Portada del sitio > Imperio y Resistencia > Capitalismo senil > Le tour des Etats-Unis et du Royaume-Uni, après les « PIGS » ? - Frédéric Lordon
Les deux gros cochons
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Ainsi donc il va falloir envisager d’agrandir la porcherie… Car deux fameux gorets tapent du groin à la porte.
Au commencement, ils étaient trois petits – les cochons. Grèce, Portugal, Espagne. Et comme il fallait un « I » (pour bien faire PIGS), on eut d’abord l’idée de l’Italie – puisque les crottés sont nécessairement les Méditerranéens. Sauf que ce fut l’Irlande. Et la théorie financière des types et des climats connut un premier accident. La pauvre se prépare des lendemains scientifiques difficiles. Car voici que les Etats-Unis – et bientôt sans doute le Royaume-Uni – commencent à faire parler d’eux. Evénement dans le landerneau des marchés, Standard & Poor’s, le 18 avril, a confirmé le triple-A de la dette souveraine étasunienne, mais en la plaçant sous surveillance négative (outlook negative), avec probabilité d’un tiers d’une dégradation ferme à horizon de deux ans. Se peut-il que la race des seigneurs finisse se roulant dans le purin et poussant grognements ?...
Comme par un effet d’habitat préféré, la finance, culturellement anglo-saxonne, a toujours eu un faible pour ses appartenances. Seule en tout cas une sorte de privilège d’anglo-saxonnité parvenait à rendre compte de certaines distorsions du jugement financier, comme par exemple celle qui cloue le Portugal et l’Espagne au pilori quand la situation objective du Royaume-Uni et des Etats-Unis n’est pas beaucoup plus reluisante (si elle n’est pas plus mauvaise). Les Etats-Unis ont des déficits et des dettes plus dégradés que le Portugal ; l’Espagne, qui est le « meilleur » des quatre (sur la base de ces deux ratios), fait mieux que le Royaume-Uni [1]. Seule la croissance met les Anglo-saxons en position avantageuse, et pour cause : les Britanniques, hors de l’UEM (Union économique et monétaire), ont fortement dévalué la livre (presque 30% contre l’euro), quant aux Etats-Unis, en général grands pourvoyeurs d’anathèmes théorico-idéologiques mais à l’usage des autres, eux n’ont pas eu la bêtise de se mettre sur le dos l’invraisemblable carcan des Européens et mènent depuis trois ans une politique économique puissamment expansive avec déficits à gogo et monétisation à peine dissimulée (quoique encore recouverte de l’aimable euphémisme de Quantitative Easing…)
Par un de ces revirements qui font tout son charme, le commentaire financier est passé de l’état d’alarme lundi 18 avril à la grande placidité mardi 19. On lui accordera à la fois que la nouvelle avait en soi de quoi faire de l’effet et que, assez paradoxalement, les marchés y ont réagi avec une grande modération : passé un pic soudain de quelques heures, le rendement des US Treasuries est revenu à son niveau initial, voire un peu en dessous. Pour achever de banaliser l’événement, on rappelle des épisodes antérieurs de mise sous surveillance négative : le Royaume-Uni en mai 2009, avant d’être restauré dans sa « perspective stable » en octobre 2010 (après le premier budget Cameron-Osborne), ou encore les Etats-Unis déjà en 1996, et pour une situation similaire de blocage politique de « cohabitation » à propos du relèvement du plafond de dette autorisée, manière de dire qu’une surveillance négative, on en sort…
Royaume-Uni : impasse totale de politique économique ?
Passé le coup de semonce de l’annonce, aussi bien les opérateurs que les commentateurs de la finance semblent revenir à leur tropisme de « l’habitat préféré » et faire peu de cas d’une « péripétie ». Il ne faudrait cependant pas pousser trop loin la posture de la grande décontraction. Car la comparaison des Etats-Unis 1996 vs. 2011 n’a pas la moindre pertinence (voir partie 2, à venir). Quant au Royaume-Uni, il s’en est passé depuis 2009, et pas dans le sens du mieux – contrairement à ce que penseront spontanément les investisseurs qui obtiennent des gouvernements à peu près tout ce qu’ils veulent. En l’espèce ils auront été servis au-delà de toute espérance avec le budget 2011 dont la dureté est spécialement faite pour leur plaire. Car le Royaume-Uni se donne pour objectif de faire passer le déficit de 11,1% de PIB pour l’année fiscale 2009-2010 à… 1,5% pour 2015-2016 [2] et à faire baisser le ratio Dette publique/PIB à partir de 2014-2015 [3]. On voit d’ici l’ampleur de la contraction. Seule la magie des accommodations purement verbales à base de « rilance » (Christine Lagarde) ou de « budget for growth » (George Osborne) peut faire croire que de la croissance puisse suivre de pareil traitement. Le Royaume-Uni apporte donc son aimable contribution à la coordination dépressionnaire européenne – et en recueillera lui aussi les prévisibles effets : la prévision de croissance britannique pour 2011 a déjà été réduite de 2,1% à 1,7%, à l’image des enlisements de la Grèce et du Portugal dans des restrictions budgétaires identiquement self defeating.
