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13 avril 2007

Des cobayes du troisième âge utilisés pour un essai clinique illégal.

Le laboratoire WYETH teste illégalement un antibiotique sur des personnes âgées dans un hôpital public en Argentine.

par Mario Wainfeld

 

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Les responsables du PAMI ont dénoncé un hôpital de leur secteur qui a reçu plus de 40 000 dollars de la part d’un laboratoire international pour tester, sans autorisation, un médicament. L’affaire est déjà instruite par un tribunal de Rosario, et le contrat établi entre l’hôpital et le laboratoire, contrat discuté, conclu et signé aux Etats-Unis a été versé au dossier.

Un médicament expérimental élaboré par un laboratoire étranger a été mis au point en traitant des patients du troisième âge dans un hôpital du PAMI. L’expérimentation n’était pas autorisée par l’Institut et ne remplissait pas les exigences légales obligatoires. Elle n’avait pas reçu l’aval administratif prévu par la législation en vigueur et n’a été soumise à aucun contrôle de la part d’un comité d’éthique indépendant. Les installations (et les patients) d’un hôpital public ont été mises au service d’intérêts privés. Tellement privés que le laboratoire incriminé a déboursé un peu plus de 40 000 dollars en honoraires médicaux pour ce travail en établissant un contrat conclu, daté et soldé aux Etats-Unis. Les autorités du PAMI ont rendu l’affaire publique ; une plainte au pénal a été déposée auprès de la Cour Fédérale de la Province de Rosario. Cette affaire soulève une grande émotion et a de grandes répercussions. Des preuves irréfutables existent. Personne ne croit, (sauf en ce qui concerne ce dernier « détail ») que ce cas soit unique.

Bien que cela puisse heurter les non initiés, certains médicaments peuvent être testés sur des êtres humains. Mais il faut préciser : seulement certains médicaments et sur certains patients, dans des conditions qui sont supposées être rigoureuses. Mais celles-ci ne sont pas très rigoureuses, car il n’existe pas de loi qui légifère en la matière ce qui s’avère être une faiblesse. Cette absence de loi est palliée par des règlements administratifs. Ceux-ci stipulent que seules sont autorisées sur des êtres humains les études cliniques concernant des médicaments parvenus au stade avancé de leur mise au point (en phase III, selon le jargon juridique). L’Organisme qui peut délivrer (et qui doit donc superviser) ces autorisations, c’est l’Administration Nationale des Médicaments, des Aliments et de la Technologie Médicale (l’ANMAT). Les autorisations doivent déterminer avec précision dans quels établissements seront faits ces tests et, en outre, l’accord écrit des patients est obligatoire.

Pourtant, dans l’Hôpital Polyclinique « Marcelo Freyre PAMI II », de Rosario, (que nous désignerons désormais par « la Polyclinique ») on a testé un antibiotique, non homologué, appelé Tigeciclina. Ces recherches ont été payées par le laboratoire Wyeth Pharmaceticals dont le siège central se trouve à Collegeville, en Pennsylvanie, aux Etats-Unis. Il possède une filiale en Argentine, la Wyeth Whitehall Société Anonyme). Les essais ont été menés entre 2004 et 2005. Un an après, on a délivré au laboratoire l’autorisation de mettre ce médicament sur le marché.

La tigeciclina est recommandée pour soigner des pneumonies nosocomiales.

Dommages irréparables

Les responsables du PAMI ont été informés de l’affaire suite à deux dénonciations anonymes qui ont abouti sur le bureau de la responsable de l’Institut, Graciela Ocaña. Après des recherches on a pu savoir qu’il y avait une autorisation de l’ANMAT pour tester le médicament dans six centres hospitaliers de Buenos Aires et de Santa Fé. Six et seulement six, aucun n’ayant un lien avec le PAMI.

La dispense accordée à ces établissements ne peut être étendue à d’autres. Pourtant les investigations administratives menées au sein de l’Institut ont abouti à prouver que les essais sur des êtres humains avaient déjà été réalisés.

Ocaña a fait ouvrir une enquête administrative qui maintenant précède le dossier judiciaire. Le procureur Carlos Stornelli, à la tête de l’Unité d’Investigation sur les Délits commis au PAMI (UFI), a pris part à l’enquête.

