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22 février 2025

Morale et arnaques dans l’Argentine des Libertariens & Co

Des sénateurs aux crypto-monnaies, tout est en vente

par Luis Bruschtein *

 

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Est arrivée la seule chose que l’on pouvait attendre de ce gâchis qu’est Javier Milei. Une escroquerie avec une arnaque« crypto ». Ce n’est pas un hasard si la politique économique du gouvernement est aussi une arnaque de spéculation.

Les Sénateurs du Parti Radical Victor Zimmermann, Eduardo Vischi et Rodolfo Suárez

L’élévation d’un être humain minuscule à la catégorie la plus élevée de la politique est une preuve de la décadence de cette dernière. Ce système politique valorise majoritairement ce qui est malsain et médiocre. Les épisodes concernant des sénateurs comme Edgardo Kueider ou les sénateurs radicaux, provinciaux et PRO qui se sont opposés jeudi à l’ouverture d’une enquête sur la scandaleuse escroquerie « promue » ou « diffusée » par le président Javier Milei ont mis en évidence le niveau de la politique argentine. Et le niveau de la politique est révélateur de la qualité morale de la société qui la soutient. Il y a un problème en politique, mais le problème le plus grave est la crise morale et culturelle que ces carences politiques révèlent.

Ceux qui ont été menés par le bout du nez par les campagnes médiatiques des grandes entreprises et par la manipulation avec des fausses nouvelles sur les médias sociaux ont fulminé contre les politiciens et la corruption. Et ils ont voté pour le pire d’entre eux, celui qui est aujourd’hui impliqué dans une vaste escroquerie internationale.

Ce vote n’était pas gratuit. Il était basé sur la décomposition des valeurs éthiques et morales. C’était un vote pour l’élimination de la politique, seul outil contre les déséquilibres du pouvoir économique ; c’était un vote en faveur d’un État qui défend les puissants, un vote contre un État de solidaire doté d’une responsabilité sociale. Le gouvernement a démantelé le secrétariat des droits de l’homme parce qu’il ne s’y intéresse pas, et il s’apprête maintenant à faire disparaître le ministère du Capital humain parce qu’il ne s’intéresse pas aux politiques sociales.

Le schéma conceptuel derrière ces mesures réside dans la dégradation morale d’un secteur de la société qui le soutient et qui a pour paradigme les spéculateurs techno-millionnaires. Un travailleur qui a perdu son emploi est un paresseux, mais les parasites qui spéculent sur les crypto-monnaies sans travailler sont l’exemple à suivre.

Il existe un énorme business autour des « Universités virtuelles » qui facturent des fortunes pour enseigner comment devenir des parasites millionnaires avec les cryptos et les portefeuilles virtuels, d’autres qui organisent des foires techno-business et d’autres qui planifient le lancement de nouvelles crypto-monnaies.

Javier Milei était lié à toutes ces entreprises, avec ses partenaires virtuels Demian Reidel, Mauricio Novelli et celui de $Libra [1], Hayden Mark Davis, et d’autres comme Agustín Laje et Emmanuel Danann, et aux côtés de ceux qui jouent et de ceux qui escroquent àt ravers le système pyramidal comme le libertarien Leonardo Cositorto, qui a été condamné hier pour escroquerie et chef d’une association illicite. Les accusations portées contre Milei en Argentine et aux États-Unis portent sur ces délits.

Milei ne peut pas se prétendre « un passionné » et ignorer que l’arnaque avec $Libra n’aurait pas été consommée sans les messages qu’il a sciemment postés pendant cinq heures sur toutes les plateformes. Les organisateurs de ces escroqueries paient pour le temps durant lequel les messages demeurent. L’escroquerie est si flagrante que la plateforme Solana sur laquelle cette crypto était déployée a perdu 20 milliards de dollars. Elle a perdu la confiance des crypto-posteurs.

Milei n’a dénoncé personne car il ne considère pas qu’il s’agit d’une arnaque mais d’une affaire qui a mal tourné pour ceux qui l’ont écouté. Il souhaite d’ailleurs proposer une stratégie de défense juridique commune avec Davis, qui a conservé une centaine de millions de dollars dans un portefeuille électronique qu’il partage avec Milei.

Quelque chose ne va pas en Argentine. Milei a retiré les médicaments aux malades du cancer et beaucoup sont morts, il a retiré la nourriture des soupes populaires et un million d’enfants pauvres vont au lit sans dîner, il a démantelé les hôpitaux, il a enlevé les médicaments aux retraités, il a gelé les retraites et les salaires, il a abandonné les provinces touchées par les incendies et autres catastrophes et il y a encore des gens qui disent « je suis d’accord avec ses idées, mais pas avec l’escroquerie des cryptomonnaies ».

La nausée de Kueider, qui pour quelques pesos a permis la « Ley Bases » ou l’immoralité de ceux qui ont couvert au Sénat l’escroquerie de Milei, parmi lesquels beaucoup se sont distingués, comme Luis Juez, qui se sont proclamés rois de la moralisation, toute cette décomposition de la politique est le reflet de ce qui se passe dans la société. Les sondages indiquent qu’à Cordoba, Milei a une image positive à 70 %. Ce sont 70 % qui soutiennent le mauvais traitement des retraités, des malades du cancer, la destruction des hôpitaux et le fait d’affamer les enfants pauvres. Demander que la politique soit meilleure que ce qu’elle reflète, c’est comme cracher au ciel.

