Vient de paraitre l’édition française de la première biographie d’Evo Morales, le premier président indigène de la Bolivie. Nous reproduisons ici le texte de présentation du livre. / Info Sud Télé
Quelques semaines avant la parution du livre que vous avez entre les mains, le 6 décembre 2009, Evo Morales était réélu président de la Bolivie pour un deuxième mandat. Ce scrutin fut un véritable triomphe électoral : soixante-quatre pour cent des voix dès le premier tour, sans parler de la hausse significative du taux de participation, qui s’est hissé à quatre-vingt-quatorce pour cent.
Les élections sont aujourd’hui un événement important dans ce pays, et choisir le président au premier tour semble être devenu l’enjeu politique du moment… Mais pas n’importe quel président.
Cela a déjà été dit, Evo est le premier président indigène de la Bolivie. Ce n’est pas rien. Comme toutes les autres républiques du continent américain, la Bolivie s’est érigée en tant que telle dans l’exclusion des peuples indigènes qui vivaient sur le territoire avant l’arrivé des colons européens. L’apartheid instauré contre cette population d’origine semblait être devenu une fatalité de l’histoire.
Evo Morales Ayma a brisé la malédiction. Son élection fut un acte libérateur – pas seulement pour les peuples originaires du pays, mais pour le continent tout entier. Que l’on se rende compte : c’est trois ans après l’arrivée au pouvoir du premier indigène à la présidence de la Bolivie que les États-Unis ont élu un président noir pour la première fois…
Mais Evo n’est pas seulement le représentant des peuples indigènes et de ses aspirations. Dès les élections de décembre 2005, il incarnait l’espoir d’un changement profond de la société bolivienne dans son ensemble, qui impliquait entre autres changements fondamentaux le rejet du modèle néolibéral.
Sa réélection en 2009, avec un taux de participation si élevé, est la preuve que les espoirs qu’il a engendrés n’ont pas été déçus. La nationalisation des hydrocarbures, la nouvelle constitution, la redistribution de la terre, la reconnaissance des peuples indiens et leur inclusion dans le nouvel État plurinational, son impeccable gestion économique – saluée même par le FMI –, ses programmes concernant la santé et l’éducation, la fin de l’analphabétisme, la baisse des tarifs des services publics, etc… ont bien mérité un renouvellement de son mandat.
Cependant, malgré sa grande popularité et son indiscutable légitimité, le gouvernement d’Evo Morales a rencontré une sérieuse difficulté dans la mise en œuvre de son programme : l’opposition tenace des élites. Habituées à se comporter en propriétaires du pays, celles-ci n’ont pas vu d’un bon œil l’arrivée au pouvoir de cet indigène qui a inondé d’indiens le Palais du Gouvernement, le Congrès et autres institutions « appartenant » à l’oligarchie depuis la création de la Bolivie.
Il ne s’agit pas ici d’une simple opposition politique, mais d’une opposition qui n’hésite pas à utiliser la violence et la terreur pour empêcher le bon déroulement des politiques mises en place par le gouvernement. Cette violence atteint son apogée en septembre 2008, lorsque des groupes liés à l’oligarchie tentèrent un coup d’état civil : prise des institutions de l’État, massacre des indigènes et autres actes de violence avaient pour but de semer le chaos et d’en finir avec le processus démocratique. Pour désamorcer la crise, le gouvernement dût entre autres mesures expulser l’ambassadeur des États-Unis, accusé d’être à l’origine de la conspiration.
À mi-chemin entre le reportage journalistique et la biographie à deux voix, Evo. Portrait au quotidien… peut se lire aussi comme un roman, le grand roman de l’émancipation des peuples indigènes andins et amazoniens. L’auteur, Martín Sivak, journaliste et sociologue, a écrit pour diverses publications en Amérique Latine, notamment le quotidien de Buenos Aires Pagina/12, et le bimensuel bolivien El Juguete Rabioso (Le Jouet Enragé), publication à l’origine de notre maison d’édition qui vécut ses années « enragées » en Bolivie au début des années 2000.
Au fil des pages, nous assistons en témoins privilégiés aux deux premières années de la présidence d’Evo Morales et à l’installation au pouvoir de ce gouvernement sui generis composé d’indiens, de syndicalistes et d’intellectuels de gauche. On entre aussi dans l’histoire intime d’Evo, le paysan devenu président, une ascension aux dimensions épiques illustrée par Evo Morales lui-même – comme lorsqu’il raconte qu’il dormait enfant dans un hôtel « mille étoiles », sous le ciel de l’Altiplano, et qu’aujourd’hui ses voyages l’amènent à dormir dans les suites des hôtels cinq étoiles.
En toile de fond se déroule l’histoire de la Bolive, de ses origines à nos jours. Avec une capacité de synthèse remarquable, Sivak arrive à mettre en lumière plusieurs sujets sensibles : l’imbroglio des changements politiques de la vie républicaine bolivienne, les relations toujours tendues avec les États-Unis, le clivage entre l’Orient et l’Occident boliviens, les enjeux géopolitiques de la lutte contre la feuille de coca, les mouvements sociaux, etc.
Martín Sivak a connu Morales dans les années 90 et au fil des rencontres s’est créée entre les deux hommes une relation de confiance et d’amitié bien perceptible à la lecture de l’ouvrage. Et comme Sivak lui-même le reconnaît, il lui arrive parfois de franchir la ligne qui sépare l’amitié de la profession, comme lorsqu’on lui confie la tâche d’interprète de la délégation du président, ou encore la rédaction de dépêches de presse pour l’Agence bolivienne d’information (ABI). Martín va encore plus loin quand on le voit enfiler le maillot de la sélection du président et marquer un but dans un match du foot aux États-Unis. Ni Truman Capote, ni les apôtres du nouveau journalisme n’avaient prévu ce cas de figure.
Mais cependant, ce livre n’est pas une série de louanges. Comme l’indique son sous-titre, il s’agit d’un portrait, et, pourrait-on ajouter, d’un portrait comprenant toutes ses zones d’ombre et de lumière. On assiste aussi à ses moments de doute ou d’hésitation, aux limites imposées par sa fonction de président, ou encore aux concessions qu’il ne peut éviter.
Par toutes ces richesses dans les détails, nous bénéficions d’un récit vivant, qui nous plonge au cœur de la fonction présidentielle du premier chef d’Etat indigène. Martín nous amène en voyage avec Evo Morales dans plusieurs régions du monde, où l’on a l’occasion de côtoyer des personnalités telles que Hugo Chávez, Kadafi, Cristina Kirchner, Bill Clinton, Juan Carlos ou encore Fidel Castro. On y découvre aussi son enfance de berger, son adolescence de musicien et travailleur polyvalent, les années à se forger comme syndicaliste et défenseur de la culture de la feuille de coca jusqu’à devenir le leader syndical le plus important du pays.
Evo. Portrait au quotidien… est le troisième titre publié par Le Jouet enragé, toujours en co-édition avec L’Esprit frappeur, dont nous saluons l’amitié et la complicité permanentes. De la même manière, nous remercions les presses du Ravin Bleu pour leur soutien de longue date et leur engagement pour la liberté d’impression. Enfin, nous remercions Martin pour sa confiance.
Sergio Cáceres3. Le Jouet Enragé , Paris, le 10 janvier 2010.
EVO
« Martín Sivak »
345 pages
Fomat : 145×210 mm
Cahier photographique de 16 pages, couleur
EAN 13 9782844052414
19 €