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13 décembre 2025

MERCENAIRES DE L’EMPIRE

par Jorge Majfud *

 

Le roi Harald V de Norvège, la reine Sonja, le prince héritier Haakon et Corina Machado

La création du personnage de MCM (María Corina Machado) ne diffère guère de celle des autres dirigeants promus par Washington et la CIA depuis des générations. Elle ressemble également aux figures créées dans le même but au Venezuela, dePérez Jiménez à Juan Guaidó, longtemps désignés par les pays impérialistes comme « le président du Venezuela », tout comme Machado l’est aujourd’hui. Le profil classique est celui d’un martyre de la liberté persécuté par un dictateur désobéissant dans un pays riche en ressources naturelles.

Après avoir soutenu le coup d’État de 2002 contre un président démocratiquement élu, après avoir encouragé et sollicité des interventions étrangères de toutes sortes dans son pays pendant des décennies… Combien de jours la pauvre Corina Machado a-t-elle passé en prison ? Moins que le président Chávez lui-même en 2002. Pas un seul jour, en réalité. Pour moins que cela , aux États-Unis, elle aurait été arrêtée par des hommes masqués ou un agent fédéral et forcée de se mettre à genoux. Le tout au nom de la liberté et de la sécurité nationale.

Mais Corina Machado a été si étroitement surveillée par le régime qu’elle a pu donner des interviews et participer à des conférences internationales à Miami, appelant à l’invasion de son pays. Le régime a t il intercepté ses communications ? Dans les dictatures fascistes, planifiées par la CIA et financées par des milliards de dollars de Washington jusqu’à une époque récente, la simple possession d’un livre interdit dans sa cuisine aurait valu à Machado d’être kidnappée, violée et torturée selon des techniques enseignées à l’École des Amériques. Elle aurait ensuite fini au fond de la mer ou dissoute dans de la chaux vive. Ces mêmes dictatures fascistes suscitent aujourd’hui la nostalgie chez les sympathisants latino-américains de son Klan, la Conférence d’action politique conservatrice (CPAC) Sans parler du centre de torture de Guantanamo, des dizaines de prisons secrètes de la CIA à travers le monde, ni des viols commis dans les prisons israéliennes sur des milliers de Palestiniens, dont beaucoup sont mineurs, que la lauréate du prix Nobel de la paix vénère.

En véritable femme d’affaires de l’élite, elle compte parmi ses amis des milliardaires et les personnalités politiques les plus influentes. Le 17 octobre 2025, Reuters titrait : « Israël affirme que la présidente vénézuélienne Machado a exprimé son soutien à Netanyahu ». Le même jour, Machado remerciait Netanyahu sur Twitter pour son « combat pour la liberté » face au pire génocide du siècle. Le cabinet du Premier ministre précisait : « María Corina Machado a téléphoné au Premier ministre Benjamin Netanyahu » à l’occasion de la remise du prix Nobel de la paix. Il ne l’a pas appelée pour la féliciter ; elle l’a appelé pour le remercier.

Pour la cérémonie de remise des prix à Oslo, elle a dû arriver avec un jour de retard et sauter par-dessus une barrière métallique pour les photos. Le New York Times (le même qui a soutenu l’invasion de l’Irak puis le coup d’État contre Chávez 21 jours plus tard) a annoncé l’évasion spectaculaire de la lauréate, qui « lutte contre la dictature dans son pays depuis 25 ans ».

Les ingérences politiques sont légion. En 2024, l’Associated Press a révélé l’existence d’une note interne de la DEA, divulguée accidentellement par des procureurs fédéraux. Ce document de 2018, accessible en ligne pendant quelques heures, détaillait une opération secrète de la DEA au Venezuela, débutée en 2013, au cours de laquelle des agents infiltrés espionnaient de hauts responsables vénézuéliens afin de recueillir des preuves les reliant au trafic de drogue. Le groupe israélien de cybercriminels Team Jorge, qui se vantait d’avoir manipulé 33 élections à travers le monde, est également intervenu dans les élections vénézuéliennes de 2012. À l’époque, le gouvernement était accusé de fraude électorale, malgré l’avis de l’ancien président étasunien Jimmy Carter selon lequel « le Venezuela possède le meilleur système électoral au monde » et malgré l’intervention des plus obscures de Team Jorge pour favoriser l’opposition.

