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L’agression contre la santé publique, la détérioration et la cherté des services, le dégraissage des universités, l’augmentation du chômage et la précarité de l’emploi sont, entre autres, les conséquences du programme d’abandon de la Nation à des intérêts colonialistes voraces.
Ce n’est pas Juan de Garay enterrant l’étendard au nom du roi d’Espagne ; aucune armée étrangère n’a débarqué ; William Carr Beresford ne marche pas dans nos rues ; aucun avion étranger n’a bombardé notre Buenos Aires, mais pour le moins depuis soixante-dix ans, lorsque nos propres avions l’ont fait, nous avons subi des occupations colonialistes successives que nous ne reconnaissons pas en tant que telles. Nous pourrions dire que les intervalles entre ces occupations ont été comblés par nos propres succès, erreurs et fautes, bien que le bilan global en perspective ne soit pas du tout négatif.
La Révolution Libératrice (le régime dictatorial de 1955), la mascarade [1] de José María Guido en 1962, la Révolution Argentine de 1966 (l’Onganiato), le Processus de réorganisation nationale (la dictature génocidaire de 1976), le « Suivez-moi, je ne vous décevrait pas » (Menemisme), la Proposition républicaine (Macrisme) et maintenant ceci, sont liés par un fil conducteur qui est le collier de capitulation ou de concessions à la voracité d’un capitalisme centripète avide de piller tout ce qu’il peut, toujours enveloppé dans le discours de l’idolâtrie du marché, qui proclame qu’il ne peut y avoir de liberté politique sans liberté de marché. Si cela était vrai, plus de liberté de marché correspondrait à plus de liberté politique et à une meilleure démocratie. À quelques exceptions près, nous avons constaté le contraire, car trop souvent l’idolâtrie du marché s’est accompagnée d’atrocités ou, dans le meilleur des cas, d’avancées législatives politiquement antilibérales et de mesures répressives.
Dans tous ces moments coloniaux, nous étions à la charge de personnages qui assumaient le rôle de proconsuls ou de vice-rois, parce qu’ils régnaient sur le territoire. Arturo Jauretche les appelait les cipaye [collabos]. Sans prétendre le corriger, nous osons observer qu’ils n’étaient qu’une armée d’indigènes au service des colonisateurs et qu’ils n’étaient d’ailleurs pas toujours dociles, car à un moment donné, ils se sont révoltés contre les Britanniques, en ont chassé quelques-uns et leur ont donné une bonne migraine, ce qui les a obligés à assumer formellement l’Inde comme faisant partie de l’empire victorien.
Il est désormais évident que nous subissons les effets dévastateurs d’un nouvel épisode de cette nature. Ceux qui en doutent n’ont qu’à se demander ce qu’un bon occupant, comme un bon vice-roi, ferait à un moment donné, et ils seront étonnés de la coïncidence, qui n’est pas du tout fortuite, avec le jour présent.
Il s’inquiéterait certainement de perturber toute notre science et notre technologie qu’il trouverait dangereuse ou compétitive entre nos mains. Les scientifiques devraient aller faire la plonge. La pensée étant toujours dangereuse, les universités seraient détruites. Dans le même temps, la liberté contractuelle la plus absolue serait prévue, les réglementations qui pourraient mettre le moindre obstacle à la voracité de la métropole seraient abolies, l’exploitation des ressources naturelles serait généreusement accordée, même celles qui sont stratégiques seraient privatisées, le patrimoine de l’État serait dilapidé en faisant cadeau des entreprises, la soumission de l’État à des juridictions provinciales étrangères serait étendue, le lien d’endettement qui nous étouffe en ce moment de colonialisme financier tardif serait encore resserré, afin de satisfaire leurs exigences de déficit zéro, en même temps qu’ils demanderaient plus de crédits.
– En bref : tout ce qui a soutenu jusqu’à présent un certain profil de souveraineté et d’État-providence serait démantelé ; à cet égard, nous passerions à l’état de mal-être (de l’État-providence à l’État d’inconfort).
