Accueil > Empire et Résistance > La "bonne gouvernance" du Sud : une nouvelle théologie de non-libération ?
Par Ghazi Hidouci
AITEC, 9 octobre 2003
Introduction
La contribution qui suit s’inscrit dans le débat actuel relatif à la gestion politique et économique internationale des transitions économiques et à l’évaluation des doctrines et pratiques des institutions financières, gardiennes du temple du credo néolibéral en la matière. Cette réflexion prend délibérément le parti d’analyser l’interrogation stratégique du projet politique de réformes
institutionnelles et économiques mise en avant et affichée par les institutions de Bretton Woods elles-mêmes, sans tirer parti des arguments de leurs délateurs, bien plus convaincants par ailleurs.
I.- L’évolution du concept : de l’économique au politique :
Le terme de " gouvernance " est d’origine française lointaine. Oublié, il est réapparu il y a plus d’un demi-siècle chez les économistes étasunian. Ils s’en sont servi et s’en servent encore pour comprendre
le rôle de la grande firme sur des marchés moins concurrentiels qu’il n’y paraît et expliquer que cette dernière s’avère plus efficace que le marché pour organiser les échanges complexes et réduire les coûts
de transaction, à condition que les autres acteurs, et notamment l’État se prêtent à l’exercice. La formule "corporate governance", va se répandre aussi rapidement que se « transnationalisent » les entreprises et se mondialise la finance internationale. Le concept, ainsi emprunté à l’étude des firmes, s’applique à la gestion monopoliste non interventionniste confrontée à des mécanismes
contraignants de marché provoqués par des intérêts contraires. La théorie est remise à la mode dans les années 70 aussi bien pour la gestion des politiques économiques pour lever ces contraintes par un
grand leader socialiste britannique Wilson, (Governance in Britain) que par les « économistes institutionnalistes ». Elle définit alors la
gouvernance comme « la gestion des instruments et mécanismes mis en oeuvre (par la firme ou par le pouvoir politique, mais en réalité ensemble) pour mener des coordinations efficaces qui relèvent de deux
registres :
– celui des protocoles internes, quelque soient les territoires de souveraineté, lorsque l’organisation est hiérarchique et intégrée ;
– celui des contrats de partenariat et de l’usage de normes applicables dans tout le champ lorsque l’organisation s’externalise. »
II.- Du gouvernement à la gouvernance
Ce mode de coordination n’est pas cohérent avec la liberté et l’équilibre spontané du marché, comme on veut souvent le faire croire lorsqu’il est appliqué à la régulation inspirée par la puissance publique. La firme dans cette logique néoclassique ne s’est jamais
sentie prise en défaut par la ’corporate governance" qui l’autorise légitimement à se prémunir de la régulation des marchés. Au cours des années 80, la notion prend un sens précis nouveau en Grande Bretagne à
l’occasion de la mise en place des réformes visant à limiter le pouvoir des autorités locales, jugées inefficaces et trop coûteuses, par le renforcement de la centralisation et la privatisation de certains services publics par le gouvernement Thatcher. La gouvernance à consonance néolibérale est née.
Le terme de gouvernance sera à partir de là transposé sans restriction du monde de l’entreprise à celui du pouvoir politique pour désigner des modes de coordination et de partenariat différents de ceux
spontanés du marché, sans dire qu’il s’agit de gouvernement. Dans le contexte récent marqué par le recul de l’implication publique dans l’activité et le fonctionnement de l’économie transnationalisée, la
notion de gouvernance s’étend à la fin des années 80 au champ des relations internationales
III.- La transposition au Sud
Le terme de " good governance " est employé par les institutions financières internationales pour définir les critères d’une bonne administration publique, laissant toute latitude aux marchés extérieurs, dans les pays soumis à des programmes d’ajustement structurel. Les organismes de prêt internationaux préconisent par le biais de cette notion des réformes institutionnelles nécessaires à la réussite de leurs programmes économiques, en évitant soigneusement d’étudier les rapports de pouvoir qui déterminent l’économique dans la transition vers le marché faussement concurrentiel.
Il est possible toutefois de déterminer des éléments communs auxquels se réfèrent les différentes approches lorsqu’elles utilisent ce terme.
Dans la bouche des tenants de « l’intégration-globalisation » néolibérale des marchés, « governance » remplace surtout « governability » plus risqué et encore utilisé jusqu’aux années 70. Le Rapport de la Commission Trilatérale de 1975 dont le titre était «
Governability of Democracies » introduit le terme comme instrument de gestion sociale et politique favorable à la grande firme en l’appliquant à une comparaison entre l’attitude des pouvoirs publics en Europe, aux États Unis, et au Japon.
