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31 janvier 2013

Le Capitalisme du bon sauvage. Le néolibéralisme avec « inclusion » sociale

par José Francisco Puello-Socarrás *

 

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La majorité des enquêtes réalisées récemment aux États-Unis, axis mundi du capitalisme contemporain, continuent à montrer un mécontentement crescendo, élevé et généralisé face au système au point qu’ils ont appelé à reconstruire son « image cabossée » (http://bit.ly/TIpIpp). Une situation qui avait été déjà clairement résumée sous le slogan : « Nous sommes les 99 %, eux le 1 % ».

Les élites hégémoniques suivent par conséquent de très de près et avec une attention dissimulée mais soutenu, l’évolution de tous ces événements. Spécialement les effets latéraux et collatéraux fruits de la vague anti-néolibérale qui se développe depuis des années dans le Sud Global [1].

À la date d’aujourd’hui, l’anti-néolibéralisme montre un kaléidoscope assez terminé et intéressant, forgé par des formes variées de protestations et de nouveaux registres de résistances tout autour du monde. Une chronologie encore superficielle mais représentative recouvre – parmi une diversité d’épisodes - depuis les révoltes néo- zapatistes au Mexique vers le milieu des années 90 jusqu’au récent Ocupy Wall Street yanqui, en passant bien sûr à travers différents événements sudaméricains comme les Guerres de l’Eau et du Gaz en Bolivie, les cacerolazos et les mouvements de piqueteros en Argentine et, plus récemment, les mobilisations contre l’accroissement de la commercialisation de l’éducation publique avec participation de d’importants secteurs populaires animés par le réveil du mouvement étudiant dans des pays ‘modèles‘ du néolibéralisme au XXIe siècle comme le Chili (où, apparemment maintenant, les manifestations ont aussi dérivé en mécontentements populaires versus le secteur financier aux mains de l’étranger) et la Colombie. Le Printemps Arabe avec l’Indignation européenne et aussi plusieurs événements en Asie, bien que moins connus en Occident, complètent le tableau.

Dans leur ensemble, les luttes les plus récentes continuent seules, et « après la recherche » d’une synthèse politique qui leur permet de transcender vers un projet qui va au-delà de la spontanéité originale qui a animé ses mouvements. Cependant il n’en est pas moins certain que, peu à peu, s’accumulent des expériences inspiratrices clé pour d’autres scénarios venant s’ajouter par dessus et qu’ils renforcent le panorama mondial vers l’avenir en nombre, engagement, conscience et fréquences. Ici, cela vaut la peine de continuer de souligner la composante anti-néolibéral qui inspire la plus récente tradition des oppressés phrase de Walter Benjamin) comme un élément crucial à l’heure d’établir des diagnostics et des pronostics mais aussi les tactiques et stratégies qui unifient des critères et des luttes.

Prenant en compte les données du temps et de l’espace que le capitalisme d’époque exhibe c’est-à-dire le capitalisme sauvage ou plus communément le soi-disant néolibéralisme, basé par ses trajectoires historiques dans la périphérie latinoaméricaine depuis les années 70, ou les plus récentes dans des pays centraux européens et les États-Unis d’Amérique, on pourrait généraliser que la dynamique essentielle du système capitaliste -la production et la reproduction constante des inégalités sociales, par l’exploitation économique qui se renforce par la domination politique et l’oppression sociale dans ses différentes versions- essaie d’éviter l’exaspération de ses propres limites sans mettre en risque son existence même, en recourant, parmi d’autres formules, à l’inclusion sociale. De plus, c’est l’une des manœuvres essayées les plus fertiles pour consolider ses conquêtes sans qu’elles ne s’évanouissent et ni qu’elles soient remises en question – au contraire, pour qu’elles se matérialisent – rapidement.

Le Capitalisme du Bon Sauvage

Ce qui précède doit vraiment attirer l’attention.

Depuis le début, l’objectif du discours médiatique au milieu de l’aggravation de cette crise, sans le moindre doute l’une des plus spectaculaires dans l’histoire du capitalisme, fut d’opérer l’occultation systématique de l’importance réelle des faits. Devant l’évidence irrésistible des événements et de l’histoire réelle, les voix les plus conventionnelles se sont trouvées obligées, néanmoins, de reconnaître que cette crise du capitalisme est très sérieuse.

Les appels répétés pour prendre conscience de ce qui précède fait de la part des élites dominantes se limitent en tout cas l à insister pour que la sortie se fasse sans déborder le statu quo.

