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16 juillet 2004

Comment par les medias désinforme-t-on ?

 

Par Mercure
Oulala, dimanche 17 août 2003,

Si les médias prétendent avoir l’objectif d’éclairer et d’enrichir le débat démocratique, nous nous devons aujourd’hui de mettre en lumière les moyens par lesquels ceux-ci s’exercent à ne pas l’atteindre. Posons-nous la question : sommes nous bien informé ? Si non, pourquoi sommes nous si mal informé ? La rentabilité des médias est-elle devenu une contrainte à la qualité de l’information ou plutôt à la richesse de l’information dans tous les sens du mot ? La seule façon d’informer les gens étant par les signes, la communication, la langue, il est claire que la faille ne puisse venir que du langage. C’est ce que nous verrons.

Après m’être efforcé à établir une définition de la linguistique et de son objet d’étude, en l’occurrence la langue, je chercherai à démontrer dans les lignes à venir, comment les médias ont usé de toutes sortes de stratagèmes pour la « disloquer ». Ce que je nomme le disloquement de la langue, c’est le travestissement de certains signifiants dans la langue en de nouveaux signifiés. Pour résumer, le signifiant est le signe, par exemple écrit ou vocale, et le signifié est l’objet concret ou imaginaire auquel il renvoie. Je donnerai à titre d’exemple « chaise ». Ce mot tel qu’il apparaît sur le papier est le signifiant et la chaise sur laquelle je suis assis est le signifié. Pour un concept aussi facile à cerner, les chances de travestissements sont peu probables, mais pour des concepts comme « information », « actualité » ou « vérité », il en est tout autrement. Vous verrez en quoi ce disloquement de la langue à su travestir notre vision de la réalité par l’entremise des médias qui sont selon moi, sans vouloir faire de généralisation, le vecteur par excellence de ce type d’associations biaisés entre les signifiants et les signifiés.

La culture et la langue

Selon Edward Sapir [1], de tous les aspects de la culture, c’est sans doute le langage qui a connu le premier un degré élevé d’élaboration et il est probable que sa perfection essentielle est la condition nécessaire du développement de la culture dans son ensemble.

Dans son cours de linguistique générale, Ferdinand de Saussure [2], dit de la linguistique qu’elle est la science ayant pour objet la langue envisagée en elle-même et pour elle-même. Si cette définition a servi de cadre au développement de la linguistique structurale, l’étude de la langue et des langues connaît aujourd’hui de nombreux prolongements qui lui échappent.

La défense des langues, des cultures et de la pluralité n’est pas une mince affaire. Elle conditionne notre survie et donc, à terme, notre indépendance technologique et économique, culturelle et politique. Le plurilinguisme est à l’échelle internationale ce que le pluripartisme politique est à l’échelle nationale. Si la démocratie, à l’intérieur des États s’appuie sur le pluripartisme, la démocratie entre les États, elle, doit s’appuyer sur le plurilinguisme. En abandonnant sa propre langue, l’homme perd automatiquement la maîtrise des définitions et de ses outils de représentation. Il devient donc vulnérable à la manipulation. Par conséquent, ses créations, quand on peut encore en parler, deviennent puériles et insignifiantes et n’intéressent plus personne.

Si la linguistique est l’étude scientifique du langage, encore faut-il s’entendre sur ce qu’on nomme langage. La question, comme on va le voir, n’est pas académique.

Sa réponse commande en fait toute utilisation correcte de la linguistique par les autres sciences humaines. Une longue tradition philosophique nomme langage tout « moyen quelconque d’exprimer des idées » (Larousse du XXe siècle) ; « n’importe quel moyen de communication entre les hommes êtres vivants » (Jespersen, Encyclopaedia britannica) ; « tout système de signes pouvant servir de moyen de communication » (Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, 1926) ; « tout système de signes aptes à servir de moyen de communication entre les individus » (Marouzeau, Lexique de la terminologie linguistique ).