De la particularité inflationniste…
Mais la particularité britannique, car il y en a une, viendra probablement de la politique monétaire, et pas pour le meilleur. Car, singulier au milieu des pays européens, le Royaume-Uni connaît une inflation dont on avait perdu jusqu’au souvenir – et le projet de budget 2011 est bien obligé de faire avec une hypothèse supérieure à 4% voire atteignant 5%. Il est vrai que le budget précédent n’a pas aidé en cette matière en faisant passer le taux standard de TVA de 17,5% à 20% – dont les effets en termes de recette fiscale nette n’ont d’ailleurs rien d’évident si l’augmentation de taux est dominée par la contraction de la base qui en résultera du fait de la baisse de la consommation. Mais l’inflation britannique a aussi pour origine la dépréciation de la livre. Disons tout de suite que sans ce degré de liberté les dégâts auraient été plus considérables encore dans une économie où le chancre de la finance a pris les proportions qu’on sait (le Royaume-Uni fait partie de ces « cas » où le total des actifs bancaires dépasse tout de même les 400% du PIB – mieux que l’Irlande…), et où la crise était vouée à produire les effets les plus violents – de fait : presque 5% de contraction du PIB en 2009.
Si, toutes choses égales par ailleurs, la dépréciation de la livre était plus que bienvenue (et sans doute regardée avec envie par les pays de la zone euro, coincés dans leurs parités irrévocablement fixes), elle n’a pas pour autant produit de miracles. Alors même qu’elle s’effondre dans la récession, l’économie britannique continue d’enregistrer un déficit de sa balance courante de 1,7% du PIB en 2009, qui se creuse à 2,5% en 2010 avec la reprise de croissance, si faiblarde soit-elle (1,4%) – rappelons à cette occasion qu’on nous bassine avec l’épouvantable déclin de la compétitivité française… dont la balance courante se compare avantageusement avec son homologue britannique (1,9 point de PIB de déficit en 2009, mais 2,1 en 2010 avec une croissance supérieure) ; on ne se souvient pas non plus avoir entendu de prophéties apocalyptiques à propos de l’économie anglaise quand celle-ci naviguait entre 2,5% et 3,5% de déficit courant dans les années 2005-2007, pour ne rien dire des Etats-Unis eux entre 4,5% et 6% [4]... ; se peut-il que les hurlements à la compétitivité répondent davantage à quelque agenda intéressé qu’à des comparaisons statistiques en fait peu inquiétantes ?...
… à la paralysie complète de la politique économique
Toujours est-il que, sans gain très spectaculaire de croissance, la dépréciation de la livre contribue à l’inflation (importée). Or, avec une sorte de norme implicite des banquiers centraux autour de 2%, la Bank of England ne pourra pas rester très longtemps sans réagir face à une inflation comprise entre 4% et 5%. Une succulente ironie veut que ce sont les marchés eux-mêmes qui la conduiront à faire mouvement, au nom de la sacro-sainte « crédibilité » dont il faut rappeler que, sans contenu substantiel a priori, elle ne reçoit pas d’autre sens que « faire ce qui convient pour obtenir l’approbation des investisseurs ». Et les investisseurs n’aiment pas l’inflation, qui entraîne des pertes de valeur réelle des patrimoines – c’est pourquoi d’ailleurs il est toujours particulièrement écœurant d’entendre Jean-Claude Trichet se prévaloir de la défense des petites gens pour justifier les resserrements anti-inflationnistes de la politique monétaire européenne quand l’inflation a toujours érodé le patrimoine de ceux qui en ont et aidé ceux qui n’en ont pas à s’en constituer un grâce à la dévalorisation réelle de leur dette [5].
Les investisseurs n’aiment pas l’inflation mais il y a plein d’autres choses qu’ils n’aiment pas non plus. Comme le manque de croissance qui n’aide pas au rétablissement des ratios Dette/PIB. Voilà donc que la situation britannique s’annonce périlleuse car si à la restriction budgétaire forcenée s’ajoute le resserrement de la politique monétaire, sans doute l’inflation rentrera-t-elle dans les clous mais il est à peu près impossible que toute croissance y survive. Il est utile de garder en tête en effet que si les économies développées n’ont pas (encore) pris le chemin de la Grande Dépression à l’image de l’enchaînement des années trente, elles ne le doivent qu’à des politiques budgétaires d’abord très contracycliques – celles-là même qui, oui, ont donné les dettes que l’on sait – et à des politiques monétaires de taux quasi-nuls tous (grands) pays confondus. Mais il ne faut pas rêver : le miracle ne persiste pas ôtées les conditions du miracle (qui n’en est donc pas un). Les politiques économiques ne vont pas tarder à le découvrir à mesure qu’elles passent en mode de plus en plus restrictif et qu’elles ferment les uns après les autres les degrés de liberté qui ont au moins permis la surnatation. La contraction budgétaire coordonnée à une échelle inédite est déjà très suffisante en soi pour causer des désastres à horizon de dix-huit mois. Mais si certains se sentent au surplus d’y ajouter la restriction monétaire, après tout pourquoi pas ? On a le droit aux paris un peu joueurs, de toute façon quand ça perd ce sont les populations qui règlent – en l’occurrence l’« addition » promet quand même d’être salée.
