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29 de julio de 2019

Entretien exclusif avec Enrique Dussel, philosophe, historien et critique théologique argentin

Enrique Dussel : « Nous sommes dans la lutte pour la Deuxième Émancipation »

Les gens prennent conscience de ce que la situation est difficile et qu’il faut s’engager.

por Enrique Dussel*

 

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« La situation est très compliquée et exige une philosophie politique de grand réalisme critique »...« Les Européens eux- mêmes sont pommés. Ils vivaient à l’ombre des Etats-Unis, et l’arbre a bougé, et maintenant ils sont au soleil et c’est eux qui doivent commencer à faire les choses et ils se rendent compte qu’ils sont mal préparés. Et en cela nous avons davantage d’alliés. Je ne suis pas optimiste, mais je ne perds pas l’espoir », a résumé l’universitaire argentin installé au Mexique.

Enrique Dussel lui même se définit comme un philosophe, en plus d’être historien et critique théologique. Il est né le 24 décembre 1934 à La Paz, petite ville de la province de Mendoza en Argentine. Cosmopolite et d’esprit curieux, après avoir obtenu son doctorat en Philosophe à l’Université Nationale de Cuyo (UNC) [Mendoza, Argentine] il a vécu dans plusieurs pays d’Europe afin de continuer ses études (Espagne, France et Allemagne, entre autres) et en Israël. Il est retourné en Argentine plusieurs années après ayant obtenu un doctorat en Philosophie, en histoire et fait des études sur les Sciences de la Religion, pour s’établir à nouveau dans son pays. Le 2 octobre 1973 – à cause de ses liens idéologiques avec les mouvements révolutionnaires argentins - un commando a attenté à sa vie après avoir placé une bombe dans sa propre maison. Depuis ce temps-là il vit au Mexique, où il a été naturalisé et a écrit la plupart de son œuvre. Laquelle compte aujourd’hui plus de 50 livres et plus de 400 articles traduits en plusieurs langues, ce qui a généré nombre de dissertations sur une pensée éthico-critique et transformatrice dans toute la planète.

Ce philosophe, reconnu comme l’un des créateurs de la « Philosophie de la Libération » et comme l’inspirateur de milliers de militants et de penseurs dans le monde, a récemment été nommé membre de l’Académie de Sciences et des Arts aux États-Unis et a reçu une reconnaissance de même ordre partout dans le monde. Il nous a reçus dans sa maison de Mexico pour converser sur divers sujets : la vie et la mort, la santé et la maladie, le changement climatique et les destins possibles non seulement de l’Amérique Latine mais du monde et de l’humanité en général. Nous vous présentons cet échange exceptionnel. Agence Paco Urondo (APU)

APU : Dans son « Éthique de la libération » de 1998 vous citez Humberto Maturana. L’éminent biologiste chilien a l’habitude de commenter que « ce n’est pas qu’il existe quelque chose de semblable à la ’vie’ au sens abstrait, ou de manière entéléchie [1], mais existent des êtres vivants autopoïétiques [2]. Que pensez-vous d’une telle affirmation ?

Enrique Dussel : Bon, ce que Maturana propose a beaucoup à voir réellement avec l’éthique comme je la conçois. La vie est autopoïètique. Les plantes et les animaux reproduisent la vie et dans un processus de type anti entropique [3] parce qu’ils sortent le plus du moins. Le monde physique, astronomique, dépense de l’énergie et se dégrade. En revanche la vie est comme un processus anti entropique parce se créent de nouvelles choses, étapes qualitatives supérieures. Autour de l’humain la vie a atteint sa plus grande complexité et un développement encore indéfini vers l’avenir. Cela si nous changeons les usages de la civilisation, qui a déjà entamé un processus entropique géométriquement développé qui va mener à l’extinction de l’espèce humaine. Cinq fois déjà, la vie a tué plus de 90 % des vivants et la dernière fois fut l’étape des dinosaures. Nous sommes dans la cinquième étape mais l’anthropocène - l’étape de l’être humain – semble finie si nous suivons le chemin que nous avons pris. Nous allons détruire la vie humaine et aussi une grande partie de la vie qui est parasitaire de notre vie. Par conséquent, nous commençons à prédire peut-être une sixième étape de la vie, qui ne sera pas la fin de la vie puisque les blattes et les souris et d’autres types d’insectes et de petits animaux sortiront peut être de la prochaine étape de la vie où l’Homo Sapiens aura disparu parce que s’est produit un processus suicidaire. Nous sommes dans le sujet vie et mort.

