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4 mai 2005

Tourmente sur la Constitution européenne

par Serge Halimi *

 

Retrouvez la version intégrale de ces article dans Le Monde diplomatique actuellement en kiosque.

MEDIAS EN TENUE DE CAMPAGNE EUROPEENE
Par Serge Halimi
Le Monde Diplomatique
, mai 2005

Il est imprudent de vouloir infantiliser des adultes. Quand un scrutin leur donne la parole, leur franchise peut même être contagieuse. « Valéry Giscard d’Estaing n’a commis qu’une seule erreur : nommer le texte du traité "Constitution", observa dans Le Figaro Alain Minc, désormais animateur de l’émission "Face à Alain Minc" sur la nouvelle chaîne Direct 8. C’est précisément cette dénomination qui a empêché une ratification par la voie parlementaire. Le référendum est pareil à une "vérole" antidémocratique que la France aurait propagée dans l’ensemble de l’Europe. »

Pour les barons du journalisme, la « voie parlementaire » eût été moins délicate et plus avantageuse. Moins délicate : lors de la séance du Congrès, le 28 février 2005 à Versailles, le projet de loi constitutionnelle préalable à la ratification du traité européen par voie référendaire fut adopté par 91,70 % des suffrages exprimés, dont celui du sénateur Serge Dassault, propriétaire d’une bonne partie des titres de la presse française. Plus avantageuse : une fois l’affaire européenne bouclée dans le sens escompté, la presse aurait pu mijoter ses nouveaux dossiers sur les chances de M. Nicolas Sarkozy en 2007 et imaginer les péripéties qui l’opposeraient alors à MM. Jacques Chirac, François Hollande ou Jack Lang. Las, une amorce de révolte populaire oblige la plupart des décideurs à serrer les rangs, à poser ensemble, à défendre avec le même entrain l’« économie sociale de marché ». Et les commentateurs, eux, doivent survoler à présent un texte amphigourique qui parle de monnaie, de circulaires, de services « d’intérêt économique général »... Du sérieux, mais tellement ennuyeux.

Ennuyeux, justement non. C’est un peu le problème. Là où les grands médias attendaient de l’apathie, des généralités vite emballées sur la paix et le ciel bleu d’Europe, l’intérêt devient vif, le savoir assuré et indocile : quand l’électeur devait répondre « oui » avec autant de nonchalance unanimiste que les (...)

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Tourmente sur la Constitution européenne

DUMPING SOCIAL ET LAICITE

Dans le numéro de mai 2005, nous publions le décodage de cinq points clés du projet de Traité Constitutionnel. Nous livrons ici l’analyse de deux points supplémentaires.

Par Bernard Cassen
Le Monde Diplomatique
, mai 2005

Encouragement au dumping social et aux délocalisations
Le commissaire européen chargé de l’industrie, M. Günter Verheugen ( social-démocrate allemand), a le grand mérite de la franchise : « Nous sommes dans un processus de délocalisation qu’il n’est pas possible d’arrêter » (…) « Cela signifie que l’on doit accepter la libre concurrence et donc l’ouverture des marchés. On doit notamment libéraliser les services » (1). La relève de M. Frits Bolkestein est décidément bien assurée à Bruxelles… Pour trouver les bases juridiques de cette politique de la terre brûlée, M. Verheugen n’aura que l’embarras du choix dans les dispositions du traité constitutionnel européen (TCE).

Dès l’article I-3-2, il est affirmé - et cela sera rappelé à satiété maintes fois -, que l’Union « offre » (…) « un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée ». L’article III-172 énonce, dans son alinéa 1, que « la loi ou loi-cadre européenne établit les mesures relatives au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres qui ont pour objet le fonctionnement du marché intérieur ». Mais son alinéa 2 fait immédiatement déchanter car il précise que cet alinéa 1 « ne s’applique pas aux dispositions relatives à la libre circulation des personnes et à celles relatives aux droits et intérêts des travailleurs salariés ».

Ce refus de toute harmonisation des « droits et intérêts des travailleurs », constitue la base même du dumping social, et il renvoie au « droit de travailler », c’est-à-dire de travailler à n’importe quel prix, inscrit dans l’article III-I71. Dans un pays où il n’existe pas de salaire minimum légal (refusé dans le TCE) et beaucoup de chômeurs, l’Allemagne, un site Internet de grand avenir, et dont l’adresse affiche la couleur - 2). La directive Bolkestein, fondée sur le « principe du pays d’origine » appliqué à la prestation de services dans un pays tiers est un des produits dérivés naturels de cette même logique.