Résumons-nous : les politiques économiques ne veulent plus que ce que les marchés veulent, mais les marchés veulent trop de choses et finalement ne savent plus quoi à force de vouloir une chose et son contraire. C’est pourquoi ils peuvent ordonner ceci un jour et puis le lendemain cela qui en est l’exact opposé. Moody’s en 2010 n’a-t-elle pas exhorté le Portugal à l’austérité… puis menacé le Portugal pour cause de croissance insuffisante ? Voilà le maître que les gouvernements dits souverains ont élu, voilà de qui ils sont devenus les marionnettes et dont ils ont « décidé » qu’ils épouseraient toutes les foucades comme autant d’imprescriptibles injonctions ; on leur souhaite donc bon courage – et à nous aussi par la même occasion. Dans cet ordre d’idée le Royaume-Uni – disons Nuf Nuf – va connaître sa douleur. Car sous le coup de la double restriction, budgétaire et monétaire, le ratio Dette/PIB n’est pas près de décroître gentiment comme le veut le projet de budget de 2011 – et George Osborne commence à faire bizarrement « oink » toutes les deux phrases et à sentir pas bon.
Les Etats-Unis, porcorum imperator
Nuf Nuf est sans doute une belle bête, mais il y a aussi Nof Nof (si l’on veut), alias les Etats-Unis, le bestiau à concours. Celui-là, si on le laisse à ses tendances gorettes il va nous faire un malheur. Pour l’instant tout semble aller bien, l’animal ne sent pas la rose mais il est encore présentable. Rappelons tout de même que « aller bien » (ou mal) est un état de fait entièrement asserté par les marchés financiers – n’importe quel pays avec les mêmes paramètres que les Etats-Unis serait déclaré aller mal ; et, déclaré « aller mal », irait mal pour de bon : car un pays jugé mal portant est aussitôt l’objet d’attaques spéculatives qui le poussent pour de bon dans la mal-portance avérée. La pauvre Grèce qui n’était pas en forme reluisante début 2010, mais loin de l’article de la mort, y est fatalement tombée du simple fait des taux d’intérêt ahurissants que lui ont faits des marchés de capitaux décidés à la trouver mourante – et à la rendre effectivement telle ! Car là où, à taux constants, il y avait un chemin de restauration de la solvabilité tout à fait praticable, il n’y a soudain eu plus rien du tout, juste l’enchaînement fatal : bail-out, austérité auto-destructrice, et bientôt défaut au moins partiel.
Même pour les Etats-Unis cependant, 10% de déficit budgétaire persistant et une dette qui va l’amble de 62,7% en 2007 à 102,9% annoncés pour 2012 [6], c’était beaucoup solliciter les indulgences du club et les critères de l’« aller bien ». Et donc Standard & Poor’s. Bien sûr, le marché de titres souverains le plus vaste et le plus liquide du monde, le privilège monétaire de la devise-clé, l’inversion caractéristique du rapport de force qui s’est opéré entre le débiteur et ses créanciers (qu’on pense à la position de la banque centrale et du fonds souverain chinois, gavés de dollars et comme forcés d’en reprendre pour que tout ne s’écroule pas) offrent autant de raisons objectives à ce que la marge d’élasticité des finances publiques étasuniennes soit plus grande que pour n’importe qui d’autre – et partant pour qu’un « événement » comme l’outlook negative du 18 avril soit plus facilement absorbé. Mais le tableau d’ensemble commence à sentir la cour de ferme – et encore Standard & Poor’s n’en livre-t-elle pas tous les éléments.
L’immobilier commercial
Certes l’agence rappelle quelques-uns des impédiments avec lesquels les finances publiques étasuniennes auront à compter. Notamment la facture du sauvetage de Fannie et Freddie, vaste benne à ordure hypothécaire mise à disposition du secteur bancaire privé au frais des contribuables pour le soulager de ses actifs immobiliers dévalorisés – c’est que, lointaine dans les esprits, la crise des subprimes continue, avec un marché immobilier toujours écroulé, par conséquent des situations d’equity negative [7] aussi fréquentes et des taux de défauts des ménages aussi haut. Mais l’immobilier résidentiel n’est pas seul en cause et quoique moins visible, l’immobilier commercial se porte presque aussi mal. Lui également a donné lieu à ces subtiles opérations dont la finance structurée a le secret et notamment à la dispersion des risques de crédit dans des actifs titrisés spécifiques, les CMBS (Commercial Mortgage Backed Securities), devenus tous plus navrants les uns que les autres. 1400 milliards de dollars de ces jolies choses viennent à échéance d’ici 2014 et d’une si belle qualité qu’un rapport du Congressional Oversight Panel de 2010 estime à 300 milliards de dollars la paume possible. Ce qui ne devrait pas aider le secteur bancaire à aller mieux, ni encore moins Fannie et Freddie, à concurrence du volume de déchet qu’elles auront pour mission de reprendre. L’une comme l’autre sont déjà depuis 2008 en état d’insolvabilité technique – ce qui n’a jamais causé la mort de personne pourvu que la liquidité soit maintenue : en l’occurrence elle l’est, et le sera quoi qu’il arrive, sur ordre du gouvernement et aux bons soins de la Réserve Fédérale, qui jamais au grand jamais ne les laisseront tomber. Mais tout de même : cette affaire ne pourra pas durer indéfiniment et il faudra bien envisager le retour des deux agences à l’état d’institutions financières « normales », c’est-à-dire adéquatement recapitalisées (au minimum sous la norme d’un ratio de fonds propres Bâle III de 7%). Le coût total de cette remise à flot pourrait atteindre, dixit Standard & Poor’s les 700 milliards de dollars, soit 2,5 points de PIB en plus du point qui leur a déjà été consacré jusqu’ici…
Les finances locales
Mais il n’y a pas que l’immobilier commercial – dont l’Etat aura à éponger, au moins pour une part, les menus dégâts. Il y a également les finances locales. Une juste comparaison avec les finances publiques européennes exigerait d’être faite à périmètre équivalent, c’est-à-dire en consolidant dette fédérale et dettes locales. Or ces dernières totalisent 21 points de PIB en 2010 – à ajouter aux 70 points de la première, soit 91 points de PIB au final. Et c’est peu dire que les collectivités locales (municipalités, comtés mais surtout Etats fédérés) vont mal. L’équilibre des Etats n’a été assuré qu’à l’aide des transferts du stimulus package (780 milliards de dollars au total) de 2009-2010. Mais celui-ci consommé, et non renouvelé, les Etats sont rendus à l’effondrement de leurs recettes fiscales, aussi déclarent-ils les uns après les autres leurs impasses [8]… et les extravagants moyens que certains envisagent pour les réduire – à la façon du désormais célèbre gouverneur du Wisconsin.
