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4 décembre 2003

C’est la Dette Odieuse du néo-libéralisme qui continue à dévaliser l’Argentine.

par José Pablo Feinmann *

 

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La Dette Odieuse

Le coup militaire du 24 mars a deux visages : politique et économique. Non seulement, on a planifié un génocide politique, mais aussi un autre économico-social. Martínez de Hoz, qui venait de l’entreprise Acindar (Siderurgie), se présentait comme l’homme qui allait en finir avec "l’économie dirigiste" et, avec cet objectif, il a commencé à agir en s’appuyant sur les entreprises. Pour cela, la dette qu’a contracté la dictature, elle l’a contractée par le biais des entreprises. Martínez de Hoz a mis comme secrétaire du Plan à Guillermo Walter Klein et ce Monsieur Klein dialoguait avec les entreprises (ces mêmes entreprises "intéressées par le pays") et il leur a dit qu’il fallait emprunter de l’argent parce qu’il y avait des capitaux disponibles. Il y avait, oui, des capitaux : une énorme quantité de pétrodollars - depuis les débuts des années 70 - ils confluaient vers les banques américaines, lesquelles devaient les prêter et elles les ont prêtés à ceux que les demandaient.

L’Argentine (sous Martínez de Hoz - Klein) a demandé - sans en avoir besoin - ces capitaux qui furent aiguillé vers des entreprises. Ce capitalisme patronal fut celui qui a incarné la dictature.

La première escroquerie se situe - selon la Constitution - sur le fait que seulement le Congrès peut demander des crédits, mais, n’ayant pas de Congrès sous la dictature, les crédits ont été demandés par Martínez de Hoz et ils les a détournés vers des chefs d’entreprise amis, lesquels se sont infiniment enrichis. Comment "a-t-on bouclé" cela ? Avec Monsieur Cavallo, celui qui, en 1981, "a étatisé la dette privée". C’est ainsi, le pays, le peuple argentin qui doit payer cette dette dont il n’a pas reçu un seul peso. Le schéma du vol - en résumé - serait le suivant :

 1) coup d’État ;
 2) dissolution du Congrès ;
 3) ministre d’Économie qui représente les entreprises et a des contacts faciles avec le Fonds Monétaire (FMI) ;
 4) le FMI prête au "pays" ;
 5) ces prêts vont aux entreprises (chose que le FMI, complice, sait très bien ;
 6) les entreprises s’enrichissent et restent avec un haut degré d’endettement ;
 7) cela est résolu parce que Monsieur Cavallo "transfère" la dette des entreprises à l’État, à savoir, au "pays", qui n’était pas celui qui avait reçu le prêt. Entre-temps, la Banque Centrale argentine ne tient pas de registres de la dette.

Tel quel, il n’y a pas de registres comptables de la dette à la Banque Centrale de la République Argentine.
La magouille a pu être faite parce que - simultanément - le Général Videla a rasé toute résistance politique et corporative possible. De cette manière, avec la dictature, les entreprises et les militaires, l’endettement s’est élevé à 45 milliards de dollars. Voila ce qu’a fait le néo-libéralisme en Argentine : il a assassiné à trente mille personnes pour endetter le pays de quarante-cinq milliards de dollars.

Pendant la dictature militaire, Martínez de Hoz agissait sans limite parce qu’il n’y avait pas de Congrès, puisque comme nous le rappelions, c’était au Congrès de demander les crédits. Ceci n’a pas changé avec la démocratie parce que le Congrès s’est retiré lui-même au bénéfice du pouvoir économique. Comment une chose semblable est elle possible ? Chaque fois qu’il faut traiter le sujet de la dette et de l’endettement externe, chaque fois qu’il faut demander des crédits ou établir des négociations avec le FMI, le Congrès (en disant toujours "par cette seule fois") dérive cette faculté vers le Pouvoir Exécutif, qui la transfère au ministre d’Économie, qui est, qu’il s’agisse de Machinea ou Cavallo ou d’un autre, toujours un homme des banquiers, un homme du FMI, un homme "clef" pour le Fonds. Par conséquent la "dérivation" du Congrès est une dérivation directe vers le FMI. On dérive le sujet de la dette aux responsables de la dette.

Jusqu’ici j’ai suivi certaines lignes centrales du film du jeune cinéaste Diego Musiak sur l’Alejandro Ormes, le héros isolé, déjà décédé, qui a obtenu que la dette soit déclarée illégitime. Ce film on peut le trouver, il existe en vidéo et c’est une obligation morale de le voir et de le revoir plusieurs fois.