Diverses de ces propositions ont rendu populaire chaque fois avec une plus grande emphase, la devise de construire un « capitalisme sérieusement », phraséologie qu’une grande partie de la communauté universitaire, particulièrement en Amérique Latine et spécialement en Amérique du Sud l’accueille, traduite dans ses propres termes comme : un modèle néo-developpementiste (une espèce de néo-keynesianisme tropical) avec lequel certains osent envisager une époque post-néolibérale, et que plusieurs convoquent et invoquent comme le nouveau progressisme, etc. Toutes ces trames, par la plus (fausse) sophistication qu’ils leur veulent attribuer, sont vides et insoutenables, épistémologiquement et politiquement. Leur mission réside en désintégrer, surtout dans l’idéologique, la grande force populaire anti-néolibérale que la vie réelle a apporté ces dernières années, sous-estimant la pertinence de cette accumulation de luttes après les avoir traitées d’anachroniques, impossibles ou inutiles – puisque les néo-développementistes post-néolibéraux « progrès » considèrent le néolibéralisme comme « une question du passé » - et disqualifient folkloriquement et systématiquement plusieurs appels décidés (dans ce cas, oui, de façon authentique) à le destituer –tant le vieux néolibéralisme d’avant que le nouveau néolibéralisme de maintenant puisque la fantaisie diffusée sur sa fin, ici, n’a pas lieu.

Le sujet sous différentes latitudes présente des variantes. Mais, dans tous les cas – qu’il s’agisse du Centre ou de la Périphérie – le dénominateur commun semble suggérer la forme d’un : néolibéralisme avec (un peu de) « inclusion sociale ».

En Europe et aux États-Unis la tentative continue « vers le bas » puisque le but est de détruire ce qui reste de l’État de Bien-être et de la Sécurité sociale (l’idée du capitalisme qui, même dans ses propres limites, aujourd’hui déborde la sémantique néolibérale et par conséquent semble « dangereuse », « inconvenante ») jusqu’alors la restituer idéologiquement et dans les politiques publiques sous le cliché de l’inclusivité, une question qu’on essaie de se présenter comme un substitut analogue mais, qui de loin, semble bien différente et certainement régressif. Dans la périphérique Amérique Latine et Caraïbes, par exemple, il s’agit de continuer de profiter de la situation sociale, historique et actuelle dévastée – et que le même néolibéralisme a approfondi à des niveaux insondables depuis des décennies – pour « élever » alors en concept politique et en objet de politiques, les conditions les plus aberrantes et impudiques de pauvreté, de misère, d’inégalité, etc. bien que seulement et exclusivement dans ses limites, dans ses extrémités (pauvreté extrême, inégalité extrême), en se désintéressant ainsi des problèmes structuraux de fond et, en même temps, en désamorçant une grande partie des résistances qui sont précisément le résultat de ce scénario. Pire : il cherche à administrer et gérer directement ces conditions en les reproduisant, en recommençant à les produire, maintenant sous d’autres formes. Sur un point, et en étranglant les relativismes mais prenant en compte les prétentieux contextes qui sont énoncés depuis les périphéries, ces situations pourraient être considérées comme des faits progressistes nécessaires. Cependant, il faut tenir compte que le point de départ est ici le sous-sol de l’enfer et si on ne proposait pas d’escalier vers le ciel « le fait progressiste » n’aurait pas de sens et s’évanouirait dans et par lui même.

Au niveau du politique et de l’idéologique, le Capitalisme ’sérieusement’ ( surnom insistant depuis le choc de 2007-2008 dans les discours de Barack Obama aux Etats-Unis , de Gordon Brown au Royaume-Uni (http://bit.ly/W09b1G) ou de Cristina Fernández de Kirchner en Argentine , Luiz Inácio Lula Da Silva et Dilma Rousseff au Brésil -ces deux derniers pays paradigmatiques du modèle autoproclamé néo-dévelopopementiste qui avance sous ces latitudes !-) - ne signifie pas autre chose qu’une continuité néolibérale, le capitalisme sauvage, bien que dans une forme moins extrémiste, disons moins troglodyte. Nous insistons : une con-ti-nui-té, ou supposée « rupture » qui également plane toujours dans la limite de ses extrêmes. Une telle opération ne l’exempte pas, et ne veut pas l’exempter de sa sauvagerie innée. La proposition est par conséquent « de civiliser » le néolibéralisme un peu, « un petit peu » disons, en évoquant une espèce de bon sauvage qui, par plus de bonté qu’ils veulent lui attribuer, est quand même sauvage à la fin, de la tête au pieds. Au niveau des politiques, il s’agit à nouveau de l’euphémisme de « l’inclusion sociale ». Une question qui si elle est analysée de près, d’entrée, repousse toute avancée concrète réelle dans l’amélioration des conditions de vie (pas seulement rapporté aux situations particulières) des majorités appauvries.