Et à propos du sujet de la vie, il est central dans la Philosophie de la Libération pourriez-vous nous offrir une définition de la « vie humaine » en particulier ?

La mort et la vie dont nous parlons n’est pas le concept de vie, ni de la bonne vie, mais de facto le fait de vivre et cela n’a pas besoin de définition. Un enfant sait très bien si on lui montre une image : Une pierre, une maison, un arbre et une fleur montrés à un enfant de 4 ans et on lui dit : voyons dis-moi de ces images lesquelles sont les êtres vivants. Il ne se trompera pas, il sait ce qui est un être vivant. La vie est le point de départ de tout être humain. La politique a à voir avec l’affirmation de la vie. L’économie a à voir avec l’affirmation de la vie. Nous pouvons dire que la vie est la condition absolue et universelle de tout ce que l’être humain fait. Si nous tuons les conditions qui permettent de se reproduire et de grandir, la vie est alors un mauvais acte, et c’est un bon acte oui, si elle permet la reproduction et la croissance de la vie. Mais bien sûr, parfois les uns exploitent les autres, et vivent aussi des autres. Telle serait l’injustice économique par exemple, mais cela continue à être un sujet sur l’affirmation ou la négation de la vie. Le mauvais serait nécrophile, celui qui aime la mort. Et biophile serait celui qui aime la vie.

La conception médicale occidentale pense « la vie » de l’être humain dans un sens dualiste, le corps (soma) d’un côté et l’esprit (psyché) de l’autre, chacune des formes séparées avec ses « symptômes » respectifs et ses « souffrances ». De plus, elle l’isole de son contexte historique, social, culturel, politique et philosophique. Pensez-vous que la médecine moderne devrait modifier une telle anthropologie de racine greco-cartésienne et penser l’être humain depuis une autre perspective ?

La médecine comme toutes les sciences touche directement le sujet de la vie. C’est l’art de soigner c’est-à-dire d’éviter la maladie pour prolonger la vie. Cela devait être l’essence de la médecine. Mais comme l’exercice de l’affirmation de la vie se fait dans des structures idéologiques, politiques, économiques et autres, nous devons voir que la médecine répond d’abord au concept de la vie. Chez les grecs le corps était la vie. L’âme donnait la vie au corps mais la médecine guérissait un peu les corps. C’est clair qu’ils disaient : un esprit sain dans un corps sain. Mais l’esprit n’était pas proprement l’objet de la médecine mais plutôt le corps. Et souvent la médecine actuelle par le mode d’intervention continue de penser aussi que le sujet fondamental est la corporalité souffrante -comme maladie- qui suppose une vie non accomplie. Aussi, je pourrais définir la médecine comme une science, une institution et des instruments affirmant la vie et lutte contre la maladie. Mais à son tour, la maladie va aussi se définir autrement dans l’histoire. Au Moyen Âge on pensait qu’un malade pouvait être l’objet d’une action démoniaque. Alors l’exorcisme du démon était fait pour guérir quelqu’un parce que le malheur était habité par un esprit malin. Nous allons plutôt vers une vision plus matérielle. Je ne dis pas corporelle parce que c’est différent.

Quels sont, selon vous, les facteurs et les intérêts qui déterminent actuellement les notions de Maladie et de Santé?