Mais la pioche anti-sociale peut aussi s’effectuer dans d’autres articles. Ainsi dans la section « emploi » de la troisième partie du TCE, l’article III-210 exclut, dans son alinéa 2a, « toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des Etats membres ». L’article 209 est encore plus révélateur : il indique que c’est « le fonctionnement du marché intérieur qui favorisera l’harmonisation des systèmes sociaux » ! Pour compléter le tableau, le TCE soumet toute harmonisation de la fiscalité à la règle de l’unanimité (II-171), et l’interdit par conséquent en pratique. Quand on sait que l’impôt sur les bénéfices des sociétés est de 33 % en France, de 25 % en Allemagne, de 12, 5 % en Irlande et de O % en Estonie pour les bénéfices réinvestis, on voit que la course est engagée pour une défiscalisation totale des entreprises. On comprend pourquoi le Medef et l’Union des industries de l’Union européenne (UNICE), dont M. Ernest-Antoine Seillière va prendre la présidence en juillet prochain, sont de chauds partisans de la « Constitution » européenne.

Des propos éclairants :

 « Ce que nous devons faire, c’est faciliter les délocalisations au sein de l’Europe » ( Le Monde 11 février 2005), Mme Danuta Hübner, commissaire européenne à la politique régionale.
 « L’Europe sociale passe par le oui » (Parti socialiste français)

La laïcité malmenée

Le déluge de religiosité politico-médiatique et de confusion entre les rôles respectifs de l’Etat et de l’Eglise qui, en France, ont suivi le décès de Jean-Paul II, sont tout à fait en ligne avec les dispositions du traité constitutionnel européen ( TCE). La laïcité, consubstantielle de l’identité républicaine française, se trouve sérieusement malmenée dans ce texte. D’abord par l’article I-52, consacré au statut des Eglises et des organisations non confessionnelles, qui précise, à son alinéa 3, que " l’Union maintient un dialogue ouvert, transparent et régulier avec ces Eglises et organisations ".

Ces institutions sont les seules à bénéficier d’une telle reconnaissance officielle, alors qu’elles entraient directement dans le champ d’application de l’article I-46 : " Les institutions de l’Union entretiennent un dialogue ouvert, transparent et régulier avec les associations représentatives de la société civile".

Encore plus préoccupant est l’article II-70 qui accorde « la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites ». Il semble directement contradictoire avec la loi du 15 mars 2004 sur le port des signes religieux ostensibles à l’école.

Au terme d’une laborieuse démonstration, et en s’abritant derrière la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (Strasbourg), le Conseil constitutionnel (décision 2004-505 DC) affirme que sont malgré tout respectées les dispositions de l’article 1er de la Constitution française, au terme desquelles « la France est une République laïque ». Rien n’est dit sur ce qui se passerait si, par exemple, la loi de 2004 citée plus haut faisait l’objet d’un recours devant la Cour de justice de l’UE ( Luxembourg). L’éventualité d’un tel recours est déjà envisagée par des organisations islamistes…

Notes :

(1) Le Monde, 6 janvier 2005.

(2) « Des enchères pour un salaire au rabais », Le Figaro, 31 mars 2005.

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A lire : sur le Traité constitutionnel européen

Par Bernard Cassen
Le Monde Diplomatique
, mai 2005

Une bonne quinzaine d’ouvrages sont parus ces derniers mois reproduisant en tout ou partie le traité constitutionnel, et l’assortissant de commentaires le plus souvent très favorables (Lire Livres Hebdo, 18 février 2005). Nous signalons seulement ici quatre titres très récents apportant un regard critique sur le texte.

 LA CONSTITUTION EUROPÉENNE. Dix clés pour comprendre. - Arnaud Lechevalier et Gilbert Wasserman (La Découverte, Paris, 2005, 141 pages, 7,50 euros).
Par un partisan du " oui " et un du " non ", et dans un exercice de pédagogie critique, les réponses à dix questions que se posent les citoyens sur l’existence ou non d’une Europe sociale, sur les scénarios en cas de ratification ou non, etc.

 MANUEL CRITIQUE DU PARFAIT EUROPÉEN. Les bonnes raisons de dire " non " à la Constitution. - Jacques Généreux (Seuil, Paris, 2005, 166 pages, 12 euros).
Par un professeur à Sciences Po, par ailleurs membre du Parti socialiste, un réquisitoire argumenté contre un traité dont le seul nom de " Constitution " est dénoncé comme une forfaiture, et qui se conclut par un appel à un " non " pro-européen.

