recherche

Accueil > Argentine > L’ARGENTINE DANS SA TROISIEME CRISE DE LA DETTE

17 février 2024

L’ARGENTINE DANS SA TROISIEME CRISE DE LA DETTE

par Cristina Fernández de Kirchner

 

Toutes les versions de cet article : [Español] [français]


Tableau de la situation

« Emprunter des capitaux pour remplacer
les capitaux détruits par la crise,
n’est pas remédier la pauvreté, c’est l’aggraver ;
la richesse d’autrui n’est pas la richesse du pays.
La dette représente davantage la pauvreté que la richesse.
S’endetter, n’est pas s’enrichir, mais s’exposer
à l’appauvrissement à cause de la facilité
avec laquelle l’argent d’autrui est toujours dépensé »
Juan Bautista Alberdi)


L’objectif de ce document de travail est d’analyser en termes historiques, économiques et politiques la situation de l’Argentine après l’entrée en fonction d’un nouveau gouvernement pour la période 2023-2027, avec le but de trouver une autre façon d’aborder les questions d’État, basée sur des faits objectifs et des données concrètes qui aident à comprendre la véritable nature de nos problèmes en tant que pays et nous éloignent des adjectifs personnels ou des simples opinions sans aucun fondement dans la réalité.

Contrairement à ce que l’on affirme habituellement, à savoir que le principal problème de l’économie argentine est le déficit fiscal et la principale cause de l’inflation, l’émission monétaire nécessaire pour le couvrir, nous soutenons que l’inflation en Argentine est déclenchée par la pénurie de dollars et que l’endettement compulsif dans cette monnaie ne fait qu’aggraver cette pénurie en approfondissant la contrainte externe déjà connue et structurelle de notre économie bimonétaire.

Cela ne signifie pas qu’il faille ignorer la question fiscale, mais nous pensons qu’il ne s’agit pas seulement d’une question de dépenses, mais aussi de recettes, face à un système fiscal qui présente de multiples problèmes allant de 40 % de l’économie au noir, à la sous-facturation des exportations et à la surfacturation des importations, à l’existence d’une multiplicité d’impôts, dont certains ne collectent même pas ce que leur administration demande. Plus important encore, l’absence évidente de perception des risques dans un système fiscal non seulement préparé pour l’évasion et la fraude, mais aussi pour taxer la production et le travail au détriment de la finance.

1. LA CLÉ HISTORIQUE

Quarante ans après le retour à la démocratie, l’Argentine traverse sa troisième crise de la dette. La première, issue de la dernière dictature civico-militaire déclenchée en 1989 avec l’UCR à la tête du gouvernement ; la deuxième, incubée dans la convertibilité et qui a implosé en 2001 avec le gouvernement de l’Alianza ; et cette troisième, qui a germé dans le processus d’endettement féroce du gouvernement de Mauricio Macri, qui a impliqué le retour du FMI et dont nous connaissons actuellement l’issue. Cette fois-ci, le caractère bimonétaire de notre économie s’est accentué, ce qui a aggravé la, déjà connue, restriction extérieure structurelle.

-1976-1989. Première crise de la dette.
Décembre 1983 marque le début de la plus longue période de démocratie ininterrompue de l’histoire de notre pays. Le leader radical Raúl Alfonsín obtient 52% des voix et le péronisme est vaincu pour la première fois lors d’élections libres et sans interdits.

Il convient de rappeler qu’à cette époque, pour l’élection du président, le système électoral indirect prévu par la Constitution nationale de 1853 était en vigueur. Le résultat électoral tranchant rendait inutile la convocation du collège électoral.

Le gouvernement qui est entré en fonction a, non seulement hérité d’une dette extérieure brutale contractée par la dictature civico-militaire, mais s’est également trouvé confronté à un changement du modèle d’accumulation que le pays avait soutenu pendant des décennies : après avoir démantelé le modèle industriel basé sur la substitution des importations, qui générait un travail bien rémunéré et la mobilité sociale ascendante qui en découlait, la dictature a imposé un modèle strictement financier.

En effet, le coup d’État civico-militaire de 1976, qui a utilisé la terreur en pratiquant l’enlèvement, la torture et les disparitions forcées comme méthode politique, a signifié en termes économiques l’apparition du modèle de valorisation financière et d’endettement extérieur compulsif, qui a atteint son apogée à la fin de 1982 lorsque la dette en dollars contractée par les principaux groupes économiques du pays a été nationalisée. C’est ainsi qu’a commencé, en 1976, la première expérience économique néolibérale en Argentine.

Ainsi, la dictature, qui avait reçu du dernier gouvernement péroniste une dette extérieure limitée à 4 941 millions de dollars, a remis au gouvernement une dette extérieure de plus de 31 709 millions de dollars. En seulement six ans, la dictature civilo-militaire a multiplié la dette extérieure par plus de six, la doublant tous les 365 jours.

Au cours de la même période, l’Argentine a connu les taux d’inflation les plus élevés de mémoire d’homme. Entre 1976 et 1983, le taux d’inflation cumulé a été supérieur à 1 700 %, atteignant 433,7 % par an en 1983, ce qui a mis fin au mythe selon lequel les taux d’inflation élevés étaient le résultat du « distributionnisme péroniste ». Il convient de rappeler que pendant la longue période du modèle industriel de substitution des importations, l’inflation n’a jamais dépassé un taux à deux chiffres par an.

Avec la valorisation financière et l’inflation, le dollar est apparu comme un objet de désir et le bi-monétarisme a commencé à se renforcer dans notre pays.La culture, à travers des œuvres cinématographiques mémorables, a exprimé cette nouvelle valeur sociale bien mieux que les analystes politiques et économiques.

Il convient de rappeler, surtout pour ceux qui militent contre la politique ou qui affirment que les problèmes économiques de l’Argentine sont dus aux droits des travailleurs, que pendant la dictature civile et militaire, l’activité politique et syndicale était interdite.

En d’autres termes, sans partis politiques ni syndicats, l’Argentine s’est endettée et l’inflation a atteint des niveaux sans précédent.

Le nouveau gouvernement démocratique qui a pris ses fonctions le 10 décembre 1983 a accepté , sans bénéfice d’inventaire, la dette extérieure héritée et, en 1984, l’inflation a grimpé à 688 %.

Le 26 avril 1985, le président Alfonsín a annoncé, lors d’un grand rassemblement sur la Plaza de Mayo, que l’Argentine devait entrer dans une « économie de guerre » et, le 14 juin de la même année, il a lancé le plan de stabilisation connu sous le nom d’« Austral ». L’inflation diminue fortement et atteint 6,2 % le mois suivant. L’année suivante, elle atteint 81,9 %.

Cependant, ce plan de stabilisation ne fonctionnera qu’un temps, puis échouera. L’inflation deviendra hyper, atteignant 4.923,7% en 1989, pulvérisant la représentation politique d’une force qui, avec les fortes victoires électorales de 1983 et 1985, se présentait comme le « troisième mouvement historique ».

Il n’est pas dans notre propos d’analyser les causes de l’échec du Plan Austral ou de son succédané encore plus éphémère, le Plan Primavera, mais il est admis par le mainstream d’attribuer cet échec à la non réalisation des réformes structurelles demandées par le marché (c’est-à-dire les privatisations)..En réalité, le processus d’hyperinflation et l’effondrement des plans de stabilisation ont eu lieu lorsque le FMI a refusé de débourser une tranche du prêt avec lequel les échéances des obligations de la dette devaient être payées.

Ce processus de crise, qui a fait exploser la représentation politique de l’Alfonsinisme comme parti de gouvernement, s’est traduit par une crise institutionnelle limitée, car cela a coïncidé avec le calendrier électoral des élections présidentielles de 1989, qui ont été remportées par le candidat péroniste Carlos Saúl Menem. Nous parlons d’une crise institutionnelle limitée parce que la « solution » à la poussée hyperinflationniste et à ses dérivées a consisté à avancer de six mois la passation des pouvoirs présidentiels.

Le nouveau président a pris ses fonctions le 9 juillet 1989, au lieu du 10 décembre de la même année, comme il aurait dû le faire. L’espace politique qui avait suscité l’espoir de la majorité de la société argentine après la dictature civilo-militaire et qui avait obtenu 52% des voix, a fini par céder le pouvoir par anticipation.

- 1989-2001. Segunda crisis de deuda.
Le 9 juillet 1989, six mois avant la date prévue, Carlos Saúl Menem a pris ses fonctions de président de la nation et a hérité de la dette et de l’inflation que le radicalisme avait reçues de la dictature et qu’il n’a pas pu ou su inverser. Un an plus tard seulement, en 1990, sous l’administration d’Erman González, troisième ministre de l’économie de Menem, la deuxième hyperinflation a grimpé en flèche, atteignant un taux de 1 343,9 % interannuel.

Cependant, le monde avait changé et le nouveau président s’adaptait au nouveau scénario international. En 1989, le mur de Berlin est tombé et le processus de mondialisation, dont l’épine dorsale théorique est le consensus de Washington, a commencé. Un nouveau secrétaire au Trésor américain, Nicholas Brady, a présenté un nouveau plan de financement de la dette pour les pays sous-développés, connu sous son propre nom : le plan Brady. Ce plan a été conçu pour « aider » des pays comme l’Argentine, le Brésil, l’Équateur, le Venezuela et le Mexique à résoudre leurs problèmes de dette souveraine. Outre le menu habituel d’obligations de dette pour financer et prendre plus de crédit, le plan « suggérait » aux pays qui voulaient y accéder d’appliquer les lignes directrices du Consensus de Washington, ce qui incluait les privatisations. C’est dans ce contexte que le plan de privatisation de tous les actifs de l’État a commencé en Argentine : YPF, Aerolíneas Argentinas, SEGBA, Obras Sanitarias, SOMISA, Correo Argentino, ENTEL, etc. C’est ainsi qu’a débuté la deuxième expérience néolibérale de l’économie argentine.