La conclusion aboutit évidement à préférer la démarche néo-libérale avantageuse pour le régime de gestion capitaliste des revendications démocratiques et de redistribution des États Unis, afin d’assurer un
nouveau mode de gestion de l’ordre social.
Saisissant très vite son rôle dans l’accélération du décloisonnement des marchés, la Banque Mondiale va adapter le concept au traitement des problèmes institutionnels du développement et assumera
progressivement le leadership officiel de la pensée internationale dans le domaine, pour le compte des agences des Nations Unis, sommées de s’aligner. La démarche appliquée par la Banque aux économies en
transition confirme l’objectif prégnant d’une conception
fonctionnaliste de l’État aboutissant à la possibilité d’instrumentation des interventions d’autorité publique par les intérêts privés et à la subordination progressive de la souveraineté politique à celle des marchés. Les solutions préconisées et les moyens
progressivement mis en place pour les atteindre dans les programmes d’ajustement, seront formalisées et théorisées après coup dans « Governance and Development (1992) » et « Governance, the World Bank’s
Perspective (1994) ».
Confrontés aux échecs répétés des programmes économiques d’inspiration
néolibérale mis en place dans un ensemble de pays en voie de développement, Les institutions financières internationales ont en
effet pris conscience qu’il était impossible de tout régler par des
réformes économiques et de continuer à reléguer les questions
politiques et sociales au second plan dans le débat sur le
développement. Leurs experts commencent à incriminer le cadre
politico-institutionnel défaillant de ces pays sans recommander d’agir
en amont sur leur mode de gouvernement et surtout sur les oligarchies
dont les intérêts particuliers et les privilèges sont à la source de
la dépression. Selon ces experts, c’est le manque de capacités de
gestion et non la volonté des gestionnaires qui est à l’origine de la
plupart des problèmes économiques rencontrés en Afrique, en Amérique
Latine, en Europe orientale ou encore dans les pays de l’Est. Peu à
peu, il est apparu qu’aucun projet économique ne pouvait aboutir sans
une légitimité politique et une efficacité minimum des institutions
politiques. Le pouvoir a donc bien vite été perçu comme un obstacle au
bon fonctionnement de l’économie et d’une manière générale à la
progression du marché dans ces pays. Mais s’occuper de questions
d’ordre politique, revient à ne plus avoir la foi dans la capacité
autorégulatrice des marchés.
La gouvernance n’a jamais ainsi fait ainsi l’objet d’application
clairement affichée dans le contexte des politiques de développement.
Le but affiché par la Banque Mondiale et, à sa suite, par toutes les
agences de coopération, le PNUD et les bailleurs de fonds bilatéraux
est clair : il ne s’agit pas de combattre les tares des systèmes
publics de gestion sociale mais plutôt de limiter les prérogatives de
l’État en associant des acteurs de la « société civile ». l’État doit
se limiter à garantir par son autorité un fonctionnement efficace du
marché, notamment en protégeant la propriété privée et la sécurité des
investissements, et mettre en place des mesures correctives lorsque ce
marché en formation est défaillant. La notion est en fait utilisée de
façon quasi exclusivement normative pour désigner les institutions,
les pratiques et les normes politiques nécessaires, en théorie, à la
croissance et au développement économique des pays emprunteurs. La
Banque Mondiale énonce quatre conditions à l’établissement de la bonne
gouvernance :
– l’instaurations d’un État qui respecte le droit des affaires, qui
garantisse la sécurité des transactions et le respect des lois et
règlements, sans préciser le rapport de ces garanties au régime
politique,
– la bonne administration qui exige une gestion professionnelle des
dépenses publiques,
– la responsabilité et l’imputabilité (accountability) qui imposent
que les dirigeants rendent compte de leurs actions devant la
population et
– enfin la transparence qui permet de disposer et d’accéder à l’information.
