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13 octobre 2025

HITLERISME, TRUMPISME, NETANYAHISME, LEPENISME, MACRONISME

par Emmanuel Todd*

 

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Les références aux années 1930 se multiplient. La dégénérescence de la démocratie américaine semble nous ramener à celle de la république allemande de Weimar. Trump, par sa jouissance dans la violence et le mensonge, par l’exercice du mal, irrésistiblement nous ramène à Hitler. En Europe, la montée de mouvements catégorisés comme d’extrême-droite nous oblige à ce retour sur notre histoire.

Une approche comparative et expressionniste

Les sociétés occidentales ne ressemblent pourtant plus guère à ce qu’elles furent dans les années 1930. Elles sont vieillies, de consommation, tertiaires, les femmes y sont émancipées, le développement personnel y a remplacé l’adhésion partisane. Quel rapport avec les sociétés des années trente : jeunes, frugales, industrielles, ouvrières, masculines, encartées ? C’est cet éloignement socio-historique qui m’avait conduit à considérer jusqu’à ce jour comme a priori invalide le parallèle entre les « extrême-droites » du présent et celles du passé. Mais les doctrines politiques existent, aujourd’hui comme hier, et l’on ne peut se contenter de postuler l’impossibilité, par exemple, d’un nazisme de vieux, d’un franquisme de consommateurs, d’un fascisme de femmes libérées ou d’un LGBTisme Croix-de-Feu.

Le moment est venu de comparer les doctrines de notre présent à celles des années trente. Voici l’esquisse de ce que pourrait être l’étude comparative de cinq phénomènes historiques : l’hitlérisme, le trumpisme, le netanyahi(u)sme, le lepénisme. J’ajouterai en fin de parcours, brièvement, le macronisme. L’extrémisme centriste et européiste qui mène la France au chaos nous oblige à cet examen. Cet extrémisme est-il si centriste que ça ?

Il s’agira d’une approche impressionniste, sans prétention à l’exhaustivité ou même à la cohérence, dont le but est d’ouvrir des pistes, non de conclure. Je force les traits et les couleurs pour placer les concepts les uns par rapport aux autres. J’exagère à dessein, pour rattraper ou même anticiper une histoire qui s’accélère. Approche expressionniste serait peut-être une métaphore plus appropriée.

Commençons par la dimension générale du racisme ou de la xénophobie.

Le rejet d’un « autre » défini comme extérieur à la communauté nationale, avec des niveaux d’intensité très variables, est commun à l’hitlérisme, au trumpisme et au lepénisme. Dans le cas de l’hitlérisme et du trumpisme, c’est la notion de racisme, explicite ou implicite, qui est commune. Les Juifs étaient considérés par le nazisme comme constituant une race, au sens biologique. Les Noirs, ces cibles à peine cachées du parti républicain trumpisé, sont eux aussi définis biologiquement. Au lepénisme, en revanche, nous ne pouvons associer que le concept de xénophobie. Arabes ou Musulmans sont définis par leur culture. L’une des caractéristiques de l’obsession française de l’immigration reste sa fixation sur l’Islam et son incapacité à cibler les Noirs, dont l’arrivée massive pourtant est l’élément nouveau du processus migratoire. Le taux de mariages mixtes des femmes noires est très élevé en France, il reste insignifiant aux Etats-Unis.

Un trait commun aux « populismes » occidentaux est bien sûr leur refus de l’immigration : Reform UK, les Sverigedemokraterna (Démocrates de Suède), l’AfD, Viktor Orban en Hongrie, Droit et Justice en Pologne, Giorgia Meloni en Italie, passent, comme Trump ou le Pen, le test de ce dénominateur commun. Suffit-il à les définir comme d’extrême-droite, au sens où le nazisme et le fascisme étaient d’extrême-droite ? Je ne pense pas. Une différence capitale oppose le populisme d’aujourd’hui à l’extrême-droite de type hitlérien ou mussolinien : le nazisme et le fascisme était expansionnistes, avec pour but la projection vers l’extérieur de la puissance du peuple allemand (aryen) ou italien (romain). Ils étaient agressifs, nationalistes, conquérants. Ils s’appuyaient sur des partis de masse. On imagine mal les populistes actuels organiser des parades de style Nuremberg. Les apéritifs saucisson-pinard du RN sont certes antimusulmans mais, quand même, moins impressionnants que les cérémonies guerrières hitlériennes. De Nuremberg à Hénin-Beaumont ? Vraiment ?

