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7 janvier 2008

Le monde entier commence à tourner le dos à un dollar faible.

 

Por Michel Porcheron
Alterinfo
. France, le 5 Janvier 2008

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Face à un système bancaire mondial au bord de l’asphyxie [1] les banques centrales des plus grands pays industrialisés ont lancé, mercredi 12 décembre, une vaste opération concertée sur les marchés du crédit pour tenter d’apaiser les tensions croissantes nées de la crise des trop célèbres "subprimes", ont annoncé les quotidiens occidentaux.

La Réserve fédérale américaine, la Banque centrale européenne (BCE), la Banque nationale suisse, la Banque d’Angleterre et la Banque du Canada ont annoncé toute une série de mesures techniques destinées à offrir des liquidités - de l’argent frais - au système interbancaire. Du jamais-vu depuis les attentats du 11 septembre 200, a commenté le quotidien français Le Monde (13 décembre).

Mais 24 heures seulement après l’annonce de fournir ces quelque 64 milliards de dollars de liquidités supplémentaires, la confusion n’a pas été franchement levée. Cette initiative n’a pas eu beaucoup d’effets sur les marchés. Les marchés financiers, redoutent deux risques majeurs : une déstabilisation du système bancaire mondial, et une propagation de la crise à l’économie réelle [2] Ils vivent au rythme de la crise des désormais incontournables « subprimes », ces fameux prêts immobiliers accordés Outre-Atlantique à des foyers qui se sont avérés insolvables, causant la faillite de plusieurs banques prêteuses. Quand les experts évoquent cette crise ils parlent d’effet papillon (effet considérable né d’une cause minime ou lointaine) des subprimes, qui rappelle, si besoin était, les limites du volontarisme politique.

Comment les déboires des petits propriétaires américains peuvent menacer l’économie mondiale

Comment en est-on arrivé là ? Ces mesures des banques centrales seront-elles, dans un autre contexte, efficaces compte tenu que la persistance de l’inflation demeure à un niveau inquiétant ? C’est peu probable.

Un simple euro pour obtenir 1,4967 dollar (au 23 novembre, sur les places asiatiques) - nouveau record historique- jamais la devise américaine n’a été aussi faible.

Dans un billet à la une de ses pages Economie, le quotidien français Le Figaro (21 novembre) souligne en premier lieu que « l’économie américaine inquiète ». Pour le quotidien, les craintes de voir l’Amérique tomber en récession augmentent. Le billet vert est tombé à un son plus bas historique depuis plus de trente ans.

Cette dégringolade est notamment liée à la grave crise de l’immobilier américain, qui affecte les banques et les grandes agences de crédit hypothécaire, « véritables poumons financiers » des Etats Unis (Le Figaro, 22 novembre) D’ores et déjà, la Réserve fédérale américaine a annoncé que la croissance aux Etats Unis pourrait ne pas dépasser les 2% en 2008 (au lieu des 2, 5 prévus).

Mais il faut savoir paradoxalement que l’effondrement du billet vert et la flambée de l’or noir ont la même origine : les baisses des taux d’intérêts aux Etats Unis, au nombre de trois depuis la mi-août. Depuis le 16 août en effet, l’euro a gagné 10,6 % et le baril 37 %. Quant au baril, la hausse est alimentée par les fonds spéculatifs (les fameux hedge funds) « devenus des acteurs majeurs du marché de l’or noir » (Le Monde 23 novembre) .

Jusqu’où ira la baisse de la devise américaine ? Rien ne semble devoir stopper son recul jusqu’à 1,50 dollar pour un euro. « Nous déplorons les changements soudains intervenant sur les marchés des changes », a déclaré le 20 novembre le président de l’Eurogroupe (groupe des ministres des finances de la zone euro) Jean-Claude Juncker.

Le Figaro indique que le numéro deux du refinancement hypothécaire Freddie Mac a annoncé le 20 novembre une perte de 2 milliards de dollars au troisième trimestre, « victime de la multiplication des défauts de paiement des ménages, et signe supplémentaire que la crise liée aux subprimes continue de faire des victimes ». Cette annonce illustre la gravité de la situation dans l’immobilier américain et son système de crédit [3].