Le rapport sur le « Développement dans le Monde 1999-2000 », «
Entering the 21st Century », confirme cette tendance. Il élargit le
terrain des prescriptions d’ajustement à deux aspects de la «
gouvernance » que le document de la Banque mondiale de 1992
définissait explicitement comme hors de son champ : la forme du régime
politique et la capacité du gouvernement de concevoir, de formuler et
de mettre en oeuvre des politiques, et de façon générale de concevoir
le pouvoir politique. Dans les analyses relatives à la
décentralisation notamment, la Banque souligne cette fois que la
bonne gestion administrative et fiscale implique des régimes
politiques qui soient des lieux de gestion des ressources. Les
citoyens des pays en transition ne sont toujours pas perçus d’abord
comme des acteurs politiques, mais plutôt comme des « clients ». Les
IFI jettent le voile sur la contradiction et tentent de contourner l’
obstacle en mettant en avant leur statut qui leur interdirait
d’intervenir directement dans le champ d’accès aux choix, aux
décisions et au pouvoir politique. Ceci justifie surtout qu’ils ne
fassent rien ou presque pour contrarier nombre de bureaucraties
totalitaires mais dociles. Ils continuent par contre à leur procurer
des ressources. Pour ne pas agir, hors de la mission de défense des
intérêts immédiats des marchés en (tant que créanciers), les
institutions financières internationales vont ainsi privilégier une
notion tronquée et restrictive de la gouvernance, considérée dans sa
neutralité apparente comme « la bonne gouvernance ».
Plus gravement, les organismes de financement internationaux ont eu
tendance, dans leur discours, à opposer de façon artificielle l’État à
la société civile, alors que dans les sociétés non démocratiques ou si
peu, en transition, la « société civile » est plutôt un appendice de l
’État qu’un reflet de la société. Ils se trouvent ainsi souvent
devant le phénomène du « serpent qui se mort la queue », mais font
semblant de ne pas s’en apercevoir. La privatisation et la
décentralisation ont été présentées dans la même logique comme
permettant de renforcer l’esprit d’initiative des populations, leur
autonomie et leur participation au développement de leur pays, comme
si l’État de droit, préexistait, les marchés étaient concurrentiels
et les comportements rationnels dans l’équilibre...
Les réformes institutionnelles recommandées au nom de la « bonne
gouvernance » ont été associées partout, de manière abusive, à la
défense de la démocratie. C’est ce qui a permis de justifier l’amnésie
des néo-keynésiens et des tenants traditionnels de l’économie sociale
au sein des organisations internationales relativement à leurs
prétentions antérieures à maintenir l’État dans ses anciennes
prérogatives économiques. Au plan académique enfin, la gouvernance
ainsi définie exprime pour la plupart des « experts-conseils » qui n’
ont pas la malchance de la pratiquer sous la pression de l’endettement
et des conditionnalités, une régulation utilisant des techniques de
gestion sociale neutres, capables d’assurer de façon magique, pourvu
qu’on les applique automatiquement, la cohérence entre orientations,
objectifs, moyens et politiques. Pour tous, il s’agit en définitive
avec quelques nuances, d’une finalité définie d’avance qui permet de
se passer d’une responsabilité et d’un contrôle effectifs de la
société dans la définition et à la mise en oeuvre d’un projet
collectif.
Les réalités sont cependant têtues. La concession équivoque aux à
l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire par les acteurs du marché
néolibéral ne permet pas de sortir le « P.A.S de l’impasse », selon le
slogan devenu célèbre des associations qui luttent pour la réduction
de la dette des pays pauvres. En dépit des nouvelles promesses de
guerre totale contre la pauvreté et de l’emphase accordée aux liens
entre « participation » et « gouvernance » dans les études et les
discours, rien n’indique que les I.F.I sont en train de changer. Les
nouveaux programmes représentent plus une justification des programmes
traditionnels d’ajustement structurel qu’une remise en cause d’ordre
conceptuel. Plus généralement, le langage utilisé dépouille la lutte
contre la pauvreté de son caractère d’obligation légale de solidarité
pour la maintenir ou plutôt la faire ouvertement retourner dans un
passé à une vocation morale de charité. C’est ce que signifie
l’introduction de programmes dits D.S.A. et l’inflation soudaine des
réflexions savantes sur « ajustement et équité » au sein de la Banque
Mondiale et de l’O.C.D.E.
