui a accompagné la tendance négative des revenus fut le critère inhabituel de couverture des prix du réseau et, par conséquent, leur accès différencié. Dans la téléphonie de base, l’extension du réseau a eu lieu mais pas avec un critère de généralisation. Même si la tendance du service d’énergie électrique fut à l’homogénéisation de l’accès, il faut considérer que SEGBA a été privatisée avec une couverture des réseaux presque complète. Dans le secteur du gaz, au contraire, l’évolution de la couverture ne s’est pas prioritairement orientée vers les secteurs à faibles revenus. Le niveau le plus pauvre a vu son accès au service réduit tandis que le reste a expérimenté une expansion de la couverture d’environ 10 % dans tous les cas. Quant à l’eau potable et les égouts, la hausse de leur coût pour les secteurs de moindres ressources s’est combiné avec une couverture dans la prestation des services de l’eau potable et une diminution - de presque 5% - dans le service de égouts, qui a affecté les foyers aux revenus les plus faibles [2]. Sur ces données, l’étude de FLACSO explique que la plus forte pression des services privatisés sur les dépenses des pauvres provenait, fondamentalement, d’une hausse substantive dans les tarifs aux quels ils ont dû faire face et non pas d’une augmentation réelle dans le niveau d’accès. « Si la politique publique va vers une couverture généralisée, en garantissant l’accès aux services de base à toute la population, l’expansion des réseaux ne peut pas se mener uniquement par un calcul strictement macro-économique de coût-bénéfice ».
En plus de démontrer une tendance généralisée vers l’agrandissement de la brèche entre les riches et les pauvres, l’expansion inégale de la couverture s’est répercutée négativement dans le bien-être de la population, dans la mesure où elle a affecté les droits sociaux de base, comme le droit à la santé. Une fois l’accès livré aux « forces du marché », il est très probable que les entreprises décident de ne pas fournir le service aux usagers pour lesquels les coûts de la prestation sont très élevés et la rentabilité très basse.
Des réformes structurelles comme les privatisations impliquent des bénéfices pour certains secteurs et des pertes pour d’autres. Ceci répond à une décision politique de la part du gouvernement en service et à l’insuffisance d’un programme de protection sociale qui accompagne ce type de restructurations.
Avec ces antécédents, il est possible penser que le projet « distributif » des entreprises privées n’a pas eu lieu- comme le remarque l’étude de FLACSO- « une tendance pro-pauvre », mais au contraire, a été en phase avec l’ensemble des politiques publiques qui, pendant les années ’90, ont consolidé un modèle économique et en excluant le côté social.
Traduction de l’espagnol pour el Correo : Paula Winocur
2 - Alberto Biagosh, Expediente N° 020-005010, Buenos Aires, 29-05-02.
3 - Martín Abeles, Karina Forcinito y Martín Schorr, El Oligopolio Telefónico argentino frente a la liberalización del mercado, Universidad Nacional de Quilmes, Buenos Aires, 2001.
Le Monde Diplomatique, Edición Cono sur, noviembre 2002.
* Natalia Aruguete, es licenciada en Ciencias de la Comunicación est diplômée en Sciences de la Communication.
Notas :
[1] C. Arza, "El impacto social de las privatizaciones. El caso de los servicios públicos" Documento de trabajo N° 3 del Proyecto "Privatización y Regulación en la Economía Argentina", BID 1201/OC-AR PICT 99-02-07523,FLACSO-Sede Argentina, 2002.
[2] Naná Bevillaqua, "Aguas Argentinas, gran negocio y olvido del usuario" Le Monde Diplomatique, Edition Cono Sur, agosto de 2001.