Il y a comme une grande influence de la pharmacologie. On donne des médicaments qui sont produits par une industrie qui guérit la maladie avec une intervention parfois violente du médecin. Maintenant ce que nous ne pensons pas, souvent c’est que ces médicaments forment un système de transnationales - par exemple Bayer - qui produisent non seulement des semences transgéniques mais aussi des médicaments. Mais étant une transnationale capitaliste sa finalité de fond est de produire des bénéfices. Alors je pourrais dire que la pharmacologie est quelque chose de semblable à la technique par laquelle le capital obtient du profit à travers l’exploitation de la maladie. C’est ainsi que les pauvres ne peuvent pas acheter les médicaments les plus efficaces pour pouvoir guérir les nouvelles maladies qui surviennent. Cela veut dire alors qu’il y a aussi un problème économique qui détermine l’usage de la médecine et que le médecin d’une certaine façon est un instrument d’un grand système d’exploitation de la maladie.

Il faudrait commencer à voir comment cela fonctionne. Aujourd’hui un médecin normalement se fait rémunérer une visite ce qu’elle coûte ou bien il travaille pour une clinique. Laín Entralgo qui a été un médecin espagnol a écrit une histoire de la médecine. Depuis quand un médecin se fait rémunérer de façon privée par un client malade ? Depuis quand et pourquoi le fait-il? Est-ce que cela existait dans toutes les cultures ? Est-ce que cela se passait avant le Moyen Âge? Depuis quand est quantifié de façon économique le service d’un Médecin?

Vous avez été Recteur de l’Université Autonome de la Cité de Mexico (UACM) et Professeur Universitaire. Quel est le rôle de la formation Universitaire et de la production de connaissance sur ces sujets ?

Le service du médecin fonctionne pour éviter la maladie. Et par conséquent le médecin se transforme en instrument d’un système. A la faculté de Médecine on étudie l’anatomie, la physiologie et une quantité de sujets relevant de la science médicale pour lutter contre la maladie. Mais on n’étudie pas du tout le système d’exploitation de la maladie. Cela serait déjà de la métaphysique, ou de l’éthique, et il semble que cela ne correspond pas à la Médecine. Mais le sujet est juste. Le médecin est un instrument du capital, et c’est pourquoi il y a une médecine pour les classes privilégiées qui peuvent payer, et une « médecine de masse » pour ceux qui ne peuvent pas se la payer, qui meurent bien sûr bien avant, bien que la durée vie ait augmenté.

Ce qui crée à son tour un autre problème, tout à coup la terre devient petite pour une expansion de l’espèce Homo. La Terre n’a pas été faite pour cette quantité de personnes, nous commençons à être trop nombreux. Certes, la manière dont aujourd’hui le sujet est résolu consiste en ce que les pauvres meurent. En réalité, il serait rationnel de ne pas concevoir autant de nouveaux nés afin de faire baisser baisser la démographie et que la terre recommence à grandir. Il y a des situations politiques et économiques qui déterminent la Médecine et celle-ci ne capte pas parfois toute cette complexité. C’est pourquoi le sujet éthique dans la médecine et la formation de professionnels de la santé se doit de revenir à l’origine.

Consolider la vie de l’être humain et non tant exploiter la maladie, ce qui peut paraitre la même chose mais cela ne l’est pas parce que l’exploitation de la maladie devient de plus en plus chère pour ceux qui affrontent les derniers jours de leur vie. Mais en même temps, le système économique produit des pauvres qui meurent avant l’heure parce qu’ils ne peuvent pas payer réellement ce type de Médecine. Certes, il faut de quelque façon socialiser la Médecine. Cela veut dire qu’il y a un problème d’injustice en ce qui concerne la lutte contre la maladie.

Comment pourrait-on décoloniser le discours occidental moderne -dans le domaine de la Santé, conditionné -comme déjà mentionné- par de forts intérêts économiques- depuis un regard propre aux majorités populaires et depuis la perspective de la « Philosophie de la Libération » ?