La définition saussurienne (1916) ne s’écarte pas sensiblement de ce patron définitoire : une langue, dit-elle, c’est un système de signes distincts correspondant à des idées distinctes. L’émergence du langage fut une étape décisive qui a permis la prodigieuse complexité de la culture humaine. Grâce à lui les hommes sont capables d’utiliser des symboles, c’est-à-dire d’octroyer et de communiquer des significations par l’intermédiaire de signes phoniques et par l’organisation de ces signes en phrases. S’ils reçoivent un apprentissage, de nombreux animaux sont capables de réagir au langage, mais uniquement en tant que signaux ou appels, non en tant que véritables symboles. Toutes les cultures humaines ont pour fondement le langage et tous les langages humains, même ceux des peuples analphabètes, possèdent un degré de complexité suffisant pour transmettre la totalité d’une culture, dans ses éléments et ses connexions.

La communication médiatique

De nos jours, le plus important des quotidiens dans un secteur donné du marché peut toucher entre 50% et 70% de la population [3]. En 1875, il n’en touchait que 10%. Autrefois, la seule priorité d’un journal était la pertinence et la véracité de l’information rapportée. On se souciait peu d’offusquer les gens, on voulait les renseigner avec toute la rigueur que cela demande. De nos jours, avec le droit de veto des annonceurs, le souci de ne pas offusquer les gens est plus grand, contrat de publicité oblige. La logique du 1$ = 1 vote a supplantée l’idée athénienne du 1 personne = un vote. Depuis ce temps, il y a eu une dislocation du sens du mot « information », cela va de soi.

En 1875 et même jusqu’au début du XXième siècle, « information » (terme que l’on a maintenant confondu avec communication, car il n’est pas vain de mentionner que communiquer n’est pas nécessairement informer) renvoyait à l’idée de fournir non seulement la description précise et vérifiée d’un fait, d’un événement, mais également un ensemble de paramètres contextuels permettant au lecteur pour ne parler que des médias écrits, de comprendre sa signification profonde. C’était répondre à des questions de base : où, quand, comment, pourquoi ? Maintenant, avec l’influence de la télévision et du journal télévisé, le journaliste (censé être l’éclaireur dans tout ce brouillard d’informations, censé être celui qui réfléchit l’information dans les deux sens du terme, celui qui la rend objective, qui nous l’explique en nous la rendant dans toute sa complexité, en nous donnant des pistes de réflexions, censé nous donner son opinion RÉELLE, son opinion de spécialiste) semble être devenu de trop ; l’image l’a supplanté. Pas d’image, pas de nouvelle. L’importance d’une nouvelle est calculée en image : beaucoup d’images = très important, pas d’image = pas important. Le fait qu’on ne présente pas d’image est maintenant associé au fait que la nouvelle n’est pas importante, c’est la nouvelle mentalité que les abus médiatique on provoquer (inversement, la pléthore d’images qui se succèdent ne mène pas nécessairement à une meilleure compréhension).

Le danger des images c’est que, contrairement à la boutade, elles ne valent pas mille mots. L’association que notre esprit peut faire entre deux informations, l’association à laquelle on a été socialement conditionné selon notre culture, peut s’avérer fausse, comme par exemple quand un cormoran breton fut présenté comme une mouette du Golfe victime de la marée noire lors des événements que l’on connaît [4].

Ce qui autrefois devenait information par le travail assidu de nombreux journalistes, par de longues investigations, est devenu obsolète. Ce type de journaliste s’est maintenant fait remplacer par le journaliste révélateur, puisque la révélation fait maintenant figure d’information, au sens noble du terme.

La responsabilité des journalistes, lors d’un bulletin télévisé, repose principalement sur le choix des mots et le maniement des mots. Selon Bourdieu [5], c’est à travers les mots que les journalistes produisent des effets et qu’ils exercent une violence symbolique qu’ils peuvent exercer nolens volens. La violence symbolique est une violence qui s’accomplit dans et par la méconnaissance, qui s’exerce d’autant mieux que celui qui l’exerce ne sait pas qu’il l’exerce, et que celui qui la subit ne sait pas qu’il la subit. Les journalistes, et c’est là leur responsabilité, participent à la circulation des inconscients.