Les pensions
Enfin (?), il y a les pensions. Car chose étonnante, au pays des fonds de pension, il y a aussi des problèmes de financement des retraites – inouï ! En effet les caisses de retraite capitalisée des fonctionnaires de l’Etat fédéral seraient sous-capitalisées à hauteur de… 3300 milliards de dollars, auxquels il faudrait ajouter 574 milliards de dollars pour les caisses des fonctionnaires locaux (comtés, Etats fédérés) [9]. Bien sûr toutes ces entités sont formellement distinctes de l’Etat fédéral, qui plus est assurées par le PBGC (Pension Benefits Guaranty Corporation). Mais cette dernière a des ressources tragiquement insuffisantes pour faire face à une telle marée financière, d’autant plus que la crise a conduit l’administration Obama à suspendre l’application du Pension Protection Act de 2006 qui pénalisait en sur-cotisations les entreprises dont les engagements actuariels de pension n’étaient pas intégralement financés. Il est tout à fait évident que l’Etat ne pourrait se désintéresser du naufrage de la PBGC (qui a d’ailleurs le statut d’agence gouvernementale) et que les passifs non couverts lui écherront en dernier recours (quand bien même on aura auparavant tout fait pour les minimiser par la réduction à peau de chagrin des pensions versées).
Le temps des marchés contre le temps de la politique économique
Tout ceci commence à faire beaucoup, ce qui signifie à la fois que les pressions venues de la finance pour l’ajustement de la dette étasunienne ne font que commencer… et que, comme pour les autres pays, celles-ci se manifestent au plus mauvais moment, c’est-à-dire en un point du cycle où toute restriction est davantage promise à maintenir les déficits qu’à les réduire – et partant à faire croître le ratio de dette plutôt qu’à le stabiliser. Comme tout le monde, les Etats-Unis pourraient donc bientôt se retrouver face au choix tout à fait enviable d’aller plus mal par restriction forcée ou bien d’aller plus mal de voir ses taux d’intérêt remonter (pour avoir tâché d’éviter d’aller plus mal…) Toute la question est donc de savoir si la politique économique étasunienne parviendra, sous la double pression des marchés financiers et du Congrès républicain, à se tenir à une stratégie intertemporelle optimale dans laquelle l’ajustement des finances publiques n’est engagé qu’une fois la croissance bien réinstallée – et les mesures de relance fermement maintenues jusqu’à ce qu’il en soit ainsi.
La perspective de la fermeture du programme d’achat de bons du Trésor dit QE2 (Quantitative Easing, 2ème phase) de la Réserve Fédérale laisse déjà augurer par elle-même une remontée des taux d’intérêt des Treasuries. La banque centrale étasunienne y aura tout de même consacré 600 milliards de dollars depuis novembre 2010 et largement contribué à contenir le coût de financement de l’un des plus gros déficits des économies développées – il faut croire que la monétisation n’a pas que des tares. Mais QE2 vient à échéance en juin et la question se pose de savoir ce que vont devenir les taux d’intérêt quand la Réserve Fédérale ne sera plus là pour enfourner des quantités massives de bons du Trésor – évidemment remonter, mais au mauvais moment, et surtout : de combien ? Heureusement, et pour toutes les divisons que fait naître au sein de la Réserve Fédérale ses positions, Ben Bernanke semble décidé à poursuivre la stimulation monétaire, fût-ce par des moyens réduits, notamment en réinvestissant en bons du Trésor les titres entrés dans son portefeuille depuis le début de la crise et qui viennent à échéance (comme les actifs hypothécaires titrisés ayant fait l’objet de prises fermes dans les divers programmes de liquidité offerts aux banques en décapilotade) – il pourrait y en avoir pour 17 milliards de dollars par mois [10].
La politique prise en main par les agences
Mais une bonne stratégie intertemporelle, en politique économique comme en n’importe quelle autre matière, est une affaire de patience, c’est-à-dire de tolérance à des inconvénients transitoires. Or, si l’on autorise cette aimable litote, la patience n’est pas le fort des marchés à qui la propriété de liquidité a donné l’habitude des ajustements instantanés et de la satisfaction immédiate du désir patrimonial. Avec parfois l’ombre d’un doute, tel qu’il se manifeste dans les invraisemblables revirements par lesquels les marchés en viennent à reprocher aux gouvernements les effets de ce qu’ils les ont forcés à appliquer… Pour l’heure en tout cas, la finance, dont les agences sont en quelque sorte la voix, a pris son parti – on sait lequel il est. Or cette prise de parti, loin d’être la seule expression d’une opinion comme feignent de le croire les agences (qui s’abritent systématiquement derrière le premier amendement (freedom of speech) de la Constitution étasunienne pour ne jamais encourir la moindre conséquence des inénarrables boulettes qu’elles commettent à répétition), cette prise de parti, donc, est un acte d’immixtion politique qui ne prend même plus la peine de se cacher.
