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5 de enero de 2025

Le capitalisme militarisé

Les États-Unis, l’industrie de l’armement et son impact sur les conflits mondiaux

por Aleardo F. Laría Rajneri

 

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En 1956, Charles Wright Mills écrivait « L’élite au pouvoir » (FCE), un ouvrage qui allait devenir l’une des premières contributions à l’analyse des formes d’exercice du pouvoir dans une réalité crue. Pour Mills, dans la société américaine qu’il décrit, le pouvoir réside dans les groupes dominants dans les sphères économique, politique et militaire. Le concept d’élite est fondé sur la similitude d’origine et de vision, et sur les contacts sociaux et personnels entre les cercles supérieurs de chacune de ces hiérarchies. Il ne s’agit pas d’une organisation secrète, mais de la conséquence d’une tendance structurelle du système qui veut que les gens travaillent ensemble et participent aux mêmes organisations, qui génèrent une coïncidence d’intérêts objectifs. Les innovations scientifiques et technologiques parrainées par l’armée ont stimulé la croissance de l’économie. De cette manière, « les seigneurs de la guerre et leurs porte-parole » ont tenté « d’enraciner fermement leur métaphysique dans la population du pays ».

Mills estimait que la fièvre guerrière ne permettait pas aux États-Unis d’être considérés comme une véritable démocratie, car la démocratie présuppose la dissension et le désaccord, ce qui disparaît lorsqu’ existe une vision militaire dominante qui exige l’unanimité. Comme les hommes politiques dépendaient des contributions des entreprises pour financer leurs campagnes, le pouvoir des grandes entreprises s’est accru dans la définition des grandes lignes de la politique. En fin de compte, le contrôle de l’élite sur la plupart des décisions stratégiques a confirmé que dans leur grande majorité, celles-ci elles étaient prises à l’avance, avant d’être approuvées par le parlement. La description de Mills a été en quelque sorte confirmée en janvier 1961, lorsque le général Dwight Eisenhower, prononçant son dernier discours en tant que président des États-Unis [Video Vostfr], a mis en garde les citoyens contre « l’acquisition d’une influence injustifiée, qu’elle soit recherchée ou non, par le complexe militaro-industriel. Le risque d’une montée en puissance désastreuse d’un pouvoir mal réparti existe et persistera ».

Totalitarisme inversé

Les descriptions de Wright Mills ont été mises à jour par Sheldon Wolin, professeur à l’université de Princeton, dans un essai intitulé « La Democratie incorporée: La démocratie dirigée et le spectre du totalitarisme inversé » [1] avec un sous-titre suggestif :

« La démocratie dirigée et le spectre du totalitarisme inversé ». Pour l’auteur, « le totalitarisme inversé marque un moment politique où le pouvoir des entreprises se défait enfin de son identification comme phénomène purement économique, confiné principalement au terrain interne de l’entreprise privée, et évolue vers un co-partenariat globalisant avec l’État : une double transmutation de l’entreprise et de l’État. La première devient plus politique et le second plus orienté vers le marché ».

Ainsi, contrairement au totalitarisme classique, le changement ne résulte pas d’une révolution ou d’une rupture, mais d’une évolution dirigée. Il ne s’agit plus de mobiliser les masses, mais de les démobiliser, de sorte que le pouvoir des citoyens se réduit jusqu’à se limiter au simple exercice du droit de vote le jour des élections. Les citoyens se retirent de la politique et laissent les mains libres aux dirigeants afin qu’ils puissent imposer l’agenda des grandes entreprises.

Wolin attribue ces changements à la dépendance croissante des partis politiques vis-à-vis des contributions des entreprises et des riches donateurs. Il a souligné que la symbiose entre les entreprises et les institutions gouvernementales était incarnée par l’industrie du lobbying. La prolifération de centaines de lobbyistes à Washington est le signe d’un changement radical de la signification de la démocratie représentative et de la défaite finale du gouvernement de la majorité. Il a ajouté que la timidité du Parti Démocrate, hypnotisé par la pensée centriste, montrait clairement que les pauvres, les minorités, les écologistes et tous ceux qui s’opposent à la domination des entreprises n’avaient pas de véritable parti d’opposition pour défendre leurs intérêts.

