Portada del sitio > Imperio y Resistencia > "L’ALCA c’est la régulation déguisée en liberté"
Avocat et économiste, académicien à Flacso, Arceo est un proche observateur des équilibres de pouvoirs qui s’expriment à travers les blocs économiques mondiaux. Dans cette conversation, il interprète la réunion de l’OMC à Cancún comme une limite des pays pauvres à l’hégémonie centrale, il analyse les dangers de l’ALCA et les limites du Mercosur, et explique pourquoi ni les Etats-Unis ni l’Europe ne lèveront jamais leurs subventions agricoles.
Par Washington Uranga et Natalia Aruguete
Página 12, 13 octobre 2003
Que représente le Sommet de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) qui s’est tenu récemment à Cancún (Mexique) par rapport aux négociations sur l’ALCA ?
– Les négociations de l’ALCA traversent depuis mai une sorte d’impasse, comme l’a indiqué le gouvernement brésilien, qui est déterminée par deux questions. D’une part, la subsistance -autour de neuf mille crochets- des points de désaccord dans le texte. D’autre part, il s’agit d’une négociation qui devient chaque fois plus dure, dans un contexte international où les pays sous-développés prennent conscience qu’ils ont fait des concessions aux principaux pays centraux l’augmentation du chômage. En outre, contrairement à ce qu’il se produisait en 1995, il ne va pas y avoir d’importants mouvements internationaux de capitaux vers les pays sous-développés. À son tour, la nécessité de financer le déficit fiscal des Etats-Unis amène très rapidement à une augmentation des taux d’intérêt qui aggrave aussi la situation des pays sous-développés. Nous sommes dans un scénario où l’euphorie qui a entouré le lancement du modèle néo-libéral dans l’OMC entre en crise. À ceci s’ajoute une série de changements politiques fondamentaux en Amérique latine et un développement croissant des résistances populaires à l’ALCA. Ce contexte politique influence les négociations.
A quel stade se trouvent les négociations ?
– L’Argentine et le Brésil ont demandé que les Etats-Unis baissent les subventions agricoles, qui avaient été exclues dans le Nafta et dans le Traité avec le Chili. Ce à quoi, les Etats-Unis ont répondu que cette négociation doit être posée dans le cadre de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Là, le Brésil et l’Argentine estiment qu’ils doivent obtenir une certaine compensation.
Pourquoi demandent-ils une compensation ?
– Pourquoi l’Argentine va-t-elle ouvrir son industrie sans pouvoir pénétrer l’agriculture américaine ? Aussi, le Brésil estime que, dans les conditions actuelles, ils ne peuvent pas suivre les négociations. Et ils proposent ainsi que comme l’agriculture doit être abordée dans le cadre de l’OMC, on aborde aussi ce qui est relatif à l’accès au marché des services, investissements et achats de l’État.
Quel est l’intérêt prinicpal des Etats-Unis dans l’ALCA ?
– La négociation des services et des investissements.
Et les ressources naturelles ?
– Le seul secteur qui a un excédent dans la balance commerciale américaine vis-à-vis de l’Amérique latine est celui des services. Ceci signifie ouvrir l’éducation, la santé et le système bancaire aux investissements des Etats-Unis, sans obstacle d’aucun type et avec des garanties absolues. Ceci implique contrôler les États par des mesures qu’ils peuvent imposer aux investisseurs. Cet ensemble de normes constitue un véritable corps constitutionnel dans l’ALCA. Depuis 1948, les Etats-Unis demandent d’étendre le concept de "marché de libre commerce" à la négociation sur "l’accès aux marchés de services, protection de l’investissement et de la propriété intellectuelle". Ceci constitue une nouvelle régulation sous la forme de dérèglementation. Les Etats-Unis ont réussi à imposer ceci dans l’OMC dans une moindre mesure que dans le Nafta.
Quels aspects ne conviennent pas à l’Argentine et au Brésil ?
