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25 de diciembre de 2003

Le pouvoir et l’hégémonie

 

Par Néstor Kohan *
Periódico Madres de Plaza de Mayo. N°6, décembre 2003.

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Notes sur la théorie marxiste

Comment la classe dominante domine t-elle ? Voilà la question à un million. Tous les lecteurs du journal « de las Madres » savent que le capitalisme est un système de pouvoir, d’ exploitation et de domination. Il ne faut rien clarifier à ce sujet. Nous en souffrons dans notre propre chaire tous les jours. Notre pénible histoire nationale (argentine) constitue une preuve irréfutable en ce sens. Mais ce qui s’avère plus complexe, c’ est de déchiffrer les hiéroglyphes des processus concrets à travers lesquels se reproduit quotidiennement le capital et comment s’exerce ce pouvoir dans toute conjoncture. Quand il s’agit de résoudre cette énigme nous avons la migraine. Et ce n’est pas rien...

Le modèle politique du Manifeste Communiste

Au moment d’analyser le capitalisme, Karl Marx, comme un limier avec une loupe, a rendu observable et a traduit la théorie politique de cette réalité terrible que vivaient et souffraient les travailleurs de son époque. Toute la société se divise en exploitants et exploités. Toute l’histoire de la société , n’est ni plus ni moins, a condamné Marx, que l’histoire de la lutte de classes.

Esclavagistes et esclaves, patriciens et plèbe, seigneurs et serfs de la glèbe, bourgeois et prolétaires. Cette polarisation de classes divise les deux ensembles de l’histoire de la société.
Bien que la généalogie de la lutte ait des millénaires derrière elle, Marx n’a pas hésité à identifier deux grands acteurs de ce drame moderne : la bourgeoisie et le prolétariat.
L’État était, selon l’auteur du Manifeste, une machine de guerre du capital contre le travail, des oppresseurs contre ceux opprimés.

Par sa simplicité, ce modèle d’analyse politique a fait l’histoire et a pénétré dans le coeur de milliers et milliers de militants partout dans le monde. Il ne fallait pas se casser la tête pour le comprendre. "Ils" étaient et "nous" étions. Un pôle et l’autre. Blanc et noir. Claire, propre, transparent.

Le modèle politique du 18 Brumaire de Louis Bonaparte
Mais quand Marx s’est disposé à analyser une société ponctuelle, comme ce fut le cas de la France qui avait été affectée par le coup d’État de Luis Bonaparte en décembre de 1851, après la défaite de l’insurrection de 1848, il a t élaboré une analyse plus beaucoup plus complexe. La lutte de classes se marque en blanc sur noir, oui, mais elle est accompagnée par une gamme variée de gris qui dans les lignes enfiévrées du Manifeste n’apparaissaient pas au premier plan.

Outre ces deux grands personnages - la bourgeoisie et le prolétariat - Marx distingue dans la formation sociale française toute une gamme de segments sociaux qui font partie aussi de la lutte de classes. En outre, il rend compte du fractionnement dont souffre la bourgeoisie au milieu de la lutte politique. Ce n’est pas la même chose, nous signale Marx, la fraction bourgeoise consacrée aux affaires financières, que la bourgeoisie industrielle. Et aucune de ces deux fractions n’est identique à la bourgeoisie propriétaire foncier. Entre les divers fractionnements des classes, se tisse des alliances politiques - où une des fractions dirige et entraîne le reste -. La lutte de classes, alors, conclut Marx dans le 18 Brumaire, n’est pas plate et horizontale, mais fractionnée et transversale.

Dans le 18 Brumaire Marx nous parle aussi Louis Bonaparte, un dictateur qui dirige un coup d’État et reste deux décennies à la tête du gouvernement français. Ce dictateur était un personnage secondaire, entouré de » lumpens », qui grâce à la direction de l’Armée se transforme à un certain moment de la France dans une espèce "d’arbitre" des conflits sociaux. Une espèce de "juge équidistant", qui vient à résoudre et modérer les conflits. Alors, comme ce personnage - que Marx détestait - s’appelle Louis Bonaparte (neveu de Napoleón) la tradition marxiste, en commençant par Marx et de là, a transformé cette analyse politique en théorie et l’a transformé en concept de "bonapartisme".

