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18 de junio de 2004

Les scandales et l’économie néoliberale

 

Par Robert Brenner *

(I)

Le secrétaire d’Etat américain au Trésor Paul O’Neill a attribué les scandales financiers qui se multiplient à l’immoralité d’un «petit nombre de mécréants». Le Wall Street Journal a déjà établi une liste de 27 grandes sociétés qui sont en butte aux soupçons, liste qui inclut des firmes ayant pignon sur rue et/ou étant des étoiles du marché boursier en pleine ébullition telles Adelphia, AOL Time Warner, Bristol Meyers, Dynegy, Enron, Global Crossing, Kamart, Lucent Technologies, Merck, Qwest, Reliant Services, Rite Aid, Tyco International, Universal Vivendi, WorldCom et Xerox. Depuis que deux des plus importantes banques américaines, Citigroup et JP Morgan Chase, ainsi que Merrill Lynch ont été mises en examen pour des conduites criminelles, on est en droit de se demander ce que le secrétaire d’Etat O’Neill considérerait comme un grand nombre.

Cela est d’autant plus justifié que les pratiques de rapace de ces firmes, qu’elles soient ou non illégales dans chaque cas donné, participent sans discussion d’un processus endémique à l’Amérique du monde des affaires [l’Amérique des grandes firmes]. Les scandales attestent non seulement de l’époustouflant niveau de corruption individuelle, propre au capitalisme de copinage des Etats-Unis d’aujourd’hui, mais aussi de problèmes systémiques de l’économie réelle.
C’est parce que l’épidémie de fraudes ne reflète pas seulement une préméditation avec intention délictueuse des dirigeants d’entreprise, mais qu’elle traduit la mauvaise santé objective des grandes firmes elles-mêmes que cela a porté un coup aussi fort sur la confiance des investisseurs et des marchés boursiers.
Des profits qui déclinent, des actions qui s’envolent

Les fraudes comptables des sociétés sont le produit direct d’un boom économique américain profondément biaisé, entre 1995 et 2000, un boom qui a été fortement stimulé par un envol historique du prix des actions - et non l’inverse. La raison en était simple: camoufler la réalité d’une tendance des profits des entreprises de plus en plus sombre.
En offrant l’apparence de gains sans cesse en expansion, les livres de comptes truqués permettaient au cours des actions de continuer à grimper. Cela autorisait les sociétés de lever des capitaux [en émettant des actions, en utilisant la capitalisation boursière comme collatéral pour des crédits bancaires] et d’accroître l’investissement en l’absence de profits. Les PDG pouvaient amasser des fortunes fabuleuses grâce aux stock-options [options sur titres; supplément de rémunération des cadres dirigeants d’entreprise qui repose sur la cession par l’entreprise d’options sur ses actions, avec la possibilité d’achat et de vente pouvant permettre des profits considérables], même si leur firme tanguait vers la faillite et que les surcapacités [de production, c’est-à-dire les capacités de production non utilisées] augmentaient dangereusement. La bulle historique du cours des actions allait donc se gonfler encore plus et le boom des investissements inadéquats [surinvestissement par rapport aux débouchés] s’accroître, rendant le krach qui s’ensuivra et la récession d’autant plus sévères.
Entre 1997 et 2000, au moment même où l’expansion économique américaine tant vantée avait atteint son sommet, les profits des sociétés en termes absolus et en taux de retour sur le stock de capital (bâtiments, équipement, programmes informatiques, etc.) dans le secteur non financier de l’économie chutaient fortement: de 15 à 20% selon les chiffres révisés, dans les deux cas de figure.

Dans des circonstances normales, en conséquence du déclin des profits et de la rentabilité, les firmes se seraient retrouvées elles-mêmes avec des surplus réduits à disposition tout en obtenant moins de fonds de l’accumulation du capital pour chaque dollar investi. Elles auraient aussi connu une incitation plus petite à investir dans la mesure où le taux de profit réalisé constitue pour les sociétés la jauge fondamentale pour anticiper la dynamique du taux de profit attendu. La croissance des investissements aurait donc diminué et l’expansion économique aurait connu une décélération.
Toutefois, tel qu’il en alla, même alors que les profits déclinaient, le cours des actions grimpait jusqu’au ciel. En 1995, afin d’empêcher une récession du secteur manufacturier du Japon de se transformer en un écroulement, les Etats-Unis furent obligés d’opter pour une politique du dollar élevé (délaissant ainsi la politique d’un dollar bas qui avait été adoptée au cours de la décennie précédente). Une crise du Japon n’aurait pas seulement menacé sérieusement la stabilité de l’économie mondiale, mais, étant donné la masse des dettes américaines détenues par les créanciers japonais, elle aurait pu conduire les Etats-Unis à élever les taux d’intérêt [pour que les prêteurs japonais ne se défassent pas de leurs obligations américaines], précipitant de la sorte une récession.
Aussi bien comme cause que conséquence d’un dollar à la hausse, l’argent en provenance du monde entier se déversa sur les Etats-Unis, poussant à la baisse les taux d’intérêt à long terme et déclenchant le premier mouvement à la hausse du cours des actions [si les taux d’intérêt obligataires sont bas, les investisseurs se déplacent vers le marché des actions, si celui-ci n’apparaît pas fragile]. Alan Greenspan [président de la Fed, banque centrale américaine] a prolongé la fête en refusant d’élever les taux d’intérêt à court terme durant quatre ans et en facilitant le crédit [en permettant des injections de crédit en donnant des assurances aux banques] en réponse à chaque crise [1997, 1998, etc.]. Les firmes du secteur non financier en particulier ont profité de ce régime de crédit à bon marché, en empruntant massivement afin de racheter leurs propres actions dans des quantités énormes, poussant ainsi à la hausse leur cours.
En conséquence de l’envolée impétueuse du cours de leurs actions, les firmes étaient capables d’échapper à la réalité amère du déclin de leur rentabilité [du retour sur investissement]. Elles pouvaient accéder à des capitaux avec une facilité sans précédent, soit en émettant des actions à des prix gonflés jusqu’au ridicule, soit en empruntant aux banques, en ayant comme collatéral [garantie] la masse des actions au prix surévalué.