Pour la « Philosophie de la Libération », le premier principe éthique valable pour toutes les actions humaines et aussi pour la médecine, serait de s’occuper de consolider la vie et effectivement de la prolonger dans le temps de manière heureuse. C’est le principe matériel de l’éthique. Le deuxième principe est comment affirmerons- nous la vie ? et là déjà vient le consensus, l’organisation politique qui se formule en un principe démocratique. Ce n’est pas un sujet que le dictateur dise comment la vie s’affirme, mais c’en est un que le peuple puisse définir comment il va distribuer cette vie. Et ensuite le troisième principe est celui de la faisabilité. C’est-à-dire que soit possible ce qu’on a décidé sur la façon de consolider la vie. Ces trois principes dans la Médecine fonctionnent très bien, mais comme nous l’avons dit, il y a une injustice. Là nous avons une quantité de problèmes qui guident une réflexion sur la transformation du système de santé : c’est l’affirmation de la vie et la lutte contre la maladie mais dans une juste distribution des moyens pour arriver à ces fins.

Cela suppose aussi un Etat qui s’occupe de la santé comme un droit de l’homme et qui crée les instruments pour que parvienne réellement jusqu’aux gens une médecine comme elle devrait être. Le sujet est qu’il ne faut pas seulement changer les structures de la médecine mais de l’économie, où déjà la finalité ne serait pas l’augmentation du taux de profit mais l’augmentation de la qualité de la vie. Il y a un dilemme entre la croissance des profits et de la croissance de la qualité de la vie, du bonheur. En Argentine, il y a un proverbe qu’il dit qu’un voleur s’approche et dit à quelqu’un : la bourse ou la vie. La bourse serait l’argent et la vie alors, je lui colle une balle. Mais si nous la prenons au sérieux la proposition, ce serait ou la bourse de Wall Street ou la vie humaine. Le système mondial nous en met une à tous dans la tête. Alors tout à coup la médecine se lie à l’économie mais à son tour l’économie se lie à la politique parce que changer aujourd’hui le système économique suppose des mesures politiques très fortes.

Cette réalité suppose une nouvelle théorie et aussi on peut dire une nouvelle éthique. Mais ce n’est pas une éthique des valeurs ou une éthique d’honnêteté individuelle pour dire que je suis bon. Non, non. Cela doit être une éthique réellement pensée depuis des structures réelles. Qui va investir un copec s’il ne tire un pourcentage annuel supérieur à celui qu’il aurait s’il l’investissait dans autre chose ? La rationalité est l’augmentation du taux de profit, ça c’est réel. Et celui qui ne fait pas cela coule, et s’il coule donc l’entreprise qu’il avait ferme et ceux qui travaillaient dans cette entreprise restent sans travail. Alors la question est grave et elle est d’ensemble, mais nous arrivons aux limites et justement la vie recommence à être sur un Horizon proche parce que écologiquement nous détruisons les conditions qui facilitent la reproduction de la vie. L’augmentation de la température, le trou d’ozone, les plastiques qui envahissent les océans. Déjà maintenant même le super milliardaire le plus riche de Wall Street va respirer aussi un air contaminé, il va prendre du plastique et va mourir comme le dernier pauvre.