Autre terme dont le signifié a été disloqué c’est « actualité ». Avec la rapidité nouvelle à laquelle on communique, le sens de ce mot s’est beaucoup restreint. Si autrefois ce qui s’était passé il y a 15 jours avait des allures d’actualité, disons qu’aujourd’hui cette logique a beaucoup changée. La nouveauté ne peut maintenant plus être que journalière, les faits étant rapportés presque toujours la journée même et parfois en direct. Selon la logique de Marshall McLuhan, le fait de voir se dérouler l’histoire en direct, comme lors de la guerre du Golfe par exemple, contribue à enrichir notre imaginaire de mythes, à les créer. Pour restreindre la signification du mythe, appuyons nous sur celle proposée par Barthes [6] lorsqu’il écrit que le mythe ne se définit pas par l’objet de son message, mais par la façon dont il le profère. Tout peut donc être mythe car l’univers est infiniment suggestif. Chaque objet du monde peut passer d’une existence fermée, muette, à un état oral, ouvert à l’appropriation de la société, car aucune loi, naturelle ou non, n’interdit de parler des choses. Évidemment, tout n’est pas dit en même temps : certains objets deviennent proie de la parole mythique pendant un moment, disparaissent, d’autres prennent leur place, accèdent au mythe. Lointaine ou non, la mythologie ne peut avoir qu’un fondement historique, car le mythe est une parole choisie par l’histoire ; il ne saurait surgir de la nature des choses.

Dans la même logique de mon travail, je continuerai avec un autre mot dont la signification à été distorsionnée : démonstration. Dans son livre sur la télévision, Bourdieu amène un concept intéressant, celui de la circularité de l’information. D’une chaîne de télévision à l’autre, on répète encore et toujours la même information, on se fait l’écho de ce qui a été dit plus tôt, en ayant comme seule preuve de la véracité de l’information le fait qu’elle a été rapporté par un autre média, une autre chaîne de télévision. X dit quelque chose à Y (cette chose est fausse mais X ne le sait pas puisqu’il n’a jamais trouvé de preuves suffisantes pour le convaincre), Y la dit à Z la croyant vraie qui à son tour la répétera à X en l’assurant de sa source. X effacera tous soupçons disqualifiant son information. La répétition ici remplace la démonstration. Une chose ne devient plus vraie parce qu’on nous l’a démontré, parce qu’on nous l’a prouvé, mais simplement parce que nous l’avons entendu à maintes reprises de sources différentes. Voilà ici un bien vilain sophisme.

Il existe bien des malentendus entre les médias et ceux qui les regardent. Comment par exemple le bulletin de nouvelle télévisé réussi-t-il à convaincre les gens de ce qu’ils affirment ; en jouant bien sûr comme je tente de le démontrer depuis le début de ce travail sur le lien entre signifiant-signifié. Par exemple, est-il innocent que les annonceurs à la télévision aient belle apparence ? Avec leurs nombreuses expressions faciales et leur sourire en nous regardant DROIT DANS LES YEUX, ils jouent sur le lieu commun suivant : une personne qui vous regarde droit dans les yeux ne peut certainement pas vous mentir. Son mensonge réside moins dans le fait de ce qu’elle affirme que dans l’effort qu’elle met à faire croire que d’assister à un événement, c’est le comprendre. Son but n’est plus d’expliquer, mais de montrer.

Selon Jean-Yves Prax [7], c’est en brisant les routines déclaratoires que les médias pourront indiquer qu’un sens nouveau se glisse sous les mots habituellement utilisés. Ce qu’il nomme « routines déclaratoires », ce sont les nombreuses et prévisibles occasions d’annoncer le changement que les structures habituelles se sont données justement pour prévenir les glissades et les erreurs de parcours qui viendraient bousculer l’organisation. Si les médias suivent scrupuleusement les routines habituelles, ils peuvent être assurés que les mots employés pour décrire la réalité seront imbibés du sens traditionnel et, dans les faits, ne traduiront que la continuité dans l’esprit de ceux qui les entendront. Les notions de « codage » et de « décodage » sont utiles pour comprendre ce qui se passe lorsque l’on parle du changement. L’émetteur, dans le présent cas les médias, choisit d’abord les mots et ensuite les combine ou les agence dans des relations et dans un contexte. De son côté, le décodeur, dans le cas de mon travail, l’auditeur, procède inversement en ayant d’abord en tête le contexte et les relations habituelles qui imbibent les mots avant d’y porter attention et de les entendre. Conséquemment, les médias pourraient annoncer une guerre France-États-Unis, mais les auditeurs ne seraient attentifs qu’au contexte de la guerre sans trop s’attarder aux choix des mots utilisés dans le message. D’où l’importance, pour les médias désireux d’enclencher un changement véritable, de bien choisir ses mots certes, mais surtout de porter une attention toute particulière au contexte dans lequel ils les prononceront. Il faut porter davantage attention au décodage qu’au codage du message si l’on veut que les mots aient un sens commun pour l’ensemble de l’organisation. Or porter attention au décodage signifie qu’il faut parfois s’écarter des routines déclaratoires et des structures prévues à cette fin. Le changement passe d’abord par une certaine déstabilisation qui ne peut se faire qu’en court-circuitant les schèmes habituels de référence que les acteurs du statu quo ont habituellement nourris.