Dans son analyse de Louis Bonaparte et de la situation française de cette période, Marx pose des éléments fondamentaux de sa théorie politique.
Par exemple, Marx suggère que la meilleure forme de domination politique de la bourgeoisie, la plus efficace, est "la république parlementaire". Pour Marx république parlementaire n’est pas synonyme de démocratie, comme le suggère la philosophie politique du libéralisme. La république parlementaire ne garantit pas "la liberté" mais constitue une forme de domination. Contrairement à la monarchie ou à la dictature militaire (où un seul secteur de la bourgeoisie domine), dans la république parlementaire c’est l’ensemble de la bourgeoisie qui exerce sa domination par le biais de l’État et de ses institutions "représentatives". Selon Marx, la république parlementaire dilue les intérêts particuliers des différentes fractions de la bourgeoisie, atteignant une espèce de "moyenne" de tous les intérêts de la classe dominante dans son ensemble et, de cette manière, obtient une domination politique générale, qui est: anonyme, impersonnelle et bureaucratique.

Dans le 18 Brumaire, Marx ajoute en outre que, quand la situation politique "est débordée" par l’indiscipline et la rébellion populaire, les vieilles machines républicaines (avec ses partis, son Parlement, ses juges, sa presse "indépendante" ; en somme : avec toutes ses institutions) n’est pas suffisante pour maintenir la domination. Dans ces moments de crise aigue, les vieux partis politiques de la bourgeoisie ne représentent pas cette classe sociale. Ils restent comme "flottant dans l’air" et tournant dans le vide. Alors, émerge un autre type de direction politique pour représenter la classe dominante : la bourgeoisie cesse d’être représentée par les libéraux, les constitutionalistes ou les républicains et se met à être représentée par les Forces Armées qui, de cette manière, sont constituées comme "le Parti de l’Ordre". L’Armée, alors, apparaît dans l’arène politique comme si... elle allait équilibrer la situation catastrophique, mais en réalité... elle vient garantir la reproduction de la domination politique de la bourgeoisie. Argentine 1966, 1976, etc. ...

Lenine : théorie de l’hégémonie

Pendant le XX ème siècle divers penseurs révolutionnaires ont essayé de prolonger la réflexion de Marx. Non par un intérêt purement érudit, et moins "académicien", mais en pariant sur la lutte politique des travailleurs. Ils avaient en esprit ce que tout révolutionnaire doit avoir : le pouvoir.
Parmi beaucoup d’autres, Lénine, un des plus brillants, par ses apports théoriques et principalement par son action politiciene, a fait des recherches en profondeur sur les sourcs de la pensée de Marx, sur la domination et le pouvoir.

Dans un même mouvement, Lénine a conjugué les deux modèles politiques que maniait Marx, celui du Manifeste, et celui de du 18 Brumaire. Malgré, ce qu’on pourrait croire depuis un regard superficiel ou peu averti, ils n’étaient pas contradictoires.

Dans Le Manifeste de Marx, était signalé aux grands acteurs structurels, les principaux contentieux de la lutte de classes contemporaine qu’ils devraient affronter à long terme. Dans le 18 brumaire il pose à terre ce positionnement général. Le structurel était conjugué avec le conjoncturel. La longue durée de l’histoire avec le court terme de la politique. La stratégie avec la tactique. Ce qui est logique avec ce qui est historique.

C’est pourquoi Lénine a pu définir le marxisme, en tant de méthode, comme "l’analyse concrète de la situation concrète". Ce type d’analyse présupposait de conjuguer le général d’une société capitaliste avec ce qui est particulier, le type avec l’espèce, ce qui est commun à toutes les sociétés capitalistes avec ce qui est spécifique de chacune.

Le concept théorique auquel a fait appel Lénine pour rendre compte de cette opération de Marx a été celui de la "formation économique sociale". Une société ponctuelle - supposons la France de 1851, la Russie de 1905 ou l’Argentine de 2003- a quelque chose de commun qu’elle partage avec toutes les sociétés capitalistes. Et, en même temps, elle a quelque chose de spécifique et unique.

Comment se produit la lutte de classes dans une formation économique sociale ? Par le biais des alliances entre des fractions des classes sociales. Chaque alliance constitue une "force sociale". (Quand Lénine emploiera le terme d’ "alliance" il ne pense pas une alliance simplement électorale, comme celle l’UCR et du FREPASO [deux partis politiques bourgeois argentins], mais à une alliance en termes d’intérêts sociaux et expériences politiques). À l’intérieur de chaque force sociale, il y a un segment de classe qui dirige politiquement et culturellement le reste. Pour pouvoir diriger, ce segment social doit pouvoir généraliser ses valeurs propres, sa culture propre, son programme politique propre vers l’ensemble de la force sociale. En définitive, il doit pouvoir obtenir que l’ensemble de la force sociale internalise et adopte comme propre la stratégie, les valeurs et le programme politique du segment qui dirige.

