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De forme sporadique mais récurrente la corruption se met à devenir la colonne principale du récit critique face au Gouvernement. C’est un discours qui n’arrive pas à avoir d’impact face aux arguments de ceux qui le soutiennent, parce que ceux-ci s’appuient sur d’autres thèmes, comme ceux des droits de l’homme, des politiques sociales ou de l’intégration régionale et plusieurs autres encore. Dans ces situations, les arguments contre et en faveur qui ne se croisent pas et par conséquent ne dialoguent pas, ni ne parviennent à se convaincre les uns les autres.
Le discours antagoniste enjambe cette distance, expliquant que l’unique chose qui intéresse ce gouvernement est de voler et que tout le reste est un récit, du cosmétique, du mensonge. Mais ceux qui le soutiennent sont protagonistes de plusieurs mesures du Gouvernement, des commerçants qui auparavant étaient sur le point de faire faillite, aux retraités qui ont été spoliés par les AFJP [Retraites privées] et ensuite incorporés à la retraite étatique, aux chômeurs qui ont obtenu du travail et même ceux qui ont vu juger et condamner les répresseurs de la dictature ou encore les membres de minorités de genre ou d’option sexuelle. Pour ceux-ci chacune ou seulement quelques unes de ces mesures très concrètes, ont changé leur vie.
Il y a ainsi un effet de miroir. Si ces mesures du gouvernement ne sont pas des mensonges – le commerce va bien, j’ai un travail, j’ai une retraite, les répresseurs sont en prison – alors oui ce qui est un mensonge ce sont les choses qui selon les critiqueurs sont vraies. Si on cherche à sensibiliser l’opinion à partir de dénonciations pour corruption comme unique argument, ce discours finit par générer une incrédulité dans un grand pan de la société. Ce n’est pas que l’on consent la corruption, mais on ne peut croire le torrent de dénonciations qui se diffuse.
La puissante intervention des grands médias suit cette logique dans une certaine mesure, et elle peut faire mal par son effet de masse et répétitif. Mais les médias n’ont pas besoin de déposer une plainte devant la Justice pour la rendre crédible [La diffamation journalistique n’excite pas en Argentine pour ne pas accabler la liberté d’expression. NDLT]. Cela donnerait l’impression que ce serait beaucoup plus difficile s’ils prenaient comme axe pour leurs critiques, les politiques sociales du Gouvernement, celles de Droits de l’Homme, de l’intégration régionale ou autres, au lieu de choisir la corruption comme axe. Chaque fois que le discours adversaire a dérivé vers un de ces sujets, il a mis à nu des arguments mesquins, de basse qualité démocratique et en général représentatifs de petits secteurs. Chaque fois qu’il y a eu débat, ce débat a favorisé le Gouvernement.
Le choix de dénoncer la corruption est une décision politique, mais de plus cela à voir avec la qualité de la plainte et les mécanismes de conviction qu’ont les médias. Sur d’autres terrains l’effet des grands médias a moins d’impact parce que l’on traite de politiques de masse qui ont des conséquences massives et vérifiables de manière individuelle. Chacun peut connaître quelque résultat des politiques d’intégration, de répartition du revenu ou d’élargissement des droits. Dans ces cas, la réalité virtuelle peut être confrontée par une réalité concrète et perd en force, fait partie d’une mise en scène.
En revanche, la réalité virtuelle peut prévaloir dans les sujets qui sont menaçants ou nuisibles pour un groupe social – ce qui le prédispose ? – et dont l’existence réelle ou son échelle ne peut être vérifiée par chaque personne ni par ce groupe sans l’intermédiation médiatique. À la différence des politiques pour tous. Un acte de corruption ne peut être connu si ce n’est à travers les médias. Mais s’il y a un choix politique aussi importante, c’est parce que sur d’autres sujets l’opposition a moins de chance, ce qui peut apparaître, plus que le constat d’un acte de corruption, c’est plutôt une construction médiatique, quelque chose qui est forcé, et qui est construit comme si c’était la réalité, sans l’être. Ainsi, un langage médiatique qui sert pour interpréter et représenter la réalité s’utilise cette fois pour la récréer pour la nécessité d’exploiter au maximum un sujet. Et de cette façon la construction médiatique se transforme en opération politique.