Certes, pas si vite. D’abord les pauvres vont mourir, mais les autres aussi. Et de plus, quand mourront les pauvres: Que vont faire les autres? Nous sommes devant un temps apocalyptique, à la fin des temps dans un sens quasi mythique. Parce qu’il n’y a pas beaucoup d’avenir pour l’humanité si elle continue comme cela et en cela déjà la médecine passe à l’écologie. L’écologie se transforme comme la médecine qui traite maintenant la maladie de la terre qui est la destruction écologique. C’est la grande maladie. Et comment obtenir alors que la vie continue pour les prochaines générations. C’est pourquoi elle émeut éthiquement mais rationnellement la jeune suédoise de seize ans qui l’autre jour s’est adressée à une assemblée d’hommes de science. Ils étaient environ mille et la jeune fille en très bon anglais a dit que nous les générations futures demandons qu’ils changent l’ordre ou nous allons mourir. Et quand elle a dit cela , la petite a une larme. Alors ils ont dit : c’est nouveau. Il n’y avait jamais eu dans l’histoire une rébellion des enfants. Mais ce ne sont pas des blagues, mais bien le fond du sujet : ils vont nous détruire la Terre et nous allons être les victimes. Cela implique aussi une éthique forte et une redéfinition de la Médecine.

Le Mexique est aujourd’hui au milieu d’une bataille politique et économique. Parce que s’ils prennent certaines mesures, le capital lui se retire, la monnaie chute, le pays entre en crise et c’est une hécatombe. La politique a à voir avec la gestion du sujet économique. Ce n’est pas du tout facile aujourd’hui de dire nous allons faire ce qu’a fait Lénine, c’est à dire un état où les producteurs sont propriétaires de l’entreprise et définissent le socialisme du XXe siècle. Ce n’est pas si facile, aujourd’hui le capital est très organisé et a déjà de l’expérience et sait comment lutter contre ceux-ci.

Comment évaluez-vous la réalité de l’Amérique Latine à la lumière de ces débats? Quel impact pourra avoir l’irruption du gouvernement d’AMLO au Mexique et quelles choses se jouent dans l’élection présidentielle en Argentine à la fin de l’année?

Au début de ce siècle il y a eu ce que nous appelons un printemps politique. J’ai écrit mon petit livre « 20 thèses de Politique » en disant qu’après 500 ans nous vivons un printemps politique avec les Mères de Place de Mai, les piqueteros, les Sans-terre, les cultivateurs de coca. Aussi avec les gouvernements de l’Équateur de Correa, la Bolivie avec Evo Morales, le Guatemala, le Forum Mondial de Porto Alegre. Néstor Kirchner en Argentine, Tabaré Vázquez en Uruguay, Lula au Brésil. Eh bien, il semblait que nous étions dans une nouvelle étape. Et, en peu d’années, Paff !

Je crois qu’il y a eu deux pas en avant et un en arrière. Mais ce n’est pas seulement nous, les Etats-Unis étaient distraits par le Moyen-Orient voulant se pomper tout le pétrole et étant aux ordres du Sionisme. Non d’Israël, mais oui du Sionisme, en transformant en miettes tout ce qui pouvait être un danger pour Israël. Et alors ils se sont mêlés du Moyen-Orient : et voilà qu’ils sortent battus ! Parce qu’ils n’ont pas gagné cette bataille et maintenant ils partent et retirent leurs soldats d’Irak sans gagner la bataille. En Syrie non plus. Ils ont détruit la Libye, mais ils ne l’ont pas conquise.

Alors ils se sont dits : bon nous avons déjà assez fait des bourdes, revenons sur nôtre terrain. Et ils reviennent malheureusement vers l’Amérique Latine et nous avons en face celui de toujours, l’Empire. Il nous a fait reculer, et toujours avec de nouvelles méthodes. Avant c’était les dictatures militaires, maintenant ils se sont débrouillés pour corrompre le système judiciaire. Et maintenant les coups d’État sont judiciaires : Qui l’aurait dit !? Ils mettent Lula en prison, veulent mettre Cristina Kirchner en prison aussi. Eh bien, nous devrons voir comment nous épurons le système juridique. Il y a eu un pas en arrière, mais il a été aussi désastreux pour le Néolibéralisme. Macri c’est une catastrophe: Bolsonaro, n’en parlons même pas ! Un autre Trump. Et il n’ y a pas de solution, parce qu’ils se livrent aux USA. Et les USA n’ont pas de co-responsabilité, et puisqu’ils se livrent, les étasuniens les exploitent mieux. Ils n’ont pas de doctrine à moyen terme. Mais maintenant l’immigration de l’Amérique Centrale arrive. Qui l’a produite, les Etats-Unis ! Ils ont mis en place une dictature au Salvador. L’ananas de Costa Rica ne vaut plus rien. Ils paient trois sous la valeur de la banane au Guatemala. Alors la pauvreté vient comme immigration.