The Deep State

[L’Etat profond]

Peter Dale Scott, professeur à l’UC Berkeley, est l’auteur d’un essai qu’il a intitulé « The American Deep State » (2017), dans lequel il constate que la politique américaine est conçue dans les agences fédérales de sécurité et de renseignement telles que la CIA et la NSA. Scott rassemble des preuves que l’État profond s’étend également à des sociétés privées telles que Booz Allen Hamilton et SAIC, auxquelles le gouvernement externalise 70% des budgets de renseignement. Derrière ces institutions publiques et privées se cache l’influence des banquiers et des avocats de Wall Street, qui travaillent pour le compte du complexe militaro-industriel. On estime qu’en 2023, les dépenses militaires mondiales ont dépassé les 2 400 milliards de dollars, dont 900 milliards (37%) pour les États-Unis. Il ressort que les seigneurs de la guerre ont 700 lobbyistes à leur service dans un Congrès qui compte 600 représentants et sénateurs. La plupart des représentants dépendent des contributions électorales des riches et des comités d’action politique qui peuvent dépenser des sommes illimitées pour soutenir ou s’opposer à un candidat. Selon les prévisions, les dépenses totales consacrées aux élections fédérales américaines en 2024 peuvent atteindre le chiffre record de 16,7 milliards de dollars.

Ajoutant à cette perspective critique, Jeffrey Sachs, économiste et auteur de nombreux ouvrages sur le développement durable et les causes de la pauvreté, ancien directeur du Earth Institute à l’Université de Columbia, a également dénoncé l’existence d’un Etat Profond qui contrôlerait la politique étrangère des Etats-Unis. Il rappelle que depuis la chute de l’Union Soviétique, les Etats-Unis considèrent qu’ils sont les seuls à pouvoir diriger le monde. Comment un État qui ne représente que 4,1% de la population mondiale peut-il tenter de dominer le monde ? Il ajoute que les États-Unis ont dépensé environ cinq mille milliards de dollars dans des guerres insensées depuis l’attaque des tours jumelles, qui n’ont pas rendu le monde plus sûr, bien au contraire. Ce sont des hauts fonctionnaires de George W. Bush qui ont promu le Projet pour le nouveau siècle américain, un projet du mouvement néo-conservateur américain qui a encouragé les guerres américaines en Serbie (1999), Afghanistan (2001), Irak (2003), Syrie (2011) et Libye (2011) et qui « a tant fait pour provoquer l’invasion de l’Ukraine par la Russie ». Il estime que le secteur de la politique étrangère est dirigé par une petite clique secrète et soudée, qui comprend les hauts responsables de la Maison Blanche, de la CIA, du département d’État, du Pentagone, des commissions des Forces Armées de la Chambre et du Sénat, et des grandes entreprises militaires telles que Boeing, Lockheed Martin, General Dynamics, Northrop Grumman et Raytheon. Il attribue l’état actuel de la guerre dans le monde au droit de veto exercé de manière répétée au sein du Conseil de sécurité des Nations unies, qui a ainsi empêché la résolution des conflits par l’application du droit international.

L’énigme Trump

Il est intéressant de noter que c’est Donald Trump qui s’est engagé à combattre l’État Profond. Lors d’un récent meeting de campagne [note ; texte écrit avant l’élection], il a déclaré que s’il reprenait la Maison Blanche, il expulserait « les bellicistes » de son « État de Sécurité Nationale » et qu’il procéderait à « un nettoyage indispensable du complexe militaro-industriel pour faire cesser la spéculation liée à la guerre et toujours faire passer les Etats Unis en premier ». Plus récemment, le fils de Donald Trump a critiqué le président Joe Biden pour l’envoi de missiles tactiques au gouvernement ukrainien, suggérant une conspiration de l’État profond. Dans un tweet du 18 novembre, il a écrit : « Le complexe militaro-industriel semble vouloir garantir le début de la Troisième Guerre Mondiale avant que mon père n’ait une chance de faire la paix et de sauver des vies ».

