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Sénatrice et femme du président de l’Argentine, Cristina Kirchner a de bonnes chances de succéder à son mari à la tête du pays. Portrait d’une séductrice très politique.
Début février à Paris, dans le hall de l’hôtel Meurice, face aux Tuileries. Voilà cinq jours que Cristina Fernandez de Kirchner arpente la capitale française et multiplie les photos souvenirs avec Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy. Difficile d’avaler que ce voyage en France de la femme du chef de l’État argentin, Nestor Kirchner, ne constitue qu’une visite de travail.
Mais, avant de regagner sa suite, Cristina - veste en soie d’un brun chatoyant, talons aiguilles et Rolex en or cernée de diamants - assure aux journalistes : « Non, je ne suis pas en campagne, c’est la convention internationale contre la disparition forcée des personnes qui m’amène ici. Comme Eleanor Roosevelt en 1948 pour la Déclaration universelle des droits de l’homme. Allons, vous devriez connaître ce précédent. Essayons de sortir de l’anecdote pour entrer un peu dans l’Histoire ! »
Huit mois plus tard, la sénatrice de 54 ans est officiellement candidate à la présidence de son pays. Avec sa verve acérée et presque 20 ans d’expérience parlementaire, elle espère devenir la première présidente d’Argentine élue, dès le premier tour des élections présidentielles, le 28 octobre prochain.
Depuis sa rencontre avec Nestor Kirchner en 1974 dans les jeunesses péronistes de l’Université de droit de La Plata, le couple forme une association de pouvoir dévastatrice. « Nestor et Cristina sont comme un magnifique animal bicéphale. Harmoniques dans leur complémentarité, ils ont des styles différents mais le même modèle de pays dans la tête », analysait l’ancien ministre des Affaires étrangères, Rafael Bielsa, dans le quotidien La Nacion.
Différents ? Nestor est maladroit du haut de son mètre quatre-vingt-dix. Il a les cheveux en pagaille et un léger strabisme qui lui vaut le surnom de « Lupin », pour la loupe (lupa), et aussi le nez crochu d’un héros de la BD argentine. Cristina est une "reine" élégante à la chevelure soignée, aux lèvres pulpeuses et à la démarche de top-modèle.
Depuis l’enfance, elle cultive son image plus que tout. Au collège de la Miséricorde de La Plata, à une heure de Buenos Aires, les religieuses s’agaçaient de voir cette adolescente passer des heures à se maquiller. Aujourd’hui, elle s’habille chez Dior, Gucci ou Versace et file à la boutique Hermès du faubourg Saint-Honoré dès qu’elle pose le pied à Paris, quitte à laisser ses détracteurs railler la contradiction entre son aversion pour Carlos Menem, chantre du libéralisme, et sa soif de shopping. « Ce n’est pas de la frivolité, c’est juste du bon goût », rétorquerait l’intéressée en privé.
Le glamour chic
Capitalisant sur ce glamour chic, le président argentin a fait de sa dame son principal atout quand il s’apprête à jouer un coup de maître. En octobre 2005, « l’aile combative du couple Kirchner », selon José Angel di Mauro, auteur de sa biographie, se voit confier une mission ardue pour les sénatoriales : mettre fin à l’emprise des Duhalde sur la province de Buenos Aires en se présentant contre "Chiche", femme de l’ex-président Eduardo Duhalde. De quoi scandaliser celui qui avait choisi Nestor Kirchner comme son héritier lors de la présidentielle de 2003. Qu’importe si les talons aiguilles de la bourgeoise de La Plata n’ont jamais foulé la boue des villas miserias, ces bidonvilles qui entourent la capitale : Cristina écrase "Chiche" de presque 30 points et débarrasse Nestor d’Eduardo.
Sénatrice à 42 ans, la brillante avocate a l’habitude de gagner les combats électoraux. Dès 1989, elle est députée de Santa Cruz, la province natale de son mari, au sud de la Patagonie. Mais toujours, « la poupée courageuse » - un des surnoms dont l’affuble la presse argentine - a cherché à être respectée au-delà de son nom. Peu friande du rôle de première dame, elle s’imagine plutôt en « première citoyenne ». Lorsque son mari prête serment, en 2003, elle suit discrètement la cérémonie à la Chambre des députés, où elle avait siégé auparavant.
Il n’empêche : Cristina n’a jamais joué les profils bas ni laissé sa langue dans sa poche. Elle aime citer son idole, Eva Péron, encore adulée en Argentine plus de 50 ans après sa mort. Fraîchement élue, la sénatrice a demandé personnellement au ministre de la Défense sa démission, lors de l’affaire de vente d’armes illégales à l’Équateur. Réclamer la tête d’un ministre du président Menem, issu du même Parti justicialiste (péroniste), il fallait oser ! Gérontes et caudillos du Sénat finiront par l’expulser du bloc, fatigués par cet « individualisme certes respectable mais peu commun à l’intérieur du péronisme ».
Oratrice passionnée, piquante, voire incisive, son franc-parler vire parfois au dérapage quand elle traite des journalistes argentins d’"ânes" et d’"ignorants" en plein débat sur l’utilisation des pleins pouvoirs par son mari. Ce goût de l’affrontement, elle le tient peut-être des multiples discussions familiales qui rythmèrent son enfance. Entre une mère syndicaliste, grande admiratrice de Peron et fan du club de foot Gimnasia de La Plata, et un père patron d’une entreprise de bus, antipéroniste et de surcroît supporter de l’équipe rivale de Boca Juniors, impossible de s’entendre !
L’élection semble presque jouée d’avance pour Cristina Kirchner. Candidate en lieu et place de son mari, elle profite de l’indice de satisfaction encore important de la population à l’égard de Nestor Kirchner, chef d’État depuis 2003, qui a renoncé ainsi à briguer un second mandat.
Si l’on en croit les sondages, elle pourrait l’emporter dès le premier tour. Car il faut dire que l’opposition reste fragmentée face à l’officialisme. Seuls deux candidats, Roberto Lavagna et Elisa Carrio, peuvent espérer forcer un deuxième tour. Ex-ministre de l’Économie de Kirchner, Roberto Lavagna est l’artisan du redressement économique de l’Argentine. Elisa Carrio est à la tête de la Coalition civique, qui regroupe des membres du Parti radical, des péronistes dissidents et des socialistes. Le cinéaste Fernando Solanas défendra les couleurs d’une partie de la gauche.
Por Olivier Ubertalli
La Presse. Buenos Aires, le mercredi 17 octobre 2007.