 L’EUROPE CONTRE LA GAUCHE. - Georges Sarre (Eyrolles, Paris, 2005, 188 pages, 12,90 euros).
Premier secrétaire du Mouvement républicain et citoyen, l’auteur retrace les principales étapes de la construction européenne, en même temps que les combats de la gauche, et il constate une profonde contradiction entre eux. Préconisant évidemment le " non ", il appelle à une " grande politique " avec l’Allemagne, " seule chose sérieuse à faire ".

 UNE CONSTITUTION CONTRE LA DÉMOCRATIE. Portait d’une Europe dépolitisée. - Paul Alliès (Climats, Castelnau-le-Lez, 2005, 228 pages, 15 euros).
Professeur à l’université de Montpellier 1 et fédéraliste fervent, Paul Alliès dénonce un traité constitutionnel qui interdira à l’Europe de devenir une puissance politique, qui sonne le glas d’un gouvernement économique et, plus grave encore, d’un fonctionnement démocratique.

 EUROPE : UNE ALTERNATIVE. Michel Husson, Roger Martelli, Yves Salesse, Louis Weber, Francis Wurtz et al. (Syllepse, coll. " Notes de la fondation Copernic ", Paris, 2005, 144 pages, 7 euros).
Après la critique de l’actuelle construction européenne, cette Note de la Fondation Copernic est tournée vers des propositions qui partent d’une idée essentielle : il ne doit pas y avoir de réforme institutionnelle séparée d’une modification de l’orientation de fond. Comment se construira une citoyenneté européenne ? Quelle relation avec les Etats-nations ?

CONSTITUTION EUROPÉENNE : Les droits de l’homme en danger.- Pascal Lusseau (Connaissances et savoirs, Paris, 2005, 143 pages, 12 euros).
Un étude approfondie de la Charte des droits fondamentaux (partie II de la " Constitution "), et qui montre son caractère régressif par rapport aux textes existants. L’argument inverse est pourtant utilisé sans complexe par les partisans du " oui ".

 L’EUROPE CONTRE LA GAUCHE.- Georges Sarre (Eyrolles, Paris, 2005, 188 pages, 12,90 euros).
Premier secrétaire du Mouvement républicain et citoyen, l’auteur retrace les principales étapes de la construction européenne, en même temps que les combats de la gauche, et il constate une profonde contradiction entre eux. Préconisant évidemment le " non ", il appelle à une " grande politique " avec l’Allemagne, " seule chose sérieuse à faire ".

UNE CONSTITUTION CONTRE LA DÉMOCRATIE. Portait d’une Europe dépolitisée.- Paul Alliès (Climats, Castelnau-le-Lez, 2005, 228 pages, 15 euros).
Professeur à l’université de Montpellier 1, membre du PS et fédéraliste fervent, Paul Alliès dénonce un traité constitutionnel qui interdira à l’Europe de devenir une puissance politique, qui sonne le glas d’un gouvernement économique et, plus grave encore, d’un fonctionnement démocratique.

 POUR L’EUROPE, VOTEZ NON.- Jean-Pierre Chevènement (Fayard, Paris, 2005, 193 pages, 12 euros).
Après un démontage critique du contenu du traité, le maire de Belfort explique pourquoi la victoire du non serait celle de l’euroréalisme. Elle donnerait de l’élan à un débat qui s’internationaliserait rapidement et permettrait de renégocier, dans un bon rapport de forces, les textes européens pour faire de l’UE un acteur stratégique à l’échelle mondiale.

 CETTE " CONSTITUTION " QUI PIÈGE L’EUROPE.-
Attac (1001 Nuits, Paris, 2005, 196 pages, 3 euros). Un décorticage des dispositions du TCE qui, références précises à l’appui, montre son caractère d’instrument de mise de l’UE aux normes libérales. Egalement plusieurs chapitres récapitulant les propositions d’Attac pour une " autre Europe ".

 CONSTITUTION EUROPÉENNE. ILS SE ONT DIT OUI. ATTAC LEUR RÉPOND.-
Attac (1001 Nuits, paris, 2005, 141 pages, 2,50 euros). La photo de Paris Match où l’on voit MM. Hollande et Sarkozy posant côte à côte traduit également une similarité de vues et d’arguments du PS et de l’UMP en faveur du " oui " au référendum du 29 mai. C’est ce compagnonnage que l’association Attac met au jour et auquel elle oppose des contre-arguments.

Retrouvez la version intégrale de ces article dans Le Monde diplomatique actuellement en kiosque.

LE MONDE DIPLOMATIQUE | mai 2005 | Pages 1, 14 et 15 http://www.monde-diplomatique.fr/20...

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