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Crise systémique globale 2017-2021
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Cette expression de « recomposition chaotique » nous est apparue résumer assez bien l’étape où nous en sommes du développement de la crise, une étape indiquée ici comme s’étendant sur quatre années et qui comportera des phases de progression distinctes.
En cette première moitié de l’année 2017, force est de constater que les efforts de réorganisation du monde sur une logique transnationale ont tous échoué :
Ces tensions sont essentiellement le résultat de conflits d’intérêt et d’incompatibilités chroniques entre des « systèmes » supranationaux (Amérique « impérialiste », EU, OTAN, etc.) venus d’époques et de régions différentes, au service d’intérêts économiques et institutionnels déshumanisés de toutes sortes, systèmes par ailleurs non ancrés dans une légitimité populaire ou démocratique que l’on ne trouve de fait et toujours aujourd’hui, et ce malgré 70 ans de trans-nationalisation des mécanismes de gouvernance, qu’au niveau des Etats.
C’est ainsi qu’en 2016, face au risque croissant de conflagration, le monde a « ré-atterri » au niveau national (dirigeants nationalistes aux US, en Inde et au Japon, Brexit et conséquences sur une Europe « multi-vitesses [3] » remettant officiellement les clés de la boutique aux Etats membres, etc.). Cette étape est voulue et jugée plutôt rassurante par une partie des peuples qui ont le sentiment d’avoir à nouveau la main sur leur destin ; et inquiétante par une autre partie qui a en mémoire les très grands échecs des Etats-nations en matière de gestion du monde au début du XXe siècle.
Le succès de ce repli stratégique nationaliste dépendra de l’efficacité et de la rapidité avec laquelle les grands Etats, en concertation avec les petits, parviendront à mettre en place les nouveaux principes des niveaux supra-nationaux. Le risque le plus évident est bien entendu l’escalade de tensions liée à la réaffirmation d’intérêts nationaux exclusifs et par conséquent incompatibles aboutissant à un processus de destruction au lieu du processus de reconstruction espéré.
D’une certaine manière, on peut dire que la crise cesse d’être systémique au sens où nos destins collectifs dépendent à nouveau (comme dans toutes les grandes périodes de transition) d’une poignée d’individus politiquement sur-dopés (Poutine, Trump, Modi, Erdogan, Abe, Netanyahou, Xi…), tentant de sortir des rets du système précédent, et dont certains sont des Churchill/De Gaulle mais d’autres des Mussolini/Hitler… sans que médias et dirigeants soient capables de nous éclairer sur qui est qui et sur la façon de préserver la paix et de construire l’avenir dans un tel contexte.
Inutile de préciser que l’exercice d’anticipation n’a jamais été aussi utile et incertain à la fois qu’en ce moment. Dans les articles suivants, sur la base de cas concrets (crise syrienne, BRICS, UE, Euroland), nous allons étudier les perspectives nouvelles qu’offre ce retour au niveau national dans la gestion des affaires régionales ou globales, ainsi que les risques susceptibles d’être générés par cette méthode.
La présidence de Trump commençait bien mal : son grand projet de mise à mort de l’Obamacare était retoqué par le Congrès [4], la justice américaine bloquait son Ordre Exécutif d’interdiction d’entrée le contraignant à faire appel de la décision [5], le dollar montait alors qu’il misait sa stratégie de relance sur un dollar faible [6]… la force de la « volonté politique » semblait tourner court face à un establishment garant de stabilité et dominant le pouvoir exécutif présidentiel.
C’est alors que l’attaque chimique de Khan Cheikhoun a lieu, lui fournissant comme par magie l’opportunité de :
Toutes ces actions belliqueuses sont menées sans mandat démocratique ou international, et accueillies par un silence diplomatique, qui plus est onusien [17], [et médiatique total (imaginons une seconde que les Russes fassent un dixième de ce que Trump vient d’initier), validant de fait la « stratégie du plus fou » que nous avions relevée dans le précédent numéro du GEAB. Côté US, le ré-atterrissage national promet de ne pas décevoir en suspense et surprises !
A ce stade, il est probable que les objectifs recherchés sont de deux natures essentiellement :
Le premier point a le mérite de la clarté : les Etats-Unis ne parvenaient plus à intervenir dans un cadre international de plus en plus réticent à agir dans un intérêt de plus en plus visiblement américain [18], les obligeant à des actions détournées (drones et proxy-wars) ; Trump les fait sortir officiellement du cadre international et démocratique (USexit) mais en même temps rend à nouveau visibles des actions stratégiques US. Mais cette clarté porte bien sûr en elle toutes les conditions de la confrontation directe que le système international avait pour objet d’empêcher.
Le second point a le mérite de l’utilité : dans un système complètement bloqué par un cadre international arc-bouté sur des dossiers « intouchables » (Corée du Nord [19], solution des deux Etats en Israël [20], Syrie, Crimée, Pakistan…), la levée des tabous est en réalité devenue inévitable. Le problème, c’est que ceux qui auraient pu le faire de manière organisée dans un cadre concerté ne l’ont pas fait, laissant un « fou » (au sens de la « stratégie du plus fou ») s’en occuper et faisant courir au monde de très grands risques (il suffirait d’un deuxième « fou » pour que tout saute).