Le seul populisme occidental qui passerait aujourd’hui à 100% le test de l’expansionnisme serait celui de Netanyahu. Colonies de Cisjordanie, génocide de Gaza : établir un lien entre hitlérisme et netanyah(u)isme – est inévitable.

Les xénophobies française, britannique, suédoise, finlandaise, polonaise, hongroise, italienne sont, à l’opposé du nazisme et du fascisme, défensives. Nous n’avons pas affaire à des peuples qui veulent conquérir mais à des peuples qui veulent rester maîtres chez eux. C’est pourquoi la dimension culturelle l’emporte aujourd’hui en Europe sur la notion raciale et pourquoi on ne peut parler ici que de xénophobie. Cette xénophobie est conservatrice, là où le racisme hitlérien était révolutionnaire parce qu’il bouleversait l’organisation sociale. La notion de nationalisme ne s’applique donc pas aux populismes européens actuels, la notion d’extrême-droite non plus, ou alors nous devrons introduire des oxymores comme « nationalisme modéré » et « extrême-droite modérée ». Je préfère parler de conservatisme populaire.

Personnellement favorable à une immigration contrôlée, je dois admettre la légitimité de cette xénophobie parce que j’accepte l’axiome qu’un groupe humain porteur d’une culture, conscient d’exister en tant que collectivité, bref un peuple, a le droit de vouloir continuer à exister. Concrètement : un peuple peut contrôler ses frontières. Le nazisme, avec ses soldats installés de l’Atlantique à la Volga pour y asservir ou y exterminer d’autres peuples était tout à fait autre chose.

Le trumpisme représente une forme mixte parce qu’il combine un élément central défensif, anti-immigration, à un fort potentiel d’agression du monde extérieur. Il ne s’agit pas à proprement parler d’expansionnisme. C’est l’expansion antérieure de l’appareil militaire américain et le rôle du dollar dans la prédation impériale qui ont rendu possibles les actes trumpiens violents dirigés contre d’autres peuples et nations : le Vénézuéla, l’Iran, nous, les peuples sujets européens de l’Ouest, et bien sûr les Arabes, avec les Palestiniens comme cible principale. L’intégration progressive d’Israël à l’Empire, à partir de 1967, fait qu’en 2025 on ne peut plus guère distinguer le trumpisme du netanyahisme. Mais Trump, au-delà de ses pitreries de nobélisable, est bien le coupable en chef du génocide de Gaza par ses encouragements de longue durée à la violence d’Israël : ce fait si simple fait tomber le trumpisme du côté de l’hitlérisme. Trump est toujours au volant : coups d’accélérateurs et coups de frein américains régulent l’agressivité génocidaire de Netanyahu. J’ai de la chance : au moment où j’écris, Trump, effrayé par la réaction des pays arabes au raid israélien sur le Qatar, et notamment par l’alliance stratégique entre l’Arabie saoudite et le Pakistan, recule. Il ordonne à Netanyahu de s‘excuser pour le bombardement au Qatar et celui-ci s’exécute. Trump impose à Israël un accord avec le Hamas et Netanyahu signe. Ensuite ? Trump est un pervers, impossible de dire.

Le concept de trumpo-netanyahisme, assez laid je l’admets, permet de cerner la question juive comme point commun à la crise américaine des années 2000-2035 et à la crise allemande des années 1920-1945.

La posture pro-Israël radicale du trumpisme masque selon moi un antisémitisme viscéral et vicieux : l’identification de tous les Juifs au netanyahisme, phénomène historique effectivement monstrueux, chancre dans l’histoire juive, n’aboutira qu’à renouveler la conception nazie d’un peuple juif monstrueux. Je parle ici d’antisémitisme 2.0.