Nous avions eu un petit triomphe, mais maintenant la droite est appuyée par les Etats-Unis surtout en frappant le Venezuela, en faisant croire que le Venezuela n’a rien résolu. Mais au Venezuela, c’est les Etats-Unis eux mêmes qui bloquent jusqu’au papier hygiénique, sans parler des médicaments. Et ils l’attribuent au Chavisme mais la vraie cause est le blocage de l’Empire face un petit pays qui ne peut pas se défendre.

Alors nous avons un Etats-Unis qui est en train de se repositionner et un Trump qui est de plus en plus absurde, mais que plusieurs suivent parce qu’il y a une droitisation du bon sens. Mais il a aussi perdu l’hégémonie aux mains de la Chine. Alors nous sommes au milieu d’une grave crise politique et il faudra agir avec beaucoup d’intelligence. Une révolution à la russe n’est pas possible, ni même une à la cubaine. Le sujet est comment aller de l’avant, dans cette étape dure des États-Unis, et c’est pourquoi au Mexique se joue quelque chose de très important qui est la possibilité de résister sans orthodoxie parce qu’ici l’orthodoxie socialiste ne fonctionne déjà plus. Ici, Il n’y a pas de Socialisme du XXIe Siècle : n’ y pensez même pas ! Ce serait plutôt un faible Néolibéralisme, ce qui serait déjà très bon. La faisabilité devient fondamentale et la défense de son quant-à-soi est le fruit d’une grande intelligence politique. Puisque c’est ce que López Obrador montre aujourd’hui. Mais il a beaucoup de problèmes internes : la criminalité, la drogue qui a le marché des Etats-Unis, les massacres avec des armes qu’exportent les Etats-Unis.

C’est à dire que la cause des problèmes des Etats-Unis du Mexique ce sont les Etats-Unis d’Amérique, et on ne peut même pas leur rappeler cela, parce qu’ils deviennent hystériques. Mais monsieur Trump ne pense pas que le problème est que tous les Américains sont drogués, que c’est le plus grand marché de consommation de drogue. Et que c’est ainsi parce que c’est un peuple insatisfait.

La situation est très compliquée et exige une philosophie politique de grand réalisme critique. Avec une très forte éthique d’un côté, et de l’autre une grande intelligence pour pouvoir faire échec au monstre yankee. Maintenant le Mexique est un facteur très important pour l’Amérique Latine parce que le Mexique avait toujours joué en faveur des gringos. C’est fondamental de par l’importance du Mexique et de ses dimensions dans le continent, et je crois qu’en Argentine Macri va tomber et Bolsonaro au Bresil aussi va tomber le moment venu. Il ne surviendra pas un gouvernement révolutionnaire, mais un gouvernement qui remplira le gouffre gigantesque que Macri a laissé. Les gens prennent conscience de ce que la situation est difficile et qu’il faut s’engager. Nous sommes dans la lutte pour la Deuxième Émancipation. La première a été en 1810, et maintenant nous sommes dans la deuxième. José Martí le disait, et aussi José Carlos Mariategui. Et comment lutter sinon en s’ouvrant militairement à la Russie et économiquement à la Chine ? Au moins pour jouer en troisième place, l’un ni l’autre. La situation est très difficile mais l’histoire continue et les peuples continueront de lutter.