Mais il est vrai aussi que les sondages ne peuvent pas refléter fidèlement une réalité car on ne peut pas réduire la vie des êtres humains à de simples chiffres. C’est plus complexe qu’un chiffre de 70% ou autre. Mais il est incontestable qu’il y a eu une prédication efficace de la part des médias et des réseaux, plus d’expériences frustrantes et un contexte global de crise des démocraties occidentales. Il ne s’agit pas seulement d’un problème politique. C’ est plus profond, et nous devons commencer par le bas pour récupérer les liens de solidarité, l’entrelacement communautaire qui constitue les Argentins en tant que peuple-nation, la seule véritable voie civilisatrice. Le « chacun pour soi » du modèle de Milei exprime la dissolution, qui est le contraire du progrès.

Un système qui a débouché sur Javier Milei montre qu’il y a besoin de changements drastiques. Il ne suffit pas de changer les noms mais les contenus, de s’ouvrir à des propositions qui tiennent compte de l’incorporation des technologies de pointe qui peuvent enrichir la vie des gens, mais qui, si elles ne sont pas encadrées, modifient les relations et les coutumes et deviennent des outils de corruption. Le monde change ; il n’est pas possible de rester insensible aux transformations qui se produisent au niveau mondial, où les démocraties ont été infectées et déformées parce que les anciens modèles n’incluent pas des instruments de contrôle et de régulation des puissantes forces de facto qui sont anti-démocratiques.

Le discours néolibéral dans son expression libertarienne cherche à défaire tout ce qui représente les liens, ponts, organisation populaire, depuis les syndicats jusqu’aux mouvements sociaux, de chômeurs, de retraités, de femmes ou de genre, de coopératives et des droits de l’homme ou autres, ainsi qu’à démanteler les écoles et les université publiques, les hôpitaux et les programmes de vaccination ou les programmes de protection des plus vulnérables.

Tout cela est en train de se produire, ce n’est pas une prédiction, c’est le processus de dissolution et de rupture des liens sociaux, des défenses minimales contre le pillage des puissants. Face au discours de dissolution, il faut établir le besoin d’intégration. Il faut créer de nouvelles formes de contrôle populaire, en plus du Congrès, et démocratiser le pouvoir judiciaire avec un sens du service à la communauté.

Il faudra inventer de nouvelles démocraties avec de nombreuses formes institutionnelles de contrôle populaire qui garantissent la préservation de la démocratie inclusive avec une justice sociale. Un modèle de pays se fait avec tout le monde. Ce que les libertariens proposent n’est pas un pays mais un modèle de business pour les méga-corporations et une masse dispersée, appauvrie, brutalisée et anomique qui les nourrit.

Luis Bruschtein* para Página 12

Título original : « Moral y timba  » De senadores a criptomonedas, todo está en venta.

Página 12. Buenos Aires, 22 de febrero de 2025

*Luis Brushtein , est un journaliste argentin, rédacteur en chef adjoint du journal Página 12, qui a vecu en exil au Mexique après la disparition forcée de ses trois frères et de son père. Il est le fils de Laura Bonaparte, l’une des fondatrices de l’organisation Mères de la place de Mai.

Traduit de l’espagnol pour El Correo de la Diáspora par : Estelle et Carlos Debiasi.

El Correo de la Diaspora. Paris, le 22 février 2025.

Notes

[1$LIBRA est une crypto-monnaie créée le 14 février 2025, dans le cadre du projet « Viva la libertad ». La crypto-monnaie a été associée à l’Argentine et à son président, Javier Milei, qui en a été le premier et principal promoteur. Les sociétés qui soutiennent la crypto-monnaie sont KIP Protocol of Panama, dirigée par le Singapourien Julian Peh, et Kelsier Ventures, détenue par Hayden Mark Davis. La crypto-monnaie a généré des profits de plusieurs millions de dollars pour ses fondateurs et des pertes massives pour les personnes qui ont investi, déclenchant un scandale politique et des allégations de fraude.

Quelques minutes après sa création, la valeur de la crypto-monnaie a augmenté de 1200 %, passant de 0,000001 $ à 5,20 $, avant de s’effondrer immédiatement et de perdre la quasi-totalité de sa valeur. Selon la plateforme Solana, trois heures plus tard, les neuf comptes fondateurs de la crypto-monnaie ont gagné 286 millions de dollars au détriment de 74 000 personnes qui ont investi dans la crypto-monnaie et ont vu sa valeur disparaître, dans une opération présentant les caractéristiques d’une escroquerie à la sortie. La crypto-monnaie a atteint une valeur de 4,4 milliards de dollars à 19h40 heure argentine avant de s’effondrer et de perdre 95% de cette valeur : le célèbre site Coin Desk, spécialisé dans le bitcoin et les monnaies numériques, a qualifié l’opération de « destruction de richesse la plus importante et la plus rapide de l’histoire du trading »

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