Je suis conscient que peu de lecteurs me suivront sur ce point. Mais je ne fais ici que parler comme un banal prophète de l’Ancien testament. « Nous n’avons pas étés choisis pour être du côté des puissants. L’histoire n’en finit pas de nous tendre ce piège ». Combien de fois les Juifs se sont crus sauvés par les forts, par les puissants, par le pouvoir, par un empire, désignés même par un privilège – le succès financier, intellectuel, l’importance dans le parti bolchévique - pour être finalement jetés en pâture à des peuples furieux… Mon cœur saigne quand je vois tant de Juifs français, qui se croient aujourd’hui du côté du manche, justifier la politique de Netanyahu. Mais ce sont bien les mâchoires d’un piège qui sont en train de s’ouvrir. Par la grâce de Trump, la planète entière devient antisémite. Les Juifs américains, dont la majorité refuse la ligne Netanyahu, sont plus sages et plus justes. Mais, déjà, les Juifs hostiles à Netanyahu, universitaires ou non, sont soupçonnés par le pouvoir d’être antisémites. La perversité règne. Le trumpisme règne.

A quand la fermeture du piège ? Un jour, inévitablement les nations chrétiennes feront leur paix avec 1,6 milliards de musulmans. Les Juifs seront alors abandonnés par leurs fans et, désormais seuls, jetés en pâture à d’autres peuples furieux.

Les terres promises se succèdent, des désastres les suivent. Nightfall, précoce nouvelle d’Isaac Asimov, ce très grand auteur de science-fiction américain, me semble une métaphore de la longue suite de drames qui constitue l’histoire juive : au sein d’une civilisation puissante, un reste de prophétie annonce une mystérieuse catastrophe… elle arrive, surprenante...la civilisation s’effondre… puis, lentement, elle renaît, elle s’épanouit… un reste de prophétie annonce une mystérieuse catastrophe...elle arrive, surprenante…

En vérité, le seul retour de l’obsession juive au cœur de l’Occident valide l’hypothèse d’une continuité menaçante entre le passé et le présent.

Protestantisme zombie et nazisme, protestantisme zéro et trumpisme.

La crise économique de 1929 fut un facteur déterminant, fort bien connu, de l’hitlérisation de l’Allemagne. 6 millions de chômeurs firent échapper la société allemande à toute force de rappel idéologique. La liquidation du chômage par Hitler en quelques mois scella le destin du libéralisme.

Le contexte religieux de l’ascension du nazisme, tout aussi important, est moins familier : entre 1870 et 1930, la foi protestante s’évanouit en Allemagne, d’abord dans le monde ouvrier, puis dans les classes moyennes et supérieures. Les régions catholiques résistèrent. En 1932 et 1933, la carte du vote nazi put donc reproduire, avec une exactitude fascinante, celle du luthéranisme. Le protestantisme ne croyait pas en l’égalité des hommes. Il y avait les élus, désignés comme tels par l’Éternel avant même leur naissance, et les damnés. La croyance métaphysique protestante une fois disparue, ce qui en resta fut l’hystérisation par la peur du vide de son contenu inégalitaire, avec les Juifs, les Slaves et tant d’autres comme damnés. Aux États-Unis, le protestantisme d’origine calviniste cibla les Noirs. Le peuple calviniste, fixé sur la Bible, s’identifiait aux Hébreux, ce qui borna l’antisémitisme américain des années trente et mis les Juifs à l’abri. Enfin…à l’abri jusqu’à l’émergence récente de la fixation évangéliste sur l’état d’Israël.

Dans la France catholique, (dans le Bassin parisien et sur la façade méditerranéenne particulièrement), l’effondrement de la foi et de la pratique firent à partir de 1730 muter l’égalité des chances d’accès au paradis (obtenue par le baptême, qui lave du péché originel) en égalité des citoyens et en émancipation des Juifs. L’idée républicaine d’homme universel remplaça celle du chrétien universel catholique (katholikos signifie universel en grec). Un tout autre programme que le nazisme mais qui avait représenté, bien avant lui, le premier remplacement massif d’une religion par une idéologie. Dans la France révolutionnaire comme dans l’Allemagne nazie, toutefois, le potentiel d’encadrement social et moral de la religion avait survécu à la croyance : l’individu restait membre de sa nation, de sa classe, porteur d’une éthique du travail et du sentiment d’obligations envers les membres du groupe. La capacité d’action collective était forte, décuplée peut-être. C’est ce que j’appelle stade zombie de la religion. Le nazisme correspondait à ce stade zombie, d’où, malheureusement, son efficacité économique et militaire.