– Fondamentalement le secteur agricole. Ils n’ont aucun intérêt à être soumis à un corps institutionnel plus rigide que celui auquel sont soumis les concurrents situés hors de la zone, qui sont régis par l’OMC et non par un traité comme le prétend être l’ALCA. La logique des négociations aboutit à ce que le Brésil, l’Argentine, le Venezuela et d’autres pays se battent pour pénétrer le marché américain des marchandises et essayent de dériver tous les autres sujets vers l’OMC, pour ne pas être désavantagée en ce qui concerne les autres pays. Dans l’OMC on vient précisément de poser la même chose. Les Etats-Unis ont imposé un calendrier qui propose la libéralisation des services, essaye d’avancer sur les investissements et fait très peu de concessions en matière agricole. Les pays sous-développés disent: "Si tu ne me donnes pas cela, je ne négocie pas d’autre ouverture".
Les pays sud-américains ont-ils les moyens d’imposer cette limite ?
– Dans l’OMC, les résolutions se font par consensus. Il suffit que quelqu’un s’oppose à une certaine clause pour qu’elle ne voit pas le jour. L’importance de Cancún est que pour la première fois, depuis 1995 -à l’exception de Seattle- les pays sous-développés ont bloqué le calendrier de la libéralisation.
Quel impact Cancún a sur le commerce international argentin ?
– En principe, à Cancún a été mise à mal la libéralisation par des voies multilatérales. Il est difficile d’avancer dorénavant le calendrier de libéralisation. Il est probable que les Etats-Unis et l’Europe essayent d’avancer et d imposer leur ordre du jour par l’intermédiaire de traités bilatéraux. Pour les principaux pays le problème agricole est central. Mais si les autres pays montrent que l’ouverture dans des services a des impacts forts sur la dénationalisation des économies et sur l’emploi, ils ne seront pas non plus disposés à céder. Le processus de libéralisation est bloqué et pour pas mal de temps.
Pourquoi ?
– Parce que ni les Etats-Unis ni l’Europe pensent enever rapidement leurs subventions. En outre, il y a une guerre entre eux. Comme en Amérique du Nord, le secteur agricole est un secteur excédentaire dans un commerce déficitaire, avec ce secteur ils ont pour objectif de re dimensionner et de ré-articuler leur balance commerciale. Mais dans un monde de libre commerce agricole, l’Europe est en passe de dépendre des Etats-Unis, qui est le grand producteur agricole. Ce qui est en jeu n’est pas seulement la relation de chaque pays avec son secteur agricole ou l’autonomie en ce qui concerne les réserves alimentaires, mais le fait qu’il y a un grand pays-continent qui est exportateur naturel de produits agricoles - avec des subventions ou sans subvention - et deux autres centres - l’Europe et le Japon - qui sont en passe de dépendre des Etats-Unis.
Face aux obstacles de quelques pays dans les négociations de libéralisation, quelles stratégies alternatives a dévoilé les Etats-Unis ?
– Les Etats-Unis signent des traités bilatéraux avec le Chili, Amérique Centrale, sûrement en signeront avec le Pérou et la Colombie. Des traités équivalent au Nafta, qui signifient une extension progressive de l’ALCA. Le secrétaire du Commerce des Etats-Unis a déclaré, il y a quelque temps, qu’il n’importait pas que quelques pays refusent de signer parce qu’ils finiraient par signer des accords de libre commerce avec l’Antarctide, ce qui veut dire: " nous allons les isoler".
La stratégie est d’isoler ceux qui présentent une résistance ?
– Oui, et pas seulement à l’échelle latino-americaine. Les Etats-Unis viennent de signer un traité de libre commerce avec Singapour, ont proposé d’étendre le traité de libre commerce avec Israël à quelques pays du Moyen Orient et proposent un accord avec les pays du sud-est Asiatique. Avec ceci, l’Europe elle-même devra se dépêcher pour ne pas être hors du jeu. Ceci s’accompagne de l’objectif de faire de l’Amérique latine une zone libre de terrorisme et de trafic de drogues, ce qui suppose des actes militaires et des entraînements croissants. C’est une stratégie d’ isolement et de pression.
Le processus de militarisation déployé dans les pays latino-américains a une relation avec le projet de l’ALCA ?