Après avoir fait les investigations et avoir interrogé les personnes impliquées, il a été établi que :

1- Les tests ont été faits au moins sur 9 patients dûment identifiés.
2- Ont été établis des rapports cliniques parallèles sur ces patients qui ont été remis au laboratoire, par fax. Au moyen du fax de la Polyclinique, qui plus est, ce qui peut s’avérer une circonstance aggravante, mais ce qui n’est pas surprenant parce que, finalement, ce sont les installations de l’Institut qui ont été mises à contribution et ce sont les employés de l’Institut qui ont été requis.
3- Le Directeur de la Polyclinique, le Docteur Ricardo Alberto Oyola, était informé des faits et avait donné son accord.
4- Le médecin qui a dirigé les travaux est le docteur Antonio Policarpio Ludvik, virologue et membre du PAMI de longue date.

Relevé de preuves

Les investigateurs ont pris contact avec les responsables du laboratoire concerné. Après plusieurs allers-retours, le vice-président de la maison mère, un médecin du nom d’Evan Loh, a reconnu par écrit avoir engagé le docteur « Antonio Policarpio Ludvik » en tant que chercheur principal pour mener à bien des tests sur la Tigeciclina en phase III, à la Polyclinique. Il a aussi révélé la somme qui avait été versée à ce dernier, 47 790 dollars US.

L’accord a été établi aux Etats-Unis, le paiement (selon déclaration du laboratoire) a été fait depuis les Etats-Unis par virement électronique. Le laboratoire a reconnu l’accord et le paiement ; il n’a pas fourni de copie du contrat. Stornelli a demandé l’ouverture d’une instruction devant le tribunal administratif et, dans un premier temps, il s’est présenté devant le juge fédéral Norberto Oyarbide pour exiger plusieurs mesures conservatoires pour obtenir des preuves et empêcher la manipulation ou la suppression des documents. Oyarbide a autorisé ces mesures arguant de l’urgence et des risques que tout retard entraînerait et il s’est déclaré incompétent par la suite. Ce qui est logique : étant donné le lieu du délit, sont compétents les tribunaux de Rosario. L’affaire a été déférée à la Cour Fédérale Nº 3, présidée par Carlos Alberto Vera Barros. C’est le cabinet du Procureur numéro 1 qui intervient. La UFI intervient en tant que partie civile. Le procès en est au stade probatoire. Le document qui émane du laboratoire et dont il est fait mention au paragraphe précédent est joint au dossier, selon les déclarations faites à notre journal par des sources judiciaires dignes de confiance.

Une autorisation virtuelle.

Le docteur Ludvik a refusé d’être entendu devant la juridiction administrative. Son collègue Oyola y a consenti. Selon ce que révèle le procès verbal correspondant, que Página/12 a pu consulter, il a déclaré qu’il connaissait la réalisation des tests. Il a allégué qu’il croyait que l’autorisation de l’ANMAT avait été obtenue ; il a déclaré qu’il était convaincu que cette autorisation avait été obtenue, avant qu’il ne prenne la direction de la Polyclinique, par son prédécesseur, le docteur Montserrat. Cette autorisation, comme toute décision administrative, se concrétise et s’authentifie par écrit, mais, comme nous ne cessons de le répéter, elle n’a jamais existé.

Le directeur de la Polyclinique a également reconnu avoir signé et fourni au laboratoire « une autorisation de continuer son expérimentation », c’est-à-dire une autorisation postérieure au commencement de l’expérimentation. Il a nié avoir reçu de l’argent.

Il a expliqué comment était menée l’expérimentation. Les médicaments étaient fournis par le laboratoire ; ils ne passaient pas, (comme c’est la règle logique est l’usage) par la pharmacie du PAMI ; ils étaient remis directement aux médecins. Oyola a expliqué qu’étaient rédigés deux rapports cliniques, l’un des deux était destiné au laboratoire ; il a allégué qu’ils étaient identiques.

Les deux médecins ont été congédiés de la Polyclinique.

En double aveugle.

Outre l’invocation d’une autorisation qui n’existe pas, les arguments allégués par les prévenus pour leur défense sont foncièrement de deux types :

 L’innocuité de l’expérimentation corroborée ultérieurement, au début de 2006, lorsque l’ANMAT a autorisé la mise sur le marché d’un médicament dont le composé essentiel est la Tigeciclina.

 L’existence d’un accord signé par les patients après avoir été dûment informés.

Voyons cela dans l’ordre. La validation à posteriori ne justifie pas l’irrégularité commise, la violation de la réglementation, le non respect des procédures internes du PAMI, la communication d’informations de la part d’un établissement public à un organisme privé. Mais il y a plus : la façon non contrôlée dont furent faits les tests jette la suspicion sur l’information ainsi obtenue.