Je pourrais compléter cette explication religieuse de l’idéologie par une explication de la religion elle-même, influencée par les structures familiales sous-jacentes, inégalitaires en Allemagne et égalitaires dans le Bassin parisien. Mais on peut se contenter ici d’une continuité du protestantisme au nazisme et du catholicisme à la Révolution française.

Nous retrouvons du protestantisme dans le trumpisme. Nous trouvons alors l’inégalité associée à la négrophobie. Nous ne sommes plus toutefois au stade zombie de la religion mais à son stade zéro. La moralité commune a disparu. L’efficacité sociale a disparu. L’individu flotte, particulièrement en cette Amérique de structure familiale nucléaire absolue, individualiste et sans règle d’héritage bien définie. C’est donc à autre chose qu’il faut s’attendre comme idéologie trumpiste : l’inégalité toujours, mais moins de stabilité dans le délire, des oscillations brutales qui ne proviennent pas, fondamentalement, du cerveau d’un président vulgaire et vicieux mais de la société elle-même. La capacité d’action collective, économique et militaire est, heureusement pour nous, très diminuée.

Notons dans le cas du trumpisme l’émergence de formes pseudo religieuse nihilistes qui incluent une réinterprétation obscène de la Bible, telle une glorification des riches. Nettement plus faible que le nazisme dans la dimension du racisme, le trumpisme va plus loin dans l’immoralité économique.

Le nazisme était simplement et explicitement antichrétien. Le trumpisme se veut religieux mais à la manière d’un culte satanique, par l’inversion des valeurs. Le mal c’est le bien, l’injustice c’est la justice. Hitler n’était que le Führer, guide du peuple allemand vers son martyr ; Trump n’est pas Satan mais je soupçonne que pour ses fans satanistes sa casquette rouge est celle de l’Antéchrist.

Dans le cas du lepénisme, aucun héritage inégalitaire protestant. C’est là le véritable mystère du Rassemblement National : xénophobe, il est né en terre catholique. Pire encore, ses premières zones de force, sur la façade méditerranéenne et dans le bassin parisien, furent celle de la Révolution : égalitaire sur le plan familial et déchristianisées dès le dix-huitième siècle. Alors ? Inégalitaire le Rassemblement National ? Égalitaire ? Mystère pour nous, le RN l’est probablement aussi pour lui-même. Son rejet de l’autre résulte d’un égalitarisme pervers qui exige une assimilation rapide des immigrés plutôt qu’il ne les ressent comme différents en essence. Surtout, le RN, fortement déterminé par le rejet des immigrés, et même de leurs enfants, n’en est pas moins sans cesse rappelé à la tradition égalitaire française parce que ses électeurs détestent les ultrariches, les puissants, bref nos élites imbéciles, et pas seulement les immigrés. C’est pourquoi l’union des droites peine à aboutir en France. Sous une forme ou sous une autre, l’union des oligarques et du peuple (blanc) contre l’étranger ne pose de problèmes ni aux États-Unis, ni au Royaume-Uni, ni en Scandinavie, où forces populaires conservatrices et forces de la droite classique s’entendent facilement. En France, la coalition des riches et des pauvres contre l’étranger se dérobe.

Ne sous-estimons pas toutefois la violence potentielle d’une xénophobie d’essence universaliste. Elle peut tout à fait devenir racisme. Si un homme pense a priori que les hommes sont partout les mêmes et qu’il se trouve confronté à des hommes porteurs de coutumes différentes, il peut très bien en conclure qu’ils ne sont pas des hommes.

Le RN est le produit d’un catholicisme zéro, comme la Révolution le fut d’un catholicisme zombie. C’est pourquoi il n’accouchera d’aucun projet collectif. Je renvoie l’examen détaillé du RN et de son rapport à l’avenir à un prochain texte, ni impressionniste, ni expressionniste, que je consacrerai tout entier à la logique interne et à la dynamique du chaos français.

