Accueil > Réflexions et travaux > L’Argentine piégée par l’ultra-libéralisme
Il existe une responsabilité criminelle en économie. Celle-ci n’est pas reconnue jusqu’aujourd’hui en droit. Pourtant, certaines décisions de politique économique peuvent conduire à des situations extrêmes et le rejet démocratique de ces politiques, par la voie des élections, ne saurait suffire. Essentiel, ce rejet est parfois insuffisant lorsque les effets de ces politiques sont désastreux pour la majeure partie de la population. Cette responsabilité devrait être jugée. D’une certaine manière, le développement des « escratche » (Dénonciations à caractère public, soit spontanée, soit organisée par des foules vis - à - vis de certains hommes politiques considérés comme responsables de la situation de crise.) ces derniers mois témoigne, avec quelque danger probablement, de la nécessité d’organiser des tribunaux, à caractère symbolique, où seraient jugés les principaux responsables de la situation économique. Ces tribunaux de « crime économique », à l’égal de ce qu’a été le tribunal Russell pendant la guerre du Vietnam, devraient juger les crimes économiques. On peut probablement définir le crime économique comme celui qui conduit à une détérioration très importante de quelques indicateurs sociaux comme la pauvreté, la protection sociale, pouvant conduire à des décès (espérance de vie réduite pour des retraités pour insuffisance de soin et spoliation des retraites, taux de mortalité infantile accru par exemple).
Introduction
Dans les années quatre vingt dix, la croissance retrouvée des économies latinoaméricaines est dans l’ensemble modeste et les taux de formation brute du capital restent faibles. La plupart d’entre elles conservent, voire consolident dans certains cas, les aspects rentiers qui les caractérisaient et qui alimentent l’inégalité profonde des revenus. La croissance procure peu d’emplois dans l’industrie et elle s’accompagne d’une montée des emplois informels. La précarisation des emplois, le travail à temps partiel, se développent.
Econome en emploi, la croissance est aussi « avare » en distribution de ses fruits : les revenus du travail, à l’exception des catégories les plus qualifiées, augmentent en deçà de la croissance de la productivité et, avec la montée en puissance des activités financières et des revenus qui en découlent, les inégalités tendent à s’accentuer de nouveau.
La croissance, économe en emploi et en hausse de pouvoir d’achat des revenus du travail, ne peut alléger de manière durable et significative la pauvreté. Celle-ci a désormais pour origine principale la faible qualité des emplois et de l’impossibilité d’obtenir des emplois, y compris informels, pour une durée hebdomadaire suffisante. La croissance retrouvée est spécifique : elle subit une logique financière à laquelle il devient de plus en plus difficile d’échapper. Les crises financières de la seconde moitié des années quatre vingt dix sont révélatrices de la dynamique « d’économie de casino » qui tend à s’instaurer avec la libéralisation brutale de l’ensemble des marchés et le retrait, parfois massif, de l’Etat. La crise accentue la pauvreté et la reprise économique - d’un rythme équivalent et d’une durée semblable - ne produit pas d’effets compensatoires.
Cet ensemble de caractéristiques nouvelles vaut pour les principales économies latino-américaines depuis la décennie des années quatre vingt dix. Les turbulences macroéconomiques ont des effets démultipliés sur la pauvreté. La pauvreté augmente fortement avec la crise et ne tend pas, quand la reprise économique se limite à une année ou deux, à baisser. Elle tend même à augmenter et il faut une période de croissance plus longue et soutenue pour qu’elle commence à fléchir. L’instabilité macro-économique s’impose comme la caractéristique majeure des régimes d’accumulation à dominante financière mis en place pour sortir de la crise inflationniste des années quatre vingt. Cette instabilité accentue la vulnérabilité des couches les plus pauvres de la population.
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Conclusion :
Les responsabilités : Il est à la fois facile et difficile de cerner les responsabilités et de désigner des responsables. Facile parce que la situation est proche du chaos et qu’elle risque de dégénérer en une répression mortelle dont les argentins ont eu un « avant goût » à la fin de l’année 2001 ; facile aussi parce que la profonde détérioration des conditions de vie et
de travail ne date pas de l’éclatement de la crise mais de la logique même du plan de convertibilité, véritable piège et camisole de force dont il devenait jour après jour plus difficile de sortir sans coût social important. Difficile cependant parce qu’il n’y a pas à notre connaissance de précédents juridiques à la mise en place d’un tribunal de crime économique. A l’inverse, il y a des pratiques plus ou moins spontanées, à caractère basiste, d’exiger des comptes de ceux dont les responsabilités de l’appauvrissement massif paraissent claires
ou/et de ceux qui se seraient démesurément enrichis grâce à la corruption massive qui a déferlé depuis plus de dix ans. Difficile aussi et surtout parce que les effets désastreux du plan de convertibilité pour la grande majorité de la population et plus particulièrement pour les catégories à revenu modeste, obéissent à une logique. Ils ne résultent pas de telles ou telles mesures erronée, sauf exception, mais de la dynamique même du modèle ultra libéral
institué. Un exemple : les sorties de capitaux étaient légales, l’appréciation de la monnaie la favorisait, la globalisation financière dans le contexte du plan de convertibilité accentuait tout naturellement des comportements rentiers si préjudiciables à l’emploi, aux salaires, aux conditions de vie. La criminalisation des responsabilités doit probablement tenir compte de ces spécificités car nous sommes loin de situations « simples » à la zaïroise par 21 exemple. C’est pourquoi, il convient de définit des critères construits à partir d’indicateurs sociaux (augmentation du taux de mortalité, diminution de l’espérance de vie des catégories les plus modestes etc etc,. Lorsque des seuils sont franchis et que des mesures ne sont pas prises, on peut alors probablement considérer que les décideurs politiques ont une responsabilité de nature criminelle. Le fait de ne pas avoir abandonné le plan de convertibilité plus tôt et opté pour un autre modèle économique constitue, selon nous, un acte criminel.
Voici le rapport complet :