Aussi, en 1991, après avoir subi la deuxième hyperinflation, le gouvernement a nommé son quatrième ministre de l’économie, Domingo Cavallo, qui a présenté son plan de stabilisation connu sous le nom de Convertibilité, qui consistait à donner à un peso argentin la parité avec un dollar US. En d’autres termes : un peso valait un dollar.

Précédemment, avait été appliqué un plan d’échange contraignant pour les obligations taux fixe connu comme Bonex qui a constitué la première appropriation par décision de l’Etat de l’épargne que les argentins détenaient dans les banques. C’est ainsi qu’a commencé le phénomène d’appropriation de l’épargne des argentins qui aura lieu à chaque crise de la dette. Ce fut la première fois mais non la dernière.

En même temps, a débuté le processus de liquidation de toutes les entreprises d’Etat qui a atteint son apogée en 1998, un an avant le changement de pouvoir, quand le gouvernement a décidé de dénationaliser YPF avec la vente de son action d’or. Les comptes n’y étaient pas et il fallait des dollars pour soutenir la convertibilité.

Il est également nécessaire de préciser que dans le modèle initial de privatisation d’YPF, les provinces productrices d’hydrocarbures participaient en tant que propriétaires d’une partie du capital social de l’entreprise et l’État national, en plus de sa participation, s’était réservé l’instrument connu sous le nom d’ « action privilégiée », qui lui permettait non seulement d’opposer son veto aux décisions de l’entreprise, mais aussi de participer à la conception des politiques énergétiques en tant que ressource stratégique de la nation. Il s’agit d’un modèle de partenariat public-privé, dans ce cas fédéral.

Le processus de liquidation des actifs du patrimoine national - la plupart payés avec des obligations de la dette elle-même - plus l’afflux de dollars pour endettement et pour rendre la convertibilité soutenable, loin de résoudre le problème, l’a aggravé et a repoussé son explosion jusqu’en 2001. Il est utile de rappeler, pour continuer à démonter les mythes, que pendant toute la période de convertibilité, il n’y a jamais eu d’excédent budgétaire.

L’ouverture aveugle aux importations, la destruction de l’appareil productif, l’adjudication des terres utilisées pour la production agricole - bien que pendant la convertibilité, les rétentions aient été éliminées en raison du taux de change du dollar - et l’augmentation conséquente du chômage, ont commencé à susciter une résistance sociale croissante dans le contexte de ce qui était déjà une récession économique. De manière empirique, la figure très décriée du barrage routier connu sous le nom de « piquete » (piquet) est née dans la Patagonie argentine, plus précisément dans la province de Neuquén, touchée par la perte d’emplois dans le secteur pétrolier.

En 1999, la première coalition de partis, qui se présente sous le nom d’Alianza, remporte les élections présidentielles. Le radical Fernando De La Rúa est élu président avec plus de 48% des voix, promettant le maintien de la convertibilité.

Le ministre des finances du nouveau gouvernement, José Luis Machinea, qui avait fait partie de l’équipe qui avait élaboré les plans Austral et Primavera dans le gouvernement Alfonsín, lance un impôt sur la classe moyenne dans ce qui sera connu sous le nom de « tablita de Machinea » - qui n’est ni plus ni moins qu’une augmentation de l’impôt sur la quatrième catégorie de revenus - et la généralisation de la TVA. Machinea considérait que le principal problème de l’économie argentine était le déficit fiscal. Comme ces mesures ne suffisent pas, ils ont fini par réduire les retraites et les salaires du secteur public.

Ils avaient déjà mené une réforme du travail, comme celle tentée par Raúl Alfonsín avec la « Loi Mucci ». Cette fois-ci, ils ont réussi à faire passer la loi, mais avec un scandale sans précédent dans ce qui est devenu la « Loi Banelco » - pots-de-vin versés à des sénateurs pour faire passer la loi - qui a fini par provoquer la démission du vice-président de l’époque, chef de l’autre parti de la coalition gouvernementale.

Face à l’inefficacité de ces politiques et à l’agitation sociale croissante, le président De La Rúa finit par faire appel à Domingo Cavallo, auteur et exécutant du Plan de convertibilité, en tant que ministre de l’économie. La suite de l’histoire est connue de tous. Le FMI refuse à nouveau de débourser son prêt pour payer les échéances de la dette extérieure et Cavallo ordonne la saisie de tous les dépôts bancaires, une mesure populairement connue sous le nom de « corralito ».

Ainsi, dix ans plus tard, la deuxième expérience néolibérale a conduit à la deuxième crise de la dette et à la deuxième appropriation de l’épargne des Argentins.

Comme en 1989, en 2001, le FMI a lâché la main de l’Argentine et le pays, le gouvernement et la convertibilité ont explosé à deux ans de la fin du mandat du président. Il est intéressant de noter qu’à cette époque, non seulement toutes les entreprises et les actifs de l’État avaient été privatisés - dix ans plus tôt – et que même le système de retraite avait été confié « aux forces du marché » à travers la création de l’Afjp, dot les contrôles était aux mains des banques et de la finance.

Ainsi, le président, qui avait remporté le premier tour avec plus de 48 % des voix, a fini par démissionner après avoir déclaré l’état de siège, ce qui a entraîné une répression et 38 morts sur la Place de Mai et dans différents endroits du pays.

Cinq présidents se sont succédé en une semaine et l’un d’entre eux a officiellement déclaré le défaut de paiement de la dette, le plus grand défaut de paiement de la dette souveraine de mémoire d’homme.

La crise des institutions et de la représentation politique fut sans précédent. Dans ce contexte, deux leaders sociaux ont été tués lors d’une manifestation à la gare de la ville d’Avellaneda [banlieue de Buenos Aires]. Dans un premier temps, l’événement a été présenté comme une échauffourée entre la police et les manifestants. Cependant, le lendemain, les principaux médias du pays ont publié des photos du moment où les policiers ont poursuivi les leaders sociaux, leur ont tiré dessus et ont même soulevé les jambes de l’un d’entre eux pour accélérer l’hémorragie. Cet événement d’une extrême gravité et d’un retentissement national et international a contraint Eduardo Duhalde, dernier président élu par l’Assemblée législative, à convoquer des élections présidentielles anticipées pour le 27 avril 2003.

- 2003-2015. Restructuration et FMI : la fin de la deuxième crise de la dette.
Un péronisme fragmenté se présente à ces élections avec trois formules, et le président de la convertibilité, Carlos Saúl Menem, est élu en première position avec 24% des voix et Néstor Kirchner, gouverneur de la province de Santa Cruz, en deuxième position avec 22% des voix. Face au scénario d’un second tour - mécanisme établi par la réforme constitutionnelle de 1994 - Menem s’est retiré de la course et Néstor Kirchner a été proclamé président de la nation. Il a pris ses fonctions le 25 mai 2003 dans une Argentine où le taux de chômage atteignait 25 %.

Deux ans plus tard, selon le principe que « les morts ne paient pas les dettes », Néstor Kirchner a non seulement dirigé la restructuration de la dette argentine en défaut de paiement, réalisant la plus grande annulation de capital et d’intérêts de l’histoire, mais il a également annulé la totalité de la dette auprès du FMI, permettant ainsi au pays de récupérer une autonomie dans la conception et l’exécution des politiques publiques qui lui faisait défaut depuis 1957, lorsque le FMI est arrivé en Argentine pour la première fois.

Comprendre que l’endettement excessif en dollars est une condition insurmontable pour le développement de l’économie argentine et la gestion responsable de ce problème ont permis à la force politique qui, avec à peine 22 % des voix, a fait de Néstor Kirchner le président, d’être réélue pour trois mandats complets consécutifs, un événement, non pas dans les 40 ans de démocratie, mais depuis que la « Loi Sáenz Peña » a établi le vote universel, secret et obligatoire en 1912. Le hasard n’est pas une catégorie politique.

Pour clarifier l’état d’endettement du pays, de ses entreprises et des familles argentines, il est éclairant de recourir aux propos de Nicolás Dujovne, ancien ministre des finances de Mauricio Macri, en référence au gouvernement qui a achevé son mandat à la fin de l’année 2015 :

« Dans cet ensemble de problèmes laissés par l’administration précédente, elle nous a aussi laissé une bénédiction. En effet, le gouvernement précédent était si farfelu, si incompréhensible, si incompatible avec le reste du monde, que personne n’a voulu lui prêter de l’argent.

L’Argentine présente donc aujourd’hui des niveaux d’endettement très faibles, tant au niveau du gouvernement que des entreprises et des ménages. Le gouvernement argentin a aujourd’hui une dette nette, si l’on soustrait ce qu’il se doit à lui-même après avoir nationalisé les fonds de pension, de 20 % du PIB, si l’on soustrait de cela les organisations internationales, 16 points, et sur ces 16 points, huit sont libellés en devises étrangères. Il s’agit donc d’une dette très faible.