Sous ce rapport, la lecture de la note de Standard & Poor’s est des plus édifiantes [11]. Il y est presque exclusivement question des péripéties parlementaires qui voient s’affronter le plan Obama et le plan Ryan… l’un et l’autre bien d’accord sur l’objectif d’une réduction de déficit cumulé de 4 trillions de dollars à horizon de dix ans, mais toujours divergents quant aux moyens d’y parvenir. Et la note entière n’est qu’une grande exhortation à sortir de ces stériles querelles pour enfin « régler le problème » raison revenue et tous enfantillages mis à part. Voilà donc finalement quel était l’objectif de Standard : peser directement sur le processus politique et, par un coup de cymbales, mettre un terme aux tergiversations et forcer l’accord bipartisan – puisque les Etats-Unis sont en situation de cohabitation.
La palabre parlementaire, ses longueurs, ses atermoiements, tout ça énerve la finance. La démocratie est dispensable puisqu’on sait déjà très bien ce qu’il faut faire – il n’y a qu’à le faire ! Des épisodes tels que celui du 18 avril, mais on en trouverait centaines d’équivalents, ont au moins le mérite de faire percevoir distinctement à quel degré intense la finance fait de la politique : elle se pose en tiers intrus au contrat social, y impose ses réquisits au point d’évincer ceux du peuple, pour finir à la limite par s’ériger en corps politique de substitution – comme en témoignent assez les politiques publiques désormais implicitement ou explicitement (la réforme des retraites !) agencées pour son seul bon plaisir (« conserver à la France son AAA… ») On aurait grand tort de voir là une regrettable mais réversible dérive de la finance – on se demande d’ailleurs what on earth pourrait la convaincre de renoncer aux formidables conquêtes que lui a permis un rapport de force (structurellement armé) ultra-favorable. Sauf miraculeux accès de sainteté, on n’a jamais vu groupe de puissance abandonner de lui-même ses ressources de pouvoir. Le plus caractéristique dans le cas présent tient à l’objectif de l’accord bipartisan poursuivi par les agences, objectif de l’extinction du dissensus politique (trop générateur d’instabilité), de la cessation du conflit des opinions (toujours susceptible de faire renaître des idées indésirables), bref de la négation même de la démocratie en tant qu’elle est essentiellement controversée… et par là source d’incertitude. L’idéal de la finance est unanimitaire : que le peuple se range comme un seul homme ! – derrière les « bonnes » idées bien sûr.
Là encore il ne devrait pas y avoir matière à être surpris, car cette expérience est vieille comme la tutelle des marchés de capitaux sur les politiques économiques. La cahotante désinflation compétitive de feu Pierre Bérégovoy en avait déjà fait l’expérience, souffrant des taux d’intérêt chaque fois que renaissaient les mises en cause du « Franc fort », au point d’ailleurs que, dans une sorte de comble de la soumission incorporée, Michel Rocard, alors premier ministre était allé jusqu’à déclarer que les critiques publiques de la politique économique, à la face des marchés, et en tant qu’elles étaient susceptibles de les alarmer (et de faire remonter les taux d’intérêt) étaient assimilables à une « trahison » – mais tous ces gens ont depuis belle lurette oublié leur contribution historique à l’installation du monde présent, la leur rappellerait-on qu’ils la dénieraient avec la dernière énergie, et pour se refaire la cerise parlent désormais des agissements de la finance comme d’un « crime contre l’humanité » [12]…
Renversement de la liquidité internationale ?
Si par une sorte de dialectique un peu scolaire, le premier commentaire a d’abord sursauté à la nouvelle proprement économique de la mise sous surveillance des Etats-Unis (voir Partie 1), puis s’est corrigé pour en minimiser la portée et y voir un « simple avertissement » politique, il serait utile (négation de la négation) de revenir, pour la redramatiser quelque peu, à l’économie du problème. Le parallèle avec l’épisode précédent de « surveillance négative » de 1996 ne tient pas la route une seule seconde, et si c’est sur ce genre de rapprochement que l’on croit pouvoir compter pour se rassurer un peu il va falloir assez vite trouver autre chose. Si les Etats-Unis y sont là encore menacés d’une « panne gouvernementale » du fait d’un accord budgétaire rendu difficile par une cohabitation, ils sont par ailleurs en pleine phase de croissance tirée par la bulle Internet (1996 est l’année où Alan Greenspan parle de « l’exubérante irrationalité ») et à des niveaux de dette publique (comparativement) ridicules. Tout autre est la situation d’aujourd’hui, dominée par des interrogations de solvabilité autrement sérieuses dont seuls les divers privilèges d’hégémonie des Etats-Unis empêchent que soient tirées toutes les conséquences. La possibilité de moyen terme d’une dégradation n’a donc rien d’extravagant et ceci d’autant moins que le schème comparatif « officialisé » par l’avis public (et common knowledge) de Standard & Poor’s est maintenant installé dans les esprits et ne cessera sans doute plus d’y faire son chemin : comment en effet justifier le maintien d’un triple-A pour une économie dont les paramètres objectifs s’écartent de plus en plus visiblement de la moyenne du « club » ? La question est désormais sur la table et n’en sera pas aisément ôtée, il est même à craindre, quel que soit d’ailleurs le cours pris par la politique économique étasunienne, que la suite des événements ne fasse que lui donner plus d’acuité, en tout cas dans un horizon de moyen terme – celui qui est adéquat à la manifestation des effets contre-productifs des plans de rigueur.