Les établissements financiers ont perdu au minimum 200 milliards de dollars dans la débandade liées aux subprimes, ces crédits immobiliers accordés, il faut le rappeler, à des familles considérées trop pauvres pour les rembourser. L’impact indirect attendrait 1800 milliards de dollars, selon la banque new-yorkaise Goldman Sachs.

D’autre part, les manifestations de défiance se multiplient face à un dollar faiblissant. Jusqu’en Chine qui a décidé de payer le 26 novembre en euros (et non en dollars, monnaie à laquelle est arrimée leur devise le yuan) un gigantesque contrat de 7 milliards d’euros signé avec Areva dont la directrice du directoire est la Française Anne Lauvergeon (livraison de deux centrales nucléaires, ainsi que du combustible). « Nouveau coup de canif dans le statut de la monnaie américaine, qui ne cesse de se déprécier, comme référence internationale » (Le Figaro, 23 novembre).

L’avionneur européen Airbus lui-même est ébranlé par la faiblesse du dollar. Il faut s’attendre « à des pertes énormes », en raison des effets de changes, a déclaré Thomas Enders, dirigeant d’Airbus.

En Inde, à l’entrée des sites historiques comme le Taj Mahal, les touristes qui payent en billets verts ne sont plus les bienvenus aujourd’hui. Au dollar, les Indiens préfèrent une monnaie plus solide…la roupie indienne.

Le dollar vacille de son piédestal

Le 16 novembre dernier, Le Figaro encore, peu connu pour se réjouir des difficultés américaines, proposait une analyse alarmante sous le titre : « Le monde entier tourne le dos au dollar faible ». Le journaliste spécialisé Georges Quioc écrivait que « le dollar vacille de son piédestal international », apportant des exemples concrets qui touchent, selon lui, « les expatriés américains, les touristes, les salariés russes, les travailleurs immigrés du Golfe et même les top- models… » Ainsi, les membres de l’Opep, soucieux de leurs recettes d’exportation- alors que le baril d’or noir est à son apogée [4] en dollar constant (99, 29 à New York le 20 novembre)- les « people » (l’ancienne jet ou high -society) et les pays émergents (l’ancien Tiers Monde) cherchent des alternatives au billet vert.
Actuellement, les membres de l’Opep sont divisés : le Venezuela est en faveur du remplacement du dollar par un panier de devises. D’autres sont pour le maintien du dollar comme monnaie de facturation, mais en indexant le cours du pétrole sur un ensemble de monnaies. Exemple qui figure dans un calcul de l’Opep : le prix en dollars du baril a augmenté en septembre de près de 9 % par rapport au mois précédent mais de seulement 6,5 % par référence à un panier de monnaie comprenant le dollar, l’euro, le yen, la livre sterling et le franc suisse.

A signaler que l’Iran a décidé d’encaisse ses recettes pétrolières en euros, yens ou autres devises, mais plus en dollars. Et le Venezuela a opté largement pour l’euro alors qu’il est à la fois client et fournisseur des États-Unis.

Si pour l’instant l’Arabie saoudite, alliée des États-Unis et acteur dominant du cartel, avec un quart des exportations de l’Opep, temporise, dans la région du golfe Persique l’inquiétude est apparue. Dubaï tente de trouver des solutions au problème que soulève la parité fixe de sa monnaie avec le billet vert. Des milliers d’ouvriers immigrés travaillant dans le bâtiment à Dubaï, rappellent G.Quioc ont violemment manifesté au début du mois. Ils réclament des hausses de salaires. Pourquoi ? Ces travailleurs immigrés, selon la Banque mondiale, envoyent 20 milliards de dollars/an à leurs familles au Pakistan, en Inde ou au Bangladesh. La chute du billet vert et du dirham font ainsi que le pouvoir d’achat des transferts diminue. Or les états de cette région font travailler 700.000 travailleurs étrangers dans la seule construction, soit 17,50 % de la population.