Je dis : je ne suis pas optimiste, mais je ne perds pas l’espoir. Quand tout le monde a dit ’c’est une catastrophe, l’étape progressiste de l’Amérique Latine est finie ’ j’ai dit que c’était une étape dans laquelle le progressisme a reçu un coup mérité parce qu’ il n’a pas fait géré la corruption et d’autres choses. Il n’a pas non plus développé une théorie, comme le remarque Frei Betto. Et bon, maintenant il faut faire l’autocritique, fourbir ses armes et lentement avancer. Le peuple apprend par la souffrance, il n’y a pas d’autre façon. Ce n’est pas par des cours. Les théoriciens, nous nous pouvons rédiger des formules pour mettre en lumière les causes de cette souffrance et pour trouver un chemin, mais celui qui souffre a l’intelligence la plus ouverte pour comprendre qui est qui. Toujours et quand les médias ne déforment pas toutes les catégories d’interprétation et font interpréter la réalité à l’envers. Mais en cela les réseaux mêmes des portables créent une médiocratie parallèle qui commence à fonctionner déjà plus fort. Les gens n’avalent pas tout si facilement, mais cela continue à être encore très fort. Il faudrait espérer que si tombe Macri, le quotidien Clarin en finisse pour toujours et qu’ils finissent tous en prison une bonne fois pour toutes. Mais s’ils veulent continuer à les maintenir, ils vont devoir continuer à souffrir.

C’est le long chemin de l’Histoire. Sauf que maintenant nous commençons à voir le processus, ce ne sont plus les Etasuniens ou les Européens qui nous apprennent. Nous avons notre propre vision et même nous pouvons leur apprendre comment on lutte contre l’empire. Les Européens eux mêmes sont dépités. Ils vivaient à l’ombre des Etats-Unis, l’arbre a bougé, et maintenant ils sont restés au Soleil et ils doivent commencer à faire les choses et ils se rendent compte qu’ils sont mal préparés. Et en cela nous avons plus alliés. J’ai de l’ espoir, je ne suis pas optimiste.

Enrique Dussel propos recueillies par Manuel Fonseca*, Omar García Corona ** et Facundo Tineo ***

* Manuel Fonseca, médecin, conseiller de la faculté de Sciences médicales de La Plata, directeur de la Chaire Libre de Santé “Ramón Carrillo” de l’UNLP.
** Omar García Corona, docteur en philosophie de l’Université Nationale Autonome du Mexico, membre de l’Association de Philosophie et Libération (AFyL le Mexique).
*** Facundo Tineo, médecin, enseignant à l’Université Nationale de Mar del Plata

APU. Buenos Aires, le 3 juillet 2019

*Enrique Domingo Dussel Ambrosini (né en 1934, à Mendoza, Argentine) C’est un universitaire, philosophe et historien argentin. Résident mexicain, il fut nommé recteur intérimaire de l’Université Autonome de Mexico. Son travail est reconnu à l’échelle internationale dans les domaines de l’Ethique, la Philosophie Politique, la Philosophie latinoaméricaine et en particulier le courant de pensée dont il est à l’origine la « Philosophie de la Libération ».

Traduit de l’espagnol pour El Correo de la Diaspora par: Estelle et Carlos Debiasi

El Correo de la Diaspora. Paris, le 29 juillet 2019

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Notas

[1Tradition aristotélicienne : Principe créateur de l’être, par lequel l’être trouve sa perfection en passant de la puissance à l’acte

[2L’autopoïèse (du grec auto soi-même, et poièsis production, création) est la propriété d’un système de se produire lui-même, en permanence et en interaction avec son environnement, et ainsi de maintenir son organisation (structure) malgré son changement de composants (matériaux). Le concept d’autopoïèse est inventé par Humberto Maturana et Francisco Varela dans l’article Autopoietic Systems, présenté lors d’un séminaire de recherche de l’université de Santiago en 1972.

[3Le terme entropie a été introduit en 1865 par Rudolf Clausius à partir d’un mot grec signifiant « transformation ». Il caractérise le degré de désorganisation, ou d’imprédictibilité du contenu en information d’un système

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