Or il faudrait être inconscient pour minimiser les effets d’une éventuelle dégradation des Etats-Unis. L’énormité des masses financières concernées promet quelques intéressantes secousses – même si d’une certaine manière elles portent aussi leur propre antidote puisque le marché des titres étasuniens est le plus liquide du monde. Tout liquide qu’il soit, ce marché devra cependant absorber les mouvements de vente automatiques des investisseurs institutionnels, notamment les fonds de pension, qui sont réglementairement tenus d’adosser leurs passifs à des actifs de qualité supérieure, et doivent opérer les substitutions ad hoc dès que certains d’entre eux perdent la note AAA. Mais il faut aussi imaginer les pertes qu’imposerait aux banques une dévalorisation des Treasuries dont elles détiennent des quantités massives. Frappées du côté de leur actif, elles le seraient également du côté de leur passif puisqu’elles seraient obligées de lever du capital supplémentaire afin de maintenir à flot leurs ratios de solvabilité. En effet les actifs risqués doivent être couverts en fonds propres à des niveaux différenciés en fonction de leur degré de risque (mesuré entre autres par leur notation). Si les Treasuries voient leur niveau de risque réévalué, il faut donc mettre plus de capital en face…
On ne peut jamais être tout à fait sûr de la sincérité d’une institution financière qui se livre à des prises de positions fracassantes – verbales et financières –, voilà en tout cas que, pour enrichir le tableau, Bill Gross, patron de PIMCO, le plus gros gestionnaire de produits de taux aux Etats-Unis, stupéfie tout le monde en annonçant, il y a un mois, désinvestir en totalité (!) son fonds des US Treasuries. Dans cette affaire, on a du mal à faire la part de l’anticipation éclairée (mais alors quel intérêt de la rendre publique ?), de la pure et simple manipulation de marché par un opérateur dont la voix est spécialement écoutée et reconnue (donc efficace), ou d’une combinaison des deux, l’anticipation « objectivement » et sincèrement formée tentant de se donner pleinement raison à elle-même en entraînant derrière elle le reste du marché. Il n’en reste pas moins que l’événement est marquant, car on a rarement vu pareil signe public de défiance de la part d’un des plus gros opérateurs de ce marché – plus symptomatiquement encore : à l’encontre même de son « habitat préféré » – et, quelle que soit finalement la nature réelle de son intention, le simple fait que puisse être envisagé un « coup » sur ce thème est en soi lourdement significatif.
Mais ce problème qu’on peut voir par le petit bout des calculs spéculatifs, il faut surtout le voir par le gros bout d’une crise possible de la liquidité internationale. Toute celle-ci est par construction accrochée à l’idée cardinale de l’« actif sans risque ». Car même à un univers de risques tel que la finance – ou plutôt pour cette raison précise qu’elle est un univers de risques – il faut bien un ancrage… L’actif sans risque est ce pôle de (relative) certitude auquel s’amarre tout son jeu d’incertitude. Il est la référence qui rend possible une mesure du risque – comme on sait évaluer différentiellement, par des écarts de taux, les fameux spreads. Un régime de la liquidité internationale est construit autour d’un certain actif, le titre souverain attaché à la devise-clé, et à ses structures propres : structures de marché très fortement internationalisées, offrant à la fois volume, profondeur, variété de produits dérivés et d’instruments de couverture, etc. Et aussi une politique monétaire qui, pour demeurer nationale, n’en devient pas moins de fait gestionnaire d’un bien public international et doit se montrer à la hauteur de cette responsabilité. Les bons du Trésor étasuniens remplissent toutes ces conditions… à ceci près que le doute apparaît maintenant sur la réalité de leur qualité « sans risque ». Que peut devenir la finance internationale quand l’actif réputé sans risque est avéré risqué ?! C’est là un événement potentiellement catastrophique, au sens étymologique du terme : renversement. Renversement d’une croyance, et même plus : de la croyance-ancrage.
En attendant la Chine
Assurément nous n’en sommes pas encore là. Mais dans une architecture soumise à d’aussi grandes tensions que la finance internationale depuis 2007, le commencement d’un doute en cette matière est déjà presque de trop. Supposé son ancrage détruit, la finance devient absolument errante. Car, pour toutes ses apologies du risque, elle n’a rien de plus précieux que de ré-identifier au plus vite un nouvel actif sans risque auquel aller s’accrocher bien vite. Le problème tient au fait que la déstabilisation du régime courant de la liquidité internationale par la mise en cause de son ancrage n’a aucunement la propriété de faire surgir spontanément un actif sans risque de remplacement. Car la consécration internationale d’une devise-clé de remplacement est un processus historique long qui vient sanctionner une dynamique économique hégémonique indiscutablement reconnue – comme l’avait été celle des Etats-Unis au sortir de la deuxième guerre. Or un rapide tour d’horizon en cette matière ne fait rien apercevoir de très réjouissant.
