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Educación y pantallas
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La décision de certains gouvernements de bloquer l’accès aux jeux virtuels ou de limiter l’exposition des enfants aux écrans pose des défis à la psychanalyse. Une perspective issue de la thérapie relationnelle.
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Éducation et écrans
Il y a quelques années, le point de rencontre pour les jeux entre garçons et filles était la place, le trottoir ou le club. On y apprenait à partager, à attendre, à être frustré et aussi à prendre soin les uns des autres. Aujourd’hui, cette même envie de jouer, cette curiosité et ce lien se déploient devant un écran.
Les décors ont changé, mais les émotions, ainsi que les violences, se sont déplacées vers de nouveaux territoires : les mondes numériques. Quelle place occupe aujourd’hui l’expérience virtuelle dans la construction du lien, de la subjectivité et de la bienveillance ?
Ces derniers jours, le gouvernement de la ville de Buenos Aires a décidé de bloquer l’accès à un jeu virtuel populaire dans toutes les écoles publiques, à tous les niveaux d’enseignement. Cette mesure fait suite à la dénonciation d’un cas présumé de grooming qui aurait impliqué des élèves en dehors des heures de classe. « Cette décision vise à protéger les enfants et les adolescents contre les contenus inappropriés et les comportements à risque en ligne », indique le communiqué envoyé par le ministère de l’Éducation de la ville.
À son tour, cet organisme a mis en place un protocole intégral pour la prévention, la détection, l’intervention et le suivi des situations de harcèlement ou d’intimidation entre pairs afin de créer des environnements où chaque enfant se sent en sécurité, respecté et accompagné, de promouvoir des liens sains, de prévenir la violence et de veiller au bien-être émotionnel de tous les élèves.
Les spécialistes de la santé mentale avertissent que derrière l’apparente innocence des plateformes interactives peuvent se cacher des risques concrets : contacts avec des inconnus, addiction, exposition à des scènes violentes et à des situations difficiles à gérer pour les jeunes enfants.
Face à ce scénario, il est essentiel de se demander comment ces problèmes sont abordés par la psychologie et la clinique : comment les thérapeutes travaillent-ils aujourd’hui avec des situations qui n’existaient pas il y a quelques années à peine, comment la psychanalyse parvient-elle à se mettre à jour sans rester attachée aux théories traditionnelles, et comment accompagner des subjectivités de plus en plus traversées par l’hyperconnexion.
En Argentine, la psychanalyse a une longue tradition, mais elle est aujourd’hui confrontée à de nouveaux problèmes qui invitent à repenser la manière de mener la pratique psychanalytique. La thérapie relationnelle, par exemple, propose d’observer comment les liens « face à face » se transforment, comment les crises sociales, les écrans et la précarité influencent la demande et la modalité thérapeutique. « Il s’agit de mettre l’accent sur la relation, le dialogue et l’expérience partagée entre l’analyste et le patient face aux dilemmes actuels », explique Yanina Piccolo, vice-présidente de l’IARPP Buenos Aires et co-auteure avec Victoria Font Saravia, Martín Forli et Paula M. Mayorga du livre « Psicoanálisis Relacional, una nueva mirada, una nueva práctica » (Psychanalyse relationnelle, un nouveau regard, une nouvelle pratique).
Les environnements virtuels sont devenus des lieux où les garçons et les filles explorent, créent et expérimentent différentes formes de liens. C’est pourquoi la réflexion sur les liens devient également centrale dans le domaine de la santé mentale. Les analystes doivent réfléchir à la manière dont les traumatismes, l’hyperconnectivité, les effets de la crise sociale et la précarité influencent le lien thérapeutique d’un point de vue relationnel. « La clinique est confrontée à des demandes et des subjectivités qui, il y a 20 ou 30 ans, prenaient d’autres formes », explique Piccolo.
La spécialiste ajoute que les enfants et les adolescents sont aujourd’hui particulièrement vulnérables face à la surcharge d’informations qu’ils reçoivent sans avoir les outils pour les traiter. À ce stade, elle souligne l’importance de la présence adulte comme régulateur de ce qui apparaît dans le monde numérique. Elle propose de considérer les plateformes de jeu comme des espaces complexes : « Elles peuvent être des lieux riches et créatifs, où le sujet expérimente, imagine, teste des modes de relation. Elles sont, en quelque sorte, ce que les places publiques étaient autrefois ». Dans le même temps, elle avertit que ce même espace peut devenir un territoire dangereux lorsqu’il apparaît sans contention.
Parallèlement, l’enquête Kids Online Argentina 2025, réalisée par l’UNICEF et l’UNESCO dans le cadre du réseau mondial Kids Online, offre un aperçu actualisé de l’utilisation d’Internet par les enfants et les adolescents du pays. Avec un échantillon de plus de 5 900 participants âgés de 9 à 17 ans, l’étude montre qu’Internet fait partie du quotidien scolaire : 61 % l’utilisent tous les jours pour leurs devoirs et la moitié apprennent de nouveaux contenus de manière informelle. Presque tous regardent quotidiennement des vidéos sur des plateformes de streaming, et un sur deux joue régulièrement à des jeux vidéo ou regarde des séries et des films.
Les réseaux sociaux occupent une place centrale : 80 % les utilisent tous les jours ou presque, et même parmi les plus jeunes, plus de la moitié les utilise déjà quotidiennement. De même, huit enfants et adolescents sur dix communiquent tous les jours par le biais de messages WhatsApp. Mais ces pratiques comportent des risques : 11 % acceptent les demandes de n’importe qui et un sur trois a rencontré en personne quelqu’un qu’il ne connaissait que par Internet. Chez les adolescents plus âgés, ce chiffre passe à quatre sur dix. En outre, près de la moitié reconnaît avoir des difficultés à réguler le temps passé devant les écrans.
En ce qui concerne la décision du gouvernement de Buenos Aires d’intervenir dans les écoles, Piccolo pose une question clé : si l’école tente de protéger la subjectivité des enfants en restreignant certaines plateformes, que se passe-t-il lorsque les enfants sont en dehors du cadre scolaire, sur leurs appareils personnels et sans aucun filtre ?
Du point de vue de la psychanalyse relationnelle, travailler avec des enfants et des adolescents implique également d’accompagner les parents, qui sont aujourd’hui souvent dépassés par la quantité et la vitesse des informations qui circulent. En ce sens, il est nécessaire de réfléchir à des alternatives qui aident les jeunes à vivre au mieux l’expérience numérique.
Dans cette optique, la spécialiste affirme qu’il est indispensable que les institutions et les familles agissent en tant que co-régulateurs de l’espace symbolique et virtuel, en offrant leur présence, des limites et des conseils face à ce qui apparaît sur les écrans.
Les progrès technologiques posent des défis quotidiens. Il s’agit de phénomènes en pleine évolution qui nécessitent des recherches, des débats et une attention particulière de la part des professionnels de la santé mentale, afin de pouvoir accompagner les problématiques actuelles. « La clinique et les théories répondent toujours à une époque et à un contexte », souligne Piccolo. Et à une époque marquée par les écrans, l’hyperconnectivité et des changements vertigineux, il devient indispensable de disposer de nouveaux outils et de nouvelles façons de comprendre ce qui se passe dans la vie quotidienne des enfants et des adolescents.
Rosalía Arroyo* para Tiempo Argentino
Tiempo Argentino. Buenos Aires, le 27 novembre 2025.
Traduit de l’espagnol depuis El Correo de la Diáspora par : Estelle et Carlos Debiasi
El Correo de la Diaspora. Paris, le 6 décembre 2025.