L’endettement des entreprises représente moins d’un tiers de leurs fonds propres. Il s’agit là de niveaux d’endettement très faibles, quelle que soit la mesure utilisée, régionale ou internationale. Quant aux familles, elles ne dédient pas plus de 5 % de leur revenu disponible... leur niveau d’endettement équivaut à 5 % de leur revenu annuel disponible. En d’autres termes, il s’agit d’un niveau d’endettement très faible, l’un des plus bas au monde. Je ne connais aucun pays qui ait un niveau d’endettement inférieur, à l’exception de certains pays d’Afrique subsaharienne ».

- 2016. Commence la troisième crise de la dette - toujours en cours - et son complément nécessaire : l’effondrement de l’État de Droit.
En 2015, Mauricio Macri a été élu président dans ce que nous pouvons identifier comme la deuxième coalition de partis à entrer au gouvernement, cette fois avec l’UCR dans un rôle totalement secondaire. Cette élection a marqué le début de l’endettement extérieur le plus important et le plus vertigineux de l’histoire de l’Argentine. Rappelons qu’en 2016 et 2017, l’Argentine a été le pays qui a contracté le plus de dette souveraine dans le monde. C’est ainsi qu’a commencé la troisième expérience néolibérale de notre pays en matière d’endettement extérieur.

Le safari de l’endettement du ministre des finances de l’époque, Luis Caputo, a culminé en 2018 lorsque, face à l’impossibilité de faire face aux échéances de la dette contractée, le gouvernement a eu recours au prêteur en dernier ressort et a ramené le FMI en tant qu’auditeur de l’économie argentine.

Il ne s’agissait pas d’une opération de crédit comme on en connaît dans le pays depuis 1957. Comme tous les emprunts en dollars auprès de fonds d’investissement privés, cette opération était également sans précédent. L’organisation multilatérale a accordé au gouvernement de Macri un prêt de 57 milliards de dollars - le plus important de l’histoire du FMI, équivalant à 60 % de sa capacité de prêt - en déboursant 45 milliards de dollars qui ont été utilisés, pour l’essentiel, pour la fuite des capitaux spéculatifs qui étaient entrés dans l’économie du pays la même année. Plus que d’un prêt il s’agissait d’une énorme arnaque. Pas un seul de ces 45 milliards de dollars n’est resté en Argentine, pourtant il ne semble pas que la justice ait poursuivi quelque fonctionnaire impliqué cette opération. Se réaffirme ainsi la domination du macrisme sur ce pouvoir de l’Etat.

C’est que, depuis le début le son gouvernement, Macri a eu comme objectif de faire main basse sur la justice. Ainsi, s’est avérée très éclairante son intention de designer par décret la moitié des membres de la Cour, manœuvre qu’il a finalement réussi à mener.

La mainmise sur le pouvoir judiciaire a poursuivi et atteint ses trois objectifs fondamentaux : premièrement, garantir son business plan sans interférence (parcs éoliens, péages - procès ICSID, Correo Argentino, parmi les principaux), deuxièmement, son impunité, et troisièmement, la persécution politique des opposants. La méthode politique appliquée était celle de la mafia : espionnage, menaces et persécution par le biais de la judiciarisation de la politique, tant des opposants que des hommes d’affaires et même de ses propres partisans et de leurs familles, ce qui était totalement inédit dans la période démocratique.

L’objectif était la stigmatisation et la disparition de l’adversaire, non pas physiquement comme dans la dictature, mais politiquement. La rupture de l’État de droit, balayant les garanties constitutionnelles du procès équitable, de l’impossibilité d’être jugé deux fois pour le même délit, la violation de la chose jugée, l’emprisonnement des hommes d’affaires et la vente de leurs entreprises à vil prix, parmi tant d’autres violations de l’ordre juridique. Ce processus de judiciarisation n’était pas anodin ; il a fini par conditionner sérieusement le système de représentation politique démocratique en Argentine, avec des conséquences qui ont perduré jusqu’à aujourd’hui.

Avec l’arrivée du FMI et l’application de ses prescriptions, l’Argentine a de nouveau déclenché un processus inflationniste avec une perte du pouvoir d’achat des salaires et des retraites, qui a finalement conduit à l’échec de la tentative de réélection de Mauricio Macri, faisant de lui le premier président ayant essayé et échoué.

Il n’a pas pu rester au gouvernement, mais le conditionnement structurel de ses décisions sur l’endettement, tant en ce qui concerne l’ampleur du volume total de la dette auprès des détenteurs d’obligations privées et du FMI, que le retour de cette organisation multilatérale dans son rôle d’auditeur de l’économie argentine, persiste toujours. Avec le gouvernement de Mauricio Macri, l’Argentine, comme au jeu de l’oie, a reculé par bonds. Le gouvernement qui a suivi n’a pas pu ou su trancher ce véritable nœud gordien de l’économie argentine.

En 2019, au premier tour et avec 48% des voix, Alberto Fernández a été élu président, à la tête du gouvernement de la troisième coalition de partis dont la première force était le péronisme.

Au cours du troisième mois de ce gouvernement, une pandémie sans précédent dans le monde a eu des effets sanitaires, économiques, politiques et sociaux catastrophiques. Ces effets perdurent dans différentes couches de la population. Contrairement aux images internationales, même en provenance des pays les plus développés, qui montraient des personnes mourant sans soins médicaux ou par manque de respirateurs, des cimetières créés pour les morts du COVID ou, comme nous l’avons vu à New York, des camions frigorifiques utilisés pour transporter les cadavres, les politiques de soins et de protection déployées par le gouvernement face à cette véritable catastrophe sanitaire et sociale et les moyens mis en œuvre ont permis d’éviter que ces images ne se reproduisent dans notre pays.

Parallèlement, pendant la pandémie, le gouvernement a restructuré la dette extérieure contractée sous le gouvernement Macri , avec les détenteurs d’obligations privées mais sans réduction d’intérêts et avec peu de réduction de capital.

D’autre part, et malgré l’obtention d’excédents commerciaux très importants dans les premières années de son administration, le gouvernement n’a pas atteint la force nécessaire en termes de réserves en raison d’une mauvaise gestion des dollars obtenus, dans une Argentine où la tension économique est inextricablement liée à la rareté ou à l’abondance des dollars. Conséquences de l’économie bi-monnaitaire qui, comme nous l’avons expliqué au début de ce document, a aggravé la restriction externe jusqu’à des limites insupportables. Cette mauvaise gestion des réserves sera aggravée à la fin du gouvernement par le phénomène d’une grave sécheresse qui a réduit les revenus de milliards de dollars en raison de la chute des récoltes.

Dans ce contexte, un nouveau phénomène a commencé à apparaître dans notre pays : celui des travailleurs déclarés pauvres. Bien que le taux de chômage ait baissé de manière significative pour atteindre 5,7 % au 3e trimestre 2023, le pouvoir d’achat des salaires des travailleurs inscrits a chuté à un point tel que beaucoup d’entre eux ne pouvaient pas acheter le panier de base total des biens et services (CBT). Ainsi, la mobilité sociale ascendante qui caractérisait le péronisme en particulier et les modèles industriels en général a disparu.

Enfin, au début de l’année 2022, le gouvernement a signé un nouvel accord avec le FMI qui non seulement a validé le prêt scandaleux obtenu par l’administration de Mauricio Macri, mais a également condamné le gouvernement à une sorte d’agonie en le forçant à mettre en œuvre les politiques dictées par l’organisation multilatérale qui a ordonné, entre autres, une dévaluation du taux de change au-dessus du taux d’inflation, l’entraînant ainsi dans un cercle vicieux et mortel.

En 2023, en plein processus d’élection présidentielle, le ministre de l’économie de l’époque et candidat de la coalition gouvernementale a été contraint de dévaluer par le personnel du FMI le lendemain des élections primaires.

Avec comme conséquence, l’inflation mensuelle a grimpé à deux chiffres - un record inégalé depuis le second semestre de 1990 - et l’inflation annuelle a atteint 211 %, confirmant une fois de plus que l’inflation en Argentine est inextricablement liée au dollar et non au déficit budgétaire.

À ce stade, une réflexion s’impose. Sur le plan politique, la coalition gouvernementale du Frente de Todos s’est caractérisée par son adhésion inconditionnelle au respect des institutions. Au cours des premières années, les mesures les plus importantes pour la direction du gouvernement ont été discutées entre les différents secteurs, chacun a établi sa position et, finalement, le président a eu le dernier mot et a pris la décision finale. Le président de l’époque l’a exprimé à de nombreuses reprises :

« Nous ne sommes pas nécessairement les mêmes, mais nos différences ne nous divisent pas.
Est-ce que je parle à Cristina ? Oui. Est-ce que ses idées m’intéressent ?
Oui, bien sûr... mais c’est moi qui prends les décisions ici.
« Je prends les décisions, j’apprécie Cristina et Máximo
mais il n’y a pas de présidence collégiale ».

C’est tout à fait logique dans un système nettement présidentialiste. L’absence d’accord n’a jamais impliqué une dissolution de la coalition. Mais il est vrai aussi que la signature de l’accord avec le FMI a marqué un tournant. Avec la conviction que les conditions de l’accord allaient saigner le gouvernement et condamner le pays, notre secteur a exprimé son rejet avec un profond respect des institutions : le chef du bloc Frente de Todos à la Chambre des députés a décidé de démissionner de son poste de président, afin de ne pas entraver la construction de la majorité nécessaire à l’approbation de l’accord, tout en conservant son appartenance au bloc et à la coalition gouvernementale. Il est nécessaire de préciser que non seulement l’ancien président du bloc des députés a voté contre l’accord avec le FMI, mais aussi les parlementaires du Frente de Todos dans les deux chambres.

