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15 mai 2007

"L’élément commun est l’impunité"

Cinéma :
"L’âme des bourreaux"

"Faire ce film fut comme faire sortir l’abîme intérieur de l’être humain"

par Oscar Ranzani

 

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Le journaliste espagnol raconte comment est née l’idée du documentaire, qui sera vu demain dans le Festival DerHumALC, sur une vision en profondeur des violations aux droits humains dans la dictature qui en Espagne a été vue par 700 mille personnes. Romero a été correspondant en Argentine pendant la dictature et a été emprisonné dans le Chili de Pinochet.

La dictature Jorge Rafael Videla a condamné à l’ostracisme au journaliste espagnol Vicente Romero, un homme très engagé sur les Droits de l’Homme qui a connu comme correspondant le côté le plus obscur des sinistres personnages aux "grandes bottes" qui imposaient la terreur pendant les années de plomb. Romero a aussi connu la prison dans le Chili du dictateur Augusto Pinochet. En Espagne il a travaillé toujours dans des médias presse et télévisuels et a exercé le droit à l’information dans des événements historiques comme les guerres du Vietnam et d’Irak.

Sa marque distinctive est la dénonciation des violations systématiques aux Droits de l’Homme dans différentes régions du monde. Comme enquêteur sur la dictature argentine, il a interviewé pour la télévision espagnole le répresseur Adolfo Scilingo, où l’ex capitaine de corvette a rapporté sa participation aux "vols de la mort " à travers lesquels les militaires faisaient disparaître des prisonniers anesthésiés dans le Rio de la Plata. Scilingo avait fait une première confession sur le sujet à Horacio Verbitsky, que relate dans le livre "Le vol" du journaliste de Página/12 et dont le contenu s’est avérée une preuve fondamentale dans le procès du répresseur par le juge Baltazar Garzon, et postérieurement condamné par l’ Audiencia Nacional à 640 années pour des Crimes contre d’Humanité. Cela fut la première fois qu’un répresseur argentin a été condamné à l’étranger l(Espagne).

Il y a approximativement une année, Romero a pris part à un cours universitaire sur les Droits de l’Homme dirigé par Baltazar Garzon. Là le magistrat l’a dit : "Probablement je suis le juge qui a le plus interrogé de bourreaux , et probablement tu es le journaliste qui a le plus interviewé de bourreaux . Pourquoi nous ne faisons pas un certain travail ensemble ? ". Alors, Romero a déposé la proposition à la Télévision espagnole (TVE), les directeurs ont accepté l’idée que tous les deux effectuent le documentaire "L’âme des bourreaux", qui met à nu la sombre pensée des militaires argentins de la dernière dictature depuis le regard de leurs victimes et depuis l’optique elle-même de ce tortionnaire. "L’âme des bourreaux" pourra demain être vu à 20 hs au le Collège Public d’Avocats (Corrientes 1441, Buenos Aires), dans le cadre du IX Festival DerHumALC.

Le documentaire de 105 minutes a été vu par plus de 700 mille personnes en Espagne. C’est pourquoi, au moment de parler de la répercussion qu’il a eue, comme de l’intérêt qu’il peut réveiller ces thématiques chez les citoyens de la Péninsule Ibérique, Romero - de visite à Buenos Aires - il soutient que "l’intérêt pour le sujet de Droits de l’Homme existe dans la population espagnole parce qu’il y a eu une lutte contre le franquisme, une lutte pour obtenir la démocratie. Dans tout ce processus de transition, le peuple espagnol (jusqu’à la droite) a assumé une série de valeurs comme, par exemple, l’abolition de la peine de mort, même le code militaire, et d’une série d’importantes valeurs morales ". De même, Romero affirme que "la tragédie de l’Argentine est une tragédie très proche. D’autre part, elle est pleine des éléments tellement énormes qu’ils ne laissent indifférents à personne ".

Précisément indifférence c’est ce qu’on peut le moins sentir quand on écoutera les témoignages déchirants des victimes, comme ceux de ces femmes qui racontent comment elles ont été violés, outrées et humiliées, en plus d’être soumises à la torture. Ces tortures produisaient des phénomènes incompréhensibles, comme celui d’une séquestrée qui demandait à son tortionnaire de lui donner la main pour supporter la douleur. Une autre histoire imposante est celui d’une victime qui se rappelle quand ils les obligeaient à nettoyer des crânes et des membres jusqu’à laisser seulement les os.

Carlos Lordkipanitse commente qu’il a été soumis à des tortures avec sa femme et y compris leur fils de vingt jours. Les tortionnaires passaient aussi de l’horreur à l’absurde, comme quand dans l’ESMA ils ont organisé une fête de Noël pour ceux qu’ils gardaient prisonniers. Ou bien, quand ils amenaient leur diner aux prisonnières qui leur plaisaient, pour ensuite les enfermer à nouveau dans les centres clandestins de détention. Si dans le cas des victimes on sent de la colère et de la douleur, en écoutant parler ces répresseurs et leurs défenseurs, la sensation est de la répugnance : un bon exemple est quand Luis Patti indique à propos des répresseurs que "s’il devait qualifier ces hommes, il les qualifie comme des bonnes personnes, sans aucun doute". Ou quand l’avocat des militaires Luis Eduardo Carri Boffi dira que "Etchecolatz est un très bon père de famille et un homme très humain".

Pourquoi il vous a paru important d’incorporer le témoignage des bourreaux ? En avez-vous débattu ?