Lorsque le siècle arrivait à sa fin, les emprunts et les dettes des sociétés, aussi bien que l’émission d’actions, avaient atteint des sommets jamais franchis par le passé. Comme le marché boursier ne cessait de s’enfler, les ménages riches voyaient aussi croître leurs actifs mobiliers [actions, obligations, etc.] de façon astronomique. Ils pouvaient ainsi réduire leur taux d’épargne pratiquement à zéro, accroître leur consommation et permettre aux firmes de vendre leur production augmentant rapidement à cause de leurs investissements soutenus dans les équipements, les systèmes informatiques...

Pour faire court, «l’effet de richesse» d’un marché boursier en hausse se concrétisa par un record d’emprunts des firmes comme des consommateurs et par des émissions d’actions sans précédent permettant aux sociétés de maintenir un puissant boom d’investissement tout au long des années 1990. Sur la base de cette ascension de l’investissement, la croissance du produit intérieur brut, de l’emploi et même des salaires s’est accentuée jusqu’au milieu de l’année 2000.
L’entourloupette, évidemment, réside dans le fait que des profits croissant rapidement sont normalement nécessaires non seulement pour financer et susciter des investissements accrus, mais aussi, un jour ou l’autre, pour justifier et soutenir des cours d’actions qui s’envolent. Or, des profits en hausse, c’était précisément ce qui manquait. Face à cette faillite des «fondamentaux» [taux d’investissement, taux de profit, etc.], les directeurs des grandes sociétés se trouvaient sous une pression décuplée afin de maintenir, par tous les moyens, le cours des actions au plafond.

Et dans la mesure où une partie de leur rémunération était très liée à la valeur de leurs options sur titres, ils faisaient face à une tentation irrésistible à agir de la sorte.

Lorsque la crise des profits et de la rentabilité s’est accrue, une grande société après l’autre - spécialement dans la «nouvelle économie», c’est-à-dire le secteur de la technologie, des médias et des télécommunications (TMT) - a simplement falsifié ses comptes afin d’exagérer ses gains à court terme et de gonfler le cours des actions de la société.
Ces sociétés ont reçu une aide frisant l’héroïsme de la part des grandes banques généralistes de Wall Street qui récoltaient d’énormes commissions pour organiser l’émission d’actions, le lancement d’emprunts obligataires et agencer des rachats et fusions. Si les sociétés utilisaient les services des banques d’investissement, en contrepartie des crédits seraient mis à leur disposition.
Ces firmes se sont aussi assuré l’aide inestimable «d’analystes financiers» des banques, qui pronostiquaient des perspectives de revenu aux acheteurs potentiels afin de pousser à la hausse le cours des actions. Nous ne mentionnerons pas les cabinets d’audit «indépendants» qui en sont arrivés à servir de consultants pour des investissements [pour l’essentiel sur le marché boursier] au même moment où ils étaient supposés contrôler les livres de comptes des sociétés.

Il n’est pas possible de ne pas souligner que le gouvernement lui-même a pavé la voie pour l’effervescence de la créativité de ces sociétés d’audit. Au début des années 1980, dans la perspective explicite de restaurer le pouvoir et le profit du secteur financier américain qui avait été fortement frappé par une inflation montante et une faible demande de crédit au cours des années 1970, le gouvernement fédéral a systématiquement démantelé le système de régulation financière qui avait été mis en place à l’occasion du New Deal, suite à la dernière grande bulle spéculative et à son explosion [crise de 1929 et mesures prises par l’administration Roosevelt dès 1933].

En éliminant la régulation et les normes qui avaient pour fonction de prévenir des formes spécifiques de corruption et de conflits d’intérêts [par exemple, en ayant à la fois la fonction de contrôleur et de conseiller en placement] qui récemment sont devenues si courantes, le gouvernement a réussi au-delà de ses rêves les plus audacieux. En l’an 2000, les profits du secteur financier, en pourcentage du total des profits des sociétés, a atteint la barre des 20%, le taux le plus élevé de tous les temps.
Le maquillage des bilans des compagnies a aidé à la poursuite de l’expansion, mais jusqu’à un certain point. Lorsque la réalité de la défaillance des profits s’est petit à petit imposée en 2000 et 2001, le cours des actions a atteint son sommet, les investisseurs se sont peu à peu réveillés et le cours des actions s’est retourné. Alors, l’effet de richesse, lié à la hausse boursière, s’est inversé. Les emprunts et les émissions d’actions des firmes se sont contractés. Les investissements dans de nouvelles entreprises et biens d’équipement déclinèrent. Le chômage prit l’ascenseur. L’économie s’engagea dans une récession. Et la direction collective de l’Amérique des affaires pouvait prendre en dérision les banques.
Enron sert d’exemple