L’apparente détermination de Donald Trump à mettre fin aux guerres qui pourraient affecter son mandat pour se concentrer sur son slogan « America First » est contredite par la joie exprimée par le ministre israélien des finances, Bezalel Smotrich, colon ultra-religieux qui a traduit l’arrivée de Trump comme le feu vert à l’annexion des territoires palestiniens occupés, objectif qui explique la guerre de destruction qui se déroule à Gaza. Trump a annoncé que le prochain ambassadeur US en Israël serait Mike Huckabee, ancien gouverneur de l’Arkansas et sioniste avoué, qui soutient que les colonies israéliennes en Cisjordanie occupée ne sont pas illégales, en contradiction avec les résolutions de l’ONU. Son point de vue correspond à celui d’une branche de la pensée chrétienne évangélique basée sur la croyance que l’existence de l’Israël actuel est ordonnée par Dieu et qu’une guerre catastrophique en Israël et en Palestine conduirait à la seconde venue du Messie chrétien, qui entraînerait la conversion des juifs au christianisme. Il rejoint ainsi les partis politiques des juifs ultra-orthodoxes d’Israël qui aspirent à déplacer les premiers habitants de la Cisjordanie et de Gaza, convaincus que « Dieu a dit à Abraham que cette terre appartiendrait pour toujours au peuple juif ».

Il est difficile d’imaginer que sur de telles bases on puisse construire la paix. Nous assistons à une guerre cruelle de destruction massive menée jour après jour contre une population sans défense à Gaza et en Cisjordanie. La Cour Pénale Internationale a ordonné l’arrestation du Premier Ministre israélien Benjamin Netanyahu et de son ancien Ministre de la Défense Yoav Gallant au motif qu’ils portent tous deux la responsabilité de Crimes de Guerre et de Crimes contre l’Humanité commis à Gaza depuis au moins le 8 octobre 2023. Les juges ont accédé à la demande du procureur, Karim Khan, qui a estimé que les preuves recueillies montraient qu’Israël « a intentionnellement et systématiquement privé la population civile de Gaza d’objets indispensables à sa survie ». En Israël, des politiciens de l’opposition et du gouvernement ont tenté de fuir leurs responsabilités en lançant une accusation ridicule d’« antisémitisme » à l’encontre de la CPI. Les Etats-Unis, principal allié d’Israël et fournisseur des bombes larguées sur la population civile, ont également rejeté la décision des juges de La Haye, estimant qu’il s’agissait de mandats d’arrêt injustifiés.

L’anthropologue et sociologue français, Didier Fassin [2] a récemment publié « Une étrange défaite » (sur le consentement à l’écrasement de Gaza), un essai non encore traduit en anglais, dans lequel il analyse la « défaite morale » de l’Occident face au génocide qui se commet en Palestine. [Lire aussi la raison de la défaite de l’Occident en général : « La défaite de l’Occident » de Emmanuel Todd.]

Mr. Fassin dénonce le consentement de la plupart des pays occidentaux à l’anéantissement d’un peuple, de son histoire et de sa culture par un Etat dont la volonté d’épuration ethnique s’est affirmée dès les premiers jours de la guerre. La violation des Droits de l’homme, le mépris des résolutions des instances internationales, l’utilisation cynique du prétendu antisémitisme de toute remise en cause, seront des stigmates que l’histoire ne pourra pas effacer et qui affecteront non seulement les auteurs matériels, mais aussi ceux qui ont gardé un silence complice face à la plus grande catastrophe humanitaire du premier quart du 21ème siècle.

Aleardo Laría Rajneri* pour El cohete a la luna

El cohete a la luna. Buenos Aires, le 1er décembre 2024.

*Aleardo F. Laría Rajneri est avocat, journaliste argentin et vice-directeur du journal Río Negro. Il a été l’un des fondateurs de la FURN (Federación Universitaria de la Revolución Nacional) et, en 1977, il s’est exilé en Espagne, où il a travaillé comme avocat pour l’Unión General de Trabajadores. En tant que politologue, il est l’auteur de trois essais publiés par le Grupo Editor Latinoamericano : « Calidad institucional y presidencialismo: los dos problemas no resueltos de Argentina », « El sistema parlamentario europeo ». « Las ventajas del parlamentarismo y La religión populista ».

Traduit de l’espagnol depuis El Correo de la Diáspora par: Estelle et Carlos Debiasi

El Correo de l Diaspora. Paris, le 5 janvier 2025.

Notas

[1« Democracy Incorporated: Managed Democracy and the Specter of Inverted Totalitarianism » (Princeton University Press, 2008). (ISBN 978-0691135663)

[2*Didier Fassin est un anthropologue, sociologue et médecin français. Il est professeur de sciences sociales à l’Institute for Advanced Study de l’Université de Princeton (États-Unis) et directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS)à Paris. Ses recherches ont porté sur les questions de santé puis se sont orientées vers le tissu politique et moral des sociétés contemporaines

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