Tout le monde sait que le Venezuela possède les plus importantes réserves de pétrole au monde. On sait moins que les États-Unis (premier consommateur et producteur mondial grâce au fracking ) ont atteint leur pic de production et qu’un déclin inévitable est prévu à partir de 2027.

Depuis plus d’une décennie, le blocus économique et financier du Venezuela est criminel (surtout pendant la pandémie), mais il n’a pas eu l’effet escompté de chasser le chavisme du pouvoir. L’excuse de la démocratie (dont l’existence est manifestement absente aux États-Unis) ne suffisant pas, ils se sont attaqués au trafic de drogue et aux exécutions sommaires d’une centaine de personnes dans les Caraïbes, près des côtes vénézuéliennes, dans le but de provoquer une réaction militaire (le classique « nous avons été attaqués les premiers », « nous n’oublierons jamais », qui rappelle l’époque de la dépossession des Amérindiens [aux États-Unis]), n’a pas fonctionné non plus. Ils ont donc détourné un pétrolier transportant un million de barils de pétrole, qui sera confisqué pour violation du blocus imposé par les États-Unis.

Certains sénateurs, comme Chris Van Hollen, ont accusé Trump de fabriquer des prétextes pour justifier la guerre, reprenant ainsi l’opposition du député Abraham Lincoln à la guerre américano-mexicaine. Trump, à l’instar de son rival honni George Bush, tente de contourner tout vote du Congrès visant à lancer une opération militaire plus directe contre le Venezuela, ce qui déclencherait vraisemblablement une guerre civile. La rhétorique de l’administration Bush pour l’invasion de l’Irak et celle de Trump pour l’invasion du Venezuela (avec le même objectif : le pétrole) sont des copies flagrantes. Elles reposent systématiquement sur l’amnésie collective et sur la passivité des populations.

Selon un sondage CBS / YouGov , 70 % des Etasuniens s’opposent à toute intervention au Venezuela, mais l’opinion en Amérique Latine est divisée… voire pire. D’après Voice of America, un média financé par les États-Unis, seuls 34 % des Latinoaméricains s’opposent à une invasion. Si le monde peut sembler paradoxal, l’histoire de cipayes et de la manipulation par la propagande coloniale a toujours été plus efficace dans les républiques bananières que dans les centres impériaux eux-mêmes. Depuis Madrid, le chef de l’opposition vénézuélienne, Leopoldo López, a reconnu avoir exercé des pressions et négocié avec les États-Unis en vue d’un déploiement militaire au Venezuela.

Quel gouvernement pourrait se légitimer ainsi, avec ou sans élections ? Je propose une solution plus héroïque : que López, Guaidó et Machado affrètent un Granma et débarquent secrètement sur le fleuve Orénoque. De là, ils pourraient convaincre le peuple de renverser la dictature.

C’est ce qu’ont fait Fidel Castro, Che Guevara et dix autres survivants parvenus à gagner la côte. Ces douze hommes ont affronté, sans l’aide d’aucun empire, une armée puissante, armée et soutenue par les États-Unis et responsable du massacre de dizaines de milliers de Cubains, selon la CIA elle-même ; et pourtant, ils l’ont vaincue.

Je ne suis pas favorable à la violence, mais puisqu’ils encouragent le bombardement de leur propre pays par une superpuissance étrangère, qu’ils assument au moins les conséquences de leurs actes. Ou bien sont-ils indifférents au fait que le sang coule dans les rues de Caracas ? Qu’ils cessent de se cacher derrière les superpuissances impérialistes.

Jorge Majfud* pour Página 12

[Página 12. Buenos Aires, le 13 décembre 2025

Traduit de l’espagnol depuis El Correo de la Diáspora par : Estelle et Carlos Debiasi.

El Correo de la Diaspora. Paris, le 17 decémbre 2025.

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