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Nouveau cheval de bataille des gourous
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L’insistance sur l’impérieuse nécessité qu’a l’Argentine d’attirer des Investissements Étrangers Directs (IED) pour consolider la croissance, outre le fait d’être fausse telle qu’elle est formulée, dissimule la "promotion" de politiques économiques, qui en plus d’avoir spectaculairement échoué, servent uniquement les grands intérêts nationaux et internationaux. Les auteurs soutiennent que le pays dispose de ressources financières nécessaires pour la croissance et que les investissements étrangers viendront comme conséquence de celle-ci et non l’inverse.
Par Alfredo Eric Calcagno * et Eric Calcagno **
Le Monde Diplomatique. Le Dipló, décembre 2005.
Tant le système de convertibilité (1 peso = 1 dollar), jusqu’à sa chute fracassante en décembre 2001, que le sujet de la dette externe, jusqu’à ce que -après cette débâcle- la renégociation fut devenue inévitable, ont été de solides tabous pour le pouvoir en place en Argentine.
Et puisque pour l’establishment local il est difficile de vivre sans dieu, même si on est païen, la divinité qui doit être acceptée maintenant sans plus -et dont on ne doit pas parler (c’est-à-dire la mettre en question) est le capital étranger, les fameux investissements. Soutenus dans leur prêche par les prêtres du Fonds Monétaire International (FMI), les gourous de l’establishment affirment avec la même insolence qu’ils soutenaient les bienfaits de la convertibilité, que sans investissement étranger direct il n’y aura pas de développement possible, puisqu’ils les considèrent comme la base de l’investissement global.
Pour nous situer, voyons le panorama actuel: entre 1992 et la moitié de 2005, les flux totaux d’investissements étrangers directs (IED) se sont élevés à 87.000 millions de dollars ; le stock d’IED, mesuré dans les valeurs comptables et grâce à la dévaluation, arrivait en 2004 à 51.000 millions de dollars, dont 22% provenait des Etats-Unis, autant d’Espagne, 9% des Pays-Bas et 6% de la France.
Quant à leur utilisation, 32% allait à l’industrie manufacturière (spécialement chimie, agroalimentaire et industrie automobile), 27% au pétrole, 10% à l’électricité, au gaz et à l’eau, et 8% aux transport et communications. Le prêche sur la nécessité absolue de l’investissement étranger et des concessions nécessaires pour l’attirer est faux à plusieurs titres.
Premièrement, on part du postulat selon lequel l’Argentine dépend de l’ "économie externe" sous forme d’IED et de prêts internationaux pour financer l’investissement interne nécessaire à la croissance. Les arguments propagés quotidiennement dans les médias par les gourous soutiennent que la capacité de production excédentaire est épuisée et avec elle la relance économique.
Il serait alors urgent d’augmenter l’investissement; mais l’épargne nationale est insuffisante pour le financer dans les proportions nécessaires, et pour cela le pays a besoin de l’épargne extérieure. La recommandation finale est qu’il faut être plus "amical" avec les marchés financiers et les multinationales, de manière à générer de la confiance.
Traduit en clair, ceci veut dire s’arranger avec le FMI, accorder les augmentations de tarifs et autres compensations qu’exigent les entreprises privatisées, augmenter les taux d’intérêt, réévaluer le peso, augmenter encore plus l’excédent fiscal et alors les capitaux viendront, l’investissement augmentera et le pays croîtra.
Les sources de l’épargne
Cette vision intègre quelles sont les causes déterminantes de l’épargne et de l’investissement. Comme on peut le voir dans le graphique. L’augmentation de l’ "épargne externe" pendant les années 90 n’a pas entraîné un accroissement comparable de l’investissement, mais en réalité, a servi dans une grande mesure à financer la consommation des classes les plus riches.
On n’a pas ajouté une quantité prédéterminée d’ "épargne nationale" pour augmenter l’investissement, mais cela a conduit à une diminution de cette épargne nationale. Par contre, la progression de l’investissement à partir de 2002 n’a pas reposé sur l’épargne externe mais a eu comme contrepartie une importante augmentation de l’épargne nationale. La relance de l’économie a été possible malgré la diminution des revenus de beaucoup de familles, étant donné l’augmentation des bénéfices non distribués par les entreprises et l’excédent fiscal.
Cela fut davantage le résultat d’un processus économique de croissance que son pré-requis. Les politiques qui supposent l’augmentation de l’épargne à travers des taux d’intérêt plus élevés -la concentration des revenus et l’ajustement fiscal étant récessives- ne font rien de plus que le diminuer, avec l’investissement, parce qu’elles font baisser la demande.
La deuxième erreur est d’identifier l’IED comme des apports réels de ressources.
Si on regarde les différentes rubriques (voir tableau), on remarque que durant la période 1992-2005 les apports réels représentent 39% du total de l’IED; tandis que les entreprises déjà existantes qui ont changé de main (ce qui n’est pas un investissement productif) atteignent 52%. Sur l’ensemble de cette période il n’y a pas eu de réinvestissements (seulement 1%) et la dette des entreprises privatisées avec leurs maisons mères atteignait 8%.