– La militarisation a à voir avec une chose fondamentale et une accessoire. Les accords militaires sont accompagnés d’entrées préférentielles sur le marché américain. Le secteur militaire fait aussi partie d’une stratégie économique. Ce qui marque Cancún est le mécontentent croissant du monde face à tout ceci. Comme toute phase d’expansion capitaliste, l’impact est très inégal géographiquement. En 1970 et 1930, tout le monde est entré dans un modèle de développement basé sur les exportations, sauf ceux qui ont été à long terme les gagnants de cette phase : l’Allemagne, Estados Unidos, le Canada et l’Australie. En général, le monde sous-développé a suivi le modèle exportateur classique, dont les grands gagnants ont été l’Argentine, l’Uruguay et, dans une moindre mesure, le Brésil. Il y a eu peu de gagnants en Afrique et aucun en Asie. Dans cette nouvelle phase, les gagnants sont en Asie, Sud-est Asiatique et en Chine. A des époques différentes, ils partent de salaires très, très bas et ont des États qui sont l’antinomie de l’État néo-libéral.
Non seulement des États régulateurs, mais aussi des États entreprises...
– Dans le cas de la Chine, le poids du secteur étatique est déterminant. Dans le cas de Taiwan, encore au début de la décennie quatre-vingt-dix, quarante pour cent de l’industrie était entre les mains de l’État. En outre, ce sont des États autonomes vis-à-vis de la bourgeoisie. Et en même temps, il existe une articulation très forte entre cet État autonome et la bourgeoisie dans un projet nationaliste de croissance à travers les exportations, dans la mesure où les secteurs populaires ne sont pas activés. Ce sont des croissances qui ont été faites sans démocratie. D’autre part, ce sont des sociétés qui viennent du colonialisme et ont un fort sentiment nationaliste qui tend à identifier la croissance des entreprises nationales avec ses entreprises propres. Il faut penser que ces processus ont été menés dans un contexte de réformes agricoles profondes, qui promeuvent une structure sociale beaucoup plus égalitaire que celle qui existe en Argentine. Et qui par conséquent les privilèges qu’obtient le capital sont plus mesurables parce qu’il y a une moindre concentration de revenus qu’en Amérique latine.
Quelle capacité a Cancún de tordre la direction imposée par les pays majeurs ?
– Il est probable qu’il y ait des stratégies de cooptation comme l’invitation de l’Union Européenne au Brésil à négocier une ouverture en lui offrant le libre accès sur le sucre, les légumes et les jus de fruits (produits importants au Brésil) au lieu de casser le groupe des 21. Se sont des stratégies du centre pour casser un bloc de la périphérie qui est encore très peu vertébré. Avec ses allées et venues, Cancún montre que cela coûte aux pays majeurs d’imposer leur calendrier. Et c’est un point d’inflexion par rapport à ce qu’il s’est passé durant les vingt-cinq dernières années. Toutefois, dans une période qui affecte très inégalement les classes sociales, il est difficile d’articuler les intérêts des pays sous-développés, puisqu’ils sont contradictoires. Et il me semble qu’on doit prendre en considération que cette phase a accru l’inégalité entre les pays, entre le centre et la périphérie et au sein de chaque pays de manière notoire. En ce sens, les pays de revenus moyens sont ceux qui ont souffert. Et par conséquent, la conception de stratégies nationales dans ce contexte est fondamentale.
Les stratégies au niveau national sont-elles suffisantes ?
– Elles ne sont pas suffisantes. Mais une sortie régionale comme le Mercosur ne doit pas être pensée comme la création d’un marché plus grand. Pour construire un processus d’intégration en Amérique latine, s’impose la nécessité de créer un État au niveau régional, qui contrôle les capitaux. On doit ensuite d’abord mener la construction politique et après les autres sujets. Nous n’allons pas avoir une monnaie commune ou des politiques communes si nous ne créons pas d’abord un organisme politique commun réel. Et dans ce contexte, le modèle dominant dans le monde et dans la région, est en crise. Les gagnants de cette ligne sont des pays plus pauvres que le nôtre, avec des États très actifs et une autre conjoncture historique. Ce sont des États qui ont comme condition de leur autonomie, le non fonctionnement des secteurs populaires. Construire un État national suppose la participation des peuples. Et ceci est incompatible avec un modèle de développement qui suppose la détérioration des salaires.