Le paradoxe de la communication médiatique c’est que si la clé de décodage du message est accessible au plus grand nombre moins le message sera précis et par ricochet, plus les ambiguïtés sur celui-ci seront grandes. Le but des médias ne devraient pas être la communication au plus grand nombre, mais la communication la plus juste et exact possible. Il n’en est malheureusement pas ainsi.

Conclusion

Ce que les médias mettent en péril avec de pareils agissements c’est rien de moins que la vérité. L’événement en tant que tel n’a plus vraiment d’importance, le contenu de la nouvelle n’a plus l’importance qu’il avait puisque ce n’est pas ce qu’il représente vraiment que les gens vont retenir, mais ce qu’on leur a dit qu’il représentait. Si les médias déforment la réalité en disloquant le lien signifiant-signifié, ce n’est pas seulement qu’ils biaisent la réalité, mais c’est aussi l’Histoire qui s’écrit, la version erronée de l’Histoire. Comme le soulignait Ignacio Ramonet dans La tyrannie de la communication, la recherche de la vérité en information épuise, elle fatigue, et ne peut voir son accomplissement que dans le long et éprouvant travail de recherche assidue, de détermination à aller jusqu’au bout d’une question en essayant de saisir la polyphonie de la réalité. Se serait une naïveté que de penser qu’il est aisé d’être informé ; comme s’il ne s’agissait que d’une lecture rapide et peu attentive des gros titres du journal matinal, suivit le soir d’une heure ou moins d’écoute du journal télévisé pour avoir l’essentiel des nouvelles. Je crois sincèrement qu’il est un mode de vie que de s’informer correctement, mode de vie il va s’en dire qui cadre mal avec nos habitudes de vie aussi mouvementées. Mentir est un autre exemple de mot ayant perdu sa juste signification ; il ne se résume pas seulement à ne pas dire la vérité. Mentir signifie aussi cacher certaines informations, jouer sur les équivoques, garder le silence sur un fait « x » dont nous possédons tous les renseignements, déformer la réalité, etc. Michel Foucault l’a écrit avant moi et de façon toujours aussi élégante, précise, concise et VRAIE : « Rien n’est plus inconsistant qu’un régime politique qui est indifférent à la vérité : mais rien n’est plus dangereux qu’un système politique qui prétend prescrire la vérité. La fonction du dire vrai n’a pas à prendre la forme de la loi, tout comme il serait vain de croire qu’elle réside de plein droit dans les jeux spontanés de la communication. La tâche du dire vrai est un travail infini : la respecter dans sa complexité est une obligation dont aucun pouvoir ne peut faire l’économie. Sauf, à imposer le silence de la servitude. [8] »

Notes :

Notes

[1Sapir, Edward, Linguistique, folio essais, 1968

[2Saussure, Ferdinand de, Cours de linguistique générale, 1968

[3Ramonet, Ignacio, La tyrannie de la communication, Galilée, 2000, 206 pages

[4Ramonet, Ignacio, La tyrannie de la communication, Galilée, 2000, 206 pages

[5Bourdieu P., Sur La télévision, suivi de L’emprise du journalisme, Paris, Liber-Raisons d’agir, 1996

[6Barthes R., Œuvres complètes, Paris, Le Seuil, 1993

[7Prax, Jean-Yves. Le guide du Knowkedge Management Paris. Dunod, 2000. 266p

[8Foucault, Michel, Dits et écrits volume II, Gallimard, Quarto, 2001, 1756 pages

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