Le cas Enron est paradigmatique [voir à l’encontren° 4, disponible sur le site rubrique Archives]. Comme presque tout le monde le sait maintenant, les managers d’Enron ont mis hors bilan une après l’autre des filiales afin de camoufler leurs gigantesques dettes et ainsi de dilater frauduleusement leurs gains.
Cela a été possible parce que Arthur Andersen, peut-être le cabinet d’audit le plus important des Etats-Unis, a couvert leurs vols, sans doute encouragé à le faire à cause du million de dollars par semaine qu’il recevait d’Enron pour ses honoraires de consultant. Au cours des dernières années, lesdites grandes cinq firmes d’audit ont fait trois fois plus d’argent en exerçant le «métier de consultant» qu’en exerçant celui de contrôleur des comptes.

Les gains artificiellement gonflés ont assuré la hausse des actions, permettant à la société de se développer et aux dirigeants initiés [c’est-à-dire au courant de la réalité] d’obtenir des rémunérations gigantesques en vendant leurs actions [avant le retournement]. Au cours de la brève période entre janvier 1999 et décembre 2001, dix des principaux actionnaires se sont fait un pactole de plus d’un milliard de dollars en se débarrassant de leurs actions; 221,3 millions de dollars et 70,7 millions, respectivement, pour le PDG Kenneth Lay et le directeur Jeffrey Skilling.
Les employés de la firme et les actionnaires se sont retrouvés, évidemment, devoir payer presque totalement les coûts de ce gigantesque écroulement. Lorsque la capitalisation boursière [produit du nombre des actions par leur cours boursier] a basculé, passant de 70 milliards de dollars à zéro, en substance, les employés d’Enron ont perdu leur épargne et leurs retraites - qu’ils avaient été poussés à détenir sous forme d’actions d’Enron - au même moment où ils étaient licenciés.

Ce qui a été mis en lumière, plus récemment, est le rôle de partenaire indispensable joué par Citigroup et J.P. Morgan Chase - première et deuxième banque des Etats-Unis - au côté de Merrill Lynch [autre grande banque], pour mettre en place les comptes outrageusement truqués d’Enron. Ce gigantesque conglomérat financier a créé un ensemble de compagnies écrans [des coquilles vides] offshore [délocalisées hors du territoire des Etats-Unis] dans le seul but de fonctionner comme des simulacres de partenaires pour le négoce d’énergie et pour aider Enron à camoufler son endettement.

Les compagnies coquilles vides ont ainsi pu effectuer des prêts bancaires à Enron à hauteur de 8 milliards de dollars en six ans. Toutefois, dans la comptabilité, ces prêts apparaissaient comme des versements pour des achats. Peut-être que l’exemple le plus étonnant de ces manipulations fut "l’achat" de trois centrales électriques montées sur des péniches [barges] stationnée sur la côte du Nigeria, par Merrill Lynch en décembre 1999, pour la somme de 12 millions. Cela a permis à Enron de passer dans ses comptes un profit supplémentaire de 12 millions dans son rapport financier de fin d’année [important pour soutenir le cours des actions]. En échange Merrill Lynch recevait d’Enron une commission de 250000 dollars et 15% d’intérêt sur ce qui était en réalité un prêt devant être remboursé dans les six mois. En effet, à cette échéance, Merrill Lynch rendait les barges au partenaire contrôlé par Enron: la société LJM2.

Au travers de telles opérations Enron présentait ce qui était en fait des dettes comme des actifs [des avoirs], sous-évaluant ses dettes de 40% et surévaluant sa marge brute d’autofinancement [cash flow] de 50%; de la sorte Enron rehaussait la position de ses actions et sa capacité d’emprunteur. De leur côté Citigroup et J.P. Morgan Chase ramassaient 200 millions en commission pour leur peine et, de façon tout sauf étonnante, manigancèrent des combines similaires pour plus de 20 sociétés en première ligne dans le secteur de l’énergie.

Citigroup ne reste pas assise paresseusement et n’attend pas de payer les pots cassés pour avoir prêté à une société en train de courir à la faillite. En mai 2001, comme Enron tombait dans l’oubli - un fait que la Citigroup, mieux placée que quiconque, pouvait fort bien comprendre - la banque lance un grand emprunt obligataire pour Enron. Pour cette raison, dans tout le pays des fonds de pension [qui avaient acheté des obligations, c’est-à-dire des titres de la dette d’Enron] poursuivent en justice Citigroup. Avec Merrill Lynch et J.P. Morgan Chase, Citigroup est l’objet d’une enquête menée par une commission du Congrès [le législatif américain] et du procureur général de l’Etat de New York.

La grande arnaque des télécoms

Quelques-unes des plus grandes étoiles de l’industrie des télécommunications ont suivi le chemin ouvert par Enron - depuis la frénésie financière en passant par l’accroissement frauduleux des profits pour terminer avec la faillite - mais à une échelle encore bien plus gigantesque et avec des répercussions d’une ampleur incommensurablement plus grande pour l’économie.
Etant donné la place centrale occupée par ces firmes dans le cœur même de ladite révolution technologique, leurs manigances ont joué un rôle disproportionné dans le gonflement de la bulle boursière au cours de dernières années les plus effrénées. De la sorte, elles ont accru les surcapacités, précipitant le krach du marché boursier et stimulant la récession qui s’ensuivit. L’expérience des télécommunications, peut-être plus que celle de toutes les autres branches, est emblématique de la montée et de la chute de ces frères siamois: la bulle des marchés boursiers et la «nouvelle économie».

