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3 mars 2005

Le virage a gauche des Amériques alarme Washington

par Lamia Oualalou

 

Quatre mois après son élection, le socialiste Tabaré Vazquez a été investi hier président de l’Uruguay.

L’Uruguay a eu deux stars cette semaine. Dimanche, le chanteur Jorge Drexler a remporté l’oscar de la bande originale de film, une première pour une chanson en langue espagnole. Hier, c’était au tour du socialiste Tabaré Vazquez d’être applaudi, cette fois-ci par les représentants de 130 pays, conviés à son investiture à la présidence quatre mois après son élection, le 31 octobre. L’accession au pouvoir de ce médecin de 65 ans tourne une page de l’histoire uruguayenne, rythmée depuis 180 ans par l’alternance entre deux partis traditionnels, les Colorados et les Blancos. Le basculement à gauche est en apparence total : le « Frente amplio », la coalition qui a porté le cancérologue à la présidence, est essentiellement constitué de Tupamaros, les guérilleros qui défiaient la dictature uruguayenne dans les années 1970, et de syndicalistes au discours radical.

Hier, le symbole dépassait les frontières de l’Uruguay. L’élection de Vazquez consolide le changement politique sensible dans toute l’Amérique du Sud. Hormis en Colombie, toutes les élections ont, depuis le début de la décennie, consacré la montée en puissance d’une gauche aux accents plus ou moins radicaux. Si, pour des raisons de santé, le Cubain Fidel Castro n’a pas fait le voyage, son fils spirituel, le président vénézuélien Hugo Chavez, était à Montevideo pour qualifier l’événement de « grand jour pour l’Amérique du Sud ». Le leader bolivarien devait profiter de son séjour en Uruguay pour organiser un « minisommet » avec ses homologues des deux plus importants pays du sous-continent, le Brésilien Luiz Inacio Lula da Silva et l’Argentin Nestor Kirchner.

De quoi irriter au plus au point les Etats-Unis, dont les seuls alliés déclarés, les présidents des pays d’Amérique centrale et le chef d’Etat colombien Alvaro Uribe, ont boudé la manifestation. Du Brésil au Chili, en passant par la Bolivie, le Venezuela ou l’Argentine, les nouveaux leaders politiques, tous présents hier à Montevideo, s’entendent sur l’échec des recettes économiques libérales concoctées à Washington par le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale et la Banque interaméricaine de développement. Tous mettent désormais en avant la nécessité de mettre sur pied une plus grande intégration pour s’affirmer face aux blocs américain et européen, quitte à tisser de nouvelles alliances avec d’autres grands pays émergents, tels l’Inde, l’Afrique du Sud, et surtout la Chine.

Même s’ils ont résolument embrassé le capitalisme, ces chefs d’Etat sont soucieux de préserver les symboles du passé révolutionnaire de gauche : les Tupamaros en Uruguay, certes, mais surtout Fidel Castro, même si à leurs yeux il tient moins du modèle que de la relique. L’un des premiers gestes politiques de Tabaré Vazquez hier a été de renouer les relations diplomatiques avec La Havane, rompues en avril 2002 par son prédécesseur, Jorge Batlle, à l’issue d’une violente polémique sur les droits de l’homme. Ce mouvement s’accompagne d’une rhétorique antiaméricaine exacerbée par la guerre en Irak. De nombreuses populations latino-américaines perçoivent la présence des marines au Proche-Orient comme la répétition des interventions dont ils ont été victimes depuis la fin du XIXe siècle.

Portée aux nues par Hugo Chavez, la nouvelle bête noire du secrétaire d’Etat américain Condoleezza Rice, cette évolution inquiète la Maison-Blanche. Certes, dans la majorité des pays du sous-continent, les propos antiaméricains et anti-impérialistes qui ont refleuri aux lèvres des chefs d’Etat tiennent surtout de l’agitation politique. De petits pays aux finances fragiles comme l’Uruguay, ou encore l’Equateur ou la Bolivie, ne peuvent tenir tête au géant américain, ni aux institutions multilatérales.

Toutefois, le Venezuela, cinquième exportateur mondial de pétrole, joue sur les nerfs de Washington en menaçant de temps à autre de cesser de l’approvisionner. L’Argentine, qui entretenait, il y a moins de dix ans, des « relations charnelles » avec les Etats-Unis, a mené la restructuration de sa dette au mépris des recommandations du FMI. Même le Brésil de Luiz Inacio Lula da Silva, promu chouchou des marchés financiers depuis qu’il s’illustre par une politique économique rigoureuse, fait preuve d’une distance courtoise, mais certaine à l’égard de la Maison-Blanche.

Il n’est pas sûr que la posture très agressive adoptée par Condoleezza Rice, en particulier à l’égard de Hugo Chavez, facilite le retour en grâce des Etats-Unis dans ce qu’ils ont toujours considéré comme leur arrière-cour.

Le Figaro, le 2 mars 2005

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