En ce qui concerne la période d’essor de la convertibilité (1992-2000), les apports réels ont été compensés par le paiement des intérêts et des dividendes. Sans compter qu’une grande partie de la dette avec les maisons mères (auto prêts) ont donné lieu à des versements occultes d’intérêts des filiales qui d’autre part, dans la mesure où elles généraient des coûts financiers, diminuaient les profits comptables et, par conséquent, le montant d’impôts.
Motifs pour investir
De ces chiffres, il résulte alors que l’apport de l’IED à l’investissement réel entre 1992 et 2000 a été infime: il équivaut à 0.9% du Produit Brut Interne (PBI), soit moins de 5% de l’investissement total. La thèse que le développement argentin dépend de ces capitaux s’avère absurde.
La réalité est qu’ils sont venus pour acheter des entreprises qui fonctionnent, publiques ou privées, dans la mesure du possible en situation monopolistique et à forte rentabilité ; mais en dehors ces achats et de l’endettement avec les maisons mères, l’apport de capitaux au développement national a été insignifiant.
En troisième lieu, les capitaux extérieurs vont là où ils peuvent faire de bonnes affaires ; ils viennent parce que l’économie est en croissance, ce n’est pas parce qu’ils viennent que l’économie est en croissance; de sorte qu’appliquer des plans récessifs pour attirer des capitaux extérieurs est en soit une erreur majeure.
C’est aussi une erreur que leur accorder des conditions fiscales très favorables, comme cela se produit avec les entreprises minières, ou de renoncer à la souveraineté juridique pour leur accorder davantage de garanties. Avec un traitement préférentiel, on parvient seulement à produire des enclaves qui ont un faible effet sur l’emploi, la production et les recettes fiscales, au risque de perdre des ressources naturelles non renouvelables et de détériorer l’environnement. En renonçant à la juridiction nationale, les traités bilatéraux d’investissements des années 90 ont valu des procès portant sur des dizaines de milliards de dollars devant un arbitre qui, en Argentine, est inconstitutionnel [1] et qui invariablement condamne les pays sous-développés.
Il est évident que tout cela importe peu aux économistes néolibéraux, parce qu’ils sont dans le cadre irrationnel des rites primitifs ou, plus prosaïquement, dans celui de l’intérêt corporatif ou personnel. Maintenant non seulement le Grand Prêtre du FMI agit mais ils ont ajouté l’exécuteur des sacrifices, le ’Centre International d’Ajustement de Différences Relatives à des Investissements’ (CIADI).
Politiques possibles
Face à l’investissement étranger -de même que pour ce qui concerne la dette-, il est important d’encadrer les politiques dans un schéma global. Avant tout, il est nécessaire de déterminer quel est le schéma productif qui sera exécuté. De là, se dessine l’orientation des investissements. Dans le cas argentin, la nécessité d’un modèle de production basé sur la réindustrialisassions et sur une distribution plus juste des bénéfices qui, en plus de commencer à satisfaire le précepte démocratique d’égalité, produirait de la demande interne - est une évidence. Avec ce critère, les investissements devront être orientés vers le secteur industriel et les infrastructures. La hiérarchie du système productif progressera avec l’implantation d’industries complexes du type de celles qu’existaient déjà, qui dans quelques cas requièrent une forte densité de capital et qui ne sont pas une nouveauté.
L’Argentine possède, fait la maintenance et administre des usines d’énergie atomique ; à une autre époque elle a fabriqué des avions, des navires de portée moyenne, des plates-formes pétrolières, des turbines et des barges ; on a monté des industries de biens du capital, machines agricoles, électroniques, chimiques, pétrochimiques, sidérurgie, cellulose et papier. Il faut maintenant compléter cet ensemble d’activités avec d’autres comme le software, les communications et les applications de la biotechnologie, la technologie nucléaire, l’agroalimentaire et matériaux diverses ; la nanotechnologie ; la métallurgie. On devra aussi investir dans des industries plus simples, avec des productivités pas très importantes, mais créatrices d’emploi.
En même temps, l’investissement public devra construire des infrastructures à une grande échelle (par exemple, logement, routes, chemins de fer), le renouvellement de l’énergie face au futur épuisement du pétrole et du gaz, ce qui signifie des barrages hydro-électriques et des usinas atomiques, de l’énergie éolienne et solaire.
Ceci pour ce qui est des objectifs. Sur l’origine des fonds, on doit rappeler que l’axe du financement argentin a toujours été les ressources propres, et qu’il ne faut pas compter sur des IED comme un moyen important pour financer le développement. Les IED viendront si le pays grandit et alors il faudra négocier et imposer les conditions utiles et nécessaires au projet national.
* Ex fonctionnaire de l’ONU à l’ECLA et la CNUCED.
Auteur de L’Univers Néolibéral (en collaboration) et La dette perverse.
** Diplômé de l’École Nationale d’Administration en France.
© LMD ed. Cône Sud
Traduction pour El Correo de l’espagnol: Estelle et Carlos Debiasi
Notes:
[1] Voir: Alfredo Eric Calcagno et Eric Calcagno, Clarin, Buenos Aires. 22.03-05, et Le Monde Diplomatique, édition Cono Sur. Buenos Aires, juin 2005.