Accueil > Notre Amérique > Terrorisme d’Etat > Plan Condor > Actualités > Le Plan Condor vit encore. Accuse en Uruguay la senatrice chilienne Carmen Frei
Les liens du Plan Condor, établi entre des régimes militaires d’Amérique du Sud durant les années 70 pour éliminer leurs adversaires, existent encore, a expliqué à IPS dans la capitale uruguayenne, la sénatrice Chilienne Carmen Frei.
Par Diana Cariboni
IPS. Montevideo, 17 août 2004
Cette coordination a prouvé être toujours active en 1991 et 1992, alors qu’étaient déjà tombées les dictatures militaires du Cône Sud du continent, quand le biochimiste chilien Eugenio Berríos, agent d’intelligence du régime de Augusto Pinochet (1973-1990), a été transféré en secret à l’Uruguay, dissimulé ou kidnappé pendant plus d’une année et ensuite assassiné.
"Je crois que ces liens continuent à exister", a déclaré Frei mardi 17 août en dialoguant avec IPS.
Cette sénatrice de la Démocratie Chrétienne s’est rendue du dimanche 15 août 2004 au mardi 17 août 2004 à Montevideo pour demander qu’on donne suite à l’extradition de trois militaires uruguayens mis en examen et poursuivi au Chili pour association illicite et kidnapping de Berríos, une affaire pour laquelle ont déjà été arrêtés et détenus plus de 10 ex-fonctionnaires civils et militaires Chiliens.
Les autorités d’Uruguay "nous ont donné la certitude qu’elles vont procéder dans le respect de la justice, et qu’il existe une volonté politique de faire en sorte que la justice fasse son oeuvre ", a dit Frei. Les militaires réclamés sont Tomás Casella, Eduardo Radaelli et Wellington Sarli.
Frei, les autres sénateurs Sergio Páez Verdugo de la Démocratie Chrétienne, et Ricardo Núñez, du parti socialiste, et l’avocat Alvaro Varela - se sont réunis lundi avec le vice-président uruguayen Luis Hierro López et le président de la Cour de Justice Suprême, Leslie Van Rompaey, et avec plusieurs législateurs et politiques.
La sénatrice a un intérêt personnel dans ce cas. Berríos, expert dans l’utilisation du gaz sarin employé par la dictature Chilien pour tuer des adversaires, a été impliqué dans le surprenant décès de son père, l’ex président Eduardo Frei Montalva (1964-1970), au début de 1982.
Le décès de Frei Montalva en pleine dictature militaire, alors qu’il se profilait comme chef de l’opposition politique, est l’objet d’une enquête par le juge Alejandro Madrid, aussi en charge du cas Berríos.
"On a inoculé une bactérie à mon père, qui n’a pas pu être identifiée en dépit des consultations avec des spécialistes des Etats-Unis et d’Europe, et qui l’a conduite au décès", a affirmé Frei.
"Mon père est entré pour une opération chirurgicale presque ambulatoire, et pendant que l’intervention se déroulait, le 17 novembre 1981, on nous a alerté de qu’on était entrain de l’empoisonner", a -telle rapporté à IPS. Frei Montalva est mort en janvier 1982, en dépit des efforts faits pour combattre une bactérie inconnue qui lui a provoquée une infection généralisée.
L’avertissement, sur lequel Frei n’a pas voulu insister, a consisté en plusieurs appels téléphoniques avec des données très précises et probables.
"Nous savons que pendant tout ce temps il y avait du personnel des services d’intelligence dans la clinique Sainta Maria (dans laquelle il était hospitalisé). Il y a déjà cinq médecins identifiés "qui étaient des agents de la DINE (Direction d’Intelligence de l’Armée), un groupe spécial créé par la dictature.
Des agents de la DINE "ont été ceux qui ont opérés dans les cas les plus emblématiques, comme le décès de mon père ou celui du dirigeant syndical Tucapel Jiménez, et de décès par gaz sarín, botulisme, anthrax, des produits que créait ce génie fou, le biochimiste Berríos", a expliqué Frei.
L’enquête est très avancée et des dizaines de personnes ont été entendues. "Nous avons une confiance énorme parce que le juge Madrid a effectué un travail très sérieux", a t-elle expliqué.
Mais, de quelle manière l’extradition des trois militaires uruguayens aiderait à éclaircir le décès de Frei ?
"Nous voulons savoir quelle était l’importance de Berríos pour qu’il y ait cette mobilisation de personnes dans l’armée et les services d’intelligence qui l’ont gardé, qui l’ont sorti du Chili, l’ont apporté à l’Argentine et à Montevideo et qu’ils l’ont surveillé pendant un an et demi".