Psychiatrie des classes moyennes supérieures.

J’en viens maintenant à une différence capitale, qui devrait être évidente pour tous et rappelée par les commentateurs politiques qui nous renvoient sans cesse à 1930 par leur vocabulaire. Comprendre la dimension religieuse, ou post-religieuse, de l’hitlérisme, du trumpisme ou du lepénisme, présupposait des connaissances historiques qu’on ne peut exiger des politologues de plateau TV. En revanche, nous pouvons exiger d’eux qu’ils sachent situer socialement les idéologies du passé et du présent, qu’ils rapprochent sans relâche par le terme d’extrême-droite. La différence entre passé et présent est ici très claire.

Le nazisme et les mouvements d’extrême-droite d’avant-guerre trouvaient leur épicentre social dans les classes moyennes et particulièrement moyennes supérieures, menacées par le mouvement ouvrier, social-démocrate ou communiste. Ces classes moyennes étaient fébriles, fort occupées à enfermer leurs femmes et à persécuter les homosexuels. Aujourd’hui, les mouvements dits d’extrême-droite trouvent, à l’opposé, leur épicentre dans les milieux populaires, particulièrement dans un monde ouvrier appauvri, ébranlé ou détruit par la globalisation économique, menacé par l’immigration. Les classes moyennes d’aujourd’hui, largement définies par l’éducation supérieure, sont moins ou même faiblement touchées par « l’extrême droite ». Les classes moyennes supérieures, qui combinent éducation supérieure et revenus élevés, sont particulièrement immunes.

C’est pour cette raison que je préfère parler de conservatisme populaire plutôt que d’extrême droite. Son ancrage dans le groupe des dominés explique le caractère défensif du conservatisme populaire. Son électeur ne s’imagine pas conquérant de l’Europe ou du monde s’il pense sa propre vie comme une survie.

La vraie erreur intellectuelle serait de s’en tenir là. Continuons d’avancer, renversons même la problématique de l’association entre idéologie et classe. Nous avons comparé les idéologies du présent à celles du passé, comparons maintenant les classes du présent à celles du passé.

Certaines classes moyennes européennes de l’entre-deux-guerres entrèrent en folie. Le monde ouvrier fut plus raisonnable. Mais les classes moyennes d’aujourd’hui, particulièrement moyennes supérieures, sont-elles raisonnables ? Sont-elles pacifiques ? Quels sont leurs rêves ?

Ils sont fous. La construction d’une Europe post-nationale est un projet d’halluciné quand on connait la diversité du continent. Il a mené à l’expansion de Union européenne, bricolée et instable, dans l’ancien espace soviétique. L’UE est désormais russophobe, belliciste, avec une agressivité renouvelée par sa défaite économique face à la Russie. L’UE tente d’entraîner les peuples britannique, français, allemand et tant d’autres dans une vraie guerre. Mais quelle guerre étrange ce serait, dans laquelle les élites occidentales auraient adopté le rêve hitlérien de détruire la Russie !

La comparaison par les classes sociales nous permet donc une percée intellectuelle majeure. L’européisme, et donc le macronisme, tombent, par leur agressivité extérieure, du côté du nationalisme, du côté de l’extrême-droite d’avant-guerre. Si nous ajoutons les entorses à la liberté de l’information et à l’expression du suffrage populaire, entorses de plus en plus massives et systématiques dans l’espace UE, nous nous rapprochons plus encore de la notion d’extrême-droite. Fondé comme association de démocraties libérales, l’Europe mute en espace d’extrême droite. Oui, la comparaison avec les années trente est utile, indispensable même.

Nous retrouvons dans le grandiose projet européiste une dimension psychopathologique déjà observable dans l’hitlérisme : la paranoïa. La paranoïa européiste se concentre sur la Russie. Celle des nazis faisait de la menace juive une priorité, sans toutefois négliger le bolchévisme russe (dit judéo-bolchévisme).