L’entrée en vigueur de l’Acte sur les télécommunications en 1996, qui a dérégulé le marché des télécommunications, l’ouvrant à toutes les nouvelles firmes [les nouveaux venus dans le secteur], a créé les conditions nécessaires pour le déchaînement observé dans cette branche. Une phalange de nouveaux venus s’y est précipitée. Ils espéraient accumuler des gains grâce à une expansion sans interruption de l’Internet et - sous l’effet de ce qu’ils envisageaient comme ce qui constituerait leur supériorité technologique - d’arracher des parts de marché de firmes bien établies, des colosses tels que Deutsche Telekom, NTT, AT&T et Verizon.
En s’étant déployées au moyen de fusions et d’acquisitions, à un rythme très soutenu, ces firmes cherchaient à obtenir l’appui des marchés boursiers, qui sont éblouis par le taux de croissance et le volume, ce qui poussait à la hausse le cours des actions et, sur cette base, assurait les financements nécessaires pour une croissance encore accrue. Ce fut l’un des multiples montages à la Ponzi [Ponzi était un escroc américain qui réussit à obtenir, dans l’après-première guerre mondiale, 15 millions de dollars de 40000 investisseurs, leur promettant de doubler leurs investissements en 90 jours... au début il payait les intérêts avec l’argent des nouveaux entrants; il fut arrêté en 1920] qui ont aidé à impulser l’économie.

Les sociétés de télécommunications qui surgissaient installaient des dizaines de millions de kilomètres de câbles optiques à travers les Etats-Unis comme sous les océans, recevant pour le faire l’aide indispensable des banques d’investissements de Wall Street et de leurs dits "analystes du secteur des communications".
Les banques s’occupèrent du lancement des emprunts obligataires et de l’émission des actions. Les analystes, comme conseillers en investissement, encourageaient les firmes à s’engager dans la course des fusions et des acquisitions qui seraient montées, évidemment, par les banques d’investissement pour lesquelles ils travaillaient. Pendant ce temps, des «analystes financiers», s’affirmant ostensiblement indépendants, faisaient tout pour assurer que les actions de ces sociétés soient attractives en diffusant une information à un public crédule, sur la base non pas des profits des sociétés mais de leur croissance et de leur surface et, y compris, du nombre de lignes [de câbles] qu’elles avaient installées. Les firmes reconnaissantes pouvaient récompenser les banques en leur confiant de nouveaux mandats.
Dans ce processus de promotion, Salomon Barney Smith, la banque d’investissement de Citigroup, a joué un rôle d’avant-garde, sous la direction de leur analyste du secteur des communications, le bien nommé Jack Grubman [allusion au terme américain: grubstakequi est une avance faite à un prospecteur] . Après l’adoption du Telecom Act [en 1996], Salomon a aidé 81 sociétés de télécommunication à rassembler 191 milliards de dollars sous la forme d’obligations ou d’actions. Pour cet effort, Salomon a perçu des centaines de millions en commissions pour avoir organisé ces souscriptions et des dizaines de millions pour avoir conseillé ces firmes pour des opérations de fusion et d’acquisition.
Ce fut particulièrement le cas pour les étoiles que Salomon plaçait collectivement au firmament, en particulier les bientôt célèbres firmes: World.com, Global Crossing et Qwest [qui connaissent la déconfiture et des poursuites pour diverses malversations]. Salomon a réuni, respectivement, pour ces trois firmes, des capitaux à hauteur de 24,7 milliards de dollars, 5,4 milliards de dollars et 5,6 milliards de dollars. Salomon a touché respectivement les sommes de 140,7 millions, 83,8 millions et 34,4 millions de dollars en commissions.
Salomon et Grubman n’étaient pas de loin - et cela doit être souligné - les seuls à accomplir de tels efforts. Manifestant ce comportement moutonnier, qui les rend à juste titre odieux, les banquiers et les «analystes financiers» se ruèrent afin de tous participer à ces opérations. Ils ont arrosé le secteur des télécommunications avec bien plus de capitaux qu’il eut été raisonnable d’y investir, en mettant, de fait, l’expansion en surrégime et, de la sorte, en faisant exploser les surcapacités.
Les managers de fonds [ceux qui dirigent des fonds de placement] étaient tous sujets à la même dynamique de foule. Ceux qui restaient sur le côté risquaient de n’être pas aussi performants que leurs concurrents; ainsi les investisseurs institutionnels [entre autres les fonds de pension] ont fini par acheter des actions des sociétés de télécommunication, comme s’il n’y avait pas de lendemain, poussant ainsi leur cours à des hauteurs inconnues par le passé.
Il va sans dire qu’Alan Greenspan et la FED [Greenspan est le président de la FED: banque centrale américaine] ainsi que la SEC [Securities and Exchange Commission: commission des opérations de bourse et de change chargée de contrôler si les «règles» du marché sont respectées] n’ont absolument rien fait pour intervenir face à cette bulle en pleine dilatation. Ils fermaient les yeux sur les fraudes commises par les grandes firmes, ce qui, nous le savons, à contribuer à ce gonflement. Ils ne désiraient pas mettre en danger l’envol du marché boursier qui constituait la seule force expansive de l’économie réelle.