"Il y a beaucoup de questions sur ce qui s’est passé avec les substances qu’il a produites au Chili, et pourquoi à la fin ils ont décidé de le tuer. Les deux ou trois dernières années de Berríos sont fondamentales pour ce processus ", a assuré Frei.
"Nous voulons savoir jusqu’à quel point il y a eu complicité et association illicite. Pourquoi il y a-t-il eu cette collaboration tellement étroite entre ces services, qui existaient depuis le Plan Condor ? Nous voulons savoir quel rôle ont joué (les forces armées du) Chili, Argentine, Paraguay et Uruguay ", a t-elle continué.
"Nous parlons de faits qui sont arrivés quand il y avait déjà des gouvernements démocratiques dans nos pays. C’est pourquoi il est tellement important de connaître la vérité. Nous ne voulons pas souiller nos institutions armées, mais à l’abri d’elles, des personnes désaxés ont commis des délits qui doivent être sanctionnées ", poursuit-elle.
La sénatrice Frei a estimé que tant les tribunaux Chiliens qu’Uruguayens sont plus en mesure maintenant d’assumer ces défis. "J’ai confiance dans la justice", a t-elle conclu.
Le dossier judiciaire du cas Berríos a été réouvert en Uruguay en mars 2004, 12 années après le crime, et après être resté archivé et secret pour plus d’un lustre.
Cette semaine, les trois militaires réclamés par le Chili devront comparaître devant le juge pénal Gustavo Mirabal, qui sonnera ainsi le début aux procédures du processus d’extradition.
Comme dans un roman aux chapitres sporadiques, l’affaire a été révélée au cours des années, en testant les institutions démocratiques d’Uruguay.
Berríos a abandonné le Chili en novembre 1991, quand la justice s’était apprêtée à le citer pour témoigner dans le meurtre d’Orlando Letelier (ministre du gouvernement de Salvador Allende), commis à Washington en 1976.
Sa carrière comme agent du régime incluait le développement du gaz sarin, des explosifs qui ont tués Letelier et d’armes chimiques que la dictature Chilienne à penser utiliser en cas de guerre avec l’Argentine pour un différend frontalier, aux débuts des années 80.
Après un bref passage par l’Argentine, Berríos et Carlos Herrera, qui aussi fuyait de la justice, sont arrivés à Montevideo sous de fausses identités.
Herrera (maintenant condamné pour l’exécution de Tucapel Jiménez en 1982 et inculpé dans la cause pour l’enlèvement et le décès du biochimiste), officiait comme "protecteur" de Berríos, et avais loué sous un faux nom un appartement dans le quartier de Pocitos à Montevideo, dont le garant était l’Uruguayen Casella.
Berríos a aussi vécu dans plusieurs hôtels et dans une maison de la station thermale de Parque de la Plata, proche de la capitale, toujours "protégé" par des militaires Chiliens et des Uruguayens, comme le décrit le dossier judiciaire Chilien.
Dans un épisode confus, le 15 novembre 1992, le biochimiste s’est présenté agité aux commissariats de Parque de la Plata, en dénonçant qu’il était victime d’un enlèvement.
Mais loin de le protéger, les autorités policières l’ont restitué à ceux qu’il dénonçait comme ses ravisseurs : Casella et Radaelli. Le chimiste et l’agent Chilien n’ont plus jamais été vus en vie.
Cet incident est devenu public en Uruguay en juin de l’année suivante, après une bourde d’opération d’intelligence qui prétendait que Berríos vivait tranquillement en Italie.
On a déclanché ainsi une crise sans précédent depuis la restauration démocratique en 1985. Immédiatement, et en dépit d’une sanction mineur contre certains des fonctionnaires impliqués, les hauts commandements militaires se sont déclarés responsables de ce qui s’était produit, dans une attitude provocante devant le pouvoir civil du gouvernement centre-gauche de Luis Alberto Lacalle.
Durant des semaines, ont suivi la destitution d’un chef de policier, le transfert du commandant de l’intelligence militaire, menaces de mort à des législateurs, frottements diplomatiques avec le Chili et la chute du ministre de l’Intérieur, Mariano Brito.
Mais il n’y avait encore pas de preuves tangible du décès. En janvier 1995 le corps de Berríos a été retrouvé enterré dans le sable d’une plage avec deux impacts de balle. Le meurtre avait été commis entre la fin 1992 et les premiers mois de 1993.
En février 1993, lors d’une visite privée de Pinochet en Uruguay, Casella a été photographié précisément avec l’ex dictateur, tandis qu’il officiait comme son garde du corps personnel.
Traduction pour El Correo : de Estelle et Carlos Debiasi