Tout ce processus complexe, à travers lequel on exerce la direction de la force sociale dans la confrontation politique de la lutte de classes, Lénine l’a appelé "l’hégémonie". La domination politique, alors, n’est pas exercée uniquement avec la violence et la répression de l’État. Elle est aussi obtenue à travers la direction politique et l’hégémonie.

Gramsci et les relations de pouvoir

En s’appropriant et en reprenant ce très ample bagage de réflexions, analyses et modèles de pensée politique, Antonio Gramsci a essayé de penser l’hégémonie des sociétés capitalistes complexes. Non seulement pour celles où la bourgeoisie domine à travers une dictature sauvage. Mais aussi pour les autres où les segments hégémoniques des classes dominantes font appel à la manière plus efficace de la domination politique : la république parlementaire (qui, nous insistons, n’est pas synonyme de "démocratie", malgré ce que nous disent les moyens de communication du système).

Le principal objet de réflexion qui a enlevé le sommeil à Gramsci, depuis sa jeunesse jusqu’à sa maturité, est le problème du pouvoir. En analysant le problème du pouvoir Gramsci a effectué une des grandes innovations dans la théorie et la philosophie politique du XXè siècle. Plus de quatre décennies avant que Michel Foucault formule sa très connue - et célébrée académiquement - thèse selon laquelle le pouvoir ne réside pas dans l’appareil de l’État, ce n’est pas une chose mais des relations, Antonio Gramsci - avec une moindre reconnaissance académique - était arrivé à une conclusion analogue.

L’italien, reprenant les réflexions de Lénine sur les conditions d’une "situation révolutionnaire", a rédigé un des passages fondamentaux des Cahiers de la prison (Cahier N°13, 1932-1934) : "Analysede la situation et relations de force".

Là, Gramsci sépare les amarres du marxisme alarmiste selon lequel de la crise économique du capitalisme apparaîtrait comme par magie la révolution socialiste. Le capitalisme jamais ne s’effondrera tout seul, pense Gramsci. Il faut le renverser ! Pour cela manque un sujet organisé qui intervient, qui est actif, qui n’attend pas passivement la crise comme celui qui espère que les fruits mûrs tombent de l’ arbre. Comment peut-il intervenir le sujet ? Politiquement. Mais l’intervention politique ne s’est pas effectuée "dans l’air", mais à partir de certaines relations de pouvoir et de forces, parce que le pouvoir n’est pas une chose mais des relations.

La modification des relations de force doit partir d’une situation "économique objective" mais jamais elle s’arrête là. Si on ne réussit pas à passer au plan politique général où l’ on transcende le caractère l’immédiat économique corporatif - passage que Gramsci appelle "catharsis" - toute tentative révolutionnaire va à l’échec. Cela a été le principal enseignement que Gramsci a extrait de la défaite des Conseils ouvriers de Turin en 1920. Servira-t-il à penser l’actuelle crise argentine et le développement postérieur au 19 et 20 décembre ?

Gramsci et l’hégémonie

Il y a alors dans cette spécificité politique, où se pose le problème de réussir l’hégémonie, un autre des fils rouges de la continuité dans son oeuvre. Dans cette réflexion sur l’hégémonie Gramsci signale que l’homogénéité de la propre conscience et la désagrégation de l’ennemi est précisément effectuée sur le terrain de la bataille culturelle. Voilà son incroyable actualité pour opérer dans les conditions ouvertes par le capitalisme tardif ! Il n’est pas rentré dans la réflexion sur la culture pour essayer de légitimer la manière consensuelle de gouverner accordé par le capitalisme mais pour le renverser.

Quelle est donc l’hégémonie pour Gramsci ? Ce n’est pas un système formel fermé, absolument homogène et articulé (ces systèmes n’existent pas dans la réalité pratique, seulement dans le rôle, c’est pourquoi ils sont tellement confortables, faciles, abstraits et disséqués, mais n’expliquent jamais ce qu’il arrive dans une société particulière déterminée). L’hégémonie, au contraire, est un processus qui exprime la conscience et les valeurs organisées pratiquement par des significations spécifiques et dominantes dans un processus social vécu de manière contradictoire, incomplète et même souvent diffuse. En un mot, l’hégémonie d’un groupe social équivaut à la culture que ce groupe a réussi à généraliser à autres segments sociaux. L’hégémonie est identique à la culture mais c’est un peu plus que la culture parce qu’elle inclut en outre nécessairement une distribution spécifique du pouvoir, d’hiérarchie et d’influence. Comme direction politique et culturelle sur des segments sociaux "alliés" influencés par elle, l’hégémonie présuppose aussi violence et coercition des ennemis. Ce n’est pas seulement un consensus (comme le pense habituellement une banalisation social-démocrate de la pensée de Gramsci). Finalement, l’hégémonie n’est jamais acceptée de manière passive, elle est soumise à la lutte, à la confrontation, à toute une série de "disputes". C’est pourquoi celui qui l’exerce doit tout le temps la renouveler, la recréer, la défendre et la modifier, en essayant de neutraliser son adversaire en incorporant ses revandications mais vidés de tout leur danger.