Avant la tentative médiatique actuelle de lier Néstor Kirchner à des actes de corruption à travers de l’entrepreneur Lázaro Báez, des tonnes d’articles ont été écrits au sujet d’un supposé acte de corruption du vice-président Amado Boudou en rapport avec l’entreprise Ciccone Calcográfica. Si quelqu’un a commis un délit de corruption, il doit être puni par la Justice. Il ne s’agit pas d’établir ici l’innocence de Boudou, ni de personne. Ce dont il s’agit c’est de la campagne journalistique qui n’a jamais pu démontrer sa culpabilité et que l’élection du vice-président pour être la cible cette campagne fut une décision politique. L’investigation journalistique semblait écrasante par son volume, mais il n’arrivait pas à prouver son hypothèse. A aucun moment, ils n’ont pu prouver que Boudou aurait été favorisé dans une transaction. Pour cela ils auraient du démontrer que le vice-président, ou son prête-nom, étaient les propriétaires de The Old Fund ou les financiers de Ciccone Calcográfica. Ils n’ont pu prouver la partie la plus importante, mais le volume de ce qui a été diffusé et sa répétition permanente dans tous les grands médias a laissé une impression contraire
Finalement, le Gouvernement a exécuté la dette que Ciccone avait à l’AFIP et étatisé l’entreprise pour la fabrication de papier-monnaie. Il n’a payé un peso de plus. Ceux qui étaient les propriétaires n’ont été favorisés en rien. Tout le contraire. Un obstiné est arrivé à affirmer que le Gouvernement avait pris cette décision stratégique seulement pour couvrir le tout. Mais peu de temps après, le banquier Raul Moneta a exigé une indemnisation, puisqu’il a reconnu que c’était lui qui avait financé The Old Fund – une société écran qui appartenait à Alejandro Vanderbroele – pour contrôler Ciccone. L’irruption de M. Moneta a fini par neutraliser toute la campagne médiatique, qui a trainé à partir de là. De toute façon, quand ils abordent de ce cas, l’opposition et les grands médias, disent que l’investigation a été arrêtée par le Gouvernement quand la défense a réussi à changer un procureur qui était influençable par les médias. Mais ils ne disent pas que toute présomption de culpabilité de Boudou perdait sa force avec l’étatisation de l’entreprise et avec l’irruption de M. Moneta comme le vrai financier.
Vanderbroele travaillait pour M. Moneta et non pour M. Boudou. Les failles de l’investigation journalistique avaient été mises en évidence depuis longtemps, mais le débit des articles et le mitraillage permanent de la part des grands médias couvrait cela.
Le détonateur du cas précédent a été l’ex-femme de M. Vanderbroele. Le détonateur du cas Lázaro Báez ont été deux témoignages, qui se sont dédits après : ils ont avoué qu’ils ont menti pour détourner des problèmes de business, dans un cas avec des supposés débiteurs et dans l’autre pour nuire à son ex-employeur. Et l’unique document, c’était un papier au nom du fils de Lázaro Báez, la vente de la maison des Kirchner à Santa Cruz à l’entreprise de Báez et à une société où Kirchner a mis le terrain et Báez a construit un immeuble d’appartements. Si Lázaro Báez a fraudé le fisc, il devra être jugé et puni. Mais tout le montage n’a pas été fait pour emprisonner Báez pour évasion fiscale, mais pour essayer de le montrer comme prête-nom de Kirchner. En réalité, il démontre le contraire, parce que s’il en avait été ainsi, Kirchner se serait occupé de ne pas apparaître dans aucune affaire avec Báez. Et ce sont deux petites affaires (la vente d’une maison et d’un terrain) sans aucune relation avec des fonds publics. Ils ont dépensé de l’encre et de la salive pour parler des affaires de Báez (qui en a beaucoup avec son entreprise de construction) et cela n’importe pas qu’ils n’aient pas pu prouver qu’il est un prête-nom, parce que les grands médias et la multiplication de chaque article et de chaque annonce créent la sensation de ce qu’il en a été un. Quand la Justice ne trouvera pas de preuves, ils diront que c’est la faute du juge.
Ces deux cas sont paradigmatiques parce que cela ne les intéresse pas de démontrer que la corruption publique existe, un problème qu’il est nécessaire de déterrer. Ils vont plus loin, parce qu’ils ont cherché à impliquer un vice-président et un ex-président pour installer comme paradigme exemplaire que toute politique qui transgresse les cadres établis par le pouvoir économique est si marginale qu’elle peut seulement être motivée par le vol. Quand ils choisissent l’axe anticorruption comme outil central de remise en question d’un gouvernement, c’est parce que tout autre thème ne leur serait pas favorable. Mais de plus, la morale de cette campagne des grands médias serait que le progressisme ou les politiques de changement sont bien pour exhiber dans une vitrine ou pour des témoignages, mais quand quelqu’un les converties en réalité, il ne peut s’agir seulement d’un marginal et d’un voleur.
Luis Bruschtein pour Página 12
Página 12. Buenos Aires, le 11 mai 2013.
Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi.
El Correo. Paris, le 11 mai 2013.
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