Accueil > Empire et Résistance > Ingérences, abus et pillages > Extrait GEAB 89 : La crise de l’industrie pétrolière
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La baisse actuelle des prix du pétrole précisément causée par cette stratégie du désespoir est en train de casser l’industrie du pétrole/gaz dans son ensemble. La crise ukrainienne, loin de permettre à l’Occident de faire main basse sur la Russie, est en train de l’obliger à repenser sa dépendance à l’Europe comme client de son gaz.
Toutes ces transformations radicales de la géopolitique du pétrole sont à la fois cause et conséquence d’une crise qui est souvent ignorée : celle de l’industrie pétrolière. On l’avait crue sauvée grâce au schiste (71) ; elle se perd à cause du schiste.
Dorénavant, de nombreuses entreprises fuient en effet l’extraction du pétrole de schiste : que ce soit à cause d’une rentabilité trop faible, comme au Texas (72), dans le nord-est des États-Unis (73), ou encore en Pologne (74) ; à cause de protestations contre son exploitation en Angleterre (75) et en Roumanie (76) ; ou à cause des sanctions contre la Russie (77)… Les victimes sont innombrables. Le pétrole à 80$ commence à semer la panique, et un article annonce déjà les premiers signes d’un ralentissement des forages (78).
Les plus grandes compagnies elles-mêmes sont obligées de vendre de nombreuses activités pour se renflouer (79) ; leur production baisse drastiquement alors que les investissements nécessaires sont de plus en plus importants (cf. figure ci-dessous) ; les entreprises sont toutes de plus en plus endettées (80) ; l’exploitation de pétrole (de schiste, notamment) risque à tout moment de n’être plus rentable si le baril s’installe durablement sous les 80$ ; les financements sont de plus en plus difficiles en ces temps de disette économique, etc.
L’industrie pétrolière est bien mal en point. La crise systémique mondiale, touchant le pays au cœur du système – les États-Unis d’Amérique –, touche évidemment l’ingrédient principal de leur domination des 40 dernières années : le pétrodollar. Il n’est donc guère surprenant que l’instabilité frappe l’économie du pétrole de plein fouet.
Le mirage du schiste est de plus en plus documenté. Les estimations optimistes prévoient une production en hausse ou constante jusqu’en 2020 environ (seulement), les autres considèrent qu’un déclin est probable dès 2016. Le prix du pétrole, qui a baissé jusqu’à tutoyer les 80$/baril depuis quelque temps déjà, va précipiter les pertes des compagnies pétrolières... et les mêmes acteurs qui ont eu intérêt à participer à la grande escroquerie du schiste dans la décennie 2000 vont désormais avoir intérêt à s’en retirer, et même à la révéler pour permettre aux prix de remonter et leur permettre de survivre.
Il est probable que l’Arabie Saoudite, première perdante de la stratégie américaine, ait décidé d’arrêter le jeu en précipitant les cours à la baisse, obligeant l’escroquerie à être révélée et un marché d’offre et de la demande à se remettre en place.
Cela dit les dégâts sont immenses, une fois de plus. Le système antérieur de gouvernance mondiale de l’énergie est définitivement cassé. Et si un nouveau système n’est pas inventé dans les plus brefs délais, l’Europe est bien placée pour savoir à quoi s’attendre dans un système dérégulé d’accès aux ressources énergétiques où la loi des plus forts domine.
Le pétrodollar s’effrite en outre à grande vitesse. Tous ces facteurs convergent vers un choc sur le marché du pétrole dans les deux ans qui viennent. Les temps vont être durs pour les compagnies pétrolières. Puisque celles-ci représentent une part importante des capitalisations boursières mondiales, l’effet domino sur les bourses et sur l’économie ne tardera pas. Un énorme choc sur les marchés financiers pourrait survenir en 2015 qui ne soit pas le fait d’une banque cette fois, mais d’un maillon de l’industrie pétrolière.
Notes :
Extrait GEAB n° 89. Paris, 27 Novembre 2014