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27 août 2002

L’Argentine sauvegarde du crédit avec le troc

 

Plus de 19 millions d’Argentins vivent sous le seuil de pauvreté. Pour éviter la misère, ils échangent biens et services. Avec 200 millions de coupures en circulation, le « crédito », monnaie officieuse, est dépassé par son succès.

En Argentine, le troc est devenu un moyen de survie face à la crise économique. Ils sont plus de 6 millions, près du quart de la population, à s’y adonner et à participer ainsi à une véritable économie parallèle. Un essor exceptionnel qui accompagne celui du chômage et de la pauvreté. Selon les derniers chiffres officiels, publiés à la mi-août, 53,8 % de la population argentine - plus de 19 des 36 millions d’habitants - vit sous le seuil de pauvreté, avec moins de 170 dollars par mois ; 8,4 millions d’Argentins sont confrontés quotidiennement à la faim. Le pays est entré au troisième trimestre 2002 dans sa cinquième année consécutive de récession.

Forum. Dans ce contexte, le rôle des clubs de troc ne se limite plus au coup de pouce pour finir le mois. Pour beaucoup ils sont devenus la seule manière d’obtenir de la nourriture ou des vêtements. Au moment où s’ouvre à Buenos Aires le Forum social mondial, inspiré des deux éditions de Porto Alegre (Brésil), ses promoteurs y voient aussi un moyen de contester le système économique libéral qui a précipité l’Argentine dans la crise. Le Forum s’ouvrira ce soir avec une manifestation contre le néolibéralisme. Sous le titre « La crise du néolibéralisme en Argentine et les défis pour le mouvement global », il accueille plus de 400 ONG (dont Médecins du monde, Greenpeace, Amnesty International, etc.). Quelque 500 délégations étrangères sont également attendues, dont Attac. Les débats, qui tenteront d’expliquer les causes et les conséquences de la crise argentine et les alternatives possibles au modèle actuel, ne manqueront pas d’évoquer l’essor du troc.

Il existe à présent quelque 8 000 clubs dans le pays. Le premier d’entre eux est né en 1995, dans la banlieue de Buenos Aires, à l’initiative d’une dizaine de personnes. Bien que cette expérience ne soit pas unique dans le monde (lire page 3), la vitesse à laquelle elle se développe en Argentine est sans précédent.

Pour faciliter les échanges, les membres peuvent échanger des biens contre des créditos, une monnaie officieuse qui se présente sous forme de coupons d’une à cinquante unités. On peut s’en servir pour acheter des biens ou se procurer des services, s’offrir des leçons d’anglais, des consultations de médecins ou d’avocats. Plus de 200 millions de coupures de créditos du réseau sont en circulation, soit 80 % des monnaies existant en Argentine (peso, dollar et monnaies provinciales).

Sabotage. Depuis quelques semaines, le système apparaît pourtant dépassé par son succès. Des créditos falsifiés se répandent dans le pays. Parfaitement imités, ils sont couramment acceptés dans les clubs. La confiance, clé du système, est ébranlée. Dans certains clubs de Buenos Aires, les prix flambent. D’un endroit à l’autre, le prix du litre d’huile peut varier de 15 à 1 000 créditos. Certains clubs sont désertés. « Nous sommes victimes d’une opération de sabotage », s’insurge Horacio Covas, l’un des fondateurs du Réseau global de troc solidaire, qui dénonce les pressions de certaines factions politiques pour limiter l’essor du système. « Il est évident que le troc est un moyen de préservation sociale qui ne sert pas les desseins de certains politiciens. »

Reste à savoir aujourd’hui si ses organisateurs parviendront à remettre de l’ordre dans le système, condition pour que cette économie parallèle survive.

 Liberation, le 22 août 2002.
Buenos Aires, correspondance

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