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22 mars 2011

Ce dont Obama n’a pas parlé au Brésil

Les États-Unis veulent l’Amazonie en échange de verroterie

C’est l’Amazonie, idiot !

par Atilio A. Boron *

 

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Les intérêts impérialistes ont le Brésil en point de mire, cette fois avec le voyage de son principal représentant dans le pays, Barack Obama.

Chacun se rappelle la phrase avec laquelle Bill Clinton désarma George Bush père dans la course à l’élection présidentielle de 1992. Une expression semblable pourrait être utilisée aujourd’hui, alors que beaucoup, au Brésil et hors du Brésil, pensent qu’Obama est en visite dans ce pays pour vendre les F-16 fabriqués aux USA, en écartant son concurrent français, et pour promouvoir la participation d’entreprises étatsuniennes à la future grande expansion du marché pétrolier brésilien.

Et également pour assurer un approvisionnement fiable et prévisible à son insatiable demande de combustible grâce à des accords avec un pays du même continent et moins conflictuel et instable que ses fournisseurs traditionnels du Moyen Orient ou même d’Amérique latine. À part ça, les projets d’Obama comprennent l’intervention d’entreprises de son pays dans la rénovation de l’infrastructure de transports et communications du Brésil et dans les services de surveillance et de sécurité indispensables pour la Coupe du Monde de Football (2014) et les Jeux Olympiques (2016). Ceux qui pointent ces réalités ne manquent pas de signaler les problèmes bilatéraux qui affectent les rapports commerciaux, surtout en raison de la persistance du protectionnisme étatsunien et des entraves que celui-ci entraîne pour les exportations brésiliennes. Les rapports sont, par conséquent, loin d’être aussi harmonieux qu’on veut bien le dire. En outre, la croissante importance régionale et en partie internationale du Brésil est perçue avec inquiétude par Washington. Sans l’appui du Brésil et de l’Argentine, en plus d’autres pays, l’initiative vénézuélienne d’en finir avec l’ALCA n’aurait pas réussi. Par conséquent, un Brésil puissant est une gêne pour les projets de l’impérialisme dans la région.

Compte tenu de ce qui précède, il convient de s’interroger sur les objectifs que poursuit la visite d’Obama au Brésil. Observons d’abord les données du contexte : depuis la prise de fonctions du gouvernement de Dilma Roussef, la Maison Blanche a déployé une offensive énergique visant à renforcer les relations bilatérales. Il ne s’était pas passé dix jours après son installation au Palais du Planalto qu’elle reçut la visite des sénateurs républicains John McCain et John Barrasso, et quelques semaines plus tard ce fut le Secrétaire du Trésor, Timothy Geithner qui frappa à sa porte pour rencontrer la présidente. L’intérêt des visiteurs fut éveillé par le changement présidentiel et le signal encourageant provenant de Brasilia lorsque la nouvelle présidente annonça qu’elle était en train de reconsidérer l’achat de 36 avions de combat à l’entreprise française Dassault que le président sortant avait annoncé lorsqu’il était encore en fonction. Ce changement d’attitude provoqua l’arrivée des lobbyistes des grandes entreprises du complexe militaro-industriel –c’est-à-dire du « gouvernement permanent » des États-Unis, quel que soit le locataire du moment de la Maison Blanche–à Brasilia avec l’espoir de bénéficier de l’adjudication d’un premier contrat de six milliards de dollars qui, éventuellement, pourrait grossir substantiellement si le gouvernement brésilien décidait, comme prévu, de commander 120 autres avions dans les prochaines années. Mais ce serait une erreur de croire que seuls des intérêts financiers ont motivé le voyage d’Obama.

En réalité, ce qui l’intéresse le plus en sa qualité d’administrateur de l’empire c’est de progresser dans le contrôle de l’Amazonie. Le principal objectif de ce projet c’est de freiner, puisqu’il n’est pas possible de l’arrêter, les croissantes coordination et intégration politiques et économiques en cours dans la région qui ont eu un rôle si important pour faire échouer l’ALCA en 2005 et déjouer la conspiration sécessionniste et putschiste en Bolivie (2008) et en Équateur (2010). Il s’agit aussi de tenter de semer la discorde entre les gouvernements les plus radicaux de la région (Cuba, Venezuela, Bolivie et Équateur) et les gouvernements « progressistes » –principalement le Brésil, l’Argentine et l’Uruguay– qui peinent à garder un espace de plus en plus limité et problématique, entre la capitulation devant les diktats de l’empire et les idéaux d’émancipation, incarnés aujourd’hui par les pays de l’ALBA, qui ont inspiré, il y a deux cents ans, les luttes pour l’indépendance de nos pays. Le reste est secondaire.

Dans ces conditions, l’indécision de D. Rousseff au sujet du rééquipement de l’armée brésilienne est étonnante. En effet, si le Brésil en arrivait à conclure le marché des F-16 au détriment des Rafale français, ce serait sa volonté de réaffirmer sa souveraineté effective sur l’Amazonie qui serait sérieusement compromise. Cela ne signifie pas que le Brésil doive acheter les avions de Dassault mais bien que toute autre alternative est préférable à s’équiper chez un fournisseur étatsunien. Si une telle chose se produisait ce serait parce que la chancellerie brésilienne aurait ignoré, avec une coupable négligence, le fait que, sur l’échiquier géopolitique du continent, Washington a deux objectifs stratégiques : le premier, plus immédiat, c’est de mettre fin au gouvernement de Chavez au moyen d’expédients de tout genre, soit de nature légale ou institutionnelle, soit, à défaut, en recourant à toute forme de sédition. Tel est l’objectif déclaré et clamé par la Maison Blanche. Mais l’objectif fondamental, à long terme, c’est le contrôle de l’Amazonie qui renferme d’énormes richesses que l’empire, dans sa course frénétique à l’appropriation exclusive des ressources naturelles de la planète, veut s’assurer pour lui-même sans permettre à personne de s’immiscer dans ce que son oligarchie perçoit comme son arrière-cour naturelle : l’eau, les minerais stratégiques, le pétrole, le gaz, la biodiversité et les ressources alimentaires.

