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10 février 2014

L’égalité des intelligences, le oui dans chaque non

 

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J’aperçois @anfigorey [1] à côté de la bouche de métro. Je ne l’ai jamais vue en personne, je l’ai seulement lue et maintenant j’imagine comment elle est. De la poche de son manteau émerge un livre : « Le maître ignorant » de Jacques Rancière. Quelques jours plus tard je commence à le lire. J’aime bien ce qu’il dit ; de plus, chaque fois que je l’ouvre, je vois les mains d’Anfigorey sur la couverture et le texte parle avec sa voix.

Il raconte l’histoire de Jacotot, pédagogue français exilé en Hollande, qui découvre, en 1817, jusqu’à quel point l’acceptation réelle et pas seulement théorique du principe de l’égalité des intelligences, influe sur la façon d’enseigner. « Il est plus aisé de se comparer, d’établir l’échange social comme ce troc de la gloire et du mépris où chacun reçoit une supériorité en contrepartie de l’infériorité qu’il confesse ». Il soutient que « l’explication n’est pas nécessaire pour remédier à une incapacité de comprendre. C’est au contraire cette incapacité qui est la fiction structurante de la conception explicatrice du monde. C’est l’explicateur qui a besoin de l’incapable et non l’inverse ». C’est pour cela qu’il est possible d’enseigner ce que l’on ignore dès lors que l’on est bien conscient de la propre capacité intellectuelle [NdT, de l’enseigné], c’est à dire de l’égalité des intelligences.

La question de « savoir si un système d’enseignement a pour présupposé une inégalité à « réduire » ou une égalité à vérifier » ne concerne pas seulement la pédagogie. Rancière et Jacotot comprennent que là où s’arrête la nécessité, l’intelligence se repose. Ils comprennent l’erreur et la stupidité comme une distraction délibérée, fruit du pouvoir imposé, des conventions, de la paresse, etc. Ils rappellent que la reconnaissance de l’égalité des intelligences doit être biunivoque. Elle ne se réduit pas à un « qui veut peut », qui sonne creux, non, elle est formée plutôt du pouvoir que procure le fait de se juger égal aux autres tout en jugeant les autres égaux à soi.

Si les révolutions apportent quelque chose, c’est la capacité à ouvrir l’espace fermé des nécessités réelles, en produisant des situations dans lesquelles ces nécessités puissent être résolues par quiconque. Le talent est massif. Et les révolutions ne commencent pas en un seul jour. Elles commencent à commencer, au début on dirait des étincelles, des feux follets, des éclats isolés. Ensuite elles continuent, « avec autant de flammes que de peines », elles sont des volcans. Et elles utilisent en leur faveur les erreurs de ceux qui, en se jugeant supérieurs aux autres, sont sûrs d’eux, se distraient et rabaissent leur propre intelligence.

Belén Gopegui pour Diagonal

Diagonal, 7 février 2014.

Traduit de l’Espagnol pour El Correo par : Paul ROUET.

El Correo. Paris, 10 février 2014.

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Notes

[1NdT : Mascotte emblématique de la revue espagnole Diagonal, signant des points de vue décalés dans la revue (rubrique « invités suspects ») et s’exprimant surtout à travers des twits, des blogs et des vidéos.

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