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Nous nous définissons en tant que GRR, Groupe de Réflexion Rurale, face à la proposition d’implanter un modèle de Soja durable mis en œuvre depuis l’Argentine et l’Europe par un conglomérat de diverses ONG et d’entreprises céréalières et de Biotechnologie.
Par le GRR
Buenos Aires, 12 octobre 2004
Les monocultures de soja transgénique conduisent inexorablement à de plus grands dépeuplements des campagnes, à une déforestation croissante et à la désertification des sols, et par conséquent, à une plus grande faim pour les populations. Les entreprises et d’importants fonctionnaires du Gouvernement, des organismes comme le Secrétariat de l’Agriculture, l’INTA, le SENASA et le CONICET, se retrouvent engagés dans l’effort commun pour élaborer un grand projet national de Biotechnologie, qui impliquera une plus grande dépendance au modèle imposé et une dépendance maximale aux facteurs de production des entreprises transnationales.
C’est un instant historique d’une importance cruciale, où les entreprises se proposent publiquement de faire passer la production de soixante-dix à cent millions de tonnes d’exportation, ce pour quoi ils réclameront peut-être d’ajouter dix millions d’hectares ou davantage aux actuels quinze millions d’hectares transgéniques. Et pour y arriver tout en évitant une catastrophe écologique ou une explosion sociale, les entreprises et les gouvernements demandent aux ONG qu’elles les aident. Ils ont appelé cette étape -qui a déjà commencé en Argentine par un mandat de la WWF, avec une première convocation de la Fondation Vida Silvestre (Vie Sauvage) et avec la présence de FARN, de Greenpeace, de la Faculté d’Agronomie d’UBA et de diverses entreprises-, Soja Durable.
Dans la coalition qui s’organise derrière le nouveau projet colonial du Soja, chacun contribue en fonction de ses propres intérêts mais tous paraissent s’accorder sur les OGM et le rôle assigné à l’Argentine dans le cadre globalisateur. Certaines organisations environnementalistes chercheront à préserver les zones intangibles de parcs nationaux et à négocier le reste de la forêt primaire en jouant le rôle de guides et d’experts qui empêchent l’effondrement des écosystèmes. Les fonctionnaires des institutions scientifiques et techniques poursuivent le projet naïf d’une Biotechnologie nationale -comme si n’était pas brevetée jusqu’à la dernière procédure de laboratoire-, et mettent de cette manière les restes de l’État au service de l’intérêt transnational. Les producteurs agraires cherchent à obtenir leur part en contestant le revenu de la terre et en insistant pour ne pas payer les royalties des semences, tandis qu’ils profitent de l’occasion pour essayer de faire grossir leur propre troupe en réclamant une "réforme agraire" respectueuse du modèle du soja.
Beaucoup de dirigeants syndicaux urbains, absolument aveugles au modèle des monocultures transgéniques, continuent pendant ce temps d’agiter le chiffon rouge de la meilleure distribution des profits et du besoin d’un choc distributif pour permettre un décollage de la consommation, en même temps qu’ils dénoncent les désordres et les corruptions telles que les sous-facturations de l’exportation de céréales, insinuant qu’avec de plus grands contrôles douaniers et fiscaux de l’État, on récupèrerait suffisamment de fonds pour résoudre beaucoup des problèmes sociaux les plus urgents...
Le Rotary et CARITAS continuent pendant ce temps avec leurs plans d’installation de « vaches mécaniques » dans les Hôpitaux et les zones d’indigence, tout en introduisant des aliments à base de soja dans les cantines pour enfants et pour indigents. De cette manière ils légitiment parmi les plus pauvres le modèle des monocultures génétiquement modifiées, en même temps qu’ils établissent un double standard alimentaire pour la population, standard dans lequel les fourrages transgéniques sont le lot des pauvres. Tous et chacun de ces acteurs contribuent au maintien du modèle et à son approfondissement. Tous sont responsables par action ou par omission, et ont accepté la complicité avec les multinationales qui dominent notre marché exportateur et qui nous ont transformées en une Républiquette fourragère...
Nous avons besoin de recouvrir notre dignité nationale et de dénoncer le modèle du Soja et le rôle de pays producteur de matières premières et d’expérience biotechnologique qui nous ont été imposés. Nous avons besoin de reconstruire un État pour qu’il se charge à nouveau de l’inspection des Finances du Commerce Extérieur et de réorganiser l’Assemblée Nationale des Céréales qui nous permette d’établir des prix de soutient pour les aliments destinés à la table des argentins et qui comme la lentille, le riz ou les produits lactés ne se produisent plus dorénavant ou se trouvent dans une absolue crise de production. Nous avons besoin de produire à nouveau des semences, en récupérant nos patrimoines génétiques égarés et en créant les bases d’un modèle agraire différent dans lequel la Souveraineté Alimentaire et le Développement Local sont les objectifs nationaux que nous nous proposons.
