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3 mai 2008

Espagne :
La défaite des hispanocons.

 

Por Lluís Bassets *
De la Goupille à l’Éléphant . Espagne, le 23 avril 2008.

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Le neocon, contrairement au libéral pur et dur, croit dans l’État et dans sa capacité transformatrice. Il croit aussi, contrairement au conservateur classique, dans une certaine espèce de rédemption. C’est pourquoi il est Prométhéique, parfois de manière extrême. Une partie des neocons ont leurs origines dans le trotskisme. Nationalistes et révolutionnaires, ils veulent imposer leurs idées et leurs valeurs partout dans le monde, et par la force. Avec une révolution conservatrice et étasunienne. Ils sont des bolcheviques de droite. Leur confiance dans la supériorité de la technologie produite par l’hyper capitalisme étasunien est aveugle, et il s’ensuit qu’ils estiment que cette supériorité va se traduire dans l’imposition rapide de leur hégémonie dans les zones du monde où règne l’obscurité. Ils se sont lancés dans la guerre avec la conviction que la supériorité technologique et la richesse de leur pays est le fruit d’une intention divine.

Le neocon est manichéen jusqu’à l’extrême. Il ne peut pas concevoir qu’il y ait bien quelqu’un non déjà dans l’altérité, mais même dans le moyen terme. En réalité il déteste le moyen terme beaucoup plus que l’altérité absolue. Cette idée, la sienne, aux origines morales, se traduit en tactique électorale. Son programme politique ne veut rien savoir d’un apaisement des ennemis, d’alliances qui divisent l’adversaire et d’accords qui résolvent les contentieux, et sa stratégie électorale implique de serrer les rangs avec son électorat le plus fidèle sans faire de concessions au centre. Polariser la vie politique, obliger à ce que les centristes se définissent et qu’ils se radicalisent, cerner l’opposition dans un extrême et s’embastiller elle-même chez l’autre ce sont les moments d’excellence de sa tactique préférée.

Le neocon a eu son heure de gloire après le 11 septembre, quand les attentats de Washington et de New York lui ont donné l’occasion d’appliquer la panoplie de ses pires productions politiques : guerre préventive, action unilatérale, limitation de droits et libertés, tribunaux d’exception, légalisation de la torture, écoutes illégales, pouvoirs maximaux à l’exécutif … la connexion de son idéologie stridente avec le fondamentalisme chrétien a fourni des majorités gigantesques à Bush en 2004 et a donné lieu à l’attaque d’arrogance (l’hibris grecque) qui l’amènerait à sa perdition.

Le neocon est en net recul aux Etats-Unis, bien qu’il ne faille jamais crier victoire. La semence a été longue et profonde. Tellement étendue qu’elle a touché tout le monde. En Italie, par exemple, où la syntonie politico-religieuse a produit des fruits étranges : les teocons de Ratzinger, Catholiques qui sympathisent avec les neocons dans leur lutte contre ce qu’ils appellent le relativisme ; ou les athées du Pape, laïques sans pratique ni croyance, qui s’intéressent au catholicisme comme idéologie culturelle neocon, et à la foi comme instrument de pouvoir sur les électorats. Ou à l’Espagne, où nous avons eu les neocons hispaniques ou hispanocons, de clé celtiberique et légionnaire, une sous-espèce étrange du neocon étasunien qui croyait dans la suprématie Etasunienne avec une passion identique à celle d’un neocon de Manhattan.

Mais l’hispanocon croyait, en outre, dans la suprématie espagnole et au sein de la suprématie espagnole dans la suprématie de sa capitale, Madrid, transformée en capitale conservatrice latinoaméricaine et globale. Comme cela ne pouvait être autrement, elle était antieuropéenne et dédaignait la France et l’Allemagne, et ne parlons pas de l’Italie, surtout dans les temps où ces dignes voisins étaient dirigés respectivement par Chirac, Schroeder et Prodi. Toute une vengeance de l’histoire espagnole, qui permettait de transformer les deux empires en guerre en 1898 en de nouveaux alliés cent ans après.

Le suprématie hispanique était à deux visions : vers l’intérieur, avec une vision d’un État radial et d’une Espagne castillane, fière et sans complexe ; vers l’extérieur, se plaçant à côté des Etats-Unis comme partenaire stratégique en Europe, au même titre que le Royaume-Uni, et avec une projection spéciale en Amérique. Aznar, le « collabo » des Açores fut l’ hispanocon dans son apogée. Il faut parler de lui au passé : il fut et ne l’est plus, ce qui reste est une ombre, bien que cette ombre ressemble à ce qu’on appelle l’espoir et à partir de là ils sont beaucoup qui veuillent croire dans sa résurrection.

Il est logique que le spectre de l’hispanocon n’ait pas encore digéré la défaite subie il y a quatre ans, ce 14 mars qui a porté Zapatero à la Moncloa. Et c’est encore plus logique qu’il n’ait pas pardonné à celui qui reçut sur sa propre joue cette défaite assassine, Mariano Rajoy, et qui lui en veuille plus encore quand, quatre ans plus tard, ce dernier n’est pas parvenu finalement à laver l’affront et accepte en revanche sa défaite et plie le genou en reconnaissant ce qu’ils savaient tous déjà, que Zapatero est le président du Gouvernement. C’est pourquoi maintenant tout ressort à nouveau.

Il n’y a pas de débat d’idées, il est évident que non, entre Rajoy et Aguirre, mais les courants idéologiques de fond qui ont conduit à ce point reviennent à la surface et entraînent tout ce que se trouve sur le chemin. La majorité électorale et y compris social qu’a obtenu le PP en 1996 fut le résultat d’une vocation débutante pour le centre réformiste, avec laquelle cet Aznar de la première législature circulait dans les mêmes eaux que Clinton, Schroeder, Blair et Prodi. Sont ensuite arrivés deux catalyseurs : la majorité absolue, qui a permis de dégainer le programme neocon dissimulé d’Aznar ; et le 11septembre, qui lui a fourni proprement la crédibilité et le cadre de référence neocon. Il a alors commencé à naviguer avec Berlusconi, Bush et ce Blair qui a déserté la Troisième Voie.

Maintenant Esperanza est celui qui se laisse porter par le courant et tient dans sa main la torche hispanocon, dûment alimentée par Federico et Pedrojota. Et Mariano est celui qui ressuscite la vieille vocation d’un syncrétisme classique et efficace entre libéraux, conservateurs, démocrates chrétiens et y compris des social-démocrates, qui permet le retour au pouvoir. Même si les caractères sont bien marqués dans les positions politiques respectives, les rôles et les supposées idées sont interchangeables.

Les militants, excités par tant d’années de combat au corps à corps, sont pour le premier : l’hispanocon est ce qu’on y met. Les votes arriveront seulement par le second : impossible de dépasser le PSOE sans une grande formation capable de s’étendre depuis l’extrême droite jusqu’au centre sans cesser de bien courtiser en Catalogne et au Pays Basque, quelque chose qui répugne l’hispanocon. Pendant ce temps, Zapatero et les siens se frotteront les mains pendant plusieurs législatures si cette indécision dure davantage de temps que celui strictement nécessaire.

* Lluís Bassets est journaliste et directeur du quotidien espagnol El País.

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