En Russie, selon le Figaro, qui rappelle que ses citoyens, comme dans d’autres pays, changeaient massivement il y a peu leurs roubles contre des dollars, aujourd’hui 80 % des feuilles de paye sont établies en roubles contre 15 % seulement en billets verts, selon une étude du cabinet de recrutement russe Ancor. En 2005 près de 45 % des salaires étaient versés en roubles contre 44 % en dollars.

Qui dit dollars, dit fortunes des top-modèles ou vedettes du showbiz. Selon l’hebdomadaire brésilien Veja, le top-modèle Gisele Bündchen, 27 ans, qui gagne l’équivalent de 33 millions de dollars par an, a demandé à être payé en euros pour une campagne de Procter & Gamble Procter-and-Gamble Oct-07 , société américaine dont le siège est à Cincinnati. Mais sa monnaie préférée est le real brésilien, dont la valeur a doublé par rapport au dollar depuis l’arrivée du président Lula au pouvoir, en 2003, toujours selon Georges Quioc.

Enfin, les Américains expatriés sont aussi les victimes du dollar faible. Comme les touristes des Etats Unis qui séjournent hors de leur pays. Pour l’heure, conclut Le Figaro, un changement de monnaie dans les statistiques internationales ou dans les échanges mondiaux est encore prématuré, selon les économistes.

« Mais à terme pour les États-Unis c’est une remise en cause de la suprématie du dollar comme référence internationale », insiste un d’entre eux.

Selon les experts, le 21 novembre 2007, les bourses mondiales ont vacillé, plus que de coutume, en raison des effets du duo dollar faible-baril cher, faisant de ce mercredi un « mercredi noir » dans les annales boursières. C’est l’ensemble des milieux financiers internationaux qui sont de plus en plus nerveux.

Toutefois et ce n’est pas contradictoire, un dollar faible est - pour l’instant- bon pour les Etats Unis…En août dernier, les exportations américaines spécialement dopées ont cru de 12,8 % sur un an et les importations de seulement 3 % (Le Monde, 21 octobre). D’autre part, et toujours pour le moment, Washington n’a pas de difficultés à importer les capitaux dont elle a besoin. Pour, entre autres, l’économiste de Harvard qui préside le NBER (National Bureau of Economic Research), Martin Feldstein le seul stimulant de la croissance américaine est la faiblesse du dollar. Le seul facteur qui pourrait conduire les autorités américaines à stopper la baisse du dollar, c’est, comme c’est bien connu, le risque d’inflation lié par exemple à l’envol des cours des matières premières.

Dans le même temps, les entreprises européennes connaissent des difficultés au moment d’exporter. L’euro est trop haut. Pour la première fois les exportations allemandes - principal moteur de l’économie de ce pays- que l’on croyait à l’abri, sont touchées. Il est clair que l’Europe va sonner sérieusement la sonnette d’alarme contre un euro « trop fort ». « Face au dollar, au yen ou au yuan, l’euro est la seule monnaie du monde qui ne soit pas prise en charge par une autorité politique », écrivait le 19 novembre dans La Tribune le Français Louis Gallois, président de l’EADS. Pour sa part, le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso a considéré que « l’euro fort devient un problème ».

Les chances sont grandes de voir l’Europe présenter un front monétaire uni, ce qui pourrait changer le rapport de forces vis-à-vis des Etats Unis.

En attendant les spécialistes des opérations de change dans les banques (les cambistes) « jouent sur du velours ». Adorant le veau d’or, ils passent leur temps à anticiper et spéculer, mettant en péril le système financier mondial.

Selon la plupart des experts occidentaux, l’action concertée des principales banques centrales pour injecter des liquidités sur le marché du crédit n’a visiblement pas porté ses fruits. Les Bourses ont plongé, comme l’indique le quotidien Le Monde, citant plusieurs sources, au lendemain du 12 décembre.

Les investisseurs estiment que cette démarche ne permettra pas forcément de sortir les banques du bourbier des subprimes, indique le Financial Times. La décision des banques centrales vient bien tard et traduit une fébrilité, estime encore le FT. La solution viendrait plutôt, selon certains qui ne font pas l’unanimité, d’une plus forte régulation du secteur bancaire en général. D’autres commentateurs en effet estiment qu’il s’agit d’une « mauvaise politique ». D’autre part, le risque inflationniste n’est pas écarté par les analystes, comme le rappelle le WSJ. Les investisseurs qui craignent que les banques centrales soient en fait impuissantes à sortir les banques de leur crise ne devraient pas être rassurés par les déclarations de la Banque d’Angleterre, qui évoque un "cercle vicieux", comme le rapporte le Guardian, rapporte Le Monde.

