Portada del sitio > Imperio y Resistencia > Renaissance d’un Empire : L’Europe de l’armement est de retour
Par Jean-Paul Hébert
Le Débat Stratégique Nº75. Juillet 2004
Europe de l’armement : la reprise du mouvement
Après le maelström de la période 1999-2000 qui avait vu la naissance des trois grands groupes EADS, BAE Systems et Thales, la période 2002-2003 a été celle d’une certaine apathie, sinon d’un recul, dans la constitution d’une Europe de l’armement. Peut-être ce temps de maturation était-il nécessaire pour supporter les conséquences du mouvement de concentration. En tous cas, cette phase paraît bien terminée et les premiers mois de l’année 2004 sont ceux d’une reprise du mouvement : décisions institutionnelles, alliances industrielles, mouvements en préparation, décisions importantes de coopération, les annonces se succèdent dans tous ces domaines et indiquent qu’une nouvelle étape majeure de concentration est en gestation.
La dimension européenne est de retour
Après plusieurs mois de négociations ardues, les ministres des affaires étrangères de l’Union ont adopté à la mi-juin le cadre juridico-politique de l’Agence européenne de l’armement [1]. Cette structure n’est encore qu’une structure d’attente, mais préfigure ce que pourra être cette instance présidée par le Haut Représentant pour la politique extérieure.
C’est l’Union européenne comme telle qui a signé l’accord avec les Etats-Unis sur la cohabitation des systèmes de positionnement par satellites, ouvrant la voie à la réalisation du système Galileo que les E-U n’ont finalement pas réussi à empêcher d’exister. Il s’agit d’un moyen d’autonomie substantiel [2]. De même la sortie du premier exemplaire de série de l’hélicoptère de transport militaire NH 90 déjà commandé par neuf pays européens est un point positif dans la coopération européenne [3]. Cette coopération pourrait trouver des développements nouveaux avec les deux grands projets lancés par la France autour du démonstrateur de drone Euromale d’une part et du projet de « bulle opérationnelle aéroterrestre » d’autre part, si les industriels concernés élargissent leurs propositions au plan européen [4]. La décision britannique de confier son contrat d’avions ravitailleurs à Airbus plutôt qu’à Boeing, pourtant soutenu par BAE Systems, doit bien être lue comme un choix européen, même si les commentaires officiels se gardent bien d’aborder cet aspect [5].
Les pays européens commencent à prendre des mesures pour limiter l’offensive américaine sur les secteurs encore dispersés de l’industrie d’armement : en Allemagne les prises de contrôle successives du chantier naval HDW par le fonds d’investissements One Equity Partners (OEP) et du motoriste MTU par le fonds Kohlberg Kravis & Roberts (KKR) ont été à l’origine d’une réaction qui se traduit notamment par l’adoption d’une loi donnant au gouvernement un droit de regard sur les fusions et acquisitions dans le secteur de la défense ou de la communication gouvernementale en cas d’offre de groupes étrangers. Ce droit de regard devient un droit de veto si l’opération projetée concerne plus de 25 % du capital [6]. Une réflexion du même ordre est en cours en France pour définir des règles de protection du capital des entreprises sensibles [7].
L’urgence d’étendre la consolidation européenne au-delà du domaine aéronautique-espace-électronique se fait plus vive, comme on le voit dans le secteur naval où l’idée d’un « EADS naval » va peut-être prendre une réalité dans la mesure ou les principaux groupes européens sont en train de se mettre en ordre de marche pour cette perspective : OEP a finalement revendu le chantier HDW à Thyssenkrupp permettant la constitution d’un ensemble allemand concentré ; mais le fonds américain a cependant gardé 25 % du nouveau groupe. En France, DCN a finalement exercé son option d’achat sur la part que Thales détenait dans leur filiale commune Armaris, se donnant les moyens d’un nouveau rapport de force avec le groupe d’électronique. En Grande-Bretagne, BAE Systems a confirmé qu’il étudiait la possibilité de vendre sa division navale (constructions sous-marines et bâtiments de surface), ce qui ouvre la voie aux propositions américaines (General Dynamics mais aussi Northrop Grumman) et européennes (Thales et DCN). [8]
La reprise des fusions-acquisitions
Ce mouvement s’est accompagné de plusieurs opérations industrielles significatives. Du côté des firmes italiennes : Alcatel Space et Alenia Spazio ont ainsi annoncé leur alliance dans les satellites, après de longues négociations. Cette alliance donne naissance à deux sociétés Alcatel Alenia Space (Satco), pour la réalisation des satellites et Telespazio Alcatel (ServCo) pour les services, l’ensemble avec 8600 salariés et 2,15 milliards d’euros de chiffre d’affaires se situant au troisième rang mondial derrière Lockheed Martin et Boeing, mais devant Astrium et Loral [9]. Pour sa part Finmeccanica a repris la totalité du capital d’AgustaWestland, la société commune d’hélicoptère qu’il avait créée en 2001 avec le britannique Westland. Cette décision est la mise en œuvre de la volonté de Finmeccanica de se renforcer dans la défense et de devenir le quatrième groupe européen. En Grande-Bretagne, BAE Systems a au dernier moment surenchéri sur l’OPA du groupe américain General Dynamics sur la fabricant britannique de blindés Alvis [10], portant ainsi un coup d’arrêt décisif à l’expansion US dans ce secteur.
En France, les opération s’accélèrent également avec la mise sur le marché d’une partie du capital de la Snecma (sur la liste des privatisables depuis 1993), et les décisions concernant la SNPE qui constituent une espèce de démantèlement : la société commune Héraklès pour la propulsion solide sera sous le contrôle opérationnel de Snecma qui récupère les activités défense et espace de SNPE, cependant que les activités civiles sont en cours d’alliances : après la création de Eurenco avec le suédois Saab et le finlandais Patria, les activités de production et de distribution d’explosifs civils vont être fusionnées avec l’allemand Wasag [11]. SNPE va donc devenir un holding de participations financières. Dans le même temps la DGA est réorganisée par le nouveau délégué, dans une orientation plus « commerciale ».
La période de demi-sommeil des années 2002-2003 est terminée. L’ensemble des structures de l’industrie européenne d’armement est à nouveau en mouvement d’adaptation aux conditions actuelles de la compétition stratégique mondiale.
Notes:
[1] AFP 14 juin 2004
[2] AFP 26 juin 2004
[3] [AFP 11 mai 204
[4] AFP 14 juin 2004
[5] Les Echos 23-24 janvier 2004
[6] AFP 6 mai 2004
[7] La Tribune 29 avril 2004
[8] AFP 1er avril 2004
[9] Air & Cosmos, 25 juin 2004
[10] Le Débat Stratégique N° 73, « Le premier constructeur européen d’armement terrestre va s’appeler General Dynamics »
[11] AFP 27 mai 2004