Nous rejetons de manière catégorique le document de la WWF du mois de septembre dans lequel, depuis la localité de Gland, en Suisse, et sous le titre ’Le boum du soja : bénédiction ou malédiction pour les forêts et les savanes de l’Amérique du Sud’, on nous propose un modèle de Soja Durable.
Nous le rejetons parce qu’il met en évidence des attitudes de résignation et d’acceptation du modèle globalisé des sojas, un modèle manipulé dans toutes les phases de la production et de la commercialisation par les transnationales agrochimiques, depuis la production et la vente de semences, la distribution de pesticides ; les machines pour ensemencement, récolte et fumigation, jusqu’au dominion des ports d’exportation. Ces productions de soja fourrager signifient en Europe la perte de la qualité alimentaire, la production industrielle de viandes avec un fourrage génétiquement modifié et une plus grande détérioration de la vie dans les campagnes, mais dans les pays de l’Amérique du Sud le modèle marchand se manifeste brutalement comme une énorme menace de désertisation des sols, d’effondrement des écosystèmes agraires et de faim pour nos peuples.
Nous le rejetons parce qu’il ignore les effets sociaux du soja, culture qui n’a jamais fait partie de l’alimentation des argentins et dont les actuelles monocultures sont la cause d’innombrables pertes de postes de travail et d’un gigantesque déplacement de population rurale vers les faubourgs pauvres des grandes urbanisations.
Parce que le rapport ignore que le bétail a été déplacé par le soja vers des zones marginales et des bas-fonds inondables ou, pire encore, vers des enclos d’engraissement où, au lieu de se nourrir de pâturages, on l’engraisse avec des céréales, spécialement du soja, avec des ajouts d’antibiotiques et d’hormones.
Parce qu’il ignore que l’Argentine a été un des pays qui avait la plus grande production biologique certifiée et que l’agriculture marchande basée sur les agrotoxiques et les OGM a changé son profil sur le marché international. Que le maïs biologique ne peut plus être produit à cause de la pollution. Et que le miel argentin a été retiré du marché à cause de ses résidus chimiques.
Parce que notre pays a été le grenier du monde et grâce au Soja nous sommes devenus une Républiquette fourragère
Parce qu’imaginer qu’on peut atténuer le risque de désertisation avec la proposition de rotation avec le bétail est naïve et non viable. Sur des millions d’hectares de monocultures les chefs d’entreprise d’exploitations du soja ont fait disparaître les clôtures, les abreuvoirs et les moulins où s’abreuvait l’hacienda. Le modèle de monocultures telle que celle du Soja a un seul moteur : la diminution des coûts et le profit croissant aux dépens des ressources naturelles.
Ce modèle qui a installé une agriculture sans agriculteurs, avec concentration des terres et dépeuplement massif des populations rurales, n’a pas de retour possible par les moyens qui sont proposés dans le document. En réalité, l’intention des membres de la WWF n’est pas de changer le modèle mais de faciliter son application sur le maximum du territoire agricole utilisable sans provoquer les explosions sociales attendues et craintes.
Mais en outre le document de la WWF révèle ses spéculations cyniques quand il dit "on s’attend à ce que la demande d’exportation de soja, utilisée majoritairement dans les aliments animaux, ait plus que doublé dans 20 ans". En acceptant un argument proposé depuis une réalité dessinée par les transnationales, la WWF essaye de condamner tout le sud de notre continent, au rôle de simples producteurs de fourrage, et sans alternative pour essayer de défendre notre sécurité et souveraineté alimentaire. Les nécessités du Nord sont celles qui sont prises en considération par la WWF et il n’y a pas un regard pour la pauvreté croissante et la faim de l’Argentine. Le raisonnement est de multiplier la capacité de production de fourrage de nos pays tout en arrivant à préserver au moins une partie des forêts et des écosystèmes naturels. La prétention de rendre durable la production croissante de soja est pour le moins naïve.
