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23 février 2024

Casablanca, quand l’art transcende la politique

par Jaime Iturri Salmón

 

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Boire comme les durs, c’est du moins l’image projetée sur l’écran noir et blanc. Il boit comme ceux qui connaissent des amours contrariées. Il demande au pianiste un air particulier et se remémore.

Soudain, elle apparaît. Elle est revenue alors qu’il avait refait sa vie et qu’il ne l’attendait plus. Elle est revenue avec un nouvel amour (enfin, un ancien car elle était mariée avec lui, mais elle le croyait mort). Elle est revenue après avoir manqué à sa promesse de le rejoindre à la gare pour prendre le dernier train et s’enfuir avant l’arrivée des nazis à Paris.

Elle est revenue. C’est pourquoi il boit comme le font les hommes aux amours brisées. La vie a fait de lui, qui était un combattant de gauche dans l’Espagne révolutionnaire, un cynique, même si, comme le dirait l’inspecteur français Louis Renault, au fond de lui, il reste un sentimental.

Oui : la vie, ou le destin, ou les dieux, vous mettent dans le pétrin. Parce qu’il y a des amours qui l’emportent sur l’amour, des fidélités qui l’emportent sur la fidélité. C’est pourquoi elle est déchirée entre deux amours. Et lui, qui l’aime tant, lui donnera les passeports pour qu’elle parte avec son mari résistant, loin du Maroc, sur le chemin de la liberté, quitte à la perdre, une fois de plus.

C’est avec ce scénario que Michael Curtiz a réalisé Casablanca, considéré par les 100 plus grands critiques de cinéma comme le meilleur film du XXè siècle. Le film a été produit par Warner Bros et est un classique des classiques.

On sait moins qu’il s’agissait d’un film de propagande destiné à convaincre une partie du public étasunien et mondial réticent à l’entrée en guerre des États-Unis.

Mais, bien sûr, il s’agissait de la bonne propagande, celle que l’on ne remarque pas, celle qui suggère, plutôt que de dire, ce qu’il faut penser ou ce qu’il faut ressentir. Une propagande qui construit la logique à travers les sensations plutôt que la raison.

À l’heure du cyberespace, nous devrions revenir à Casablanca. Au lieu d’une propagande brute et directe qui met en avant le visage du dirigeant, nous devons construire des récits qui font appel aux sensations, aux émotions qui construisent les sens à travers la peau et le cœur des humains. Dans son regard, lorsque Rick lui dit qu’elle doit partir avec son mari, il y a tout le désespoir, le désarroi et la transparence. Dans la générosité de Rick, il y a aussi du pragmatisme : « ensemble, ils nous attraperont facilement ».

Et deux phrases : « il nous restera toujours Paris » et « c’est le début d’une grande amitié ». En d’autres termes, le passé, ce que nous avons vécu, nous accompagnera toujours. L’éphémère, qui est l’amour, sera toujours avec nous. Et aussi, restera ce qui est en construction éternelle, l’amitié.

Tout cela sera inoubliable, car l’art transcende les usages de la politique, tout comme la vie nous enseigne que le grand amour s’appelle fidélité, même s’il faut parfois renoncer à ce que l’on aime.

Jaime Iturri Salmón para ¿Y ahora qué ?

¿Y ahora qué ?. Buenos Aires 2024

Traduit de l’espagnol pour El Correo de la Diáspora par : Estelle et Carlos Debiasi

El Correo de la Diaspora. Paris, le 23 février 2024

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