La fausse-nouvelle conception de la gouvernance est toujours centrée
sur la vrai-ancienne approche instrumentale du pouvoir ; elle légitime
la diversité des acteurs (firmes, organisations à but non lucratif.)
qui peuvent intervenir dans la gestion des affaires publiques et
dénonce explicitement dans les pays laboratoires, au nom de la
modernité, le modèle politique traditionnel qui confie aux seules
autorités politiques la responsabilité de la gestion des affaires
publiques. La légitimité sociale devient ainsi pour le moins associée
à des légitimités de marché. L’entorse à la souveraineté entière des
citoyens est camouflée par la suite derrière les qualificatifs de «
empowerment », de « capacity » et « consensus building », entretenant
l’illusion que la participation des acteurs de marché en tant que
partenaires transnationaux d’États seulement nationaux, aux choix
souverains, est démocratique et de droit, même si elle transite par
des institutions juridiquement mal situées. Ce ne sont pas de tels
artifices, présentés comme des évidences qui vont épuiser le débat sur
la recherche d’une cohérence entre les rôles de l’État et des
institutions financières dans chaque pays. Une des caractéristiques de
la gouvernance telle qu’elle est véhiculée par la vulgate néolibérale
est qu’elle possède un fort contenu idéologique qui n’est pas toujours
assumé, sans qu’on puisse distinguer clairement les approches
gestionnaires des approches plus politiques. Dans la plupart des cas,
elle n’est envisagée que sous l’angle des modes de coordination
permettant d’améliorer l’efficacité de l’action publique par l’
animation, dite régulation des relations entre acteurs (conditions de
coopération et surveillance techniques des partenariats) pour un bon
fonctionnement du marché selon ses propres mouvements. Les modes de
régulation sont déterminés par des principes gestionnaires et
utilitaristes : la transformation appelée modernisation des structures
de gouvernement est une nécessité d’économies financières en période
de restrictions budgétaires, au bénéfice le plus souvent des rentiers.
Dans ce cadre, la gouvernance est assimilée à un système de normes et
non à une démarche de transition sociale.
Dans une approche plus socialement orientée, autour d’O.N.G et d’
agences de l’O.N.U., se dessine plus ou moins clairement et
explicitement, derrière la transformation des modes de gestion, la
question de l’organisation sociale et politique qui détermine le
comportement des acteurs et les choix qui en découlent. La réflexion
finit par porter non plus seulement sur les modes les plus efficaces
et efficients de gestion, mais aussi sur les rapports nocifs entre l’
économique ouvert sur les marchés internationaux et les conditions de
son fonctionnement, la demande interne et les dynamiques des marchés
restreints sans aller également à étudier le rapport au pouvoir. Des
grilles d’analyse en formation autour de la problématique du
développement durable se construisent nécessairement autour de
lectures plus pertinentes du politique. Derrière un discours à
consonance démocratique toujours imprécis, il y a la volonté de
réformer les institutions politiques pour limiter les entraves au bon
fonctionnement du marché (conception dominante dans le champ
anglo-saxon), ou au contraire pour renforcer les mécanismes de
régulation pour lutter contre les effets du néolibéralisme et en
particulier contre la crise sociale (postkeynésiens plutôt européens).
L’émergence quelque peu maladroite de nombreuses O.N.G peu
transparentes sur la scène politique, celle tout à fait illégitime des
experts et des bureaucraties transnationales, de leurs réseaux locaux
et régionaux, se transformant en partenaires politiques et
intempestifs, soient développées des réflexions sur les procédures de
participation politique et de contrôle des instances du pouvoir, dans
les démocraties plus ou moins émergentes, posent gravement d’
importants problèmes de cohérence des systèmes politiques de fait qui
se développent dans les pays sous ajustement, souvent sans
communication organisée avec les sociétés. De plus en plus utilisé
pour défendre des positions idéologiques dominatrices, le sens donné à
la gouvernance dans ce contexte équivoque tend à créer l’illusion d’
une convergence théorique entre l’approche de la régulation spontanée
par le marché et le besoin de faire appel à l’autorité de l’État pour
faire assumer naturellement les conséquences économiques et sociales
des arbitrages économiques aux acteurs sociaux dominés plutôt qu’aux
acteurs sociaux dominants sur les marchés. Il s’est alors imposé en
définitive comme un néologisme dissimulant des conceptions
différentes, permettant habilement d’éviter de faire face aux
problèmes posés par des conceptions antinomiques.