Je crois que la dénonciation la plus forte que ce qui est arrivé dans l’École de Mécanica de l’Armada, par exemple, a été faite par Scilingo. Par conséquent, il me paraît qu’il est fondamental de voir comment encore certains peuvent le dénoncer comme Scilingo, d’autres le justifient généralement comme (Gonzalo) Torres de Tolosa (N de la R. : avocat de militaires), qui dit que "cela n’a pas été autant que ça" et qu’il y a davantage de morts dans des accidents de la route, et qu’il allait donner un coup de main à l’ESMA parce que, en définitive, c’était une tâche de charité chrétienne celle d’offrir appui à ces hommes qui "s’efforçaient" tant. Je crois que c’est très démonstratif pour voir comment ils sont et comment ils pensent. Il n’y a eu aucun débat. Le seul débat que nous avons eu Baltazar et moi fut d’essayer que ne se mélange d’aucune manière son activité comme juge avec sa participation au documentaire. Par exemple, Baltazar a demandée l’extradition de Torres de Tolosa. C’est le nombre 40 de la liste qui’a présenté Baltazar de quarante extradables vers l’Espagne. Par conséquent, Baltazar ne pouvait pas interviewer Torres de Tolosa, ni pouvait écrire ni rien dire sur Torres de Tolosa ou sur Scilingo parce que, en définitive, lui il a jugé. Alors, nous avons pris un soin exquis de que Baltazar n’interroge même pas à les témoins qu’il interrogerait lui plus tard. Les entrevues que Baltazar a faites ont été avec des personnes qui n’ont jamais figuré dans aucun dossier instruit par lui, pour qu’il ne puisse être récusé d’aucune manière. C’est le seul débat que nous avons eu de façon permanente, pour que le documentaire ne se transforme pas un obstacle au moment de faire justice.

Cela s’est avéré très dur d’effectuer ce travail ?

Oui, parce qu’on indubitablement s’identifie avec les victimes. Quelques unes tu les connais depuis des années, et leurs récits continuent à t’affecter. Et parce qu’avec les bourreaux tu dois réprimer ton élan de les saisir par le col et les dire : "Mais quel connerie es-tu en train de me dire là ?". Alors, de ce point de vue, c’est ennuyeux... mais eu même temps je crois que c’est un type de travail qui contribue au moins à la connaissance de ce qui est arrivé.

Parfois on tend à penser un bourreau comme quelqu’un qui n’est pas humain. Mais dans ce cas on cesserait de tenir compte de la logique avec laquelle ils opèrent. Une logique perverse, puisque le bourreau est quelqu’un qui sait bien ce qu’il fait, et il veut le faire. Dans le film cette discussion est présente...

Ce qui se passe c’est qu’il ne s’agit pas de poser une discussion sur des définitions, mais d’essayer que le spectateur puisse faire un rapprochement vers la généralité de ces êtres humains. Je ne sais pas s’il est arrivé d’ avoir autant de d’engagement dans la répression que dans les disparus. Mais il y a des données qui parlent , plus de vingt mille militaires et policiers qui ont pris part à des tâches répressives en Argentine. Parfois ils ont été appelés "gorilles", ce qui est une offense pour un noble animal comme est le gorille. Je crois qu’il est difficile de faire un archétype de ce qu’est le répresseur. Et il est difficile de faire un archétype d’un journaliste : celui qui contrôle le Conseil d’Administration du média, le directeur, le journaliste sportif ou le chroniqueur théâtral. Nous sommes différents. Parce que je crois qu’avec les répresseurs cela passe de la même façon. Nous ne pouvons pas comparer Scilingo qui, en définitive, est un pauvre diable aliéné, mais qui est l’unique qui a eu la nécessité de soulager sa conscience, avec le type pervers qu’ a été Chamorro dans la même École de Mécanica de l’Armada. Je crois qu’ils ont des responsabilités différentes, avec des rôles différents, avec des mentalités différentes.

C’est boulversant quand les victimes racontent les relations avec leurs bourreaux. Enquêter dans cette intimité tellement pénible a permis d’atteindre une conception plus profonde de la dégradation de ces tortionnaires ?

C’est comme se pencher face à l’abîme intérieur de l’être humain, de voir jusqu’où il peut arriver. Quand Carlos Lordkipanitse ne peut pas parler de comment ils ont torturé leur fils de vingt jours, tu te rends compte qu’il n’y a pas de limites dans l’être humain, dont nous sommes capables de la plus grande aberration comme de l’acte de la plus grande générosité dans notre même espèce.

Qu’avez-vous senti en étant face à face pour la première fois avec un tortionnaire ?

Étonnement, incapacité d’entendement, constater mes propres limites, l’ étroitesse de la vision que nous avons pour se comprendre comme êtres humains. Dégoût, une répugnance profonde. Mais ce n’est pas seulement face à eux. C’est la même répugnance que je peux sentir quand j’entends Rodrigo Rato (Président du FMI) parler des politiques du Fonds Monétaire International, en condamnant à la faim ou à la misère, en exigeant à de pays qu’ils renoncent à des budgets d’éducation. Ou quand j’entends (Paul) Wolfowitz dire que la Banque Mondiale ne peut pas accepter que soit subventionnée l’agriculture dans le Tiers Monde, tandis que tous les produits agricoles du Premier Monde sont subventionnés. C’est la même répugnance. Ils sont une autre sorte de bourreaux.

C’est un autre type de génocide.

Oui, c’est un génocide économique mais, en définitive, ils sont les maîtres de ces autres génocides.

Traduction pour El Correo :Carlos Debiasi

Página 12. Buenos Aires, le 13 Mai 2007.

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