Le document de la WWF dit : "L’étude montre qu’il est possible d’atteindre une plus grande production de soja sans détruire la nature, indique Matthias Diemer, Directeur de l’Initiative pour la Conversion Forestière de la WWF. L’encouragement d’une utilisation de la terre plus intensive et efficace le long des routes existantes et près d’importants centres urbains réduira le besoin de détruire les habitats vierges. Toutefois, l’étude indique aussi que pour que ce scénario puisse se réaliser et puisse arriver à fonctionner, les producteurs de soja, les investisseurs, les acheteurs et les organismes régulateurs devront soutenir, adopter et promouvoir des pratiques plus durables, et stimuler les gouvernements locaux pour qu’ils fassent appliquer effectivement les lois et les règlements environnementaux et de l’utilisation de la terre". En vérité, il ne semble pas que les rédacteurs du rapport de la WWF aient vérifié sur le terrain les situations qui se vivent actuellement en Argentine concernant le Soja.
Un des phénomènes de l’extension des monocultures est qu’elles ont balayé les ceintures vertes des grandes et petites villes, ceintures constituées par des étables, des élevages de poulets, des fermes et des potagers, qui, en plus de pourvoir à l’alimentation locale, faisaient office de zones d’atténuation des impacts propres à la grande agriculture. Maintenant le soja arrive en général à la première rue du village, de sorte que les fumigations de Glifosato, 2.4D, Parquat, et Endosulfan ont un impact direct sur les populations, avec pour résultat d’innombrables cas de cancers et de malformations, de maladies terminales, d’avortements, etc... Dans beaucoup de petits villages entourés par le désert vert du soja, les avions fumigateurs n’interrompent même pas leur travail sur la zone urbaine, soumettant les habitants à des impacts directs aux terribles conséquences.
Nous nous proposons la construction d’une pensée d’État en Souveraineté et justice sociale
La seule façon pour nos pays de sortir de la situation créée par le Soja, autre que par une remise en question violente de la possession de la terre après une explosion sociale due à la faim et à l’indigence, serait par la décision des citoyens de reconstruire l’État détruit durant l’étape du néo-libéralisme, et avec cet État reconstruit, de réguler le commerce extérieur aujourd’hui entre les mains des entreprises transnationales, fixer des cours de soutien pour les aliments qui correspondent au patrimoine alimentaire des populations, promouvoir la production de semences et promouvoir des plans de repeuplement massif des territoires aujourd’hui vides, en les accompagnant de développements locaux intégrés.
Les propositions de Soja Durable de la WWF que nous rejetons, expriment la honteuse tentative de collaboration de groupes environnementalistes et d’ONG du premier monde -ainsi que de leurs filiales et représentants locaux-, avec les grandes entreprises transnationales. Mais, si ces entreprises ont besoin de ces collaborateurs c’est parce qu’elles savent parfaitement que leur futur devient chaque jour plus incertain et que les peuples prennent de plus en plus conscience des menaces que signifient pour leurs vies le brevet et l’appropriation des semences et des aliments auxquels ils sont habitués depuis toujours.
La WWF et d’autres grandes ONG, tant en Europe qu’en Amérique latine, prétendent maintenir le modèle mais en en fixant les règles tant pour modérer son impact que pour pallier ses conséquences inévitables. En revanche, en tant que GRR, nous avons déclaré la guerre à un modèle qui se traduit par les monocultures, par l’expulsion de familles paysannes, par la déforestation et le défrichement massif, et par des systèmes agricoles aux facteurs de production dépendants, absolument insoutenables, qui nous transforment en de grandes usines où les populations deviennent un élément en trop et à exclure.
Nous sommes une expérience massive de paquets biotechnologiques, un pays laboratoire des multinationales de la Biotechnologie, une Argentine Coloniale. Nous prétendons retrouver notre SOUVERAINETÉ ALIMENTAIRE et RECONSTRUIRE un PROJET NATIONAL
Les triomphes exportateurs de l’Argentine actuelle sont aussi son échec le plus net, parce qu’ils nient sa tradition de pays producteur d’aliments sains et parce qu’avec eux le pays se condamne à la faim et à la misère... mais de même que notre pays perd lorsqu’il cesse d’être ce qu’il était, quand il cesse d’être lui-même, l’Europe aussi devrait prendre conscience que, lorsqu’elle impose son modèle d’extraction obligatoire de fourrage à des pays comme l’Argentine, elle cesse d’être ce qu’elle était pour se transformer en autre chose. L’Europe globalisée qui prétend soutenir son style de vie "américanisée" en nous contraignant au rôle de fournisseurs de matières premières pour payer une Dette Externe scandaleuse qui nous a été imposé pendant la dictature militaire au prix du Terrorisme d’État et de trente mille disparus, en vérité ce n’est déjà plus l’Europe ou s’en est peut-être seulement la pire, la plus sinistre et perverse part d’elle-même.
Groupe de Réflexion Rural (GRR)
Courriel: [rtierra@infovia.com.ar
URL: http://reflexionrural.galeon.com
Traduction pour El Correo de: Thomas Solorzano