Des deux seuls candidats possibles, l’Europe est aux prises avec sa propre crise de dettes souveraines, et la Chine, à laquelle on pense spécialement, ne sera pas mûre avant quelques décennies. Que les Chinois aspirent à cette hégémonie, la chose n’est que trop évidente, mais leurs élites ont la plus haute conscience des rythmes de l’histoire et savent pertinemment que leur moment n’est pas encore venu. Il le sera quand l’économie chinoise sera apte à supporter une réévaluation du renminbi, c’est-à-dire quand le maintien de son taux de croissance à un très haut niveau – vital pour la stabilité politique du pays – ne sera plus dépendant des exportations, donc quand sera achevée la dynamique de constitution et d’institutionnalisation de son marché intérieur, seule à même de soutenir un nouveau régime de croissance autocentrée – pas à l’ordre du jour immédiat.
Il y a d’ailleurs fort à parier que ce changement de régime d’accumulation se produira le plus probablement au travers d’une crise monumentale, à l’image de celle qu’avaient traversée les Etats-Unis dans les années trente, crise de croissance typique, c’est-à-dire d’« immaturité » institutionnelle dans une économie se développant à un rythme très intense. Telle est bien la configuration de la Chine actuellement avec un système bancaire dangereusement exposé aux mauvaises créances, des marchés de capitaux dont on peut imaginer qu’ils se développeront bientôt mais au prix d’une dangereuse accumulation de risques et de carences patentées de régulation, mais surtout, l’essentiel : l’inadéquation d’un rapport salarial ultra-flexibilisé à produire la stabilité minimale susceptible de solvabiliser une demande intérieure progressant dans de bonnes conditions de régularité. Ça n’est pas seulement le dévastateur credit crunch et les erreurs de politique économique qui avaient produit la Grande Dépression mais également le fait que la configuration « concurrentielle » du rapport salarial aggravait des mécanismes macroéconomiques tous profondément procycliques. Le plongeon de la conjoncture s’était en effet soldé par la montée du chômage, et surtout par la baisse des salaires nominaux trop élastiques aux déséquilibres du marché du travail en l’absence de tout appareillage institutionnel susceptible de jouer comme force de rappel et de produire des effets contracycliques (salaire minimum, clauses d’indexation variées, revenus de transfert, compromis de protection de l’emploi, etc.). Il en était résulté le crash keynésien parfait, la chute des salaires faisant plonger en séquence la consommation, la demande finale, l’emploi qui à son tour faisait baisser à nouveau les salaires, etc. Pour toute la circonspection qu’appelle ce genre de comparaison, le rapport salarial chinois y fait beaucoup penser, et pour un moment encore.
L’expérience montre abondamment le retard chronique des constructions institutionnelles sur le développement économique, à plus forte raison quand il connaît un rythme aussi effréné, jusqu’à un point où la dynamique économique elle-même cesse d’être soutenable. Il en résulte alors une crise (structurelle) si violente que se trouvent créées les conditions politiques d’un « rattrapage institutionnel » accéléré, et l’entrée dans un nouveau régime d’accumulation, institutionnellement « mature » [13]. La Chine est donc encore en attente de sa « crise de 29 », convulsion majeure probablement seule à même de produire l’avancée institutionnelle capable de la faire entrer dans un régime de croissance autocentrée, tirée par la demande salariale interne. A ce moment, et à ce moment seulement, auront été installées les conditions macroéconomiques structurelles d’un capitalisme chinois doté d’une force de développement interne suffisamment grande pour projeter vers l’extérieur ses aspirations hégémoniques, tolérer l’appréciation de sa monnaie et en faire la nouvelle devise-clé.
Avis de turbulence sur les changes
Mais ce moment ne surviendra pas avant une décennie au moins. Dans l’intervalle, les élites chinoises gèrent avec un parfait sens du long terme la transition nécessairement étirée entre un ordre économique international qui se délite – celui des Etats-Unis – et un autre qui émerge – le leur. Toute la subtilité de la manœuvre consiste à d’ores et déjà prendre acte de l’effacement programmé du dollar et à accompagner son lent déclin sans pour autant que le renminbi ne se réévalue trop fortement puisque l’actuelle configuration du régime d’accumulation chinois ne le permet pas. C’est probablement ainsi qu’il faut comprendre les étonnantes interventions du fonds souverains chinois à la rescousse de la Grèce et du Portugal (sans doute pour des montants limités mais tout de même) : non pas comme un pur jeu de court terme sur les parités mais comme une stratégie transitionnelle de moyen terme visant à maintenir l’euro dans un statut de pôle monétaire international alternatif destiné à éviter un effet de report massif du dollar vers un renminbi pas encore « mûr ». Pour dire les choses de manière imagée, la Chine soutient l’euro comme syndic de faillite du dollar et comme administrateur temporaire – or l’euro, lui-même, étant bien près de voler en éclat, il fallait bien lui donner un coup de main, manière de lui faire rendre son office de stabilisateur de la période intermédiaire… En tout état de cause, l’erreur à ne pas commettre consistait à analyser le mouvement chinois comme le seul indice d’une monnaie européenne agonisante quand il exprime en premier lieu une anticipation de défiance à l’endroit du dollar.