Pour les stratèges les plus hardis, l’Amazonie, à l’instar de l’Antarctique, est une zone à accès libre où n’est reconnue aucune souveraineté nationale, et donc ouverte à tous ceux qui disposent des « moyens techniques et logistiques » permettant sa bonne exploitation. Autrement dit, les États-Unis. Mais, évidemment, aucun haut responsable du Département d’État ou du Pentagone, et encore moins le président des États-Unis, ne se laisse aller à dire ces choses-là à voix haute. Mais ils agissent, forts de cette conviction. Et, compte tenu de cette réalité, il serait insensé de la part du Brésil de miser sur un équipement et une technologie militaires qui le placeraient dans une position de subordination face à ceux qui ostensiblement lui disputent la possession effective des vastes ressources de l’Amazonie. Quelqu’un doute-t-il encore que, le moment venu, les États-Unis n’hésiteront pas une seconde à recourir à la force pour défendre leurs intérêts vitaux menacés par l’impossibilité d’accéder aux ressources naturelles contenues dans cette région.

Ainsi donc l’enjeu est précisément le contrôle de cette région. Naturellement, de tout cela, Obama n’en dira aucun mot à son hôte. Entre autre parce que Washington exerce déjà un certain contrôle de fait sur l’Amazonie grâce à son énorme supériorité en matière de communication satellitaire. En outre, l’immense réseau de bases militaires que les États-Unis ont tissé autour de cette zone confirme, par les méthodes habituelles de l’impérialisme, cette volonté de s’emparer de nouveaux territoires qu’ils ne peuvent dissimuler. L’inquiétude qui avait motivé l’ex-président Lula da Silva à accélérer le rééquipement de l’armée brésilienne était la réactivation de la IVème Flotte des États-Unis quelques semaines après que Brasilia eut annoncé la découverte d’un immense gisement pétrolier sous-marin face aux côtes de São Paulo. Il devint alors évident, comme une fulgurance cauchemardesque, que Washington considérait inacceptable un Brésil qui, non content de disposer d’un vaste territoire et d’une généreuse dotation en ressources naturelles, pourrait aussi devenir une puissance pétrolière et, ainsi, être en mesure de contrebalancer l’hégémonie étatsunienne au sud du Río Bravo et, dans une moindre mesure, sur l’échiquier géopolitique mondial.

Le sournois ballet de la diplomatie étatsunienne a occulté les véritables intérêts d’un empire avide de matières premières, d’énergie et de ressources naturelles de toute sorte et sur lequel le grand bassin amazonien exerce une attraction irrésistible. Pour dissimuler ses véritables intentions, Washington a utilisé –avec succès parce que l’Amazonie a fini par être encerclée par des bases étatsuniennes– une subtile manœuvre de diversion dans laquelle Itamaraty [1] est tombé naïvement : offrir son soutien pour que le Brésil obtienne un siège de membre permanent au Conseil de Sécurité des Nations Unies. Il est difficile de comprendre comment les expérimentés diplomates brésiliens ont pu prendre au sérieux une offre aussi invraisemblable qui facilitait l’entrée du Brésil tandis que l’accès en était refusé à des pays comme l’Allemagne, le Japon, l’Italie, le Canada, l’Inde ou le Pakistan. Éblouis par cette promesse la chancellerie brésilienne et le haut commandement militaire ne se sont pas aperçu que pendant qu’ils passaient leur temps en de stériles divagations sur le sujet, la Maison Blanche continuait à installer ses bases un peu partout : sept, oui sept !, en Colombie dans le quart nord-ouest de l’Amazonie, deux au Paraguay, au sud, au moins une au Pérou, pour contrôler l’accès ouest à la région et une, en cours de négociation avec la France de Sarkozy pour installer des troupes et des équipements militaires en Guyane française, capables de veiller sur la région orientale de l’Amazonie.

Plus au nord, des bases à Aruba, au Curaçao, au Panama, au Honduras, au Salvador, à Puerto Rico, à Guantanamo pour harceler le Venezuela bolivarien et, bien sûr, la Révolution cubaine. Prétendre réaffirmer la souveraineté brésilienne dans cette région en faisant appel à des équipements, des armements et une technologie de guerre des États-Unis constitue une énorme erreur, car la dépendance technologique et militaire que cela entraînerait laisserait le Brésil pieds et poings liés face aux desseins de la puissance impériale. Sauf si l’on pense, évidemment, que les intérêts du Brésil et ceux des États-Unis coïncident. D’aucuns le croient, mais il serait gravissime que la présidente D. Rousseff commette une aussi énorme et irrémédiable méprise. Et le prix –aux plans économique, social et politique– que le Brésil, et avec lui toute la région, devrait payer pour une telle aberration serait exorbitant.

Buenos Aires, le 20 mars 2011.

* Atilio A. Borón. Docteur en Sciences Politiques de l’Université de Harvard et professeur titulaire de Théorie Politique à l’Université de Buenos Aires.

Traduit de l’espagnol pour El Correo par  : Antonio López.

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El Correo. Paris, le 22 mars 2011.

Notes

[1O Palácio Itamaraty est le siège du Ministère des Affaires Extérieures du Brésil.

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