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17 juillet 2010

Mouvements-Etats-mouvements
Raúl Zibechi

par Raúl Zibechi *

 

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Les débats qui génèrent les conflits entre mouvements et gouvernements progressistes, d’une manière très particulière en Équateur et en Bolivie, méritent quelques réflexions qui tendront à clarifier ce qui est en jeu, parce que n’importe comment ces tensions impliquent toutes les forces antisystémique. Ce qui se passe ces jours-ci dans ces deux pays est la conséquence de ce que là bas des mouvements qui ont montré une puissante énergie anticapitaliste coïncident avec des gouvernements qui, au moins dans les intentions, cherchent à dépasser l’état des choses dont ils ont hérité.

Dans la région sudaméricaine deux grandes lignes de force peuvent être détectées : les relations entre les États et les tensions émancipatrices. L’un et l’autre divergent et confluent selon les diverses articulations, espaces et points de vue. Mais au-delà du fait que les deux dynamiques ont des aspects contradictoires, la réalité régionale ne peut être abordée sans inclure les deux, au risque de biaiser excessivement l’analyse.

Du point de vue des Etats, et des relations entre ceux-ci, il semble évident que les changements survenus dans la dernière décennie sont éminents. Une part importante des pays de la région disposent de gouvernements qui ont pris leurs distances avec le Consensus de Washington et les politiques de l’empire. Dans ce point deux nuances doivent être incluses. La gamme de gris est très vaste, et va du gouvernement de Cuba, confronté aux États-Unis, jusqu’aux gouvernements qui formulent des critiques très pâles à l’impérialisme, comme les quatre du Cône Sud qui forment le Mercosur. Au milieu, se trouve des situations comme celle du Venezuela qui maintient un énergique contentieux avec les locataires successifs de la Maison Blanche mais qui en même temps dépend fortement commercialement de ce pays. Dans la situation actuelle, même la plus petite distance envers les États-Unis joue un rôle positif et doit être mise en valeur.

En deuxième lieu, il y a deux grands versants : les pays qui composent l’Alba et les autres gouvernements progressistes de la région. Au-delà des contradictions remarquées, ils luttent pour dépasser le libre-échange, structurellement favorable aux multinationales et aux pays du nord. Sur ce point , il y a aussi une différence : il y a ceux qui désirent aller plus loin et d’autres qui ne l’envisagent même pas, bien que les résultats puissent être similaires. Encore une fois, ce n’est pas la même chose pour la Bolivie ou le Venezuela, forcés de nombreuses fois à accepter la logique des multinationales alors que les autres jouent directement en faveur de celles-ci.

En troisième lieu, il y a des gouvernements qui, indépendamment de la rhétorique, dont personne n’est libre, se distinguent seulement de l’empire par ce qu’ils défendent « leurs » entreprises, ou bien les bourgeoisies locales, face à la voracité d’autres multinationales issues des pays du nord. Mais en aucune manière, ils ont une logique différente de celle du capitalisme le plus prédateur. Tel est, le cas du Brésil, du Chili quand gouvernait la Concertation et de l’Argentine. C’est à dire, que leurs différences avec Washington ne passent pas par les intérêts populaires mais par ceux du secteur le plus concentré du patronat « national ».

Si nous prenons le point de vue de l’émancipation, ou des mouvements antisystémique, les choses sont encore plus complexes. D’un coté, tous les gouvernements manient une attitude de défense et renforcement de l’État qui ne peut que se heurter avec les mouvements qui, naturellement, cherchent à déborder les limites de l’État-nation. Cependant, les niveaux de répression sont descendus de façon remarquable là où sont en place des gouvernements progressistes ou de gauche. C’est une différence non négligeable, impossible et inconvenante à esquiver, par rapport aux pays comme la Colombie et le Pérou, où commande une droite répressive.

Pas étonnant, donc, que le conflit gouvernements-mouvements soit plus strident là où ceux-ci sont plus puissants, comme en Équateur et Bolivie. Le récent congrès de la Fédération des Assemblées Communales de El Alto (Fejuve) [La Paz, Bolivie] a émis une déclaration très forte, dans laquelle il assure que « le gouvernement se vante dans ses discours disant que c’est un gouvernement de mouvements sociaux, mais dans la pratique cela continue a être un gouvernement oligarchique (qui) s’est seulement consacré à diviser et à utiliser les organisations sociales de la Bolivie ». La Fejuve dit que le gouvernement du MAS « a utilisé les peuples indigènes et les secteurs populaires du pays pour ses campagne politiques, mais ceux-ci continuent d’être exclus des décisions politiques et sont seulement utilisés par le gouvernement pour se légitimer et pour se hisser au pouvoir ».

Si telle est la position de l’une des organisations les plus puissantes du pays, protagoniste de la Guerre du Gaz de 2003 dans laquelle il eut plus de 50 morts dans les journées du 12 et 13 octobre, on imagine la réalité dans d’autres pays qui ne disposent pas de gouvernement comme celui d’Evo, né des mouvements et appuyés par un vaste éventail d’organisations sociales. En pleine puissance des mouvements, il y a plus de nécessité de marquer son propre terrain en face des Etats, même de ceux qu’ils dénomment « plurinationaux ».

D’un autre côté, il est certain que la dynamique des principales et plus larges initiatives des mouvements sociaux peuvent affaiblir des gouvernements progressistes et de gauche et, de cette façon, fragiliser la dynamique antimperialiste. Le rejet de la mega-industrie minière comme noyau d’un projet de développement peut se traiter de deux manières : comme une défense d’un projet alternatif ou comme une attaque aux finances étatiques qui ont toujours besoin de plus grandes ressources pour se blinder face à la spéculation financière.

On ne devrait pas oublier que bien qu’existant certains niveaux de contradiction entre anti-impérialisme et émancipation, c’est un conflit réel seulement depuis l’optique des Etats. Parce que ce sont les mouvements, en résistance contre les politiques impériales, qui ont créé un nouveau rapport de forces dans la région. Enfin, les faits récents montrent que les mouvements sont la réassurance la plus efficace des gouvernements face à la droite et à l’empire. Travailler à les affaiblir, c’est miser sur le suicide du processus de changements.

La Jornada. México, le 16 juillet 2010.

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