J’ai déjà dit dans une note précédente que la dette contractée entre 1976 et 1983 (trente-cinq mille huit cents millions de dollars) ne doit pas être payée. Nous avons pour cela tous les droits qu’on peut imaginer, ou, sans doute, beaucoup plus que ceux qui ont été imaginés. Après avoir publié cette note, j’ai reçu des éléments destinés à les renforcer. En somme, il n’avait rien inventé, par chance. La question qui autorise aux pays du Tiers Monde ou endettés à ne pas payer (avant tout) les dettes contractées par leurs régimes antidémocratiques, est largement étudiée et on continue à l’étudier et on avance sur des propositions. À cette dette on l’appelle « odious debt ». Ce qui peut être traduit, en principe, comme "dette odieuse". Ou, on peut remplacer odious par certains de ses synonymes. Le Dictionnaire Simon and Schuster en offre plusieurs, tous expressifs, en rien réticents : "répugnant, exécrable, abominable, détestable".

En 1927, Alexander Sack, un spécialiste international implacable de la dette publique, définissait dans ces termes la dette exécrable : "Si un pouvoir despotique encourt une dette non par les nécessités ou les intérêts de l’État mais pour accorder une plus grande force à son régime despotique, pour réprimer la population qui lui fait face, etc., cette dette est odious pour la population de tout ce pays".

L’économiste Jeff King (après avoir clarifié que ce n’est pas "sa" définition mais que c’est un résumé de tout ce qu’il a lu sur la dette exécrable ou odieuse) la définit avec précision : "Des dettes odieuses sont celles qui ont été contractées contre les intérêts de la population d’un pays et avec l’assentiment total du créancier". Pour renforcer cette position, il est nécessaire d’ajouter que beaucoup de chercheurs considèrent que la majorité des dettes odieuses ou exécrables des pays du Tiers Monde (dernièrement) a été contractée par des gouvernements "démocratiques".

Dans ces cas, "l’absence de consentement" propre à la population à laquelle on impute ces dettes n’est pas si facilement démontrable, bien que si, on peut définitivement prouver la "farce" de l’appareil démocratique face au consensus. Mais - et attention à cela - dans les cas où la dette a été contractée par des "régimes dictatoriaux", il n y a aucun problème à démontrer "l’absence de consensus", "l’illégalité" de la dette et son utilisation pour le préjudice et non le bénéfice de la population. En somme, il s’agit d’un "cas facile". Une dette odieuse à trois conditions :

 1) absence de consentement ;
 2) absence de bénéfice ;
 3) ignorance ou désintérêt du créancier sur le destin accordé aux fonds.

(Si le tellement célèbre pour les créanciers "Consensus de Washington" n’obligeait pas à savoir, à s’informer, à ne pas ignorer les destinations finales des capitaux qu’ils livraient, ce "Consensus" a alors été l’instrumentation d’une des caractéristiques de la dette odieuse. Le créancier doit être informé du destin qui est donné à ses capitaux prêtés.) Pour le moment, jusqu’ ici, nous demandons le plus simple, presque ce qui est élémentaire. Aucun "Consensus" d’aucune partie ne dit que les capitalistes peuvent prêter à un gouvernement qui va contre les intérêts de sa population. Contre les droits de l’homme. Ceux qui ont fourni des capitaux à un gouvernement qui a perpétué un massacre, sont ses complices. La "seconde condition" de la dette odieuse ("absence de bénéfice") est aussi facilement démontrable. Quel est le bénéfice pour le peuple argentin de la dette que le gouvernement militaire a contracté par le biais des entreprises amis de Martínez de Hoz - Klein ?

En somme, des équipes de travail doivent même approfondir déjà les aspects positifs que la doctrine de la dette odieuse a pour nous. Le premier sera de ne pas payer (décidément : ne pas payer) la dette contractée sans le consensus de la population et à son préjudice par la dictature militaire (régime dictatorial). Et ensuite - évidemment - il y a d’autres mesures : dévoiler les comptes de la corruption en Suisse et les rapatrier. Démontrer que les capitaux qui sont entrés au bénéfice de la corruption n’ont pas impliqué de "bénéfice" pour le pays, en faisant jouer la seconde clause de la "dette odieuse". Et dire aux créanciers qu’ils ne se moquent pas de nous : "Consensus de Washington" ou non, ceux qui prêtèrent à l’État mafieux des années 90 savaient très bien à qui ils prêtaient. Et ils ont décidé de courir ces risques à cause ses profits mirobolants que les "mafieux" (qui débordent toujours de générosité pour "la famille et leurs amis") leur permettaient.

Et finalement : l’Argentine n’est pas seulement en train de demander de l’argent. Elle demande des ressources pour pallier à la faim et aux conflits sociaux complexes qui durant ces jours l’affligent, et sur lesquels nous allons écrire.

Página 12, 29 novembre 2003

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