Les expériences en Amérique Latine et aux Caraïbes, dans le Sud-est asiatique et le continent africain, les lieux où l’orthodoxie néolibérale fut pratiquée sans réserves d’aucun type, sont remarquables à ce sujet et, surtout, ont été puissamment productives, d’un point de vue politique. Elles sont instructives pour les directions dominantes puisque en les voyant, on a pu acquérir avec elles, l’entière conviction qu’elles sont la continuité du néolibéralisme, après sa phase orthodoxe (fondamentalisme de marché et les politiques d’ajustement structurel bien connus, commençant par le récit de l’austérité qui c’est finalement globalisée aujourd’hui), et dépend en grand partie de son auto-renouvellement. La soi-disant inclusion sociale comme technique – comme l’on sait – au lieu de contredire le noyau essentiel du néolibéralisme, le complète, après avoir chirurgicalement fait des démarches (en) (réglant) les résultats exacerbés de « désintégration sociale » que lui même produit naturellement et – aussi paradoxal qu’il parait- en même temps obstrue sa logique d’accumulation néolibérale (http://bit.ly/13nGbo7).

Pour le moment, cette réalité est impossible à contredire. Principalement quand sont observées les tendances - de plus en plus obscènes – en matière d’ indicateurs sociaux au sens large, c’est-à-dire en prenant en considération des aspects socio-écologiques, socio- biologiques, etc., et des autres croisements récents du système mondial, régional et local. [2].

Suivre ou Obtenir ?

L’Amérique Latine et les Caraïbes, bien que plus spécifiquement l’Amérique du Sud, se trouve là, par excellence, le territoire de la trahison des oppressés. Là « on » a réussi à « neutraliser » (ignorer, dissiper et déformer par l’hégémonie dominante) quelques résistances (demandes, expectatives et espoirs construits) depuis la vague naissante anti-néolibérale, évitant l’avancée de projets politiques et de programmes économiques potentiellement favorables aux masses populaires et clairement contraires au néolibéralisme. Devant cela, le projet hégémonique adapté aux nouvelles conditions a continué sa marche sans changements substantiels, ni de plus grands faux pas, bien que maintenant attrapé sous d’autres noms et réinventé sous des formes nouvelles comme le capitalisme du bon sauvage. Mais, en même temps, heureusement, NuestrAmérica [Notre Amerique] se trouve aussi la région où quelques résistances anti-néolibérales – considérées comme hérétiques après avoir repris la tradition des oppressés - transitent finalement vers des organisations politico-sociales fortes et avec la volonté de pouvoir populaire qui transcendent politiquement et économiquement vers des perspectives non seulement anti-néolibérales mais même et plus important encore - anticapitalistes ; bien sûr, un blasphème pour les intérêts dominants (http://bit.ly/VJzLwg).

Suivre-avec la trahison ou Obtenir la tradition est l’un des grands dilemmes que nous impose notre temps.

José Francisco Puello-Socarrás pour la Revista Izquierda No. 30 (février 2013)

Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi

El Correo. Paris, le 25 janvier 2013.

Contrat Creative Commons
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* José Francisco Puello-Socarrás. Politólogo, Ms Administración Pública y Doctorando en Ciencia Política. Docente de la Universidad Nacional de San Martín (Argentina).

Notes

[1Nous faisons référence au Sud Global tant au sens géografique que social (et épistémique) du terme soulignant la fonction périférique que remplissent des territoires, espaces, lieux (et bien sûr : les relations sociales et sujets inclus) déterminés dans les logiques du capitalisme contemporain.

[2Le scenario latinoaméricain est, sans doute, un des exemples les typiques de la (mal) nommée « politique sociale » du néoliberalisme. Les Programmes de Transfert Monétaire Conditionné (PTMC) déployés en long et en large sur le sous continent et sous différentes dénominations sont des « cadres » depuis lesquels on a dessiné le mondialement connu « sauvetage des plus pauvres » (poorest’s bail-out) (http://bit.ly/VRaPDb) – dont il est ingénu de se méfier - qui contraste avec celui réservé au capital financier et qui a même volatilisé le statut critique du capitalisme financier et de crédit.

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