Croyez-vous qu’en Argentine il existe une conscience populaire sur la signification de l’ALCA ?
– L’Argentine, bien que chaque fois moins, est dans une discussion fermée. En réalité, ce qui manque principalement ce n’est pas une discussion sur l’ALCA mais sur la société que nous voulons, pour l’Argentine et le Mercosur. La création d’un Parlement est un objectif du Brésil pour 2006, qui a eu l’assentiment du président Kirchner. Maintenant, il faut examiner quel type de Parlement. Si on pense construire un espace commun dans le Mercosur, il faut un État très fort qui compense les différences régionales, pour qu’il puisse y avoir une mobilité de main d’oeuvre sans migration gigantesque. Ceci signifie une division régionale du travail régulée et pas seulement livrée au marché. Avec la discussion sur la construction politique, il faut examiner si nous voulons nous insérer dans le modèle dominant avec un État ou si nous voulons former des sociétés avec des États sans libre échange et au service des besoins populaires.
L’Argentine est-elle mûre pour examiner cela ?
– L’Argentine est un cas pathétique de décadence depuis les années 75. Actuellement, il y a une chute de 60% des salaires et c’est une illusion de penser que nous sommes arrivés à un palier. L’Argentine doit s’ industrialiser parce que sinon elle va finir en concurrençant la Chine. Elle doit perdre l’illusion qu’en doublant la production agricole, elle s’en sortira. Au cours de la décennie 90 le niveau de production des terres cultivables a augmenté de 70% et nous ne voyons pas de changements. C’est un petit secteur qui ne produit pas travail. La détérioration des termes de l’échange n’est pas un problème de produits mais un type de relation entre les pays.
La construction politique de l’Union Européenne a pris beaucoup d’années. Combien peut mettre cette construction dans le Mercosur ?
– Il ne faut pas être emprisonnés par la construction européenne. L’Europe a bénéficié d’une condition exceptionnelle: il s’agit d’une exigence de l’Amérique du Nord, pour que l’Europe puisse faire face à la "menace rouge". En outre, c’est un processus d’intégration entre des pays qui viennent de vivre deux guerres mondiales en un demi siècle. Ils ont un autre rythme, d’autres conditions et autres limites que l’intégration latino-américaine. L’Union Européenne, telle qu’elle est aujourd’hui, n’est pas un modèle à suivre.
Pourquoi ?
– Le Traité de Maastricht codifie les normes les plus rigides du néo-libéralisme. Il lie l’Europe à une discipline qui fait qu’elle grandit pour atteindre la moitié que les Etats-Unis. Et elle cherche sa santé dans une expansion vers l’Est, dont le seul résultat va être une diminution nécessaire du salaire moyen européen. C’est un processus d’intégration dans lequel l’Europe sociale est constamment laissée de côté, qui est conduit en fonction des nécessités et des urgences du capital européen face à sa concurrence avec les Etats-Unis.
Avec l’arrivée des présidents Kirchner et Lula, il y a eu certains espoirs de résistance conjointe à l’ALCA. Ont-ils pris des décisions concrètes en ce sens ?
– On avait l’impression que l’Argentine et le Brésil allaient heureusement vers un schéma de libre commerce sans État, c’est-à-dire, avec l’État qui permet l’ALCA. En ce sens, il y a eu des changements significatifs dans les positions internationales. Ce qu’il ne faut pas sous estimer. En outre, il y a une politique active d’expansion du Mercosur et son l’articulation, à partir de la création d’un espace permettant de fortifier les entreprises. Conserver l’État et ne pas ouvrir davantage l’industrie en échange de rien, c’est un pas en avant. Le Cepal a posé le problème des normes qu’impose l’OMC comme limite aux États et signale que les conditions de l’ALCA interdisent toutes les subventions que peuvent avoir les pays sous-développés et permet les subventions des pays développés. Ceci est asymétrique et il faut le mettre sur la table de discussion. Ceci est un saut brutal en ce qui concerne les courants dominants des années quatre-vingt-dix, et c’est la conséquence de la déception d’une promesse non tenue.
Traduction pour El Correo: Estelle et Carlos Debiasi
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