Standard & Poor’s, PIMCO, la Chine : beaucoup de suffrages négatifs prononcés contre les Etats-Unis et une convergence qu’on ne saurait tenir pour négligeable. L’histoire retiendra peut-être ces mois de mars-avril 2011 comme le commencement de la fin du dollar. Dans l’intervalle, que peut-il advenir d’un marché des capitaux qui ne sait plus à quel « actif sans risque » se vouer et dont la devise-clé menace de perdre son statut ? Les opérateurs et les commentateurs de la finance se perdent en conjectures quant à la malheureuse devise qui fera l’objet d’un krach monétaire. Il n’est pas certain que l’hypothèse du krach-X (avec X = dollar, euro, livre ou yen) soit la bonne. L’effondrement d’une monnaie dominante suppose en effet la possibilité d’un « report vers la qualité » (flight to quality)… mais c’est là l’autre nom du retour à l’actif sans risque, or précisément, d’actif sans risque, il n’y a plus ! En l’absence d’ancrage unanimement reconnu, nous sommes plutôt sur le point d’entrer dans un régime de déplacements erratiques de la préférence pour la liquidité. Un scénario plus probable pourrait donc consister en une instabilité grandissante des changes, succession de krachs « partiels » limités, pilotée par l’enchaînement des mauvaises nouvelles régionales : un jour on apprendra que l’impasse financière des retraites capitalisées étasuniennes est encore plus grande que prévu et la solvabilité globale du pays sera questionnée avec plus d’acuité, le dollar chutera avec remontée mécanique de l’euro ; le lendemain ce sont de nouveaux développements de la crise des dettes souveraines européennes qui feront la une et le dollar remontera ; un peu plus tard l’alarme viendra des banques du Royaume-Uni ou bien du ralentissement de sa croissance et ce sera le tour de la livre – probablement le maillon le plus faible du système des « grandes monnaies » puisque l’économie britannique cumule tous les problèmes : banques bien amochées, inflation renaissante, déficit très important, austérité sauvage, croissance brisée, mais avec, à la différence de la zone euro, une monnaie à surface comparativement faible, un marché de changes moins vaste et moins profond, où les mouvements spéculatifs peuvent faire de sérieux dégâts, bref tout ce qu’il faut pour qu’une crise de change y soit et plus probable et plus spectaculaire qu’ailleurs.
A part quoi, évidemment, « la crise est derrière nous ».
La pompe à phynance, Les blogs du Diplo. Paris, 26 et 28 avril 2011,
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, 26 avril 2011.
– Partie 2, 28 avril 2011
[1] Avec respectivement, en % de PIB, pour 2009, des couples déficit-dette de (11% ; 68,3%) pour le Royaume-Uni, (11,3% ; 84,6%) pour les Etats-Unis, (9,4% ; 76,1%) pour le Portugal et (11,1% ; 53,2%) pour l’Espagne.
[2] Budget 2011, HM Treasury, mars 2011, p. 2.
[3] Le pic serait atteint en 2013-2014 à 70,9% du PIB pour redescendre à 70,5% en 2014-2015 et à 69,1% l’année suivante, Budget 2011, op. cit.
[4] Données World Economic Outlook 2011, FMI. Et même si l’on ne saurait traiter du déficit courant étasunien comme de n’importe quel autre du fait du statut international du dollar.
[5] A la condition, il est vrai, que les revenus courants soient convenablement protégés par des clauses d’indexation, celles-là mêmes qui ont été détruites au milieu des années 1980.
[6] Données World Economic Outlook 2011, FMI.
[7] On nomme ainsi les cas où la valeur de l’actif s’est dépréciée et est devenue inférieure au montant de la dette qui a servi à le financer.
[8] Une note de Natixis indique les déficits de 21 Etats (sur 50) dont le cumul aboutit à un total de 165 milliards de dollars. Mais on est surtout surpris de l’ampleur des pertes de recettes fiscales mesurable par le ratio du déficit aux recettes notionnelles (des ratios communément à deux chiffres et qui peuvent atteindre 28% pour la Floride, 39% pour l’Etat de New York, 53% pour la Californie… et 65% pour l’Arizona !), voir Patrick Artus, « Les marchés financiers devraient être encore plus inquiets au sujet des Etats-Unis », Flash Natixis, n° 546, 18 octobre 2010.
[9] Robert Novy-Marx et Joshua Rauh, « The Risks and Liabilities of State Sponsored Pension Plans », Journal of Economic Perspectives, vol. 23, n° 4, 2009 ; “The Crisis in Local Government Pensions in the United States, Working Paper NBER.
[10] « Bernanke May Sustain Stimulus to Avoid “Cold Turkey” End to Aid », Bloomberg, 19 avril 2011.
[11] « United States of America AAA/A-1+ Rating Affirmed ; Outlook Revised to Negative », Global Credit Portal, RatingsDirect, Standard & Poor’s, 18 avril 2011.
[12] « Des professeurs de math enseignent à leurs étudiants comment faire des coups boursiers. Ce qu’ils font relèvent, sans qu’ils le sachent, du crime contre l’humanité », Michel Rocard, « La crise sonne le glas de l’ultralibéralisme », Le Monde, 1er novembre 2008.
[13] On ne verra pas dans ce « mature » quoi que ce soit qui pourrait ressembler à une fin de l’histoire. Les agencements institutionnels sont toujours des modes de régulation transitoires des contradictions fondamentales du capitalisme, et par là toujours voués à être tôt ou tard débordés par ces contradictions renaissantes, développées dans une direction particulière favorisée par la dynamique même du régime d’accumulation.