Aujourd’hui s’opère ainsi de façon diffuse un déplacement des
responsabilités de l’État à la « société civile » et aux « forces du
marché » juridiquement et socialement indéfinis. Ces nouveaux acteurs
sont associés au processus de décision sans que le droit national ou
international ne les prenne en compte. Les autorités publiques qui
s’en remettent davantage aux marchés économiques et sociaux voient
leur rôle d’arbitre au non de la collectivité diminué au profit d’une
recherche de consensus aux règles cachées, sinon modifiées. Un système
qui rompt avec les bases communes du droit ne peut que prétendre à une
justification idéologique totalisante. C’est là que ce situe le plus
grand danger pour la liberté et la démocratie. Il est ainsi nécessaire
comme l’éclaire la pratique sur le terrain de l’ajustement, de
renoncer à l’idée d’actes totalement fondés sur des sophismes
justifiant une normalisation technique envahissante et réintroduire la
politique à travers les conflits qui reflètent les oppositions
d’intérêts et de choix sociaux. La gouvernance doit appartenir au
domaine de la recherche d’institutions légitimes des choix sociaux,
des arbitrages et de l’évaluation démocratique de la responsabilité,
afin de mettre en place efficacement et surtout équitablement les
intermédiations et les organisations économiques efficaces d’
ajustement. Établir les procédures responsables de choix implique d’
analyser le comportement les moyens et les motivations des acteurs et
non l’équilibre apparent des résultats de leurs actions. Il est
également nécessaire de comprendre le fonctionnement du pouvoir de
décision à partir de ces mêmes interrogations. La gouvernance gère
ainsi les conflits d’intérêts qu’elle doit bien connaître même de
façon approximative. Son objectif est la recherche d’un développement
qui s’appuie sur une véritable équité sociale, même douloureuse.
L’objectif d’une « bonne gouvernance » n’est jamais la neutralité
politique. C’est la mise en place d’une véritable économie des
organisations et des institutions. L’activité qu’elle implique doit
permettre de dégager des convergences entre les espaces de
souveraineté légitime, la nécessité de prendre en compte les
représentations et la réalité. Elle s’améliore et gagne en efficacité
dans une logique qui intègre les conflits et organise les arbitrages
équitables entre acteurs décentralisés. Réduire la gouvernance à
l’établissement de normes techniques formellement légalistes valables
en tout lieu parce que le marché est le même partout est une aventure
confuse sans lendemain.
La gouvernance n’exprime pas une régulation qui assurerait de façon
magique non concrète et automatique la cohérence entre orientations,
objectifs, moyens et politiques. Elle a besoin et d’un cadre légal
politiquement légitime pour être crédible. C’est le coeur de l’
organisation , ce qui n’est pas son apparence trompeuse ou sa façade
idéologique. L’emprunt du terme à la gestion des firmes a permis
pourtant de camoufler pendant vingt ans cette réalité. Le cour de l’
économie politique, a révélé partout le lien entre tyrannie
institutionnalisation de mécanismes d’accumulation prédatrice et mode
de régulation social, politique et économique sélectif et asymétrique.
Il faut toujours choisir dans la réalité entre deux significations de
la gouvernance :
– Celle que continue de véhiculer le F.M.I et qui limite le rôle de l’
État à celui de gendarme du respect des équilibres externes tels qu’
ils satisfassent aux attentes des créanciers et des investisseurs
financiers. Dans cette perspective, l’adéquation entre d’une part les
réformes institutionnelles mises en place sous l’égide des bailleurs
de fonds multilatéraux et les contraintes économiques qui résultent de
leurs programmes et, d’autre part, les conditions nécessaires à l’
ouverture d’espaces politiques dont dépendra la réussite de la période
de transition, ne s’est jamais réalisée. Les observations recueillies
concluent sur la reconduction des modes de régulation politique et
économique antérieurs, mais aussi sur le glissement d’un modèle
libéral pluraliste, basé sur un idéal de participation et d’
intégration , vers un modèle autoritaire prébendier à logique
technocratique s’accommodant voire confortant des stratégies de
division et d’exclusion.
– Celle qui considère que la gouvernance couvre le champ de l’exercice
du pouvoir et qu’il ne peut y avoir de bonne gouvernance sans que ce
dernier, qui contrôle en définitive le fonctionnement du marché ne
devienne réellement porteur de progrès social collectif. L’arbitrage
équitable ne pouvant se réaliser sans de citoyenneté politique,
garantissant l’évaluation et la sanction, pose à la gouvernance le
défi d’une libération du politique dont dépendra la réussite de la
lutte contre la pauvreté qui abandonne l’inefficace exigence morale de
charité pour l’obligation légale de solidarité en lutant contre les
rentes injustes et les inégalités pendant la transition. La
Gouvernance se situe au centre de gravité d’un triangle dont les
sommets constituent les trois obstacles solidaires que sont la
corruption financiére, la corruption démocratique et la corruption de
la loi.