(II)

Au printemps 2000, au point culminant de l’essor du marché boursier, bien que les entreprises de télécommunication ne participent qu’à hauteur de 3% au Produit intérieur brut (PIB), leur capitalisation boursière - le cours des actions des entreprises multiplié par le nombre d’actions donne la «valeur» de la capitalisation boursière - avait atteint la somme stupéfiante de 2,7 mille milliards (billions) de dollars, soit presque 15% du total des entreprises du secteur non financier.

Avec un collatéral [un avoir qui offre une sécurité, une contrepartie, pour un prêteur] d’une ampleur aussi grande, les télécoms pourront emprunter sans limite. Entre 1996 et 2000, elles obtiendront des prêts bancaires totalisant 1,5 mille milliards (billions) et émettront des obligations pour une valeur de 600 milliards. Sur cette base, elles furent capables d’accroître l’investissement au cours de cette période en termes réels - c’est-à-dire en dollars de 1996 - à un taux annuel moyen de plus de 15% et d’augmenter de 331000 le nombre d’emplois.

Le problème était, évidemment, que tous faisaient de même. En 2000, pas moins de six firmes américaines, en concurrence les unes face aux autres, construisaient de nouveaux réseaux de fibre optique à l’échelle des Etats-Unis. Des centaines mettaient en place de tels réseaux à l’échelle locale et plusieurs plaçaient des câbles optiques sous les océans. Tout compris, il y a 62,8 millions de kilomètres de câbles en fibre optique qui s’enchevêtrent sur toute la planète, assez pour entourer 1570 fois le globe. Le sous-produit inévitable de cela fut l’apparition d’une gigantesque capacité excédentaire, le taux d’utilisation de réseaux de télécommunications traîne à un niveau extrêmement bas - 2,5 à 3% - et celui des câbles sous l’océan atteint tout juste 13%.

Dans de telles conditions, dégager des profits devenait, de fait, impossible. Même si le cours des actions grimpait jusqu’au ciel et si l’achat de nouvelles sociétés, de nouveaux équipements et de nouveaux logiciels croissait encore plus vite, les profits des firmes de télécommunication plongèrent en enfer. D’un record ayant atteint 35,2 milliards en 1996, l’année de la dérégulation, les profits (après paiement des intérêts de la dette de sociétés) dans l’industrie des télécoms plongèrent à 6,1 milliards en 1999, puis vers des pertes cumulées s’élevant à 5,5 milliards en 2000, particulièrement lorsque les montants des intérêts à payer sur la dette du secteur explosèrent.

Face à cette situation marquée par des investissements en hausse, des dettes qui explosent, des retours sur investissement à la baisse [rentabilité, qui peut être mesurée, par exemple, en comparant la valeur ajoutée à la masse des capitaux engagés], la pression pour soutenir le cours des actions était encore plus infernale et la tentation de gonfler les profits par le biais de pratiques comptables frauduleuses était, semble-t-il, irrésistible. Ici, l’écurie des étoiles montantes des télécoms de la banque Salomon a montré la voie. Global Crossing et Qwest ont commencé, de façon courante, à «opérer une gestion sous forme d’aller et retour», offrant à leurs concurrents leur propre réseau en leasing [crédit-bail], achetant en leasing des réseaux équivalents de leurs concurrents pour compenser [le manque de capacité de leurs réseaux] et enregistrant les revenus du leasing de leur réseau comme un gain, alors qu’elles enregistraient dans leur comptabilité leurs dépenses de leasing en les étalant sur de nombreuses années, comme s’il s’agissait d’un amortissement d’équipement.

Par cette méthode, les deux sociétés ont gonflé leurs revenus d’au moins un milliard en 2001, une somme très certainement beaucoup plus grande que les profits enregistrés par les deux. Ces firmes font maintenant l’objet de poursuites pénales; toutefois, cela en dit long sur la nature de la «surveillance» du gouvernement au cours de cette période, car ce n’est qu’en août 2002 que la SEC a explicitement rendu illégals de tels «swaps» [accords croisés].
Les crimes de Global Crossing et de Qwest apparaissent certes comme des peccadilles comparés au vol gigantesque commis par WorldCom. WorldCom a réécrit, pour ainsi dire, le manuel de la fraude pour les entreprises. Selon les dernières données disponibles - et très certainement des indications seront révélées - WorldCom, entre 1999 et 2001, a surestimé ses revenus de 7,2 milliards. Il a obtenu ce résultat largement (bien que pas entièrement) grâce à la simple ruse avec laquelle il a traité ses dépenses courantes, telles que les salaires, en les comptabilisant comme étant des paiements des biens en capitaux [équipement]. WorldCom pouvait ainsi les comptabiliser comme amortissement et repousser dans le futur leur enregistrant comptable en tant que coûts dans le bilan de la compagnie.
Interrogé lors d’un audit interne - peu avant que la fraude soit rendue publique - sur la façon dont il pourrait justifier le traitement des dépenses de la société face à la SEC, l’expert-comptable de WorldCom, David Myers, reconnaissait qu’il «avait espéré que cela ne devrait pas donner lieu à une explication». Il répliquait, d’autre part, que si les coûts de la société n’étaient pas d’une façon ou d’une autre réduits, «elle [WorldCom] pourrait tout aussi bien fermer ses portes».

