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L’attaque des fonds vautour sur l’Argentine révèle l’incapacité qu’ont les États souverains à se défendre face à un système juridique international qui protège seulement les entreprises.
Le récent jugement à New York du juge du district Thomas Griesa que la Cour (d’Appel) a suspendu mercredi a suscité l’inquiétude, y compris parmi certains membres de l’establishment. Leur crainte est que les contours en vigueur dans la refonte des dettes souveraines se trouvent mis à mal parce que la sentence récompense les fonds vautour en même temps qu’elle punit le bon comportement de ces créanciers qui ont choisi le processus de restructuration de la dette argentine. C’est une recette qui va stimuler le comportement futur des fonds vautour. Mais il y a une autre dimension dans la décision du juge Griesa que l’establishment voudrait supprimer. La décision du magistrat montre aussi comment les élites mondiales ont réussi à construire un système légal qui protège leur richesse et propriété, sans tenir conte de l’impact sur la santé de l’économie mondiale. Même un pays important comme l’Argentine pourrait être forcé de se mettre à genoux par un système créé pendant l’ère du néolibéralisme.
La mondialisation néolibérale a pour objectif d’augmenter le pouvoir du capital, tandis qu’elle diminue le pouvoir des états souverains. Elle le fait en utilisant le masque des droits individuels. Les entreprises conservent tous leurs droits de sociétés et, aux États-Unis, se trouvent renforcées par le fait d’être désignées comme personne ayant droit à la libre expression. Les individus se trouvent renforcés à ce qu’on suppose par les droits pour les investisseurs. Cependant, dans la réalité, la position des individus ordinaires (les travailleurs) est rongée et les droits des investisseurs protègent seulement les sociétés et les super riches.
Les états souverains sont aussi affaiblis et subordonnés par les entreprises. Les pays subissent des pressions pour qu’ils acceptent des lois de propriété intellectuelle dessinées par les entreprises pour leur propre bienfait, les investisseurs étrangers (les multinationales étrangères) reçoivent des droits spéciaux qui leur permettent d’attaquer les états s’ils ne se remplissent pas les conditions du contrat ou s’il y a des violations des droits de propriété, et les pays sont soumis à l’esclavage de leur dette parce qu’ils n’ont pas d’accès à la possibilité d’annuler leurs obligations à travers d’une faillite. De plus, les pays ont chaque fois moins de force pour résister à ces conditions parce qu’ils ont besoin de participer au système international pour se développer, mais le prix de cette participation est d’accepter ces règles.
Le nouveau système expose les pays à un « pillage légalisé ». Les investisseurs étrangers qui agissent en tandem avec leurs alliés locaux ont seulement besoin de capturer les gouvernements pour une brève période. Pendant ce temps le gouvernement peut recharger le pays avec une énorme dette et distribuer le patrimoine étatique. Quand par hasard le gouvernement est remplacé, les règles en vigueur en matière d’investissements étrangers empêchent de mettre fin à ces actions. En revanche, la société doit payer l’addition. C’est l’histoire argentine.
Une mondialisation qui cherche à renforcer réellement les droits et le bien-être des gens n’obligerait pas les pays à adopter ces lois punitives de propriété intellectuelle comme prix d’accès au système de commerce mondial, elle n’octroierait pas aux investisseurs étrangers des droits spéciaux pour attaquer les gouvernements, obligerait les pays à faire respecter les droits de l’homme et le droit du travail, faciliterait le fait de disqualifier des dettes odieuses et de récupérer les actifs pillés, et permettrait aux pays de se défaire de ses dettes à travers un processus de faillite souveraine, comme le font les entreprises à travers des processus de faillite commerciale. Mais c’est exactement ce que rejette le néolibéralisme, puisque cela limiterait le pouvoir du capital.
La tragédie de la période actuelle, c’est que de plus en plus de pays sont entraînés vers le système néolibéral, ce qui enracine encore plus ce système et augmente son pouvoir. Les États-Unis offrent un accès commercial à leurs marchés et en échange exigent une protection pour les investisseurs et la propriété intellectuelle. Cet accord convient parfaitement aux élites des Etats-Unis par ce qu’elles n’ont aucun intérêt à produire aux États-Unis. Elles ne se préoccupent pas des travailleurs des États-Unis. Tout ce qu’elles veulent, c’est d’être capable de produire mondialement, en payant des salaires aussi bas que possible. Les pays émergents s’inscrivent dans ce jeu parce qu’ils obtiennent l’accès aux marchés des États-Unis et peuvent aussi parvenir à recevoir quelque investissement étranger direct. Mais c’est un pacte avec le diable. Les pays remettent leur souveraineté, s’emmêlent dans un système juridique défavorable et les bénéfices sont maigres à cause de la concurrence d’autres pays de marchés émergents.
Tous ces arguments parlent de la faillite morale du système légal qui soutient la décision du juge Griesa contre l’Argentine. Cependant, la doctrine de l’« intérêt public » peut encore offrir les bases légales pour retourner cette décision. L’argument est que mettre en pratique la décision du juge Griesa lèse l’intérêt public, en pénalisant les créanciers qui se sont bien comportés et en encourageant les fonds vautours dans le futur. Cette impulsion compliquera les futures restructurations de dette, comme celles dont peuvent avoir besoin des pays comme la Grèce et Chypre, ce qui pourrait avoir de graves conséquences économiques mondiales. Le monde doit soutenir l’Argentine. Les moments décisifs sont difficiles à comprendre dans l’instant même. Le jugement sur la dette argentine peut être un moment décisif quand le monde commencera à se défaire de la mondialisation néolibérale et choisira une nouvelle direction.
Thomas I. Palley pour Página 12
Página 12. Buenos Aires, le 3 décembre 2012.
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QUI EST THOMAS PALLEY ? Par Tomás Lukin Thomas Palley est un économiste hétérodoxe qui s’inscrit dans le courant postkeynésien. Chercheur spécialisé en macroéconomie, finances internationales et développement, il met en cause les politiques néolibérales et se trouve être un actif défenseur des politiques qui soutiennent le plein emploi et la présence de l’État dans l’économie. Palley est le promoteur du projet « Economics for Democratic et Open Societies » qui cherche à stimuler le débat sur les conditions et politiques économiques nécessaires pour promouvoir la démocratie et une société ouverte. Dans ce sens, l’économiste a considéré dans un article récent écrit pour ce quotidien que « une globalisation administrée implique qu’existent des standards élevés de travail, la coordination des taux de change et des contrôles de capitaux ; récupérer l’objectif de plein emploi et remplacer la flexibilité de travail par un programme solidaire du marché du travail où existe un pouvoir de négociation équilibré, des salaires minimums adéquats, une assurance chômage et un respect des droits du travail. Un programme social-démocrate implique que les gouvernements assurent la constitution de réseaux de contention sociale en matière de santé, d’éducation et de retraite ». Certaines de ses publications, ainsi que ses articles d’opinion, peuvent être lus en anglais sur son site Web : www.thomaspalley.com. |
Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi
El Correo. Paris, le 3 décémbre 2012.
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