La méthode retenue pour l’expérimentation est appelée « en double aveugle » et consiste, entre autres choses, à tester simultanément deux cohortes de patients : ceux qui prennent le médicament testé et ceux qui sont traités avec les médicaments traditionnels. Le but est de faire apparaître les différentes évolutions, les contre-indications, etc.

Pour que le test ait une valeur, il est nécessaire qu’il soit fiable, sur la base de prévisibles considérations statistiques. Un élément fondamental c’est la qualité aléatoire des patients choisis. Le règlement en vigueur exige la constitution d’un Comité d’éthique indépendant pour superviser une si délicate question. Sa désignation est une des nombreuses responsabilités qui incombe à l’hôpital autorisé. Dans le cas qui nous occupe, l’établissement qui n’était pas au courant de l’existence du protocole était encore moins en mesure de le contrôler. Le contrôle strict est indispensable pour parer à ce que soit élaborée indûment une information qui sera ensuite soumise à l’ANMAT.

Une analyse préliminaire sur les patients concernés réalisée par des experts du PAMI, fait naître des doutes sur le sérieux de l’expérimentation. La population traitée, nous l’avons déjà dit, doit être représentative d’un ensemble plus vaste ; elle ne peut pas être « biaisée ». Cependant, dit le rapport des experts, « il est fort possible que leur âge et leur état mental déficitaire ait pu « biaiser » considérablement les résultats ». C’est-à-dire qu’il pourrait bien s’agir d’un groupe dépourvu de la nécessaire représentativité que doit avoir un échantillon valable.

Il est aussi consigné « qu’on n’a pas pris en compte des données en rapport avec des effets toxiques de l’antibiotique », c’est-à-dire qu’on a omis de rendre compte de certaines contre-indications.

Au delà de la pertinente de ces observations, l’expérimentation n’a pas bénéficié des contrôles exigés normalement. La justice devra apprécier quel impact a pu avoir cette carence sur la décision ultérieure de l’ANMAT d’approuver le médicament.

Un accord piccolo, piccolo

Le laboratoire et les professionnels affirment que les patients ont souscrit « un accord informé et en pleine connaissance de cause ». Página/12 a eu accès au questionnaire en question, pré-imprimé et fourni par le laboratoire et dont la copie est jointe au dossier. Il s’agit d’un document touffu de 18 pages, en caractères de petite taille. Il est consigné qu’il s’agit d’une traduction d’un original en anglais et il s’avère que l’accord en pleine connaissance de cause est une condition requise partout en vigueur dans le monde.

Le document débute par la phrase, en caractères gras : "Vous êtes invité à participer à une étude clinique d’un antibiotique appelé tigeciclina pour le traitement de votre pneumonie ». Suit une avalanche d’explications sur la procédure, sur les éventuels « risques associés à l’étude », dispenses etc.… La densité de ce procès-verbal contractuel dont la lecture est presque impossible pour Página/12, alors que nous avons reçu une formation d’avocat, nous fait douter que le patient moyen, hospitalisé dans un hôpital du PAMI, puisse l’analyser à fond et le comprendre avant de le signer. Encore plus s’il souffre d’une pneumonie, avec toutes ses défenses amoindries y compris ses capacités de jugement. La vulnérabilité du patient accroît le doute qu’on peut avoir sur la valeur de son accord.

L’acceptation d’une telle proposition repose beaucoup plus sur la confiance que le malade fait au médecin qui la lui propose que sur la parfaite égalité entre les deux parties : un laboratoire multinational et un retraité hospitalisé dans un hôpital public. L’asymétrie est encore aggravée lorsque, face à un contrat privé, s’interpose la présence de l’hôpital public qui jouit (encore) d’un certain prestige auprès des patients.

Privatiser ce qui est public

Finalement, si on résume l’essentiel des faits avérés, une partie du patrimoine public a été utilisée pour servir dés intérêts privés. L’intérêt qui prime est celui du laboratoire qui est le promoteur de l’expérimentation et qui la paye. Les installations, l’activité et le prestige du personnel de l’hôpital public sont mis à son service, on duplique une information réservée, on bafoue des obligations légales.

Des faits comme celui-là ne sont pas une originalité argentine.et pas davantage un cas extraordinaire survenu à Rosario. L’histoire que nous vous rapportons n’est pas un fait isolé ; elle illustre une pratique répandue.

Si nous avançons un peu plus du particulier au général, ce fait illustre la constante dégradation du secteur public grâce à l’intervention active des forces sauvages du marché, sources de toute raison et de toute justice.