Petite parenthèse, il est bon de rappeler que le jour où l’accord avec le FMI a été discuté à la Chambre des députés, le bureau de la présidence du Sénat dans lequel je me trouvais avec des parlementaires a été violemment attaqué pendant plus d’une demi-heure à coups de pierres et de vitres brisées, sans qu’aucune force de police n’intervienne pour mettre un terme à la violence.

Malgré les profonds désaccords, personne n’a quitté le Front ni mis en danger les majorités parlementaires pour faire passer les lois dont le Président avait besoin. Le respect des institutions constitutionnelles a prévalu sur les différences de critères de gestion politique et économique.

Le 22 octobre 2023, les élections générales ont eu lieu pour élire le Président, les députés et les sénateurs, avec le plus grand nombre de voix (36,6%) pour Unión por la Patria, qui présentait Sergio Massa comme candidat. À cette occasion, Javier Milei a symétriquement répété le tiers qu’il avait obtenu dans le PASO et le Macrisme, qui était l’un des trois tiers de cette élection, est tombé à 23,8% des voix. Il convient de rappeler que lors de l’élection immédiatement précédente - les élections législatives de 2021 – le Macrisme avait obtenu 41% des voix.

Le 19 novembre 2023, le scrutin a eu lieu et le candidat libertaire Javier Milei l’a emporté, obtenant 56% des voix avec un nouveau parti politique appelé La Libertad Avanza. Ce parti s’était présenté pour la première fois aux élections législatives de 2021 et n’avait obtenu que deux sièges à la Chambre des députés pour la circonscription de la CABA : l’un d’entre eux détenu par Javier Milei lui-même - aujourd’hui président - et l’autre par l’actuelle vice-présidente.

En bref : une force politique qui, deux ans plus tôt, n’avait obtenu que deux sièges sur les 257 que compte la Chambre des députés, a consacré ce duo comme le nouvel exécutif national. Bien que Mauricio Macri et le candidat présidentiel de sa force politique aient appelé à voter pour le candidat libertaire au second tour, le déplacement des voix de cette force vers La Libertad Avanza se serait également produit en raison de la nature nettement anti-péroniste de ses électeurs.

Cependant, ce n’est pas seulement le vote anti-péroniste qui a permis à Javier Milei de devenir président. Il est essentiel de souligner le rôle que les médias et leur reproduction dans les réseaux sociaux ont joué dans son émergence et son triomphe électoral. L’actuel président s’est fait connaître en tant que panéliste à la télévision et par d’autres excentricités. Ces mêmes médias ont également joué un rôle important en tant que complément essentiel du processus de judiciarisation mis en œuvre par Mauricio Macri, qui a gravement affecté le système de représentation politique démocratique par la persécution et la proscription, et qui a conduit à la tentative d’assassinat de la soussignée. D’autre part, il serait intellectuellement malhonnête de ne pas mentionner la rupture du contrat électoral par le gouvernement du Frente de Todos qui, comme nous l’avons dit, n’a pas pu ou n’a pas su dénouer le nœud gordien de l’endettement pour interrompre le développement de cette troisième crise de la dette.

Les effets de la pandémie sur la population, et notamment sur les plus jeunes, en raison de l’enfermement prolongé et de l’incertitude, méritent d’être soulignés. L’enfermement, mesure de protection, a été présenté comme le revers de la liberté.

- 2023-2027.Un showman-economiste au sein de la Rosada.
Le nouveau président se déclare libertaire, anarcho-capitaliste, ennemi de l’État, adepte de l’école autrichienne d’économie - une école de pensée qui n’a cours nulle part dans le monde -, sa proposition centrale pendant la campagne électorale était l’ajustement et la dollarisation et il maintient que la principale cause de l’inflation est l’émission monétaire pour financer le déficit fiscal. Il décrit le gouvernement de convertibilité, Carlos Menem et Domingo Cavallo, comme le meilleur gouvernement, le meilleur président et le meilleur ministre de l’économie de l’histoire et entend rééditer les privatisations, les ouvertures aveugles et les dérégulations sans se rendre compte que le monde qui a reçu Carlos Menem comme président n’a rien à voir avec celui d’aujourd’hui.

Le rêve de la mondialisation que les États-Unis pensaient être la Pax romana, parce qu’elle consoliderait définitivement un monde unipolaire, s’est avéré être l’instrument par lequel les économies de l’Asie du Sud-Est se sont développées et ont consolidé l’émergence du géant chinois en tant qu’économie à la croissance la plus rapide de mémoire d’homme, la plaçant sur le podium aux côtés des États-Unis. Cela était impensable il y a seulement 30 ans. Aujourd’hui, nous sommes dans un monde multipolaire avec de forts différends commerciaux entre les deux plus grandes économies du monde et la résurgence du nationalisme et du protectionnisme économique. Sans aller plus loin, la France a remis en cause l’accord UE-Mercosur, en s’appuyant sur son conflit interne qu’elle a avec le secteur agricole.

Par ailleurs, l’ancien président et actuel candidat républicain aux États-Unis, Donald Trump, auquel le président Milei aime à s’identifier, est aux antipodes de sa pensée économique. Il est nationaliste, absolument protectionniste et est son antithèse même sur le plan personnel : non seulement il est marié trois fois, mais il a cinq enfants, mais « à deux pattes », pour paraphraser le président Milei. Ce n’est peut-être que dans leur penchant pour le réseau social X - en tant que système de communication - et leur excentricité que l’on peut trouver un certain degré d’affinité.

Mais la chose la plus marquante à propos du nouveau président est que, bien qu’il ait soutenu comme un cheval de bataille qu’avec les « mêmes de toujours » on ne pouvait pas obtenir de résultats différents, il a produit, dès son élection, un recyclage inhabituel de personnalités et d’ex-fonctionnaires. Le plus inquiétant est celui de Luis Caputo, l’architecte de l’endettement en série du gouvernement de Mauricio Macri et du retour du FMI en Argentine, qu’il a nommé ministre de l’économie. Il est rejoint par la réapparition de Federico Sturzenegger, ancien président de la BCRA sous le gouvernement Macri et protagoniste du « Megacanje » de la dette extérieure avec Domingo Cavallo dans le gouvernement De La Rúa.

Ce dernier personnage, sans avoir été nommé fonctionnaire, se trouve être le compilateur du DNU 70/2023 et du projet de loi Omnibus. Ces deux instruments constituent un ensemble de modifications du système juridique argentin adaptées aux principaux groupes d’entreprises et, ce qui est encore plus grave, une réforme déguisée de la Constitution Nationale. Le troisième paragraphe de l’exposé des motifs du projet de loi le mentionne expressément en attribuant la situation que traverse l’Argentine au fait « d’avoir abandonné le modèle de démocratie libérale et d’économie de marché inscrit dans notre Constitution de 1853 ». Le Président a le droit de chercher à réformer la Constitution, il ne peut pas le faire par le biais d’un DNU ou d’une loi, mais par le mécanisme de réforme prévu dans la Constitution nationale elle-même. Il est frappant que le Président veuille annuler la réforme promue en 1994 par son très apprécié Président Menem.

Cependant, il ne serait pas exact de décrire ce gouvernement comme la quatrième expérience néolibérale. Les caractéristiques du discours et de la praxis politique du nouveau président, ainsi que celles de ses équipes dans différents domaines, placent le gouvernement sur un plan qui va au-delà du disruptif et l’amène à un endroit que l’Argentine n’a jamais connu auparavant. De plus, cela se produit dans un contexte économique et social extrêmement grave.

Dès son arrivée au pouvoir, il a décidé de dévaluer le taux de change de 118 %, ce qui en fait la plus grande dévaluation provoquée de l’histoire, après celle que le marché avait imposée au gouvernement Alfonsín lors de l’hyperinflation de 1989.Cette mesure a doublé, en un seul mois, le taux d’inflation mensuel, qui avait atteint 12,7 % en novembre et s’est envolé à 25,5 % en décembre.

On a pu constater, une fois de plus, la relation intime entre le dollar et l’inflation. Les prix des carburants, des denrées alimentaires, des médicaments, des prépaiements, des loyers, des écoles, des transports, etc. ont augmenté sans limite ni contrôle, aggravant encore la perte de pouvoir d’achat des salaires et des retraites au point de mettre en péril la tolérance sociale et d’aggraver la violence résultant de la sécurité des citoyens dans les centres urbains les plus peuplés. La chute et la perte brutale de revenus ne sont jamais gratuites.

Jusqu’à présent, le nouveau gouvernement n’a déployé qu’un programme d’ajustement féroce qui agit comme un véritable plan de déstabilisation et qui non seulement réalimente la spirale inflationniste, plaçant la société au bord du choc, mais provoquera irrémédiablement une augmentation du chômage et du désespoir social dans une sorte de chaos planifié. Il est plus qu’évident que dans l’esprit du Président, le seul plan de stabilisation est la dollarisation.Les mesures adoptées ne s’expliquent pas dans un autre cadre théorique.

2. LA CLÉ ÉCONOMIQUE ET POLITIQUE

L’analyse qui précède n’est pas un exercice historiciste, mais vise à démontrer, à l’aide de preuves empiriques, deux points.