Ce ne devrait pas être tout à fait étonnant que le cabinet d’audit de WorldCom était Arthur Andersen. Il est évident, à partir de documents internes à la société remontant à l’année 2002, qu’un dirigeant de WorldCom avait notifié à Andersenque la compagnie gonflait ses profits en comptabilisant de façon incorrecte ses dépenses. WorldCom a, sans grande conviction, dénié cela et justifié son manquement au devoir en se plaignant - de façon par trop symptomatique - que le directeur financier de WorldCom,ScottSullivan, qui avaitmis au point la fraude«ne s’était pas mis d’accord avec Andersen sur le traitement de la comptabilité».
Jack Grubman de la banque Salomon continuait à maintenir sa recommandation «acheter» sur le titre WorldCom jusqu’à quatre jours avant que l’escroquerie de plusieurs milliards soit publiquement dénoncée.

En été 2000 a commencé un défilé sans fin de rapports désastreux sur les gains des sociétés. Dès lors, la débâcle commença. En 2001, les profits de l’industrie des télécommunications chutèrent de 6% par rapport à l’année précédente, et de 9,3% supplémentaires cours du premier trimestre de 2002 (chiffres calculés sur une base annuelle). A la mi-2002, le cours des actions des télécoms avait chuté de 95%; avec le résultat suivant: 2,5 billions de capitalisation boursière étaient partis en fumée. La dette du secteur des télécommunications s’élevait à 525 milliards. Ce qui équivaut presque au triple de la valeur des junk-bonds [obligations hautement spéculatives] à la fin des années 80 et du coût du renflouement des Savings and Loan [caisses d’épargne]. Dans ce contexte, les scandales ont frappé aussi fort le marché boursier et l’économie non pas à cause de ce qui était révélé sur le comportement moral des dirigeants de société, mais parce que ces scandales avaient confirmé les pires suspicions des investisseurs sur la rentabilité en dégringolade des firmes. La divulgation de la fraude de WorldCom a eu un effet particulièrement dévastateur sur les marchés parce que était mis en lumière parfaitement qu’une des sociétés des télécoms connaissant apparemment le plus de réussite n’avait enregistré aucun profit que ce soit en 2000 ou 2001 (et de façon plus que probable de même en 1998 et 1999). WorldCom «semblait disposer d’une sorte de formule secrète lui permettant de faire montre d’une rentabilité honorable là où ses concurrents ne le pouvaient pas». Mais lorsque cette illusion s’est évaporée, la bulle spéculative des télécommunications a aussi éclaté.
Tout de même, il ne faudrait pas penser que les entrepreneurs à l’origine du fiasco des télécoms étaient si maladroits au point de se faire prendre dans le carnage financier qu’ils laissaient derrière eux.

Entre juillet 2000 et juillet 2002, le cours des actions de Qwest Telecommunications de Qwest chuta de 97% [à son sommet, elle cotait à 57,78 dollars], laissant la société au bord de l’effondrement. Mais cela n’a pas eu d’effet sur le fondateur de Qwest Philip F. Anschutz, qui devient un des PDG en faillite le plus prospère en ramassant 1,9 milliard de dollars grâce à la vente de ses actions Qwest. Le PDG de Qwest, Joseph Nacchio, a empoché de même plus de 248 millions de dollars en vendant ses actions, avant d’être mis à la porte en juin 2002.

Global Crossing se déclara en faillite début 2002, cinq ans seulement après sa création en 1997 et seulement deux ans après que sa capitalisation boursière eut atteint le sommet de 47 milliards de dollars. Néanmoins, le président de la société, Gary Winnick, avait été entraîné pour son rôle à venir dans les télécommunications en vendant des junk-bonds dans les années 80 avec Michael Milken [inventeur, en quelque sorte, des junk-bonds lorsqu’il travaillait chez Drexel Burnham Lambert; ses gains étaient impressionnants, il déclara 550 millions de revenu pour la seule année 1987; il fut poursuivi par la SEC et condamné à la prison en 1990; depuis lors, il s’est recyclé comme philanthrope et enseignant; il fut un des brillants intervenants du Forum de Davos]. Gary Winnick a été capable de placer pour 734 millions d’actions qui étaient calées sur un investissement de 20 millions. [...]

WorldCom fit faillite en été 2002 [protégée par le chapitre 11, WorldCom peut continuer ses activités, de fait la société aux mains des créanciers]. Mais son ancien PDG Bernie Ebbers fut capable d’«emprunter» 400 millions à sa société, somme qu’il lui doit toujours. Le PDG actuel, John Sidgemore, a ramassé 87 millions de dollars grâce à la vente de ses actions. Malgré ces prouesses comptables, le directeur financier Scott Sullivan fut capable de s’assurer des revenus à hauteur de 49 millions de dollars, en additionnant salaire et vente d’actions, cela avant sa récente arrestation.