En parlant de deuxième « fou », le double revirement inattendu du Président philippin Duterte en matière de propriété des îles suggère que des négociations ont actuellement lieu entre les Etats-Unis et lui dans ce sens. Le franchissement par Trump de cette ligne rouge [21] serait l’indicateur clair de l’enclenchement d’une logique frontale entre le camp occidental (auquel l’UE est structurellement inclus) et les non-alignés (Russie, Chine, Iran) de très mauvais augure.
Pour comprendre si les actions de Trump débloquent des situations ou envoient vers une guerre, nous invitons nos lecteurs à suivre de près les déclarations de la girouette-Duterte, bon indicateur du sens dans lequel va souffler le vent dans cette région. Pour mémoire, les Philippines étaient l’un des alliés importants des Etats-Unis, appartenant dans le cadre de l’ASEAN au camp de ceux qui demandent l’intervention des US pour défendre les droits de propriété non chinois sur les îles situées en Mer de Chine méridionale (rappelons que ces droits ne sont pas établis dans le marbre) ;
Puis Duterte a pris le pouvoir et enclenché un revirement complet de ce point de vue, se montrant très agressif avec les Etats-Unis d’Obama [22], se tournant résolument vers la Chine pour accuser les Etats-Unis d’aviver des tensions sur un dossier à régler régionalement et sans ingérence extérieure. Mais en mars, Duterte accuse les Etats-Unis de l’avoir obligé à se tourner vers la Chine du fait de leur inaction dans la région, suggérant que des Etats-Unis interventionnistes pourraient regagner son soutien. Et en effet, le 6 avril, il annonce qu’il va planter des drapeaux philippins sur une série d’îles revendiquées par son pays, avant de se rétracter une semaine plus tard au nom de l’amitié philippino-chinoise [23].
Cela dit, notre équipe anticipe que Trump ne tentera rien dans cette région tant qu’il n’aura pas récupéré dans son camp la Russie. Nous rappelons que la plus grande incertitude que nous voyons à l’horizon de la politique étrangère de Trump, c’est l’articulation avec la Chine plutôt que celle avec la Russie (même si les mouvements récents ne peuvent qu’inquiéter à plus court terme)…
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Geab n° 114. Paris, le 15 avril 2017.
[1] New Development Bank et Asian Investment and Infrastructure Bank, en particulier.
[2] Ce qui ne les empêche pas d’avancer de leur côté. Mais elles ne constituent pas des solutions globales.
[3] Source : EUObserver, 02/03/2017
[4] Source : Washington Times, 28/03/2017
[10] Source : New York Times, 12/04/2017
[11] Source : San Diego Tribune, 09/04/2017
[14] Source : The Guardian, 13/04/2017
[15] Source : Business Insider, 12/04/2017
[17] Il faut se connecter au site UN News Center et constater personnellement l’hallucinante absence complète de commentaire sur les attaques usaméricaines ! Source : UN News Centre
[18] Pensons aux sanctions internationales contre l’Iran (auxquelles les Nations Unies n’ont accepté de se plier qu’en 2006, soit 27 ans après les premières sanctions américaines) (source : Wikipedia) ou à la fameuse mesure R2P de 2000, contredisant le sacro-saint principe de non-ingérence de l’ONU (source : Wikipedia).
[19] Les Chinois sont les premiers à avoir besoin d’une résolution de ce brûlot géopolitique ; mais aucune résolution n’est possible autrement qu’en concertation avec les Etats-Unis.
[20] Comme nous l‘avons déjà évoqué, cette « solution » à laquelle s’est engagé Israël sans que personne ne puisse l’empêcher de faire exactement le contraire a abouti à la fameuse « peau de léopard » que sont devenus les territoires occupés, intégralement mités de colonies juives, ayant anéanti depuis longtemps tout espoir chez les Palestiniens eux-mêmes de pouvoir un jour revivre en paix chez eux. A ce stade, il est devenu contre-productif de prétendre croire à une quelconque efficacité positive de cette « solution ». Autant se l’avouer et mettre en place d’autres stratégies fondées sur les nouvelles réalités.
[21] Si les trois premières interventions ont encore une sorte de légitimité d’objectif (dénouer des nœuds inextricables), une action US en Mer de Chine méridionale ne pourra être interprétée autrement que comme un mouvement hégémonique des Etats-Unis au cœur d’une zone d’influence où ils n’ont rien à faire et dans une pure logique de containment du rival chinois. C’est donc bien une logique de guerre qui s’enclencherait. Une action US en mer de Chine du Sud ne « dénouerait » rien, créant au contraire un nouveau nœud.
[22] Il a tout de même été jusqu’à appeler Obama « un fils de p… » ! Source : The Guardian, 05/09/2016
[23] Source : The Guardian, 13/04/2017