Premièrement, les effets absolument déstabilisants et dévastateurs que la distorsion économique causée par un endettement débridé a eus sur les gouvernements, les institutions démocratiques et la représentation des partis politiques, en affectant le modèle d’accumulation économique du pays, en aggravant la contrainte extérieure et en approfondissant son caractère bi-monétaire.

Deuxièmement, l’échec des programmes néolibéraux d’ajustement et d’endettement extérieur, avec ou sans privatisation et ses conséquences avec l’augmentation de la pauvreté et de la violence pour l’ensemble de la société argentine, mais qui a néanmoins toujours représenté un excellent plan d’affaires pour quelques-uns. Chaque cycle néolibéral a fini par cristalliser un formidable transfert de revenus de tous les Argentins vers les groupes les plus concentrés de l’économie.

La question est celle du modèle

En effet, depuis l’effondrement du modèle agro-exportateur qui séduit tant l’actuel président et qui ne permettait qu’à une petite minorité de vivre correctement, le développement du modèle de substitution aux importations, qui s’est approfondi à partir de 1945, a été dramatiquement et tragiquement interrompu après le coup d’Etat militaire de 1976 et a été repris avec force à partir de l’année 2002, fut le le seul qui ait généré l’industrialisation et permis la création d’un marché intérieur puissant avec des salaires élevés et une mobilité sociale ascendante, au point d’être le principal moteur de l’émergence de la classe moyenne argentine.

En 2012, un rapport de la Banque mondiale révélait que l’Argentine avait doublé sa classe moyenne depuis 2002. Le principal problème de ce modèle a toujours été la contrainte externe, qui survient lorsque les dollars apportés au pays par l’exportation de produits primaires ne suffisent pas à financer l’importation des biens d’équipement et des biens intermédiaires nécessaires au développement de la production industrielle, qui croît au rythme de l’augmentation de la consommation non seulement des classes moyennes, mais aussi des classes ouvrières. C’est ainsi que sont apparus les goulets d’étranglement cycliques de la balance des paiements - le fameux « stop and go ». Après le changement du mode d’accumulation en 1976, l’endettement du pays en dollars, ainsi que l’apparition du caractère bi-monétaire de notre économie, ont approfondi et aggravé la contrainte externe.

Les graphiques 1 et 2 ci-dessous montrent la variation du PIB de l’Argentine. Dans le premier, d’un pic à l’autre pour les périodes allant de 1945 à 2023 et dans le second, selon le taux annuel cumulé pour les mêmes périodes.

Gráfico sobre variación del PBI argentino.
Grafique N° 1
Gráfico sobre variación del PBI argentino.
Graphique N° 2

Les deux graphiques montrent que les principales croissances du PIB ont eu lieu pendant les modèles industriels et lorsque la dette extérieure était faible, comme ce fut le cas jusqu’en 1975, ou elle a été restructurée et gérée de manière responsable, comme ce fut le cas pendant la période 2003-2015.

On notera la chute du PIB dans la troisième colonne du graphique 1, qui comprend la période des deux premières expériences néolibérales (celle de la dictature civilo-militaire avec endettement extérieur géométrique sans privatisations et celle de la convertibilité avec endettement et privatisations).

La troisième expérience néolibérale, avec le Macrisme au gouvernement, qui lance la période de ré-endettement et le retour du FMI dans le pays, a directement provoqué la chute du PIB. Il convient de noter que pendant les trois gouvernements péronistes, la meilleure répartition des revenus a été obtenue avec un niveau de participation des travailleurs au PIB de plus de 50 % - le « cinquante-cinquante » péroniste. Comme le montre le graphique suivant.

Participación del salario.

Une parenthèse. Ces derniers temps, les « analystes » politiques et économiques ont l’habitude d’affirmer que le « bruit » de la politique (discussions publiques ou privées au sein ou en dehors d’un gouvernement) est préjudiciable à l’économie.

Je voudrais attirer l’attention sur la deuxième colonne du graphique 1, qui montre la variation du PIB bout à bout entre 1955 et 1975, où l’on observe la croissance comparative la plus élevée de la série. Au cours de cette période, les « bruits » politiques ont été, entre autres, les suivants :

  • le bombardement de la Plaza de Mayo en 1955 ;
  • la destitution du général Perón la même année ; la proscription du péronisme pendant plus de 18 ans ;
  • les exécutions publiques de civils, d’officiers et de sous-officiers de l’armée argentine par l’armée elle-même en 1956 ;
  • l’émergence de la guérilla et de la résistance péroniste ; le coup d’État militaire, l’arrestation et la séquestration sur l’île Martín García du président constitutionnel Arturo Frondizi en 1962 ;
  • le coup d’État militaire et la destitution du président radical Arturo Illia en 1966, qui avait accédé au pouvoir avec 24 % des voix grâce à la proscription du péronisme ; les assassinats de dirigeants syndicaux ;
  • le « Cordobazo » en 1969 (révolte populaire des travailleurs et des étudiants de la province de Cordoba) et le « Viborazo » qui s’ensuivit en 1971 ; l’enlèvement et l’assassinat du général Aramburu en 1970 ; l’assassinat de 22 guérilleros détenus à la prison de Trelew en 1972 ;
  • etc, etc, etc.

Comme on peut le constater, durant la période de plus forte croissance du PIB, les « bruit s » de la politique ont été un peu plus forts que les simples échanges verbaux ou les divergences politiques.

Quant aux « bruits » survenus durant l’autre période de plus forte croissance du PIB, de 2003 à 2015, il convient de rappeler, entre autres, ce qui suit la crise politique et sociale interne déclenchée par la résolution 125 en 2008, qui a provoqué une rupture institutionnelle au sommet de l’exécutif lorsque le vice-président de l’époque a voté contre son propre gouvernement, devenu « leader » de l’opposition, est resté en fonction et a exercé son droit de voter contre le gouvernement de façon permanente ; la crise financière mondiale de 2008 provoquée par la faillite du géant bancaire US Lehman Brothers - similaire au krach des années 1930 connu sous le nom de « grande récession » - ; la sécheresse qui a frappé le pays en 2008 et qui a entraîné une baisse de l’activité économique et une diminution de l’emploi ; la sécheresse de 2009, qui n’a pas eu l’ampleur de la sécheresse de l’année dernière dans notre pays, mais qui a causé la perte de plus d’un million de têtes de bétail. Néanmoins, en 2011, le gouvernement a atteint le troisième tour des élections présidentielles et a obtenu 55% des voix.

En résumé, la croissance de l’économie argentine et sa possibilité de développement avec un travail bien rémunéré n’ont été obtenues qu’avec un schéma d’accumulation basé sur un modèle industriel de biais d’exportation avec valeur ajoutée, avec de faibles volumes de dette extérieure ou avec une gestion correcte et responsable de cette dette. Cela ne signifie pas qu’il faille nier la nécessité de réviser ce modèle en fonction des corrections exigées par la structure productive de l’Argentine, ce qui permettrait d’approfondir le biais exportateur, de proposer une actualisation inévitable du travail ou d’envisager la création ou la transformation d’entreprises sous la forme d’un partenariat public-privé vertueux, comme ce fut le cas pour YPF avant sa dénationalisation.

Ci-dessous, dans le graphique 3, vous pouvez voir l’évolution du PIB d’une année sur l’autre pour l’ensemble de la série, de 1945 à aujourd’hui. A la fin de la courbe, pour l’année 2023, on constate une baisse du PIB estimée à -1,9%.Toutefois, la dernière estimation du FMI porte cette baisse à -2,8 %.

Gráfico Nro. 3
Participación del salario.

¿El déficit fiscal ?

La question du déficit budgétaire et de l’émission monétaire destinée à le couvrir en tant que cause unique de l’inflation, comme l’affirment le président sortant et quelques « analystes » économiques, mérite un chapitre distinct.

Le monde montre que cette thèse n’a aucun fondement dans la réalité. La publication britannique The Economist publie régulièrement les principaux indicateurs économiques de 43 pays regroupés par région, parmi lesquels l’Argentine figure parmi les pays les plus développés du monde.

Sur cette liste, seuls trois pays ont un excédent budgétaire. Cependant, sur les quarante pays restants ayant un déficit budgétaire, seule l’Argentine a une inflation annuelle à trois chiffres, trois pays ont une inflation annuelle à deux chiffres et les trente-six pays restants ont une inflation annuelle à un chiffre. Si la thèse défendue, entre autres, par le président Javier Milei, était correcte, il est incontestable que tous ces pays qui ont des déficits budgétaires devraient avoir des taux d’inflation très élevés.

Par ailleurs, dans notre pays, le 5 novembre 2023, le journal La Nación a publié un article intéressant, dont le titre et la manchette étaient « Problème historique : l’Argentine n’a connu que six années d’excédent fiscal depuis 1961. Un rapport de l’IARAF soutient qu’il est nécessaire de générer des fonds contrecycliques pour éviter le recours répété à l’émission monétaire et à l’endettement du pays au delà des moyens de l’Etat, c’est aussi un antidote à l’inflation un antidote à l’inflation ».

Les six années d’excédent budgétaire mentionnées dans le rapport de l’IARAF (Institut argentin d’analyse fiscale basé dans la province de Córdoba) correspondent à la période 2003-2008, avec des gouvernements péronistes et industriels qui ont géré la question de la dette extérieure en sachant que la rareté des dollars en Argentine mettait l’économie, la politique et les institutions à rude épreuve et déclenchait l’inflation.