Aujourd’hui comme hier nous pouvons donc analyser une psychopathologie des classes dirigeantes européennes. La séquence bizarre amorcée par l’élection de Trump, avec la volonté du président instable de discuter avec Poutine, nous a permis de suivre en direct la sortie de réalité de nos dirigeants à nous. Résumons notre processus délirant. Il a commencé vers 2014, avant, pendant et après Maidan, ce coup d’état qui a désintégré l’Ukraine, coup téléguidé par des stratèges américains et allemands. La suite maintenant :

- 2014-2022 : Provoquons la Russie qui avait averti qu’elle ne tolérerait pas l’annexion de l’Ukraine par l’Union européenne et l’Otan.
C’est fait. Poutine a envahi l’Ukraine.
- 2022-2025 : Perdons la guerre économique qui en a résulté pour nous.

C’est fait. Nos sociétés implosent.

- 2022-2025 : Perdons la guerre au sens strict menée pour notre compte par le régime de Kiev.

C’est en cours.

Le basculement des gouvernements européens dans une réalité parallèle commence en 2025.

Tirons de notre défaite l’idée que nous pouvons enfin imposer notre volonté et installer nos troupes en Ukraine, pour annexer à l’UE ce qui en restera. Mais comment ne pas penser à Hitler enfermé dans son bunker en 1945, pour y donner des ordres à des armées qui n’existent plus.

Nous avons aujourd’hui en Europe affaire à des fous, ou plutôt à une folie collective qui a saisi en masse les individus des milieux sociaux dominants. Rien qu’en France, des milliers de journalistes, d’hommes politiques, d’universitaires, de chefs d’entreprises, de hauts-fonctionnaires, participent à l’hallucination collective d’une Russie qui voudrait conquérir l’Europe (paranoïa). Tel ou tel individu ne saurait être tenu pour personnellement responsable. Nous avons affaire à une dynamique psychique collective.

Je suis convaincu que la diminution de l’individu né de l’état zéro de la religion explique la naissance de ces bancs de poissons russophobes.

Ainsi que je l’ai expliqué dans Les Luttes de classes en France au XXIème siècle, la disparition des croyances collectives - croyances religieuses puis croyances idéologiques de l’état religieux zombie – a conduit à un affaissement du surmoi humain. Au contraire des militants de la libération du moi, je ne définis pas le surmoi comme seulement ou même principalement répressif. Le surmoi, en tant qu’idéal du moi, ancre dans la personne des valeurs morales et sociales positives. Les notions d’honneur, de courage, de justice, d’honnêteté trouvent leur origine et leur force dans le surmoi. S’il s’affaiblit, elles s’affaiblissent. S’il disparaît, elles disparaissent. L’homme n’a donc pas été au final libéré par la fin de la religion et des idéologies mais au contraire diminué. Ce sont des hommes et des femmes fort éduqués mais rétrécis moralement et intellectuellement par l’état zéro de la religion qui sont, en masse, porteurs de la pathologie russophobe.

Les antisémites nazis avaient une tout autre constitution psychique. La mort de Dieu, pour parler comme Nietzsche, les avait certes lancés dans la quête d’un Führer mais ils n’étaient guère en déficit de surmoi et restaient capables d’action collective. Les tragiques performances de l’armée allemande durant la deuxième guerre mondiale en témoignent. Qui oserait imaginer aujourd’hui nos classes moyennes supérieures courant à la mort, à la tête de leurs peuples, vers Kiev et Kharkov ? Notre guerre d’Ukraine est pour rire, produit de l’émancipation du moi, fille du développement personnel. Seuls des Ukrainiens et des Russes mourront.

A moins que…

Les échanges thermonucléaires peuvent se passer de héros.

Emmanuelle Todd* pour sa page Emmanuelle Todd

Emmanuelle Todd, France, Le 9 octobre 2025

*Emmanuel Todd est un historien, anthropologue, démographe, sociologue et essayiste. Ingénieur de recherche à l’Institut national d’études démographiques (INED), il développe l’idée que les systèmes familiaux jouent un rôle déterminant dans l’histoire et la constitution des idéologies religieuses et politiques. Blog personnel Substack

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