Les «barons de la faillite» susmentionnés sont sans doute près ou au sommet de leur catégorie. Mais en aucune manière ils ne sont atypiques. Comme le Financial Times[qui a publié plusieurs dossiers fournis sur la crise des télécommunications] l’a démontré, les cadres dirigeants des 25 plus importantes sociétés américaines cotées en Bourse ayant fait faillite depuis janvier 2001 s’en sont sortis avec des fortunes totalisant 3,3 milliards de dollars.
Mais tout cela n’est qu’un pâle reflet de la redistribution titanesque de la richesse conduite par les dirigeants des grandes firmes américaines au cours des années 90. Entre 1997 et 2001, les initiés de l’industrie des télécommunications ont accaparé pour 18 milliards de dollars d’actions et se sont défait de la moitié en 2000, c’est-à-dire l’année où le cours des actions des sociétés de télécommunications avait atteint son sommet. Entre 1995 et 1999, la valeur des stock-options offerts aux dirigeants de sociétés a plus que quadrupler, passant de 26,5 milliards à 110 milliards, un chiffre équivalant à un cinquième du total des profits (avant paiement des intérêts) des sociétés du secteur non financier pour l’année 1999.

En 1992, les PDG des sociétés détenaient 2% du total des actions des firmes américaines. Aujourd’hui, ils en possèdent 12%! Cela doit être parmi les actes les plus spectaculaires d’expropriation par les expropriateurs dans l’histoire du capitalisme. Karl Marx en aurait été impressionné.

La débâcle des télécoms

La raison économique de la grande bulle spéculative des télécoms résidait dans l’attente que la demande de services Internet croîtrait de façon plus ou moins exponentielle, aboutissant à une expansion comparable de la demande au plan des capacités du réseau. Le développement sans fin du secteur des télécoms qui était censé en résulter a constitué, à son tour, la justification pour une explosion parallèle dans le secteur de l’équipement, puis dans le secteur des composants pour les équipementiers en télécommunications. La déroute, lorsqu’elle advint, passa donc des dot.com (société commerciale qui offre ses produits ou services exclusivement sur la toile) à celui des télécoms, à celui des constructeurs d’équipement et à celui fournisseurs de composants.

Le boom des dot.com s’avéra évidemment une bulle spéculative aussi grande que celle des télécoms. Malgré leur contribution infinitésimale au PIB, la capitalisation boursière des firmes Internet a atteint le 8% de la capitalisation des sociétés lorsque le cours des actions était à son plus haut point. Mais la réalité était que la plupart de ces sociétés faisaient des pertes et que le petit nombre qui faisaient des profits voyaient le rapport coûts-bénéfices de leurs actions à un niveau impossible [le cours boursier divisé par le bénéfice par action - le price earning ratio - signifie que la Bourse anticipe avec un très grand optimisme les résultats futurs de la société].

Sur un échantillon de 242 sociétés Internet étudiées par l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), seulement 37 déclaraient des profits au cours du troisième trimestre de 1999. Et sur ces dernières, deux sociétés accaparaient le 60% du total de ces profits. Pour 168 de ces sociétés, sur lesquelles des données comptables détaillées étaient disponibles, les pertes enregistrées au troisième trimestre 1999 s’élevaient à 12,5 milliards de dollars. Néanmoins, cela n’empêchait pas leur capitalisation boursière de s’élever à 621 milliards. Il n’est dès lors pas surprenant qu’au printemps 2000, dans le sillage de leurs pertes continues, de nombreuses sociétés dudit e-business se trouvaient au bord d’un manque complet de liquidités. Le krach et l’effondrement de l’industrie arrivèrent peu après.

L’éclatement de la bulle spéculative Internet fut le catalyseur de la débâcle des télécommunications qui commença au milieu de l’année 2000. Dans la mesure où les télécommunications participaient pour une part si disproportionnée dans l’accumulation du capital, les contrecoups de leur effondrement furent immenses. En 2000, le secteur des télécoms participait à hauteur de 12% des dépenses d’investissement de l’économie américaine et comptait pour un quart dans la croissance de ce type d’investissements. En 1999-2000, les investissements des télécommunications ont augmenté à un taux annuel d’environ 10%; mais en 2001, ils ont chuté probablement de plus de 20%.
Dans la courte période entre la fin de 2000 et le milieu de 2002, plus de soixante sociétés firent faillite. Le secteur des télécommunications licencia plus de 500000 travailleurs, ce qui équivalait à plus de 50% de ceux embauchés au cours de l’expansion spectaculaire allant de 1996 et 2000. En comparaison, il fallut à l’industrie automobile deux décennies entières pour liquider 732000 emplois.

Les sociétés de télécommunications ont acheté des équipements de réseau pour assurer le trafic Internet, des serveurs pour héberger des sites Web, les logiciels pour assurer de multiples des services, de la fibre optique pour transporter des masses de données. Le déclin de leurs commandes a donc frappé la rentabilité des investissements de leurs fournisseurs. Cela a touché quasiment toutes les vedettes du boom de la high-tech (haute technologie) dont la majorité a connu un écroulement catastrophique du cours de leurs actions et de leur situation financière; parmi elles, on compte les quasi-légendaires le Cisco Systems, Lucent, Nortel et Motorola.

Lorsque les principaux équipementiers furent conduits dans l’impasse suite à la chute de la demande, ils ne pouvaient pas éviter de porter un coup sérieux aux producteurs de composants qui les approvisionnaient, y compris les producteurs de semi-conducteurs. Ainsi, des sociétés adulées par la Bourse telles que JDS Uniphase et Sycamore ont mordu la poussière. L’industrie des semi-conducteurs, touchée durement par l’écroulement des ventes d’ordinateurs aussi bien que par l’affaissement des télécoms est entrée dans sa pire dépression depuis le début des années 80. Tout compris, les réactions provoquées par le retournement du secteur des télécoms ont été responsables d’un quart du recul de la croissance économique entre le premier semestre de 2000 et le premier semestre de 2001, et dès lors, les répercussions du retournement de ce secteur ont eu un impact disproportionné sur la récession de l’économie américaine intervenue en 2001.