Cette période d’excédent budgétaire a été interrompue en 2008 par la crise mondiale de Lehman Brothers, décrite plus haut. Ce scénario de krach financier mondial a obligé le gouvernement à soutenir la demande globale pour éviter que la récession mondiale ne fasse des ravages en Argentine.

Le fait que nous ayons été le seul gouvernement à avoir dégagé un excédent budgétaire depuis 1961 et à l’avoir maintenu pendant six ans montre que nous sommes loin d’être les champions du déficit budgétaire.

Cependant, nous savons que cet instrument n’est pas le principal problème de l’économie argentine. Ce qui stresse et fait exploser l’économie de notre pays, c’est le déficit de la balance des paiements, qui indique, ni plus ni moins, que l’Argentine commence à manquer de dollars.

Soit en raison d’un déficit du compte courant, lorsque les exportations ne suffisent pas à couvrir les importations ou que leur solde est très faible, soit en raison du compte de capital, lorsqu’il est ouvert sans discernement, permettant l’entrée de capitaux spéculatifs qui effectuent des manœuvres de « carry trade » [opération spéculative sur écart de rendement] et finissent par emporter plus de dollars que ceux qui sont entrés dans le pays.

Dans le modèle industriel caractéristique des gouvernements péronistes, les problèmes de balance des paiements se produisent normalement par le biais de déficits des comptes courants.Dans le modèle de valorisation financière des expériences néolibérales, les problèmes de balance des paiements sont causés par l’ouverture inconsidérée du compte de capital, l’afflux de capitaux spéculatifs et le recours à l’endettement pour couvrir le déficit de la balance courante. L’ouverture inconsidérée du compte de capital, l’afflux de capitaux spéculatifs et le recours à l’endettement pour couvrir la sortie de ces capitaux sont à l’origine des problèmes de balance des paiements. C’est précisément le mécanisme d’endettement appliqué par le duo Macri-Caputo entre 2016 et 2018, qui, face à l’impossibilité de garantir le paiement de la dette acquise et la sortie des capitaux spéculatifs, a dû recourir à l’emprunt extraordinaire auprès du FMI. C’est la raison pour laquelle, sur les 45 milliards de dollars déboursés au titre de ce prêt, rien n’est resté en Argentine.

Le président Milei sait très bien tout cela depuis longtemps. Il l’a expliqué très clairement à l’antenne à l’un de ses principaux partenaires médiatiques, Alejandro Fantino :

« Une partie de l’accord avec le Fonds a été planté par la Banque centrale, pour sauver ceux qui ont financé ceux qui voulaient cacher le désastre du 28 décembre 2017. L’Argentine reste sans financement et en obtient - en se référant à Luis Caputo - de Blackrock, Pimco et Templeton et ils sortent pour dire ’ils ont vu qu’il ne s’est rien passé, nous avons obtenu le financement’. Mais évidemment, parce qu’ ils ne nous donnaient pas les chiffres nous avons dû nous adresser au Fonds Monétaire International, qui nous a donné 45 milliards de dollars ».

La phrase de Milei « parce qu’ils ne nous donnaient pas les chiffres » est en fait un euphémisme. Ce n’était pas un problème de chiffres, le problème était que les dollars n’étaient pas là.

Planète Milei

En réalité, le plan directeur de Milei ne diffère pas beaucoup de celui de la dictature civilo-militaire en termes d’ouverture aveugle de l’économie et de déréglementation de facto du travail, ni des privatisations des années 1990. Si le plan de la dictature était celui de l’ouverture aveugle et celui de Menem celui de la privatisation des entreprises publiques, le plan de Milei y ajoute l’aliénation des terres et des ressources naturelles à travers deux figures : le Régime d’Incitation aux Grands Investissements (RIGI) envisagé dans le projet de loi « Omnibus » et l’abrogation de la « Loi de la Terre » imposée par la DNU 70/2023. Ainsi, si la DNU 70/2023 reste en vigueur et si le RIGI inclus dans le projet de loi « Omnibus » est approuvé, l’Argentine entrerait sans armes dans un processus irréversible de propriété étrangère dans un XXIe siècle qui sera caractérisé par la dispute de la terre, de l’eau et des ressources naturelles.

Ceux qui veulent justifier le Régime d’incitation aux grands investissements (RIGI) en affirmant qu’il s’agit de promouvoir l’investissement de capitaux étrangers devraient distinguer ce que signifie l’extériorisation de l’Argentine de ce qu’est l’Investissement étranger direct (IED) en tant que concept économique.

Pour continuer à démonter les mythes, nous pouvons maintenant examiner l’investissement direct étranger annuel moyen par gouvernement au cours des 40 années de démocratie.

Promedio anual inversión extranjera directa por Gobierno

Le volume des investissements directs étrangers des années 1990 s’explique par les dollars provenant de la vente des entreprises publiques, tandis que la période d’augmentation des investissements directs étrangers entre 2003 et 2015 s’explique par l’application d’un modèle d’accumulation basé sur la production industrielle, la génération de valeur ajoutée et le développement d’un marché intérieur fort grâce à des salaires élevés, sans vente d’actifs publics, avec la récupération d’entreprises et la génération d’actifs tels qu’Ar-Sat et le FGS, ainsi que le développement d’un important plan d’infrastructure fédéral, de même que le remboursement de la dette extérieure et l’annulation de la dette envers le FMI. Ce n’était pas de la magie, c’est de la politique.

Cependant, la nouveauté que Milei présente est son véritable plan de stabilisation, n’est ni plus ni moins que la dollarisation, comme il l’a déclaré pendant la campagne électorale dans de nombreuses interviews télévisées. Pour réaliser ce « plan », il doit obtenir des dollars pour sauver la base monétaire et les passifs rémunérés de la BCRA.

Lorsqu’au cours de la campagne électorale, on lui a fait remarquer qu’il ne disposait pas d’assez d’argent pour le faire, il a répondu qu’il allait se financer auprès des fonds d’investissement.Milei est devenu président, mais le financement n’est pas apparu. Celui qui est lui apparu comme son ministre de l’économie était le « Messi » des finances, Luis Caputo, l’endetteur en série du gouvernement de Mauricio Macri et avec lui, dans le projet de loi « Omnibus », trois réformes fondamentales.

La première est la modification des limites de la prise de dette souveraine imposée au pouvoir exécutif national par la loi 27.612 de Renforcement de la viabilité de la dette publique sanctionnée en 2021, qui établit, entre autres, que l’endettement de l’Argentine en monnaie étrangère, sous loi étrangère et avec extension de compétence nécessitera l’autorisation du Congrès national, et par la loi 24. 156 d’Administration financière de l’État dans son article 65, qui établit que la dette publique ne peut être restructurée, par consolidation, conversion ou renégociation, seulement si cela implique une amélioration des montants, des conditions et/ou des intérêts des opérations initiales.

La deuxième réforme permet la liquidation du Fonds de garantie et de durabilité de l’ANSES. A cet égard, le Secrétaire d’Etat aux Finances Pablo Quirno a déclaré lors d’un briefing à la Chambre des Députés que :

« La proposition d’aujourd’hui est de liquider le FGS, de le liquider dans le cadre d’un renforcement des fonds propres, c’est ce qui est prévu dans la loi, et les actions reviennent au Trésor ».

La troisième réforme est l’autorisation, une fois de plus comme dans les années 1990, de privatiser les actifs de l’Etat.

En résumé : le Pouvoir Exécutif National (Milei-Caputo) pourra réendetter l’Argentine en dollars, sans limites, sous juridiction étrangère et sans passer par le Congrès. Il pourra restructurer la dette extérieure sans obligation d’en améliorer le montant, la durée ou les intérêts, il sera autorisé à liquider le FGS de l’ANSES et à privatiser les actifs de l’Etat. Si ces réformes sont approuvées, plus qu’une autorisation légale, le Congrès donnerait les coudées franches au Président et à son ministre de l’économie.

Pendant ce temps, Milei déploie également une autre alternative à la dollarisation. Il liquéfie les passifs porteurs d’intérêts de la BCRA et la Base monétaire par l’inflation et espère que la récession brutale qu’il provoque interrompra l’inertie inflationniste et lui permettra même de procéder à une nouvelle dévaluation avant la récolte sans que la répercussion sur les prix ne soit équivalente en termes de pourcentage ; Comme cela s’est produit en 2002 où la chute de la convertibilité a entraîné une dévaluation de plus de 300% et où l’inflation n’a été que de 41% par an, dans le cadre d’une récession et d’une baisse du niveau de l’emploi qui conduiraient à un chômage de 25% l’année suivante.

Cela lui permettrait de sauver la totalité d’une Base monétaire de plus en plus liquéfiée avec les dollars de la récolte qui rentreront à partir de mars et, s’il n’a pas encore obtenu suffisamment de dollars avec les pouvoirs que le Congrès lui accorderait si la loi « Omnibus » était votée, le Président pourrait émettre une obligation en dollars sur les passifs rémunérés de la BCRA, eux aussi de plus en plus liquéfiés, donnant ainsi lieu à une troisième appropriation de l’épargne des Argentins à l’issue de cette troisième crise de la dette.Il n’est pas inutile de rappeler que pour la première fois dans l’histoire, la BCRA a émis des obligations Bopreal - dans une monnaie qu’elle n’émet pas - le dollar - pour la dette en peso avec les importateurs.