Cependant, l’expérience coloniale mondiale montre que, à l’exception des Britanniques en Inde, qui n’ont eu aucun scrupule à laisser mourir quelque vingt millions de personnes jusqu’à l’arrivée de Gandhi, les proconsuls ont toujours voulu maintenir le calme des populations soumises, de sorte qu’ils ne leur ont pas infligé de blessures ou de dommages qu’ils pouvaient éviter, lorsqu’elles n’affectaient pas substantiellement leur pouvoir. Ce qui est curieux, c’est qu’il n’en va pas de même ici: quelques pesos aux retraités n’auraient pas beaucoup modifié leurs plans ; le budget de l’université n’a pas beaucoup d’impact sur les dépenses générales de l’État et aurait pu être négocié.
Or, non seulement ils ne l’ont pas fait, mais, au contraire, ils ont fêté publiquement les attaques successives contre les retraités et les pensionnés, les universitaires, les enseignants, les étudiants, le personnel non enseignant, les scientifiques, les médecins et les travailleurs de la santé, c’est-à-dire contre différents secteurs sociaux très sensibles, avec des barbecues ou des messages d’insultes aux expressions grossières du chef de l’exécutif lui-même, qui nie même que l’université publique gratuite de 1918 et 1949 soit l’un des principaux facteurs de mobilité sociale, peut-être par crainte de « trop penser ». Comme si cela ne suffisait pas, ils admirent la criminelle de guerre Margaret Tatcher et montrent l’ex-premier ministre le plus ridicule de l’histoire britannique sur le balcon du siège du gouvernement, ils se demandent à quoi servent les Malouines et changent de photo, avec un sens évident non seulement de l’anti-populaire, mais aussi de l’anti-national.
Nos proconsuls préfèrent démontrer à la métropole financière qu’ils sont durs et inflexibles afin de garantir leur loyauté et la réalisation de leurs projets de faire cadeau du pays, même au prix d’un mal- être gratuit au sein de la population locale. Tandis que se dessinent des pulsions étatiques répressive, avec des débordements législatifs et policiers (abaissement de la responsabilité pénale, loi anti-mafia, menaces publiques de répression, provocations, etc.), à laquelle s’ajoute - de façon très dangereuse pour la Défense Nationale - la tentative de ternir l’image des Forces Armées avec des fonctions policières, on fait plutôt confiance à la prétendue mansuétude de notre peuple et on ouvre des fronts d’opposition successifs, en supposant qu’il ne se passera rien et, en vérité, au moins pour le moment, il semble que rien ne se passe.
La confiance dans le fait qu’il ne se passera rien n’est pas entièrement gratuite, mais se fonde, entre autres, sur le chaos institutionnel total avec lequel les erreurs politiques ont affaibli l’appareil institutionnel de l’État, notamment avec l’hyperprésidentialisme de la réforme constitutionnelle de 1994, la réglementation par les décrets de nécessité et d’urgence d’une manière qui n’est permise dans aucun pays, le transfert des richesses naturelles aux provinces, l’absence d’un régime adéquat fédéral de co-participation, qui a laissé ouverte l’éternelle plaie de notre histoire, en particulier après la bataille de Pavón.
Lorsqu’il a accepté le Pacte d’Olivos, Raul Alfonsín pensait à un système bipartite, mais cela ne s’est pas produit et nous nous retrouvons aujourd’hui avec la renaissance de Banelco, bien qu’un homme d’affaires intelligent puisse créer le « Legiscard » [carte bancaire pour corrompre les députes] qui, dans un Congrès pulvérisé, faciliterait encore plus sa neutralisation déjà facile. Si nous ajoutons à cela le fait que nous avons un pouvoir judiciaire qui n’a jamais été un pouvoir judiciaire, parce qu’il n’a pas les fonctions que ceux-ci ont dans le monde entier (il ne contrôle pas la constitutionnalité et n’exerce pas de cassation nationale), ajouté à une Cour suprême de quatre juges - et peut-être bientôt de trois - le seul cas au monde, il est évident que la séparation des pouvoirs et le système républicain de freins et de contrepoids sont partis en fumée : nous n’avons personne pour revendiquer l’efficacité de nos droits et la Constitution nationale elle-même n’est aujourd’hui rien de plus qu’un pauvre morceau de papier imprimé.