On ne peut prendre pour modèle dans le choix des contours et des
contenus des transitions des théories qui n’identifient pas à la fois
les défauts juridiques, sociaux et économiques qui sont à l’origine
des régressions dans la pauvreté et le sous développement. Les
corruptions des systèmes en crises sont l’oeuvre des acteurs
responsables qui exercent l’autorité réelle et non apparente. C’est à
leur niveau qu’il faut étudier les conditions d’une bonne
administration, pour avoir la possibilité de faire les véritables
propositions de modernisation et de dépassement des rapports internes
et externes d’extorsion et d’exploitation qui caractérisent la
majorité des économies en transition. Ces corruptions et les liens que
les détenteurs internes et externes de pouvoir entretiennent entre eux
pour s’accaparer du vrai pouvoir de décision doivent être aujourd’hui
la préoccupation centrale de l’étude du développement et de la
croissance en économie en transition. Examiner partiellement ou en
surface les choses, c’est en définitive risquer systématiquement de
conforter les règles du jeu des vrais lieux de pouvoir des tyrannies
modernes, au Sud comme au Nord, comme l’expérience l’a partout prouvé.
IV. La spoliation à la recherche de « Gouvernance »
En l’absence de véritables innovations théoriques au plan de la pensée
économique alternative pour faire face à la dépression dans le
tiers-monde et le monde socialiste défunts et subordonnés, la notion
de gouvernance va être employée par des courants de pensée différents
avec des finalités souvent non explicites, ce qui évite aux
économistes et aux intellectuels de prendre partie dans des débats
sociaux et politiques. La conclusion aboutit évidement à préférer la
démarche néo-libérale avantageuse pour le nouveau régime de gestion
capitaliste financier des revendications démocratiques et de
redistribution.
Les experts de la Banque et leur réseau de correspondants rétribués
incriminent la gestion des capitaux sans recommander d’agir en amont
sur les oligarchies dont les intérêts particuliers et les privilèges
sont à la source de l’endettement. Ils ne font rien ou presque pour
contrarier nombre de firmes véreuses et de bureaucraties totalitaires
mais dociles. Ils continuent par contre à leur procurer des
ressources. Pour ne pas agir, hors de la mission de défense des
intérêts immédiats des marchés en (tant que créanciers), les
institutions financières internationales vont ainsi privilégier une
notion tronquée et restrictive de la gouvernance, considérée dans sa
neutralité apparente comme « la bonne gouvernance ».
V.- Quelles mobilisations ?
Agir aujourd’hui sur le gouvernement dans les pays sous ajustement c’est d’abord bien se pénétrer de la réalité d’un pouvoir transnational dont le coeur est formé des grandes firmes, imposant un fonctionnement libre de marchés du capital, de la monnaie, du travail, des ressources naturelles et bientôt de la vie. Le FMI, la Banque Mondiale et l’O.M.C. n’en sont que les appareils de gestion monopoliste efficace. Ce faisant, c’est surtout dans un rapport de forces, sous la contrainte
des tensions provoquées par les implications stratégiques des crises sociales en expansion sur la sécurité et la paix que les pratiques peuvent être infléchies. La « gouvernance » doit nécessairement être
redéfinie au niveau de l’organisation sociale pour tenter de trouver des remèdes aux travers qui se dissimulent derrière les mauvais résultats économiques et qui les déterminent.
Cette perspective s’inscrit dans le prolongement des résistances contre les régressions économiques et sociales présentes des démarches injustes de mondialisation. Ce que l’analyse dominante refuse en effet de considérer, c’est que nous assistons à une crise de l’efficacité globale du comportement des acteurs internationaux qui déterminent l’orientation des marchés et que c’est à ce niveau qu’il faut agir.
Un système qui rompt avec les bases communes du droit international et de la Charte des Nations Unis ne peut que conduire à une justification idéologique totalisante. C’est là que ce situe le plus grand danger
pour la liberté et la justice non dans les pays concernés par la surveillance de la BM seulement, mais partout dans le monde. Il est ainsi nécessaire comme l’éclaire la pratique sur le terrain de l’ajustement, de renoncer à l’idée d’actes totalement fondés sur des
sophismes justifiant une normalisation technique envahissante et réintroduire la politique à travers les conflits qui reflètent les oppositions d’intérêts et de choix sociaux.
Contact pour cet article : julien.aitec@globenet.org