La dollarisation et l’augmentation des emprunts souverains en devises fortes sont parmi nous et ont commencé à se déployer. La dollarisation de l’économie argentine signifiera la fermeture définitive de la possibilité de développer notre pays avec l’inclusion sociale. Le pays n’aura plus pas plus de dollars. Au contraire, nous aurons moins de dollars parce que cela affectera la compétitivité de la plupart des secteurs productifs qui génèrent des devises étrangères et cela augmentera le poids de la dette extérieure sur notre économie, qui est déjà très lourde devenant un véritable Rocher de Sisyphe.

Le secteur des produits manufacturés d’origine agricole (MOA), des céréales et de la viande représente plus de 55 % des recettes en devises de l’Argentine. Qu’adviendra-t-il de la compétitivité de ce secteur ? Qu’est-il arrivé au secteur agricole lors de la deuxième expérience néolibérale de convertibilité sans rétention ? Il a perdu sa compétitivité et la Banco Nación a fini par vendre aux enchères des terres hypothéquées. Que pensez-vous qu’il adviendra de la compétitivité des campagnes argentines face au Brésil, qui est aujourd’hui notre principal concurrent dans la région en termes de production de viande et de céréales ?

Qu’en sera-t-il de l’industrie automobile, qui représente près de 10 % des recettes en devises du pays, et des promoteurs immobiliers qui vendent leurs produits en dollars mais dépensent en pesos pour les construire ?

Nous pourrions continuer à énumérer les secteurs dont la compétitivité a été affectée par la dollarisation, mais il est essentiel de se demander, sans avoir besoin d’être économiste : est-il possible de considérer que la politique monétaire, qui constitue 50 % de la politique économique de n’importe quel pays du monde, peut être complètement éliminée sans affecter chacun des secteurs qui composent l’activité productive d’un pays ?

D’autre part, le Président Milei devrait profiter de sa première visite officielle en Israël pour revoir certains de ses diagnostics sur le rôle de l’Etat et son importance, ainsi que sur l’idée d’égalité. En effet, le Président se déclare admirateur inconditionnel de la République d’Israël, mais soutient néanmoins que l’Etat écrase le peuple et il exalte l’individualisme comme seul moyen d’exercer la liberté. Bien entendu, le mot « patrie » lui est totalement étranger. Il devrait profiter de son séjour dans ce pays pour lire le poète Shaul Tchernijovski, qui a écrit que « l’homme n’est rien de plus qu’une petite partie de sa terre, l’homme n’est rien que la forme de sa patrie » ; et aussi comprendre que la République d’Israël est née de la construction d’un Etat fort, présent et efficace.

Il pourra voir également que, bien qu’étant un allié fidèle des États-Unis - et vice versa -, sa monnaie n’est pas le dollar mais le shekel israélien, même s’ils ont également connu d’importants processus hyperinflationnistes. Ceux d’entre nous qui se sont rendus en Israël ont pu constater, au-delà des connaissances historiques et statistiques, le rôle fondamental et omniprésent joué par l’État dans tous les domaines, de la défense à l’agriculture, de la terre à l’eau. S’il visite un Kibboutz (une expérience socialiste typique de ce que le Président qualifie de « collectivisme de gauche »), il apprendra que la terre appartient toujours à l’État et que l’État la loue de pour 90 ans. Ainsi nous espérons que cette visite au-delà de le réconforter spirituellement lui serve d’apprentissage de réviser certains concepts plus proches du dogme que de la réalité.

CONCLUSIONS

- 1. Comme nous l’avons développé et vérifié dans ce document de travail, l’Argentine traverse la troisième crise de la dette incubée depuis le gouvernement de Mauricio Macri par l’endettement brutal contracté auprès des fonds d’investissement, aggravé par le retour du FMI dans notre pays avec un prêt d’un montant et aux conditions sans précédent et scandaleux.Il convient de noter que ce processus n’a pas encore atteint son apogée.L’expérience historique analysée dans ce document montre clairement que de tels processus se déroulent sur plusieurs années et aboutissent finalement à une crise, avec des conséquences que nous avons déjà connues en 1989 et en 2001, mais qui ne sont jamais les mêmes parce qu’elles ne sont jamais les mêmes. Les conséquences de ces crises, que nous avons déjà connues en 1989 et en 2001, ne sont jamais les mêmes parce en raison du contexte historique, politique et institutionnel.Il va sans dire que les mesures adoptées par le gouvernement entré en fonction le 10 décembre 2023, loin de l’éviter, pourraient accélérer ce processus.

- 2. Ce document de travail n’a pas la prétention de nier la légitimité dont jouit le Président Javier Milei en vertu des 56% des voix obtenues lors du scrutin.Mais cela nécessite quelques éclaircissements.

- 3. Il est vrai que Milei a obtenu 56 % des voix lors du scrutin qui a défini qui serait le Président de la République, mais lors de l’élection générale pour la représentation parlementaire, il n’a obtenu que le même tiers des voix que lors du PASO.Le résultat a été un pouvoir législatif fragmenté dans laquelle le péronisme est la première minorité dans les deux chambres. La légitimité d’origine issue du vote populaire ne doit pas faire perdre de vue à l’actuel président la légitimité d’exercice dans la gestion de son gouvernement, qui ne peut être atteinte qu’en améliorant la qualité de vie des Argentins. En ce sens, il convient de rappeler que d’autres forces politiques, à différents stades, qui ont acquis une force propre qui leur a donné un esprit fondateur, n’ont pas pu terminer leur mandat lorsqu’elles n’ont pas réussi à donner à la société la qualité de vie que les Argentins exigent.

- 4. Toutes les mesures adoptées jusqu’à présent sont des répétitions de politiques déjà mises en œuvre dans le passé, y compris certaines d’entre elles mises en œuvre avec le parlement fermé par la dictature.Elles ont toutes échoué lamentablement, ne causant que pauvreté et souffrance. De même, la présence de fonctionnaires qui ont également échoué sous la présidence de Mauricio Macri, dans des domaines d’importance vitale, contredit un principe de base par lequel Javier Milei a gagné le soutien de la société face à la logique implacable qu’avec les mêmes personnes, les résultats ne peuvent pas être différents. Ainsi, quelle est la logique de reconduire Luis Caputo au poste de ministre de l’économie, pourquoi va-t-il maintenant bien faire les choses si, à l’époque, il a dû être limogé pour avoir échoué ? Dans ce sens, le Président Javier Milei devrait sérieusement analyser le fait que ceux qui ont été les perdants des dernières élections présidentielles vont essayer de le conditionner en le débarquant des principaux domaines du gouvernement, et même prendre le contrôle politique pour l’évincer de la gestion du pouvoir exécutif s’ils le jugent nécessaire. Recycler des fonctionnaires qui ont échoué pour rééditer des politiques qui ont échoué ne peut conduire qu’à de mauvais résultats. Alors que ce document était en cours de finalisation, le président a fait des déclarations concernant une nouvelle alliance gouvernementale avec l’intégration organique du Macrisme dans les sphères législatives et exécutives, confirmant ce qui a été exprimé dans la première partie de ce paragraphe. N’importe quel journaliste utiliserait la qualification de « nouvelles en développement ». Il ne faut jamais perdre son sens de l’humour, même dans les moments les plus difficiles.Si la nouvelle se confirme, nous serions en présence de la quatrième coalition gouvernementale issue de la fusion de Macri et de Milei.

- 5. Nous sommes d’accord sur le fait que l’Argentine doit revoir l’efficacité de l’État et que le slogan de « l’État présent » n’est pas suffisant pour résoudre les problèmes du pays, qui sont trop nombreux. L’allocation correcte des ressources doit être analysée et contrôlée afin de pouvoir la corriger, si nécessaire.

- 6. Cependant, nous ne partageons pas son² diagnostic selon lequel le déficit budgétaire est la seule cause de l’inflation et de la crise argentine.Comme nous le développons dans ce document, c’est la pénurie de dollars qui pèse sur l’économie et déclenche l’inflation. Outre l’analyse des faits dans notre pays, nous évoquons une fois de plus la publication du rapport de la Commission européenne sur la crise financière et économique en Argentine. Nous rappelons une fois de plus la publication de The Economist concernant les principaux indicateurs économiques de 43 pays, dont l’Argentine, ainsi que des pays les plus développés de toutes les régions du monde. Comme nous l’avons déjà dit, sur ces 43 pays, seuls 3 ont des excédents budgétaires, mais 23 ont des excédents courants. En outre, sur ces 43 pays, 33 ont un taux d’intérêt de référence à un chiffre, seuls 4 pays ont un taux d’intérêt de référence à deux chiffres et l’Argentine est l’un des 3 pays pour lesquels aucune donnée n’est disponible. Cependant, nous savons tous que nous avons un taux d’intérêt de référence à trois chiffres. Le taux d’intérêt est l’un des quatre prix fondamentaux de l’économie qui, selon la manière dont il s’ajuste par rapport au dollar, permet le carry trade, liquéfie l’épargne et les passifs ou définit le modèle d’accumulation, entre autres choses.