Tant que l’inflation menacera, une baisse des taux directeurs, outil traditionnel des banques centrales, n’est pas envisageable. Ainsi la solution de la crise n’est pas pour demain. Comme le commente l’hebdomadaire français L’Express, « on n’en a décidément pas fini avec la crise des subprimes ».

Source  : proposé par l’auteur

Article original publié le 20 décembre 2007

Cet article est libre de reproduction, à condition d’en respecter l’intégrité et d’en mentionner l’auteur, le traducteur, le réviseur et la source.

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Notes :

Notes

[1Le rappelle l’hebdomadaire français L’Express, les banques américaines sont évidemment les premières touchées : au cours des dernières semaines, les dirigeants de Merryl Lynch et Citigroup, les plus grandes institutions financières américaines, ont ainsi été contraints à la démission, compte-tenu de l’importance des pertes des deux groupes. Les banques suisses sont aussi concernées au premier chef, car très internationalisées : UBS, en difficulté, a ainsi dû faire appel à un fonds d’Etat singapourien pour venir à son aide. Les banques britanniques, très dépendantes des Etats-Unis, sont également en première ligne. Les déboires de la banque Northern Rock, en situation de quasi-faillite, sont à cet égard emblématiques : ils ont provoqué des mouvements de panique de clients, phénomène inédit depuis la crise de 1929.

[2La crise de la sphère financière peut-elle affecter l’économie réelle ? Pour l’heure le risque est limité, selon les analystes qui ajoutent toutefois que les indicateurs passent les uns après les autres au rouge. C’est le cas notamment aux Etats-Unis : la crise boursière a un impact direct sur le moral des ménages, et pourrait par extension freiner la consommation. Avec un risque de récession qui, dans un contexte de plongée du dollar, se fait de plus en prégnant, a ajouté L’Express. Pour sa part, le président de l’Eurogroupe, Jean-Claude Juncker, s’est dit « convaincu », vendredi 14 décembre, que la croissance en Europe serait « ralentie » par les conséquences de la crise financière actuelle.

[31,4 million, c’est le nombre de ménages américains qui risquent de voir leur logement saisi en 2008, selon un rapport de l’association des maires américains (Us Conference of Majors) établi par la firme Global Insight. Des années de financement désordonné de l’immobilier ont débouché, quand le marché s’est retourné, sur la crise financière dite des subprimes. Les prix de l’immobilier baisseraient l’an prochain de16 % en Californie (l’Etat le plus peuplé) qui perdrait 3 milliards de dollars d’impôts immobiliers locaux. Au total, la valeur de l’immobilier aux Etats Unis chuterait de 1200 milliards de dollars.

Parti des États-Unis, le crédit « crunch » pourrait jeter dans l’enfer du surendettement un tiers des souscripteurs de prêt immobilier. Soit 5,5 millions de Britanniques qui auront du mal à rembourser leur crédit immobilier. Cabinet d’étude des compor­tements de consommation, Min­tel a fait le calcul. Sur 16,5 millions de détenteurs d’emprunts, 1,5 million fait partie de la catégorie « subpri­me » c’est-à-dire à très haut ris­que pour les créanciers. Au quatrième trimestre 2008, le Council of Mortgage Lenders, cité par Le Figaro (30 nov) s’attend à 45 000 saisies.

[4Selon M. Ali Ahani, ambassadeur d’Iran en France, la hausse du baril n’est que spéculative et ne profite qu’aux majors. « Cette envolée du prix du pétrole, déclare-t-il dans le dernier numéro de l’hebdomadaire Challenges, n’a rien à voir avec le niveau de production de l’Opep, ce sont les spéculateurs qui nourrissent la hausse (…) Alors que les Exxon Mobil, Chevron et Total engrangent des milliards, la baisse du dollar fait chuter nos revenus ».

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