Si l’hégémonie n’est pas un système formel fermé, ses articulations internes sont élastiques et laissent la possibilité d’opérer sur lui depuis un autre côté, depuis la critique du système, depuis la contrehégémonie (que de façon permanente l’hégémonie doit contrecarrer). Si par contre elle était absolument déterminante - en excluant toute contradiction et toute tension - tout changement dans la société serait impensable.

Alors, par la réflexion analytique des relations de pouvoir et des forces qui caractérisent une situation, Gramsci part d’une relation "économique objective", pour passer ensuite à la dimension spécifiquement politique et culturelle qui construit l’hégémonie.
La conclusion à laquelle arrive Gramsci dans les Cahiers de la prison, visualisant les relations de forces dans son ensemble, est la suivante : "Il peut être dit par conséquent que tous ces éléments sont la manifestation concrète des fluctuations d’une conjoncture de l’ensemble des relations sociales, sur le terrain duquel prennent ces relations d’une politique de force pour finir dans la relation militaire décisive".

Par conséquent dans la pensée de Gramsci "économie", "politique- culture" et "guerre" sont trois moments internes d’une même unité sociale. Ils ne peuvent pas être scindés. Ils sont des degrés et des niveaux divers d’une même relation de pouvoir qui peut être résolue tant dans un sens réactionnaire (en maintenant l’actuel type de société) que dans un sens progressif, par une révolution.

Pas même les spécialistes, bien qu’étant de grands connaisseurs de l’oeuvre de l’italien, ont signalé les conséquences qui étaient déduites de cette conception du pouvoir et de la politique. En séparant de façon tranchée la cristallisation économique d’une part - en l’appelant "structure" - et l’institutionnalisation politique d’autre part. - en l’appelant "superstructure" - ils ne se sont pas rendus compte qu’en concevant le pouvoir en termes relationnels on pouvait résoudre une grande partie des apories qu’ avait laissées sans réponse le marxisme "orthodoxe". Fondamentalement en ce qui concerne la lecture du Capital de Karl Marx.
L’ennemi prend l’initiative : la révolution passive
Depuis Marx et Engels jusqu’à Lénine, à Trotski et Mao, depuis Mariátegui jusqu’au Che Guevara et Fidel, une grande partie des réflexions des marxistes sur la lutte de classes ont tourné autour de la nécessité d’assumer l’initiative politique par les travailleurs et le peuple.

Mais qu’arrive -t-il quand l’initiative est prise nos par ennemis ? Que faire quand les segments hégémoniques de la bourgeoisie essayeront, avec des mesures "progressistes", d’ être à la tête des changements pour désarmer, diviser et neutraliser les plus intransigeants et aux radicaux ?
Pour penser ces moments difficiles, auxquels ressemble tant la situation que vit actuellement l’Argentine [décembre 2003 ], Gramsci a élaboré une catégorie : la "révolution passive". Il la tient d’historiens italiens, mais il lui a donné une autre signification.
La révolution passive est pour Gramsci une "révolution- restauration", ou c’est une transformation depuis en haut par laquelle les puissants modifient lentement les relations de force pour neutraliser leurs ennemis d’en bas.

Par la révolution passive, les segments politiquement hégémoniques de la classe dominante et dirigeante essayent de se mettre "dans la poche" (l’expression est de Gramsci) leurs adversaires et leurs adversaires politiques en incorporant une partie de leurs revendications, mais dépouillées de tout danger révolutionnaire.

Comment faire face à cette initiative ? De quelle manière pouvons-nous décentrer cette stratégie bourgeoise ? La réponse n’est pas dans un livre. C’est le mouvement populaire qui doit la donner.
Il s’avèrera relativement facile d’identifier nos ennemis quand ils adopteront un programme politique choc ou une répression (nous pensons à Videla ou Menem...). Mais l’affaire est compliquée quand les secteurs de pouvoir appliquent des mesures "progressistes". A ces moments, naviguer dans l’océan orageux de la lutte de classes devient davantage complexe et sensible...

* Coordinateur du Séminaire le CAPITAL et la Chaire de Formation Politique Ernesto Che Guevara de l’Université Populaire Mères de Place de mai

 Traduction pour El Correo: Estelle et Carlos Debiasi

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