Mais ce n’est pas seulement le chaos institutionnel républicain qui alimente la confiance de nos proconsuls actuels dans le fait qu’il ne se passera rien. Dans les périodes antérieures du colonialisme, un aspect indéfectible de l’exercice du pouvoir était la censure ou le blocage de l’information, rendus possibles par la technologie de l’époque. Comme cela est désormais impossible, une autre tactique est adoptée avec le même objectif stratégique de désinformation : à travers les médias oligopolistiques et les ressources fournies par la technologie des réseaux d’aujourd’hui, les armées de trolls, les algorithmes, les messages personnalisés en fonction du big data et de l’intelligence artificielle, un énorme tintamarre informatique est généré, qui mélange vraies et fausses nouvelles (fake news), édulcore les vraies informations gênantes qu’on ne peut pas cacher, prépare a travers des scandales des cas de lawfare [Guerre juridique], Tout cela déconcerte le public et, ce faisant, occulte une grande partie des informations qui ne conviennent pas au pouvoir de notre colonialisme financier tardif actuel.
On pourrait illustrer ce qui précède en imaginant qu’on prétend introduire toute la population dans quelque chose de gigantesque, mais qui ressemble beaucoup à l’une de ces boîtes de nuit où des faisceaux de lumières colorées tournoient de façon vertigineuse et où la musique tonitruante assourdit, de sorte que personne ne sait avec qui il danse, ni même qui il embrasse, ce qui fait que le public reste complètement hébété, les tympans blessés et les yeux éblouis par la succession de flashs aveuglants, après son inévitable immersion dans ce marais d’opacité lumineuse et boueuse.S’il n’y a pas de musique électronique, il y a en revanche beaucoup de synthétiques, de moins synthétiques et de psychotropes.
D’autre part, dans la multifactorialité qui fait que pour l’instant rien ne se passe face à l’abandon flagrant de notre souveraineté, l’incidence des analphabètes politiques de Brecht, qui sont les pires analphabètes, ceux que les proconsuls louent en jouant à l’anti-politique, n’est pas moins importante : la caste est responsable de tout, c’est pourquoi l’analphabète politique de Brecht ou l’indifférent de Gramsci, qui prétend ne rien savoir de la politique, est son meilleur et son plus inconscient subordonné. Il faut aussi reconnaître une chose aussi curieuse qu’irrationnelle : la campagne d’analphabétisme politique est facilitée par l’opposition elle-même qui, dans cette situation nationale extrêmement dangereuse, n’a pas d’autre idée que de se battre au bord de l’abîme, alors que le syndicalisme semble parfois l’imiter.
– Voyons un peu. Tout d’abord, nous, êtres humains, quittons le ventre de notre mère pour entrer dans le ventre social, nous sommes jetés dans une culture qui veut aussi nous empêcher de circuler librement, nous n’avons pas peur de naître à la naissance, en quelque sorte nous continuons à naître en vivant et en prenant conscience du monde, peut-être jamais complètement, c’est-à-dire que nous mûrissons tout au long de notre vie, parfois par des coups de boutoir.
– Eh bien : Quelle est la force de ce milieu culturel dans lequel nous nous trouvons ? Il est clair que l’accumulation des facteurs auxquels nous avons fait référence - et d’autres - donne naissance à un milieu culturel qui conditionne davantage qu’à d’autres époques, mais n’annule en rien la tendance permanente de l’homme à prendre conscience du monde, car il ne peut pas faire en sorte que l’homme cesse d’être conscient du monde. Il ne fait donc que rendre plus difficile qu’auparavant, c’est-à-dire qu’il retarde, la prise de conscience, et ne nous permet pas encore de prendre massivement conscience du monde et d’expérimenter le colonialisme que nous subissons en tant que tel.
Le retard dans la prise de conscience n’est pas une annulation non humaine et a certainement des limites avec ce qui s’approche des défis verbaux et factuels de nos proconsuls ou vice-rois actuels. L’anxiété augmente, la pauvreté croissante devient indéniable, les différents secteurs sensibles de la société mûrissent rapidement, l’attitude rupturiste que les autres forces politiques ont perdue et dont les proconsuls ont profité se manifeste comme une ressource électorale perverse, le bégaiement de l’opposition se traduit par le vide, le vide augmente l’angoisse et les demandes, les demandes, les demandes, c’est pourquoi en politique le vide et le chaos ne sont pas viables. Dans le premier cas, quelqu’un arrive pour l’occuper et, dans le second, son instabilité essentielle le pousse à s’organiser.