«La fin des années 90 n’a jamais existé»

La crise de surproduction et l’écroulement des cours boursiers dans les télécoms se sont produites conjointement - et dans une certaine mesure se sont superposées - avec une crise parallèle dans tout le secteur des hautes technologies, incluant celui des ordinateurs et des semi-conducteurs. La profondeur de cette crise est révélée par une analyse du Wall Street Journal portant sur 4200 sociétés répertoriées sur l’index du Nasdaq [système informatisé qui informe les courtiers des Etats-Unis d’un certain nombre de valeurs mobilières, entre autres celles du secteur dit des hautes technologies], qui représente le cúur de ladite «nouvelle économie». Pour ces sociétés, les pertes au cours des douze mois allant du 1er juillet 2000 au 30 juin 2001 s’élevèrent à pas moins de 148,3 milliards de dollars, c’est-à-dire un peu plus que les 145,3 milliards de profits que ces sociétés avaient annoncés au cours de la toute la période allant de septembre de 1995 à juin 2000!

Comme un économiste l’a dit de façon concise: «Ce signifie, avec l’avantage d’un point de vue rétrospectif, que la fin des années 90 n’a jamais existé.» Si l’on prenait en compte les revenus de ces mêmes sociétés depuis que l’étude susmentionnée a été faite, si l’on rectifiait les données en tenant compte des annonces exagérées de profits par beaucoup d’entre elles, la tendance apparaîtrait certainement encore bien pire.

Une fois prise en compte la profondeur de la crise de profitabilité, l’extension des manipulations de la comptabilité des sociétés pour enfler les revenus est pleinement expliquée, spécialement lorsque l’on prend en compte les possibilités de diffusion de la désinformation fournie par des normes comptables de Wall Street. Les sociétés utilisent en fait n’importe tous les trucs comptables pour gonfler les revenus «pro forma» (c’est-à-dire les résultats donnés chaque trimestre aux actionnaires et au monde de la finance), avant de fournier leurs gains réels, calculés selon les normes strictes GAAP (Generally Accepted Accounting Practices), à la SEC quelque temps plus tard.
Il est inutile de dire que ce système de double état des comptes suscite des abus, tels que exagérer des gains à court terme afin de soutenir le cours des actions durant un temps suffisamment long pour que des initiés [personnes ayant connaissance de la situation réelle] puissent se défaire de leurs actions. Que presque toute l’Amérique des affaires ait tiré profit de cette situation a été amplement prouvé par une récente étude de SmartStockInvestor.com. Pour les trois premiers trimestres de 2001, 100 sociétés composant le Nasdaq 100 ont annoncé des profits à hauteur de 19 milliards de dollars, à l’occasion des annonces de résultats trimestriels, alors que ces mêmes 100 sociétés, selon les normes GAAP, ont déclaré des pertes de 82 milliards à la SEC, pour la même période. Soit un peu plus de 100 milliards de moins! (Pour la même période, Microsoft, Intel, Cisco Systems, oracle et Dell, pris ensemble, ont gonflé leurs profits par un facteur trois.)

La crise des hautes technologies s’est déroulée dans un contexte plus ample de crise de l’économie américaine, qui était déjà poussée à la baisse par les surcapacités et la surproduction dans le secteur manufacturier international. Entre le sommet atteint en 1997 et le premier trimestre de 2002, les profits du secteur manufacturier ont chuté d’un époustouflant 65%. Jusqu’à tout récemment, il était accepté que les profits s’étaient maintenu à un niveau bien meilleur dans le secteur non manufacturier. Mais les dernières données du gouvernement indiquent une forte révision à la baisse.

C’est la prise de conscience combinée que, d’une part, le taux de profit sur le stock de capital dans le secteur non financier dans son ensemble est actuellement (premier trimestre 2002) à son niveau le plus bas depuis la période d’après-guerre (à l’exception de 1980 et 1982) et que, d’autre part, un large secteur des plus grandes sociétés américaines a menti sur ses gains qui a eu un effet aussi dévastateur sur le marché boursier.

Actuellement, après sept trimestres consécutifs de déclin des investissements (construction et équipement d’entreprise) et face à un retournement soudain des dépenses de consommation au cours des quatre ou cinq derniers mois, l’économie peut difficilement faire face à un autre affaissement du cours des actions. Ce dernier aurait pour effet inévitable - à travers «l’effet de richesse inversé» [la valeur élevée des actifs financiers et immobiliers stimule les dépenses de consommation à crédit - effet de richesse; la baisse de leur valeur a l’effet opposé] - une pression accrue à la baisse sur les investissements des firmes et sur les dépenses des consommateurs. Les risques d’une récession en forme de W [récession, légère reprise, récession], qui ont été longtemps dédaignés, deviennent tous les jours plus importants.

* Robert Brenner est l’auteur d’un ouvrage qui vient d’être publié par l’éditeur anglais Verso et qui s’intitule: The Boom and the Bubble: The U.S. in the World Economy.

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