- 7. C’est pourquoi le surendettement en dollars est un poison pour notre économie bi-monétaire.Et dans le cas du prêt du FMI, c’est encore plus grave, non seulement à cause du volume sans précédent de dollars qu’il représente, mais aussi à cause du conditionnement permanent qu’il implique pour la politique économique du pays. C’est pourquoi nous ne sommes pas d’accord avec l’abrogation de la « Loi de viabilité de la dette » qui établit que l’endettement de l’Argentine en monnaie étrangère, sous loi étrangère et avec une extension de compétence nécessite l’autorisation du Congrès national, ni avec la modification de la « Loi d’administration financière de l’État » qui établit qu’en cas de restructuration de la dette, le montant, la durée et/ou les intérêts doivent être améliorés. Il est contradictoire et très surprenant que celui qui veut fermer la Banque centrale pour que les « politiciens voleurs » n’émettent pas plus de pesos parce qu’il croit que la seule cause de l’inflation est l’émission de pesos pour faire face au déficit budgétaire - c’est-à-dire la dette de l’État en pesos - a la même dette publique mais... en dollars, et pour cela il convoque comme ministre de l’économie l’endetteur en série de Macri qui a ramené le FMI, Luis Caputo.

- 8. Nous pensons qu’il est essentiel de discuter d’un système fiscal simplifié avec peu d’impôts en quantité - pour ordonner et faciliter la vie, en particulier pour les PME qui tiennent généralement une comptabilité très domestique et sont les principaux générateurs d’emplois en Argentine - mais très stricte dans son respect des règles qui augmentent la perception pour fraude et évasion. Il devrait s’agir d’un système progressif qui tienne compte non seulement des flux, mais aussi du stock et examine les dépenses fiscales qui expriment des exceptions, des exemptions et des taux d’imposition différenciés pour différents groupes et secteurs de l’économie.Une autre nouvelle qui prouve le scandale de la fraude et de l’évasion, cette fois, à travers l’emblématique entreprise céréalière Vicentin à travers Diaz y Forti SA, qui a exploité les usines en 2020/21 : elle a exporté pendant un an sans liquider les devises,qui entraient par des voies parallèles, ce qui a permis une évasion sur 700 millions de dollars, mais elle ne paiera qu’une amende de 2 millions de dollars. L’Argentine ne cesse de surprendre.

- 9. Pour sa part, nous soutenons la nécessité de repenser le système actuel de santé publique, dont la décentralisation (entre la nation, les provinces et les municipalités), la fragmentation (entre les sous-systèmes public, de sécurité sociale et prépayé) et la mauvaise réglementation ont conduit à son affaiblissement et, fondamentalement, à son iniquité et à son inefficacité en termes d’allocation des ressources. Tout cela dans un pays où l’investissement dans la santé est l’un des plus élevés d’Amérique Latine. De plus, l’expansion du complexe médico-industriel (nouveaux médicaments, nouvelles technologies, nouvelles maladies et nouvelles pratiques), sans une refonte du système, devient impossible à financer.De plus , les « temps d’attente » ne cessent de s’allonger dans les hôpitaux et les cliniques ainsi que dans le secteur privé, condamnant la population à un pèlerinage sanitaire indigne et les professionnels de la santé et à une tension qui brise la relation médecin-patient.

-10. Il est inévitable de discuter sérieusement d’un plan d’actualisation du travail qui apporte des réponses aux nouvelles formes de relations de travail qui sont apparues à la lumière des progrès technologiques et d’une pandémie qui a perturbé tous les aspects de la vie des gens. Le télétravail et les plateformes numériques, qui servent d’intermédiaires entre l’offre et la demande, sont quelques-unes des modalités qui doivent être protégées par la loi. Cependant, les formes de contrats de travail déjà incluses dans notre système juridique doivent également être revues, en mettant à jour les conventions collectives - dont beaucoup datent de plusieurs décennies - en tenant compte des nouvelles réalités mentionnées ci-dessus. Ces mises à jour doivent respecter les droits acquis par les travailleurs, mais elles doivent également être effectuées en tenant compte du fait qu’une fois consacrés, les droits impliquent des obligations qui doivent être respectées. Dans le cas contraire, l’exercice d’un droit sans le respect des obligations qui y sont liées n’est ni plus ni moins qu’un privilège.

- 11. Nous pensons également que faire progresser l’école publique dont nous sommes les enfants, c’est réfléchir à la raison pour laquelle certaines classes moyennes et inférieures font l’effort d’envoyer leurs enfants dans des écoles privées pour qu’ils puissent avoir cours tous les jours.

- 12. Nous voulons également discuter de l’intégration des entreprises d’État, tant par la participation de capitaux privés que par celle des provinces, dans le cas où leurs ressources sont affectées par leur exploitation économique, ainsi que de leur cotation en bourse afin d’apporter une valeur ajoutée et une efficacité sous la forme d’un partenariat public-privé vertueux.

- 13. Nous sommes disposés à discuter d’un régime d’incitation pour les grands investissements qui apportent une valeur ajoutée et un transfert de technologie. Le contraire reviendrait à réprimander notre économie et à nous condamner à l’extractivisme.

- 14. En matière de sécurité, il faut abandonner les slogans. Avec l’inégalité sociale d’une part et la gâchette facile d’autre part, aucun plan de sécurité ne peut être élaboré. Ne laissons pas s’enfuir ceux qui, sous l’administration de Macri, ont nommé une Miss Argentine à la tête de l’école de renseignement du Ministère de la Sécurité. Il faut développer davantage de renseignements pour désarmer la criminalité organisée et la police de proximité pour la prévention. En ce sens, la vidéosurveillance peut être une méthode efficace dans le cadre des nouvelles technologies (drones de surveillance, caméras dotées d’intelligence artificielle, anneaux de sécurité, entre autres). Existent des expériences provinciales et municipales qui peuvent servir de référence. Un plan de sécurité nécessite un leadership politique qui vise la transparence et combat la corruption au sein des forces de sécurité, tout en évitant leur autonomisation.

Cette liste n’est pas exhaustive mais plutôt énonciative.Il y aura certainement d’autres choses à débattre et à proposer, mais il est également essentiel de souligner que tout débat sur les questions d’État, pour prospérer et parvenir à des conclusions efficaces, utiles et réalisables, doit remplir au moins deux conditions de base.La première est qu’il doit être mené en connaissance de cause, non seulement du point de vue théorique mais, fondamentalement, de la réalité et de l’expérience historique qui nous permettent de confirmer empiriquement ce que nous pensons ou de réviser ce que nous croyions. Il va sans dire que cela nécessite l’utilisation d’exemples et de chiffres objectifs et non pas jetés en pâture.

La deuxième condition incontournable d’un tel débat est le respect de ceux qui pensent différemment. En ce sens, le climat d’insultes, d’attaques, de disqualifications et de stigmatisations qui s’est développé au cours du débat et qui s’est accru de manière exponentielle après le retour en commission du projet de loi « Omnibus », n’a pas été sans conséquences. Le projet de loi « Omnibus » préfigure un scénario de violence qui, comme nous le savons déjà, commence par être verbale et devient ensuite physique. La soussignée peut malheureusement en témoigner. Enfin, au-delà des idées, des propositions et des débats que les Argentins peuvent avoir, il faut être clair sur certaines questions.

La dollarisation reviendrait à perdre à jamais la possibilité de développement de notre pays. Accorder à Milei et Caputo un laissez-passer pour continuer à endetter le pays en dollars, en abrogeant les lois sur la viabilité de la dette et en éliminant les restrictions existantes sur la restructuration de la dette extérieure, signifierait une véritable catastrophe de nature irréparable.III. La configuration politique actuelle du système de pouvoirs en Argentine peut être caractérisée sur la base de l’analyse du processus initié lors des élections de l’année dernière, qui a marqué la constitution de tiers exacts au sein du PASO ; ce qui a été réorganisé lors des élections générales lorsque l’un de ces tiers a obtenu le plus grand nombre de voix, atteignant 36,6 %, et que celui qui était arrivé en tête a maintenu son tiers, et que le troisième s’est complètement effondré, n’obtenant que 23,8 %. On savait déjà qu’au second tour, le peuple allait décider que Javier Milei serait à la tête du pouvoir exécutif. Le résultat des élections et les divisions politiques qui ont suivi ont rendu le pouvoir législatif encore plus fragmenté.La situation du pays et la responsabilité des élus de gouverner et de légiférer nécessiteront la construction d’un système d’accord parlementaire.

Ce système d’accord parlementaire ne peut pas avoir une logique de marché perse ( marchandage) ou d’un échange indigne pour des postes, des ressources et je ne sais quoi d’autre - il y a des précédents historiques très graves.Les provinces ont besoin des ressources qui leur correspondent en vertu de lois, de décrets ou d’accords antérieurs découlant du budget 2023 - qui est la loi des lois - et qui leur sont illégalement refusées. Il ne s’agit pas de « punir les gouverneurs », mais de nuire à tous les Argentins qui, à l’exception de la CABA, vivent dans les 23 provinces.

Lorsque nous parlons de concessions, nous voulons être clairs : échanger des ressources pour les provinces en échange de pouvoirs extraordinaires ou d’une autorisation illimitée d’endetter davantage le pays en dollars et de privatiser aveuglément le patrimoine national place ceux qui le font en contradiction flagrante avec l’article 29 de la Constitution nationale.

Argentina, febrero de 2024.
Cristina Fernández de Kirchner

Traduction « non officiele » de l’espagnol pour El Correo de la Diáspora de : Estelle et Carlos Debiasi

El Correo de la Diaspora. Paris, le 17 janvier 2024

Retour en haut de la page

El Correo

|

Patte blanche

|

Plan du site