Nous, Argentins, ne sommes pas une exception dans l’humanité et, par conséquent, le colonialisme insufflée par la communication, le caractère pro-consulaire de ceux qui tirent les ficelles du pouvoir, le verset de l’idolâtrie du marché, la prise de conscience de tout cela, de notre réalité, de notre monde, est retardée, mais en aucun cas annulée ; la prise de conscience s’accumule et nous ne savons pas quand elle se manifestera, quelle petite goutte fera déborder le vase, comment elle s’exprimera, mais il est inévitable qu’elle le fera. Aucun peuple ne perd jamais complètement son sens de la communauté, n’annule son sentiment national ou ne se soumet docilement au colonialisme. Si une opposition ne se manifeste pas au nom de la conscience nationale, une autre viendra, nous n’en doutons pas, car aucun peuple ne se suicide, même si parfois l’armure du giron social, renforcée par des erreurs politiques non mineures, l’embrouille à un moment donné et le détourne pour un temps de son chemin vers la maturité consciente et rationnelle.
Le premier pas vers cette prise de conscience est d’être clair sur la nature de ce que nous vivons, c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas d’une question locale ou de clocher, mais d’un moment supplémentaire, bien que partiellement différent, du colonialisme qui, avec les autres pays de Notre Amérique, nous avons subi pendant cinq siècles, au cours desquels tant le monde que le colonialisme ont changé, mais quoi qu’il en soit, aujourd’hui, nous avons également des proconsuls, correspondant maintenant à la phase actuelle du colonialisme financier transnational tardif.
À cet égard, nous devons nous méfier de certaines confusions dans lesquelles nous tombons de bonne foi, mais qui obscurcissent la prise de conscience nécessaire. La plus courante de ces confusions est l’identification de notre douloureuse réalité à un régime fasciste. Si tous les régimes fascistes ont été criminels, la vérité est qu’ils ont tous été impérialistes et colonisateurs, alors que nous sommes - précisément - les victimes de ces forces. Ce n’est en aucun cas du fascisme que d’utiliser les soldeurs de pays - ni même les vendeurs de pays - pour détruire l’appareil d’État et semer un chaos social et institutionnel fonctionnel à la voracité de la colonisation.
En bref, ce qui est en jeu ici et maintenant, c’est une question claire de souveraineté nationale, détenue par le peuple qui, tôt ou tard, se réveillera à cette réalité à la suite de la baisse spectaculaire du niveau de vie - pas seulement des classes les plus pauvres -, de la réduction de tous les salaires, de l’inflation inouïe des dollars, de la récession, de la crise industrielle, des faillites, de l’agression contre la santé publique - dont on ne sait pas combien de vies elle coûte -, de la détérioration et de la cherté des services, du dégraissage des universités, des licenciements massifs, de l’augmentation du chômage et de l’insécurité de l’emploi et d’autres effets catastrophiques, tout cela dans le but de livrer la nation à des intérêts colonialistes voraces.
Bien que cela puisse paraître lointain, à partir de cette prise de conscience nationale, nous devons nous atteler à la tâche de nous arrêter sérieusement pour réfléchir à ce que nous ferons lorsque nous aurons recouvré notre souveraineté, afin de prévenir de futures agressions coloniales qui, bien entendu, ne manqueront pas et face auxquelles nous ne pouvons nous permettre le luxe de retomber dans la naïveté d’incompréhensions sans issues.
Eugenio Raúl Zaffaroni* pour La Tecl@ Eñe.
La Tecl@ Eñe. Buenos Aires, le 22 octobre 2024.
Traduit de l’espagnol pour El Correo de la Diáspora par: Estelle et Carlos Debiasi
El Correo de la Diaspora. Paris, le 3 de noviembre de 2024
[1] Note de El Correo: Les Forces Armées Argentines annoncent le 29 mars 1962 que « le président de la République Arturo Frondizi a été destitué ». Le régime démocratique a été violé une fois de plus. José María Guido prête serment en tant que président, n’étant ainsi qu’une façade de légalité démocratique.