Un problème mondial

Ce n’est pas seulement en Argentine qu’il est midi à douze heures. L’expérimentation de médicaments sur des êtres humains ne connaît pas les frontières. Le romancier John Le Carré est entré dans ce monde des pratiques répréhensibles alimentées par les laboratoires et dans les relations que ces derniers entretiennent avec des gouvernements perméables ou faibles. C’est dans son livre « Le Fidèle Jardinier », qui a été porté à l’écran. Le thriller se déroule en Afrique ; il comporte plus de péripéties et plus de dramatisation visibles que les faits que nous rapportons ci-dessus, mais il décrit un univers semblable, celui de ce fantastique marché que représente la santé.

Les pays du tiers-monde, à cause de la pauvreté de beaucoup de leurs habitants et de la faiblesse de leurs gouvernements, peuvent permettre des pratiques que les pays du centre ne tolèreraient jamais à l’intérieur de leurs frontières. Des professionnels et des politiciens qui connaissent le sujet affirment que l’Argentine possède deux particularités qui la rendent attractive pour ce genre d’incursions.

L’une d’elles est la caractéristique polyethnique de sa population qui permet d’obtenir des échantillons statistiques très représentatifs de par leur diversité. L’autre c’est l’étendue et la qualité des services de l’hôpital public qui reçoit un très grand nombre de patients avec un personnel soignant de qualité.

Le cas de l’hôpital polyclinique PAMI II n’est pas le premier connu même s’il est vrai qu’il n’y en a pas un autre qui présente une telle accumulation de preuves. Mais ceux qui connaissent bien la question évoquent un scandale portant sur des expérimentations non autorisées dans un hôpital appartenant à une collectivité. Le laboratoire impliqué était aussi étranger et, dans ce dernier cas, originaire d’Europe. On parle de scandale car, bien qu’il ait été peu divulgué, il a eu des répercussions importantes. Un chef de service de l’Hôpital (ainsi appelé, mais qui était en vérité une clinique privée) fut destitué et la direction du laboratoire fut remplacée. Mais tout cela, pour l’essentiel, ne fut pas ébruité.

La porosité des organismes de contrôle publics est une faiblesse. Autre faiblesse, que nous commentons ci-dessus, l’absence d’une loi qui encadre le sujet lequel n’est soumis qu’à des dispositions administratives insuffisamment rigoureuses. La députée Graciela Rosso, du « Frente para la victoria » (Front pour la victoire), de la province de Buenos Aires, est en train de préparer un projet de loi qui portera sur « la recherche clinique à partir de médicaments, de produits médicinaux, de produits biologiques, de thérapie génétique et de thérapie cellulaire ». Ce projet de loi sera présenté devant les commissions concernées avant la fin du mois.

Le cas du jardinier

Le cas dénoncé par le PAMI présente une évidente analogie avec le film « Le fidèle jardinier » sorti chez nous et dans un grand nombre de pays il y a un an et demi. Entre le plaidoyer politique, le thriller et la narration épique d’une histoire romantique, le film de Fernand Meirelles, (« The Constant Gardener »), a réussi à braquer les projecteurs sur les abus et les affaires sales des grandes firmes pharmaceutiques. Basé sur un roman du maître de l’espionnage, John Le Carré, le film a été tourné au Kenya et a suscité, à l’époque, un intense débat.

Avec une dureté extrême, le Directeur de Ciudad de Dios reconstruit, en remontant dans leur passé, l’histoire d’amour entre un fonctionnaire de la British High Commission (Ralph Fiennes) et son épouse (Raquel Weisz), une activiste assassinée parce qu’elle a dénoncé les abus dont sont coupables les firmes pharmaceutiques en Afrique.

Les images montrent comment on expérimente sur les plus pauvres réduits aux conditions de simples cobayes en échange de quelques avantages pour leurs familles. Le cas particulier que le film met en scène est celui d’une firme qui, face à l’imminence d’une épidémie de tuberculose à l’échelle de la planète, décide de tester des médicaments sur le corps d’Africains indigents. Le sujet est traité par Meirelles avec cruauté, mais sans fioritures racoleuses ni coups bas. Au delà de la séduisante offre économique qu’il a reçue pour mettre en scène « Le Fidèle jardinier », (film produit par l’Angleterre et disposant d’un gros budget), Meirelles s’est investi dans ce projet parce qu’il étudiait le sujet des firmes pharmaceutiques depuis l’an 2 000 lorsque le gouvernement brésilien a décidé de ne pas respecter les brevets des médicaments destinés à combattre le HIV. Cette décision avait déchainé une impressionnante pression lobbyiste de la part des multinationales du médicament.

Página 12. Buenos Aires, le 26 Mars 2007.

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